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Le basketball, pratique culturelle et scolaire : quelques repères à propos de ses origines et des enjeux d’enseignement

1. Le basketball : ses origines scolaires et son introduction en Suisse

1.1. A l’origine du basketball : une invention scolaire

Pour situer l’origine et les prémisses du basketball tel qu’on le connaît aujourd’hui, il nous faut aborder, au moins brièvement, le contexte de son émergence et ses principaux personnages165.

L’International Training School de Springfiel au Massachusset (USA) est un collège faisant partie de l’association religieuse chrétienne Young Men Christian Association (YMCA). Vers 1890 son directeur, Luther Gulick, demande au professeur d’éducation physique Jim

165 Pour Bosc & Thomas (1990), « … on ne peut pas comprendre le basket si l’on ne connaît pas l’homme qui en fut le créateur » (p. 7).

Naismith, fils de fermier canadien ayant fait des études de théologie, de trouver un nouveau jeu pour les étudiants. La demande est motivée par des raisons pédagogiques : d’une part, imaginer de nouveaux moyens pour faire face à l’indiscipline des étudiants et, d’autre part, occuper ces derniers durant la période hivernale ; donc un jeu pouvant être pratiqué aussi bien en plein air qu’en salle. En effet, au nord-est des USA et à cause du climat très rude, il n’est pas possible de pratiquer certains sports en hiver (athlétisme, football, rugby). Les activités d’intérieur (ex. : gymnastique suédoise) sont, quant à elles, considérées par les étudiants comme peu attrayantes et source d’insatisfaction. Pour Naismith « le problème ne vient pas des élèves, mais plutôt du système et des pratiques que nous utilisons. A mon avis, le genre d’activité adéquat pour cette classe, ce serait la pratique d’un jeu récréatif, nécessitant qu’ils utilisent leur instinct pour jouer » (cité par Augustin & Staes, 2007, p. 36)

Naismith, ne souhaitant pas modifier un jeu connu pour l’adapter aux caractéristiques de la salle dont il disposait au collège, décide d’en créer un nouveau166. S’il l’a créé, comme il est dit, en une nuit, il a fallu un long processus et de multiples expériences pour lui donner une configuration répondant à ses premières motivations et intentions et permettant une pratique ludique et sans danger.

Pour Naismith, ce sont les valeurs chrétiennes qui doivent guider la recherche et la construction des réponses aux problèmes pédagogiques. Par rapport au basketball, il dit l’avoir créé « … avec la notion chrétienne de l’amour du prochain, pour que les jeunes puissent y mettre toutes leurs forces et tout leur cœur, tout en gardant constamment le contrôle de leurs réactions, sans les excès qui en feraient un instrument du diable » (cité par Legrand, 2010). Ces valeurs sont « l’esprit du basket » et précèdent, dit Legrand (2005), l’apparition du premier code officiel des règles, des règles inventées dans un propos bien défini (Bouet, 1968). Ce faisant, pour arbitrer, interpréter ou modifier le code, dit toujours cet auteur, il est nécessaire de « s’imprégner » de cet esprit. Bee (cité par Legrand, 2010) abonde dans ce sens : « Ni l’étude technique, ni l’expérience ne peuvent montrer au joueur ou à l’entraîneur les principes philosophiques sur lesquels repose le basket-ball ». Ceci rejoindrait, d’une certaine manière, ce que le sociologue Durkheim (1912) affirmait à propos de l’empreinte spirituelle que « les jeux semblent être nés de la religion et qu’ils ont, pendant longtemps, gardé un caractère religieux » (cité par Callède, 2007, p. 89). Le basket, comme d’ailleurs le volley-ball, est né dans des écoles chrétiennes gérées par des religieux et son expansion se fera, dans un premier temps, dans le réseau de la YMCA. Contrairement à la plupart des sports collectifs d’origine britannique, dit Chavinier (2007, p. 64), le basketball n’est pas issu de la « codification progressive d’une pratique traditionnelle » (ibid., p. 64).

