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Une main-d’œuvre féminine rare dans l’ensemble de

Première partie : L’avènement d’une réalité ouvrière [1800-1914]

Carte 12 : principales papeteries poitevines au XIX e siècle :

B- La primauté des travailleurs du bâtiment et de l’habillement dans la petite industrie

2. Une main-d’œuvre féminine rare dans l’ensemble de

l’industrie et de l’artisanat

De nombreux auteurs estiment que le poids de la main-d’œuvre féminine est minoré par rapport à la réalité et que l’on doit procéder à une réévaluation numérique, en particulier dans les campagnes878. La consigne administrative selon laquelle les femmes ne sont considérées comme actives que si elles exercent une profession distincte de leurs maris en est une illustration. En quelques lignes, on nie l’existence du travail féminin des tisseuses des campagnes comme des épouses d’artisans. Cependant il serait trop périlleux de tenter de corriger les chiffres et ceci d’autant plus que jusqu’à une date très récente le statut de la femme d’artisan ou d’agriculteur n’était pas défini.

874 Seules les Deux-Sèvres comptent une proportion légèrement plus importante de patrons que d’ouvriers :

environ 60%.

875 Charles Poisson décrit dans sa thèse trois types de couture : la grande, on y travaille en atelier où l’on

applique « les lois suprêmes de la dernière élégance », elle est spécifiquement parisienne ; la moyenne, où l’on reproduit les modèles des grands couturiers dans des ateliers moins bien organisés ; la petite, où la femme travaille à domicile à façon, « dans la camelote ». Cf. POISSON (Charles), op. cit., pp.70-72.

876 Sur la différenciation entre ouvrier et artisan chez le travailleur à domicile, voir GUILBERT (Madeleine),

ISAMBERT-JAMATI (V.), Travail féminin et travail à domicile, CNRS, 1956, p.9.

877 AFTALION (Albert), op. cit., p.22 et s.

878 SCHWEITZER (Sylvie), Les femmes ont toujours travaillé, une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècle, Paris, 2002, p.77 et s.

La faiblesse régionale de la grande industrie moderne organisée au sein d’ateliers rationnellement structurés explique en partie la modicité du travail féminin mise en avant par les recensements locaux du XIXe siècle. En effet, « plus le travail est mécanisé et déqualifié,

plus la proportion de main-d’œuvre féminine est importante879». Ce cas de figure est assez rare au XIXe siècle dans l’ancienne province du Poitou, si l’on excepte les quelques filatures ou fabriques de tissus proches des grandes villes, de certains bourgs importants ou dans la vallée de la Sèvre nantaise et les ateliers de mise en conserve des sardines de la côte vendéenne.

Dans l’industrie et l’artisanat, le taux de main-d’œuvre féminine reste stable entre 1866 et 1891 et constitue environ 20% de la population active totale. Si cette stagnation se retrouve au niveau national, la région est néanmoins en retrait quant au pourcentage de femmes dans la population active industrielle. En 1866, on l’estime en France à un tiers du total des personnes travaillant dans l’industrie et les arts et métiers880.

Figure 13 : pourcentage de travailleurs féminins dans la population active totale de la grande industrie des trois départements en 1866 et 1891 :

1866

87% 13%

population active masculine population active féminine

879 NOIRIEL (Gérard), Les ouvriers…, op. cit., p.17.

880 Soit 1 269 700 femmes travaillant dans l’industrie en France en 1866, GUILBERT (Madeleine), La fonction

1891

93% 7%

population active masculine population active féminine

Sources : ADDS 7M4-2 & 7, ADVd 6M1100 & 1101, ADV 8M2.2 à 8M2.21.

Néanmoins d’importantes disparités apparaissent selon qu’il s’agit de la grande ou de la petite industrie. En 1866, les femmes constituent 20% de la population travaillant dans l’artisanat et 13% de celle exerçant une profession de la grande industrie. C’est en Vendée que les femmes représentent un quart des actifs et constituent une part non négligeable des travailleurs de la grande industrie (16%) contrairement à la situation des autres départements881. Même constat dans les « arts et métiers » où la part des femmes dans la petite industrie vendéenne est supérieure à la moyenne des trois départements puisqu’elle compose 25% des actifs contre 20% dans la Vienne et 14% dans les Deux-Sèvres.

Figure 14: pourcentage de travailleurs féminins dans la population active totale de la grande industrie des trois départements en 1866 et 1891 :

1866

79% 21%

population active masculine population active féminine

881 On compte respectivement dans les Deux-Sèvres et la Vienne 11,5% et 8,5% de femmes parmi les actifs de la

1891

69% 31%

population active masculine population active féminine

Sources : ADDS 7M4-2 & 7, ADVd 6M1100 &1101, ADV 8M2.2 à 8M2.21.

Vingt-cinq ans plus tard la différence entre les deux grands secteurs d’activité s’accentue encore. Désormais les femmes des trois départements constituent 31% des actifs exerçant un travail appartenant aux « arts et métiers », alors que leur place par rapport aux hommes dans la grande industrie diminue considérablement puisqu’elle ne représente plus que 7% des personnes.

