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Une étude centrée sur le fonctionnement de systèmes didactiques interconnectés

2. La théorie de l’action conjointe en didactique (TACD)

2.3. Contrat et milieu didactique

Nous avons vu que le système didactique se caractérise pas la présence indissociable de trois instances. L’interaction didactique (Brousseau, 1998) est une relation humaine, interactive et systémique, qui réunit les actants dans un jeu de savoir, s’organise et s’actualise dans le cadre d’un contrat appelé par le même auteur « contrat didactique ».

Dans toutes les situations didactiques, le maître tente de faire savoir à l’élève ce qu’il veut qu’il fasse mais ne peut pas le dire d’une manière telle que l’élève n’ait qu’à exécuter une suite d’ordres. Ainsi se négocie un contrat “didactique” qui va déterminer explicitement pour une part, mais surtout implicitement, ce que chaque partenaire va avoir à charge de gérer. (…) On appelle contrat didactique, l’ensemble des

98 Pour Sensevy, ces « situations sont elles-mêmes plongées dans une institution-classe. Lorsque le professeur va, par exemple, définir un jeu nouveau, dans une nouvelle situation, il va s’appuyer sur le passé de la classe, sur un certain nombre d’habitudes et de dispositions qu’on peut considérer comme de l’institution cristallisée. L’appréhension de la situation présente (nouvelle, en l’occurrence) dépendra alors, pour la collectivité que forment le professeur et ses élèves, des usages déjà installés dans la classe, qui orienteront l’action dans la situation » (2001, p. 218), d’où la nécessité de prendre en considération le passé et les répétitions qui ont façonné les institutions dans lesquelles les situations sont plongées.

99 Ligozat souligne le dualisme du « système élève – milieu » et la forte délégation de l’intention d’enseignement faite à ce même milieu. « L’enseignant est mis entre parenthèses au profit d’un investissement de l’intention didactique par le chercheur, à travers la conception en amont du jeu formel, constitué par le milieu » (p. 50). Pour Brousseau, l’enseignant a comme tâche de s’occuper de la perturbation du milieu, action qui n’est pas toujours, cependant, sous son contrôle (Comiti, Grenier & Margolinas 1995 ; Comiti & Grenier, 1997). Ligozat questionne également la présence d’un bon milieu dans l’enseignement ordinaire (un milieu conçu a priori qui permet d’émettre des conjectures, d’agir, d’obtenir des rétroactions…). Elle dit que le « pilotage par les professeurs, de milieux épistémologiquement construits pour permettre l’émergence de situations a-didactiques, à l’échelle d’une classe, est une chose rare, pour ne pas dire impossible à observer » (p. 51).

100 Il permet, dit Ligozat, de « requalifier certaines configurations d’objets de la mésogenèse qui viennent effectivement produire un effet rétroactif dans les jeux d’apprentissage de l’élève » (p. 76).

comportements de l’enseignant qui sont attendus de l’élève, et l’ensemble des comportements de l’élève qui sont attendus de l’enseignant (…) Ce contrat est l’ensemble des règles qui déterminent explicitement pour une petite part, mais surtout implicitement, ce que chaque partenaire de la relation didactique va avoir à gérer et dont il sera, d’une manière ou d’une autre, comptable devant l’autre. (…) Le contrat didactique met le professeur devant une véritable injonction paradoxale : tout ce qu’il entreprend pour faire produire par l’élève les comportements qu’il attend, tend à priver ce dernier des conditions nécessaires à la compréhension et à l’apprentissage de la notion visée. Si le maître dit ce qu’il veut, il ne peut plus l’obtenir (Brousseau, 1986).

De cette définition, et en vue de l’outillage de notre travail de description et d’analyse des transactions didactiques dans l’enseignement du basketball, nous soulignerons quatre dimensions de la relation contractuelle en didactique :

(i) Le contrat didactique apparaît comme un système d’attentes et d’obligations réciproques.

Cependant, et contrairement à un contrat juridique, ces dernières s’avèrent surtout implicites.