Naismith pensait qu’il existait des moyens de venir en aide à autrui et de faire le bien autrement qu’en exerçant le sacerdoce, raison qui l’a conduit à devenir maître d’éducation physique. Face aux défis pédagogiques évoqués plus haut, il imagine une pratique physique ludique où l’individu devrait collaborer tout en se confrontant à des adversaires et cela sans mettre en danger lui-même ou autrui. Pour cela, il va s’inspirer, entre autres, du football, du hockey et du rugby167, mais en gommant par un système de règles les aspects violents et agressifs de ces jeux sportifs collectifs.

166 Il est souvent avancé que le « Pok-Tapok », jeu de balle maya, est l’ancêtre du basket-ball. Toutefois, si certaines caractéristiques semblent proches (faire passer une balle à travers un anneau), il est admis que le jeu précolombien n’a pas influencé directement Naismith.

167 Le « football américain », dont le créateur est W. Camp, est né en 1883 et s’est aussi inspiré du football et du rugby.

Pour le créateur du basketball, les conditions matérielles et les règles doivent être pensées à partir d’une idée assez claire des relations interpersonnelles : les joueurs ne doivent pas être confrontés aux contacts violents, le jeu doit imposer aux joueurs un contrôle de soi et, dans la lutte pour le gain, il doit y avoir prééminence de l’adresse sur la force.

La forme scolaire première de cette nouvelle création didactique est régie par cinq principes de base qui sont restés des références pour les différents règlements qui ont suivi :

1- Le ballon doit être gros, sphérique et léger et sera utilisé avec les mains.

2- Tout joueur peut se placer à n’importe quel endroit du terrain et recevoir le ballon à tout moment.

3- Il est interdit de courir avec le ballon dans les mains.

4- Les équipes jouent ensemble sur le terrain, mais le contact avec l’adversaire est interdit.

5- Le but est élevé, horizontal et de petite dimension.

Cette dernière condition constitue l’élément central qui marque la spécificité du basketball par rapport aux autres sports.

Dans un premier temps, le terrain de jeu comprenait toute la salle de sport (pas de lignes comme c’est le cas aujourd’hui) et le nombre de joueurs par équipe correspondait au nombre d’étudiants que Naismith avait dans son cours : 18 élèves, 2 équipes de 9 joueurs (3 avants, 3 centres et 3 arrières).

Après les premiers essais, Naismith codifie les 13 premières règles du basketball qu’il affiche dans la salle du gymnase de Springfield (elles sont également publiées dans le bulletin de la YMCA de Springfield, Le Triangle, le 15.1.1892).

Ces premières règles vont évoluer rapidement afin de répondre aux nouvelles actions et situations de jeu rencontrées par les joueurs ainsi qu’aux contraintes et possibilités matérielles. Celles-ci auront également un impact dans les écoles qui, de plus en plus nombreuses, programment le basketball. Voici quelques règles qui modifieront cette pratique :

• En 1897 le règlement va stipuler que les joueurs de chaque équipe ne peuvent pas être plus de cinq en même temps sur l’aire de jeu (au lieu de 9 initialement). Ceci a des conséquences dans l’organisation territoriale. A 9 joueurs par équipes, et pour une question de place, il y avait obligation de définir, comme au football, des joueurs avant et arrière. En étant 5 joueurs par équipe, ils vont dès lors tous participer à l’attaque et à la défense.

• Pour éviter que les spectateurs situés au « balcon » dévient les shoots ou qu’ils soient blessés, le « cageot » est fixé à partir de 1895 à un panneau en bois (dans un premier temps, il était cloué directement sur le mur). De manière à éviter les chocs des joueurs avec le mur situé derrière le panier, le terrain de jeu doit comporter, à partir de 1894, une ligne de séparation (comme c’est d’ailleurs toujours le cas).

• Le lancer de la balle entre les 2 équipes (« l’entre deux ») était la façon de débuter le jeu, de reprendre le début de chaque mi-temps et de poursuivre la partie après chaque panier marqué.

Les chocs entre les joueurs ont conduit Naismith à limiter à 2 joueurs et sans élan l’enjeu du lancer de la balle.

