• Aucun résultat trouvé

Les tisserands de la vallée de la Sèvre nantaise

Première partie : L’avènement d’une réalité ouvrière [1800-1914]

Carte 4 : exemples de localités du rayon choletais accueillant des usines de chaussure au début du XX e siècle :

A- La suprématie contestée du secteur textile

2. Les tisserands de la vallée de la Sèvre nantaise

Au nord de l’arrondissement de La Roche-sur-Yon, et dans une moindre mesure dans les campagnes de Bressuire en Deux-Sèvres, existe une industrie textile relativement considérable tout au long du XIXe siècle. Ces territoires profitent des eaux de la Sèvre nantaise comme force motrice ou comme moyen d’alimentation des machines à vapeur. Selon Fohlen cette vallée est « un véritable couloir industriel442». En revanche, cet espace géographique ne constitue pas un centre textile à part entière. Il est intégré dans la grande fabrique choletaise du sud du Maine-et-Loire, le « rayon choletais443» tel qu’on le nomme alors.

435 ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales [1806 ; 1850] & ADVd 6M1232.

Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].

436 ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887]. 437 ADVd 6M1243. Statistiques des industries principales [1882 ; 189].

438 ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales [1806 ; 1850]. 439 Ibid.

440 ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].

441 En mai 2005, la concurrence internationale oblige la filature de Parthenay, une des dernières de France, à

fermer ses portes.

442 Expression rapportée par Florence REGOURD, L’industrialisation de la Vendée au XIXe siècle, Cahier du

Centre de Recherche pour l’Aménagement Régional, Les industries rurales, Actes du colloque du GIS-GIRI du 16-17 novembre 1982 à La Roche-sur-Yon, n°22, Nantes, 1983, p. 34.

443 Le « rayon choletais » s’étend sur 120 communes du Maine-et-Loire, des Deux-Sèvres, de la Loire-Inférieure

2.1. Les grandes fabriques choletaises

Selon l’Histoire de la Révolution française de Michelet, la fabrique de mouchoirs de Cholet est fondée par la famille Lebreton vers 1680, quand le mérite n’en revient pas au marquis de Broon, seigneur de la ville à cette époque444. Néanmoins ce type de production n’est pas le plus ancien de la cité. On trouve des traces d’artisanat textile dans le Maine et les Mauges dès le XIe siècle445. Au XVe siècle, le chroniqueur lavallois Guillaume Le Doyen raconte comment les marchands espagnols viennent dans la région s’approvisionner en tissus. Le port de Nantes est l’antichambre de la très riche Espagne qui constitue le débouché principal des productions textiles du grand Ouest du royaume de France446. En 1675, il y a déjà 350 tisserands dans la cité, soit près de 15 % de la population totale.

On y travaille le lin, un peu le coton, et le chanvre. Le tableau de la généralité de Tours précise que Cholet dispose d’une « manufacture considérable […] qui occupe huit à

dix mille métiers et plus de vingt mille personnes tant pour la fabrication de ces toiles que pour celle de mouchoirs de fil et coton447».

Toutefois il faut attendre la seconde partie du XVIIIe siècle pour que l’industrie textile

choletaise prenne son véritable envol. Colbert y attire une petite communauté hollandaise qui dynamise le potentiel textile de la ville448. L’influence de protestants montpelliérains y est également notable ; ouvrant aux productions des Mauges une fenêtre sur la Méditerranée. Parmi eux, il y a les négociants Cambon, véritables figures du textile local449.

Des centaines de villages dépendent de la capitale des Mauges, dont maintes petites localités des futurs départements des Deux-Sèvres et de la Vendée. En 1789, un nouveau

444 BELSER (Christophe), Petite histoire du pays des Mauges, La Crèche, 2002, p.31. Voir aussi PINARD

(Jacques), La transformation des industries textiles de l’Ouest de la France du Moyen-Age au XIXe siècle, dans

Les industries textiles dans l’Ouest de la France, ABPO, Laval, 1990, n°3, t. 97, pp.281-289 et les autres articles de cette publication.

445 CHASSAGNE (Serge), Encore la proto-industrie, ou vingt ans après, Annales de Bretagne et des pays de

l’Ouest, Laval, tome 107, année 2000, n° 2, p.8.