Malgré cela, les attentes sont tenues de déterminer la responsabilité que chaque actant (enseignant et enseigné) doit assumer par rapport à l’autre (on peut dire que la relation didactique n’est pas sous le contrôle exclusif du professeur, il y a partage des responsabilités).

Le contrat didactique distingue et solidarise ainsi, en même temps, les places inchangeables, mais interdépendantes qu’ils doivent adopter. En tant que situation de communication, sa compréhension est dépendante de la mise en évidence du sens donné par les acteurs au savoir faisant partie du contrat didactique. On peut alors dire que c’est le jeu des attentes réciproques qui caractérise le contrat didactique.

(ii) La relation didactique s’organise dans un paradoxe : l’enseignant et les élèves occupent des places asymétriques101, mais sont tenus de poursuivre (partager), en même temps, un but commun. Si c’est l’enseignant qui détient le rapport au savoir le plus élaboré (Margolinas parle de « relation privilégiée au savoir », 1993, p. 228), l’élève doit pour sa part faire en sorte de modifier le sien pour apprendre. Ceci implique, de la part de l’apprenant, son engagement et sa confrontation aux situations d’apprentissage. Dans ce processus, il revient à l’enseignant d’initier et de maintenir la relation didactique. Le maître, dit Brousseau (1998), doit se refuser « à intervenir comme proposeur de connaissances qu’il veut voir apparaître ».

Cette action est décrite par Sensevy et Quilio (2002) de la façon suivante :

… le professeur sait des choses que l’élève ne sait pas. Parmi celles-ci, il y en a que l’élève doit finir par savoir (qu’il doit s’approprier) pour apprendre. Cependant, le professeur ne peut pas dire directement ces choses à l’élève, parce que l’interaction didactique suppose que l’élève fasse sien ce qu’il apprend, non pas par la seule écoute, mais par l’étude et la confrontation réelle aux milieux d’apprentissage. Le professeur est donc en permanence soumis à la tension (tentation) de dire directement à l’élève ce que celui-ci devrait savoir, tout en sachant que le déclaratif échouera souvent à l’appropriation réelle de la connaissance par les élèves. Le professeur est donc contraint de le taire là où il aurait la (fausse) possibilité de parler, il est donc contraint de retenir par-devers lui certaines des choses qu’il veut enseigner, et d’engager les élèves dans des rapports aux milieux qui leur permettront de passer outre ce silence. Ce phénomène, nous le nommons réticence didactique (Brousseau, 1998, p. 141).

(iii) Pour Brousseau, le jeu du maître et de l’élève ne peut pas se définir à l’avance. Il change tout au long du processus qui relie les deux actants et le savoir de la transaction et, comme le contrat didactique est spécifique des connaissances en jeu, il est « nécessairement périssable » (Brousseau, 1988, p. 322). Le processus adaptatif de l’élève (tentatives pour réduire

101 Margolinas (1989) souligne ceci de la manière suivante : « Du point de vue de la relation au savoir, il y a une dissymétrie, qui est constitutive du système didactique. Nous ne dirons pas que l’élève n’entretient aucune relation au savoir avant l’enseignement, mais simplement que dans l’état initial, cette relation est peu ou pas adéquate. Sans l’hypothèse de cette dissymétrie, le système didactique n’a pas lieu d’être. C’est à partir de l’asymétrie des contractants, de leur inégalité factuelle face au savoir que s’élabore la relation didactique et le contrat qui la soutient » (p. 95).

l’incertitude) et les modifications du milieu conduisent Brousseau à souligner qu’il s’agit d’un processus continu de recherche du bon contrat102. Pour l’auteur, « apprendre implique pour lui [l’élève] refuser le contrat mais accepter la prise en charge du problème [la dévolution]. En fait, l’apprentissage va reposer, non pas sur le bon fonctionnement du contrat, mais sur ses ruptures » (cité par Sarrazy, 1995, p. 94). Amade-Escot (1998), dans une recherche portant sur le contrat didactique dans l’enseignement de l’éducation physique met en évidence, d’une part, que c’est le sens que donne chaque actant aux contenus d’enseignement qui détermine les interactions didactique et, d’autre part, que les conduites des élèves sont à comprendre, lorsqu’elles ne répondent pas aux contraintes de la tâche, comme des indices de leur adaptation motrice et non des dysfonctionnements. Ceci permet d’envisager autrement la notion « d’erreur » et de considérer le temps didactique (temps d’enseignement, temps d’apprentissage) comme indissociable des ruptures du contrat didactique.