• Les premières règles interdisaient le déplacement balle en main et permettaient de claquer la balle dans n’importe quelle direction. Dans les situations de jeu, le porteur du ballon était très

rapidement assailli par les adversaires, qui pouvaient, quant à eux, bouger dans toutes les directions. Pour respecter l’équilibre des forces entre l’attaque et la défense, il sera autorisé, dès 1896, de dribbler. Mais, comme le dribble va s’avérer une arme qui avantage considérablement les attaquants, il sera autorisé, à partir de 1898, de dribbler uniquement à une main (l’utilisation des 2 mains rendait difficile l’interception du ballon et le travail de la défense).

• Pour maintenir aussi l’équilibre des forces entre l’attaque et la défense (permettre au porteur du ballon de se libérer des adversaires), le « pivot » sera autorisé à partir de 1893.

Ces différentes règles vont faire du basketball un jeu de démarquage à l’instar du football et du handball (Coquet & Devaluez, 1984)

De ce bref aperçu, on retient que, au delà des aspects motivationnels recherchés par Naismith, le basketball doit participer à la formation physique et morale des élèves. Le jeu était conçu comme un moyen, un support à l’éducation des étudiants. Cependant, la pratique au sein de l’institution va progressivement se distancer de certains aspects du basketball joué dans les clubs amateurs et professionnels.

Inventé en 1891, le basketball va être tout d’abord pratiqué dans le réseau des écoles de la YMCA, même si certains enseignants s’y opposaient à cause de la monopolisation des salles.

Mais, très rapidement, d’autres écoles, universités et associations paroissiales (valorisation des aspects éducatifs), vont programmer le jeu, qui se fait de plus en plus connaître grâce à la multiplication de matchs d’exhibition168. La professionnalisation rapide des joueurs aura aussi une incidence sur l’engouement que suscite ce sport. Une ligue professionnelle de 5 équipes est déjà constituée en 1898, qui correspond bien à l’importance qu’ont dans ce pays le sport-spectacle et les entrepreneurs. Le basket sera assez rapidement pratiqué par des « équipes ethniques » (Harter, 2007, p. 49) (ce qui permettait aux immigrants de se retrouver), aura un impact considérable sur les classes populaires, mais sera aussi plébiscité par les élites qui voient en lui « un outil de régulation sociale » (ibid.) et un moyen de régénérer et canaliser les esprits (exutoire, lutte contre la violence et les pratiques déviantes comme l’alcoolisme).

En Europe, le basketball apparaît en 1893 lors d’une rencontre organisée à Paris par l’Union chrétienne des jeunes gens, désireuse de développer les activités physiques des jeunes membres de leur mouvement (le match est précédé d’une séance de gymnastique suédoise et d’agrès). En 1894, toujours en France, le premier club est constitué (Basket Ball Club Trévise), celui-ci d’obédience protestante (Vincenzi et al., 2007). La « lenteur » de la première diffusion du basket et de son faible engouement (Clastres, 2007, p. 18) sont attribués à plusieurs facteurs : l’influence limitée du protestantisme à Paris (réflexe défensif des catholiques et des nationalistes vis-à-vis de la YMCA), l’investissement économique que représentait les installations, les réticences des hygiénistes par rapport à une pratique sportive qui se faisait à l’intérieur, et une hostilité des unions françaises vis-à-vis d’une pratique pouvant privilégier la compétition à outrance (Chavinier, 2007). Contrairement aux Etats-Unis, ni les écoles ni les universités ne seront vraiment concernées par la pratique du basketball durant cette période. Les Jeux Olympiques organisés à Paris en 1900 ne programment pas de basketball. En Europe le jeu va se populariser, tout particulièrement,

168 Par exemple, celui que les équipes de Springfield ont fait à l’Université de Yale (1893), institution qui va l’introduire en 1894.

avec l’arrivée des troupes états-uniennes lors de la Première Guerre Mondiale, mais il sera considéré dans un premier temps comme un jeu et non comme un sport.

1.2. Expansion et professionnalisation du basketball : du jeu scolaire au sport

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