446 Outre l’Espagne, les toiles des Mauges trouvent preneurs dans les colonies d’Amérique. Saint-Domingue et

La Martinique sont des exemples de destinations, cf. MONVOISIN (J.L.), Les toiles de Cholet en Amérique au début du XVIIIe siècle, De fil en aiguille, Cholet, 1990, n°7, pp. 2-5 cité par DOLLE (Pascal), Cholet et l’industrie toilière au début du XVIIIe siècle, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Laval, tome 107, année 2000, n° 2, p.71.

447 AD Maine-et-Loire, 1Mi50, Tableau de la généralité de Tours, 1762, cité par DOLLE (Pascal), Cholet et

l’industrie toilière au début du XVIIIe siècle, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Laval, 2000, t.107,

n°2, p.73.

448 BELSER (Christophe), Petite histoire du pays des Mauges, Op. Cit., p.33.

449 Voir BENDJEBBAR (André), Cambon et la Vendée, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Laval,

rapport de la généralité de Tours fait état de 40 000 personnes des deux sexes travaillant mouchoirs et toiles de Cholet450. On instaure un « bureau de la marque » pour garantir la qualité des produits. Cette institution serait l’une des causes principales du succès de la toile choletaise451. Néanmoins des difficultés commencent à surgir à partir du règne de Louis XV et dans les dernières années de l’Ancien régime avec la perte de débouchés coloniaux452.

La déchirure révolutionnaire laisse une contrée exsangue. Les troupes républicaines de Kleber ont réduit la ville en ruines. Michelet la dépeint avec emphase : « La pauvre ville de

Cholet, si cruellement ravagée, et qui un moment n’eut plus d’habitants que les chiens, vivant de cadavres, avait fourni contre elle-même ces mouchoirs, insignes de la guerre civile453». Cette période signe le déclin de la plupart des industries textiles de l’Ouest, en Mayenne comme en Bretagne mais pas dans le « rayon choletais ».

L’industrie textile choletaise redémarre une fois l’insurrection vendéenne étouffée. Le général Gouvion le constate en 1803 ; « dans la partie qui avoisine la Sèvre nantaise, il y

avait avant la guerre, des fabricants qui travaillaient pour la célèbre manufacture de Cholet : presque tous ont péri. Cependant cette utile branche de l’industrie commence à reprendre de l’activité454».

Ce redressement économique est particulièrement l’œuvre de onze associés négociants, et républicains, formant ce que l’on nomme « La Société des Onze » grâce à l’appui financier du gouvernement455. Cette fabrique emploie 794 personnes en l’an VI. On en compte entre 800 et 1200 quatre ans plus tard. En l’an XI, le préfet du Maine-et-Loire décrit la manufacture choletaise comme une « immense fabrique [qui] occupe environ 35 000

individus, à savoir 5000 tisserands et autant de métiers, 10 000 dévideuses et 20 000 fileuses456». Le lien déchiré par la guerre civile entre la ville et les campagnes alentours est à nouveau noué.

450 POPEREN (Maurice), Un siècle de luttes chez les tisserands des Mauges, Angers, 1974, p.12. 451 Cette instance sera rétablie en 1801.

452 La France perd ses comptoirs indiens et ses possessions d’Amérique du Nord. 453 MICHELET (Jules), Histoire de la Révolution française, Paris, 1853, t.7, p.81.

454 Rapport en date du 15 avril 1803, émanant du général Gouvion, inspecteur général de la gendarmerie

nationale, chargé de mission par le premier consul, AN AF IV 1053.

455 Un décret du 26 messidor an IV accorde un prêt de 6 millions qui sera intégralement remboursé en 1808, le

signe d’une prospérité retrouvée. Voir CHEVALIER (Jean-Joseph), Les « Onze associés » de Cholet (1796- 1806). Reconstruction économique et politique au lendemain de l’insurrection vendéenne, Annales de Bretagne

et des pays de l’Ouest, Laval, tome 107, année 2000, n° 2, p.237-255.

456 MAILLARD (Jean), La disparition des fileuses rurales dans la manufacture choletaise au début du XIXe

Toutefois, ces entrepreneurs prennent peu de risques. Aux investissements importants, ils préfèrent agir en marchands-fabriquants traditionnels, chantres de la proto-industrie. « Non

seulement ils distribuent matières premières et travail à un réseau direct et indirect de tisserands, blanchisseurs et teinturiers mais achètent, à la halle aux toiles, les deux tiers de la fabrication locale hors société457».