Le travail féminin n’a pas suivi l’évolution nationale qui tend au développement de la grande industrie et à l’augmentation de ses effectifs féminins. En effet cette main-d’œuvre n’augmente pas en vingt-cinq ans, elle ne suit même pas l’augmentation naturelle de la population totale de la région. Encore une fois c’est la Vendée qui s’illustre, même si c’est timidement, avec une part de main-d’œuvre féminine dans la grande industrie de 11% contre 7% et 3,5% dans les Deux-Sèvres et la Vienne.

Au contraire, l’augmentation du pourcentage de femmes dans la petite industrie est considérable : plus douze points dans la Vienne et les Deux-Sèvres et neufs en Vendée882. Une évolution s’expliquant en grande partie par le développement du travail à domicile dans le secteur de la confection dans le dernier tiers du XIXe siècle883.

En 1891, les couturières, blanchisseuses et autres teinturières représentent plus des deux tiers du total des effectifs féminins de la région tous types d’industries réunis884. Ces

882 Part des femmes dans la petite industrie en 1891 : 34% en Vendée, 32% dans la Vienne et 26% dans le Deux-

Sèvres.

883 Voir supra p.181 et s.

884 10663 patronnes et ouvrières dans l’habillement et la toilette sur 15165 actives dans la grande et petite

professions constituent même plus des quatre cinquièmes de tous les actifs féminins de la Vienne885, un département où la grande industrie, guère développée, offre peu d’opportunités d’embauche à une main-d’œuvre féminine faiblement qualifiée, contrairement au nord-est de la Vendée où le secteur textile emploie un nombre relativement conséquent d’ouvrières. Ce secteur est le deuxième poste d’activité féminine. Il occupe 10% des actives des trois départements, très loin derrière l’habillement. Seul le département de la Vendée abrite un nombre significatif d’ouvrières dans ce secteur, quoique très faible comparé à d’autres régions. En effet, la fin du XIXe siècle est marquée par une forte mécanisation du secteur textile, une simplification des tâches qui conduit à une importante féminisation des effectifs qui y sont employés. L’exemple du tissage lyonnais l’illustre puisque 95% de ses effectifs sont des femmes en 1903886.

Le troisième poste de travail féminin est l’alimentation (7% des actives poitevines), en particulier dans les métiers de la meunerie, de la boulangerie et de la restauration.

Figure 15 : répartition des actifs féminins par industries en 1891 :

1047 4575 657 169 85 220 241 2494 262 411 739 250 272 149 3594 0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500 4000 4500 5000

Industrie textile Grande industrie (sauf 1)

Habillement Alimentation Petite industrie (sauf 3 & 4) 1 2 3 4 5 E F F E C T IF S

Deux-sèvres Vendée Vienne

Sources : ADDS 7M4.7. Dénombrement de la population [1891], ADVd 6M1101. Etats statistiques quinquennaux du département [1866 ; 1896], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].

885 62% en Vendée et 68% dans les Deux-Sèvres.

886 Même si on constate qu’en 1866 les femmes représentent 45% de l’effectif total du secteur textile et environ

Il existe également quelques domaines très précis où les femmes représentent une part non négligeable des effectifs d’industries moyennement pourvues en travailleurs en 1891. Dans la Vienne il y a les activités relatives aux sciences et aux lettres, composées essentiellement de la papeterie et de l’imprimerie, sous toutes ses formes, qui emploient 124 femmes sur un total de 420 actifs. C’est le cas également de l’industrie céramique vendéenne où 188 femmes travaillent aux côtés de 462 hommes.

Enfin, il y a aussi les gantières et piqueuses du cuir niortais, 200 ouvrières un peu perdues parmi la foule de près de 1900 ouvriers masculins que fait vivre encore cette activité en difficulté.

Si les femmes sont loin d’être majoritaires dans la population active, la situation change si l’on examine la composition des familles ouvrières où le nombre de femmes domine. En 1866 comme en 1891, elles représentent les deux tiers des effectifs recensés appartenant à l’entourage887 de la population active industrielle.

Figure 16 : pourcentage de femmes et d’hommes dans les familles industrielles des trois départements réunis en 1866 et 1891 :

1866 Population masculine 33% Population féminine 67%

887 Les recensements rangent dans la catégorie famille les enfants et les conjoints mais aussi toutes les personnes

1891 Population masculine 34% Population féminine 66%

Sources : ADDS 7M4-2 & 7, ADVd 6M1100 & 1101, ADV 8M2.2 à 8M2.21.

On a du mal à imaginer que toutes ces femmes restent « inactives ». Un certain nombre d’entre elles doivent nécessairement aider le ou les hommes de la maison dans leurs métiers quotidiens, tout particulièrement si le père, le mari ou le frère travaillent à domicile. Toutefois il est impossible de chiffrer cette population laborieuse oubliée.

Quant au tiers masculin, il est composé principalement des enfants, et plus particulièrement de ceux en bas âge, pas encore capables ou autorisés à travailler. Mais sur ce point les recensements demeurent muets puisqu’ils ne différencient pas les travailleurs mineurs des adultes888.

La faiblesse du travail féminin dans la plupart des secteurs d’activités industrielles et artisanales est un indice supplémentaire du développement industriel modéré des départements constituant l’ancienne province du Poitou. Une région où le lien ancestral avec la terre n’est pas rompu.

888 Nous étudierons en détail le travail des enfants dans la partie consacrée à l’application des lois protectrices

II- L’ouvrier des campagnes ou la quête désuète d’harmonie