(iiii) L’enseignant, on l’a vu, ne peut pas « communiquer » le savoir aux élèves et il ne peut pas non plus transformer directement leur activité. Il doit, néanmoins, faire en sorte de permettre la rencontre des élèves avec le savoir du jeu didactique. Ceci implique la mise en place d’un « milieu didactique » ainsi que la « dévolution » aux élèves du problème à résoudre.

Selon Brousseau (1988) la dévolution est « l’acte par lequel l’enseignant fait accepter à l’élève la responsabilité d’une situation d’apprentissage (a-didactique) ou d’un problème et accepte lui-même les conséquences de ce transfert » (325). Pour l’enseignant, ceci implique d’accepter le transfert à l’élève de la responsabilité des savoirs qu’il doit lui-même construire.

Cela étant, dit Brousseau (1988), il ne suffit pas de « communiquer » un problème à l’élève pour que le problème devienne son problème, et qu’il se sente responsable de le résoudre. Il ne suffit pas non plus, « que l’élève accepte cette responsabilité pour que le problème qu’il résout soit un problème “universel” dégagé de présupposés subjectifs ». La dévolution est alors, pour l’auteur, « l’activité par laquelle le professeur cherche à atteindre ces deux résultats » (ibid.). Elle est, dit Sensevy (2001), « toujours, d’une certaine manière, dévolution d’un rapport à un milieu » (p. 211).

Le milieu didactique, dont la présence et l’organisation sont étroitement connectées avec le contrat didactique, peut alors être considéré comme l’artifice et le moyen qu’utilise l’enseignant pour cacher le savoir (la « réticence », dans le sens de Sensevy, 2007) et pour placer l’élève dans des conditions satisfaisantes afin qu’il puisse, néanmoins, le rencontrer.

C’est ainsi que la situation didactique, dit Brousseau (1989), n’est pas une simple communication ou interaction sociale, son fonctionnement nécessite la participation d’un

« sous-système » porteur des dimensions matérielle et symbolique sur lesquelles l’élève va interagir :

En situation scolaire l’enseignant organise et constitue un milieu, par exemple un problème, qui révèle plus ou moins clairement son intention d’enseigner un certain savoir à l’élève mais qui dissimule suffisamment ce savoir et la réponse attendue pour que l’élève ne puisse les obtenir que par une adaptation personnelle au problème proposé. La valeur des connaissances acquises ainsi dépend de la qualité du milieu comme instigateur d’un fonctionnement “réel”, culturel du savoir, donc du degré de refoulement a-didactique obtenu (Brousseau, 1989, p. 325).

Le milieu didactique est un système « antagoniste » (Brousseau, 1998) à l’élève, porteur du

102 L’auteur dit que « Le concept théorique en didactique n’est donc pas le contrat (le bon, le mauvais, le vrai, ou le faux contrat), mais le processus de recherche d’un contrat hypothétique » (Brousseau, 1992).

savoir à construire, chargé de donner à ce dernier les rétroactions lui permettant d’adapter son agir. Pour Sensevy (2001), ce sont « les objet de savoir relatifs à une organisation de connaissances » qui forment le milieu (p. 210). Ceci signifie que, pour expliquer l’action du professeur, il est nécessaire de comprendre comment le professeur organise et rend commun (partagé) un milieu.

Pour certains auteurs (Thépaut & Léziart, 2008), la TSD a montré sa portée heuristique et sa compatibilité en EP103. Cependant, certains concepts tels qu’ils sont définis demandent quelques commentaires. Nous faisons référence ici aux notions de milieu didactique et de réticence didactique.