S’ils restent traditionnels quant au modèle de production, ils osent privilégier le travail du coton, introduit dans les Mauges au milieu du XVIIIe siècle. Les étoffes tissées à partir de cette fibre exogène vont connaître dès lors une grande expansion, en particulier les célèbres mouchoirs de la ville. C’est ainsi que de grandes firmes apparaissent comme les établissements Turpault458, Richard, Brouet ou Brémond459.

Le tissu industriel choletais n’évolue guère pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle. Une crise aiguë le frappe au début de la monarchie de Juillet, alors que le travail du lin et du chanvre est en pleine décadence. C’est pourquoi le coton prend le relais dans les campagnes. Néanmoins on continue à travailler le lin car le « lin et [le] coton sont

indissociables dans le tissage de Cholet460».

Le manque d’initiative des entrepreneurs est encore une fois mis en avant. Le maire de Cholet accuse les « vieilles routines » qui ne permettent pas de faire face à la concurrence étrangère et française. Le sous-préfet de Beaupréau, dans le Maine-et-Loire, y va aussi de son couplet sur l’autarcie des patrons locaux qui « n’ont pas su faire les efforts suffisants pour soutenir la

lutte, soit en améliorant leurs procédés de fabrication, soit en variant leurs produits en les appropriant au goût des consommateurs461». En 1850 la navette volante apparaît presque comme une nouveauté, alors qu’elle a près d’un siècle462, et le métier Jacquard est très peu répandu463. Ici les habitudes ancestrales sont tenaces.

Nonobstant cet état de fait, les fabriques choletaises emploient six à sept mille ouvriers auxquels il faut ajouter près de 20 000 tisserands « à la cave » dont 2000 dans le seul canton

457 CHEVALIER (Jean-Joseph), op. cit., p.242.

458 900 ouvriers en 1897, SARRAZIN (Jean-Luc) (dir.), La Vendée des origines à nos jours, Saint-Jean-

d’Angely, 1982, p.381.

459 BELSER (Christophe), Petite histoire du pays des Mauges, op. cit., p.59.

460 FOHLEN (Claude), L’industrie textile au temps du second Empire, op. cit., p.167. 461 POPEREN (Maurice), op. cit., p.14.

462 Procédé mis au point par le britannique John Kay en 1733 afin d’améliorer la vitesse de tissage. Cette navette

limite la largeur des pièces d’étoffes à celle des deux bras de l’ouvrier en raison du passage de la navette. Il est nécessaire d’être deux afin de produire une pièce plus grande.

vendéen de Mortagne. En 1847 le maire estime que 13/20e des habitants de cette commune travaillent dans le textile dont plus de la moitié dans les fabriques locales464.

Illustration 11 : métier à tisser Jacquard :

La situation s’améliore légèrement par la suite, malgré les crises conjoncturelles ou structurelles qui se succèdent. En particulier celle frappant le coton465 à partir de 1860 sous les effets conjugués du traité de libre échange et de la guerre de Sécession américaine.

464 Les fabriques sont des filatures de lin et de laine ainsi qu’une blanchisserie. Ces établissements occupent une

population qui tissait auparavant la toile de coton pour les entreprises choletaises. Rapport du maire de Mortagne au préfet de Vendée du 2 août 1874, ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales

[1806 ; 1850].

465 Sur la crise du coton voir la troisième partie de l’ouvrage de Claude Fohlen intitulée « La famine du coton »

Sous le second Empire, la capitale des Mauges « est le centre d’une fabrique qui étend ses

rayons sur plus de 120 communes, dans lesquelles 45 000 à 50 000 ouvriers sont occupés aux produits manufacturés et fabriqués466».

La ville de Cholet n’accueille pas que des maisons de négoce ou les centres névralgiques des fabriques. Elle compte aussi des établissements industriels proprement dits. Claude Folhen467 y dénombre, en 1862, deux filatures de coton. L’une dispose de 7 700 broches et l’autre de 12 000. L’une d’elles appartient aux frères Richard et est créée vers 1825. Elle est la première dans la place à utiliser une machine à vapeur ne fonctionnant qu’au charbon provenant des mines de Saint-Laurs, de Faymoreau et de Chantonnay.

Les environs proches de Cholet accueillent également des installations industrielles et textiles. Chemillé compte deux filatures de laine. Le Longeron fait mouvoir 13 000 broches de coton. En outre les rives de la vallée de la Sèvre sont occupées par onze filatures consacrées aussi bien au lin, au chanvre qu’au coton.