Apprendre en mathématiques, dit Brousseau, c’est résoudre des problèmes. Ceci implique la nécessité pour l’enseignant, d’une part, de construire un milieu antagoniste face auquel, pour gagner, l’élève doit développer des stratégies gagnantes et, d’autre part, cacher à l’élève la connaissance, afin qu’il la construise, de son propre mouvement. Selon Salin (2002), repris par Amade-Escot et Venturini (2009) le « milieu antagoniste de l’élève » se caractérise par trois idées principales : « i) le milieu doit être facteur de contradictions, de difficultés, de déséquilibres, donc d’adaptation pour l’élève ; ii) le milieu doit permettre le fonctionnement

« autonome » de l’élève ; et iii) l’apprentissage doit conduire à la maitrise de savoirs mathématiques identifiés comme tels et pas seulement de connaissances » (p. 25).

En EP, contrairement aux mathématiques, puisque les adaptations motrices technico-tactiques à réaliser comprennent des propriétés corporelles à considérer à la fois comme objet et instrument des transformations, le milieu ne peut pas être complètement antagoniste de l’élève (Amade-Escot, 2000 ; Roustant, 2003). Si apprendre en EP peut impliquer la compréhension des raisons de la réussite ou du processus réalisé (l’obstacle épistémologique de Bachelard, 1938), c’est en agissant corporellement que ce qui est appris peut être démontré. Apprendre, c’est alors faire la preuve (dans le sens de démontrer) de l’intériorisation des nouvelles formes d’agir (passage d’une motricité habituelle à une motricité plus évoluée), produit qui est uniquement visible par la capacité manifestée par l’élève de se transformer (voir l’obstacle technique proposé par Loquet et al., 2005).

Par rapport au questionnement de l’existence, en éducation physique, d’un milieu antagoniste pouvant être construit a priori des situations de classe, quelques résultats exposés dans l’article d’Amade-Escot et Venturini (2009) nous paraissent intéressants à évoquer.

Dans leur étude comparative portant sur deux leçons données en contexte difficile (une leçon en éducation physique, Badminton et une en sciences, la vision), les auteurs montrent comment l’objet d’étude des deux disciplines influencent la construction de la mésogenèse et les possibilités des dispositifs mis en place par les enseignants à « faire milieu ».

Si l’on se réfère à la leçon de Badminton, l’enseignant fait jouer deux élèves face à face, dont l’un a un terrain normal et l’autre un terrain plus large (couloirs). L’intention didactique est de travailler les dégagements placés afin de forcer l’adversaire à se déplacer sur le terrain et à se construire, peu à peu, des espaces vides afin de marquer le point.

Amade-Escot et Venturini (2009) montrent, entre autres, que le savoir n’avance pas parce que le dispositif comporte, pour son bon fonctionnement, la nécessité d’une réponse adéquate de

103 Voir, à ce sujet, Dugal (2003), Loquet, Amade-Escot & Marsenach (2005) ; Roustant (2003) ; Paven, Oresslé, Roncin, Loquet & Léziart (2007) ; Thépaut & Léziart (2007).

la part des élèves (le dégagement haut). Dans la mesure où les élèves ne sont pas capables d’effectuer la frappe et le déplacement attendus, « l’agencement du dispositif ne suffit pas », disent-ils, pour permettre aux élèves de modifier leur rapport au savoir en jeu. L’absence d’échange de volants entre les deux joueurs fait que le « milieu didactique s’évanouit » et que

« dès la mise en place de la tâche se trouve donc posée la question de la possibilité d’existence d’un milieu didactique puisque les élèves par leurs actions doivent contribuer à le faire vivre » (p. 13). Cela fait que, et malgré les techniques mésogénétiques mises en œuvre par l’enseignant, le temps didactique stagne. L’étude montre aussi que, en ce qui concerne l’EP, la mise en place d’un milieu permettant l’étude des savoirs « relève d’un processus de co-construction » (ibid.) qui ne peut pas être garanti par les conditions de réalisation transmises initialement aux élèves (limites des variables de commande). Raison pour laquelle ils choisissent d’utiliser, eux aussi, le terme de « mésogenèse » et non celui de « milieu » lorsqu’il s’agit de décrire et de comprendre l’action conjointe professeur-élève(s).

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