• Aucun résultat trouvé

Première partie : L’avènement d’une réalité ouvrière [1800-1914]

Carte 4 : exemples de localités du rayon choletais accueillant des usines de chaussure au début du XX e siècle :

2. Les sucriers

La betterave sert de base à deux types de production : le sucre et l’alcool.

Sous l’Empire, la France souffre du blocus continental. On recherche notamment un substitut métropolitain à la canne à sucre. La betterave est l’heureuse élue. En 1811 près de 32 000 hectares sont consacrés à cette nouvelle production. Un an plus tard Benjamin Delessert réussit à en extraire le sucre industriellement.

Il faut attendre près de 20 ans pour que de telles fabriques s’installent sur le territoire de l’ancienne province du Poitou285. En effet, c’est en 1829 qu’un rapport préfectoral mentionne pour la première fois l’établissement d’une fabrique de sucre de betterave dans la ville de Niort286. Elle produit annuellement entre 25 000 et 35 000 kilogrammes de sucre. En 1832, elle occupe 30 ouvriers 6 mois par an287. En outre cette activité tributaire des récoltes connaît d’importantes fluctuations d’effectifs l’obligeant parfois à fermer ses portes. L’administrateur de la sucrerie se plaint en 1833 de la farouche concurrence étrangère qui lui dispute ses parts de marché dont elle dispose à Saintes ou à Bordeaux et du coût des octrois à l’entrée des villes. L’usine niortaise ferme ses portes en 1835. La chambre consultative des arts et manufactures de la ville de Niort impute cet échec à trois années de mauvaises récoltes et au prix excessif du combustible288.

Cependant l’activité réapparaît dans le sud-est du département des Deux-Sèvres alors que la troisième République n’en est encore qu’à ses balbutiements. En 1873, une sucrerie s’installe à Melle et y emploie 161 personnes deux ans après289, mais seulement 82 en 1879. L’exploitation est toujours autant dépendante des récoltes et des saisons : quand la période de la betterave survient on travaille parfois vingt-quatre heures sur vingt-quatre par équipes de 12 heures.

C’est encore dans les Deux-Sèvres que quelques industriels locaux tentent de développer des distilleries d’alcool de betterave.

285 La plaine du sud du département des Deux-Sèvres est favorable à la culture de la betterave.

286Lettre de l’administrateur de la sucrerie de Niort au maire de Niort du 15 juillet 1833, ADDS 11M16.1 :

organisation et développement du commerce et de l’industrie : Alimentation.

287 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].

288 ADDS 11M16.1 : organisation et développement du commerce et de l’industrie : Alimentation. 289 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].

L’activité vinicole souffre en ce milieu du XIXe siècle. Les maladies qui se succèdent290 ont détruit les vignobles et provoqué une forte augmentation des prix. On manque de raisin dans les distilleries291. C’est pourquoi, en 1855, Constant Foubert reçoit l’autorisation d’établir à Niort un nouveau type de distillerie. Cent tonnes de betteraves y sont traitées et pour cela on y emploie 120 personnes292. Comme pour le sucre, c’est une activité saisonnière qui s’étend de septembre à février. Une aubaine pour quelques ouvriers privés de travail la morte saison. En 1865 on y fabrique 40 à 43 hectolitres d’alcool par jour. Mais quatre ans plus tard l’activité semble avoir cessé.

D’autres industriels niortais ont aussi tenté l’aventure de l’alcool de betterave. Un rapport préfectoral du troisième trimestre 1883 mentionne quatre distilleries dans les communes de Bréloux et de Chavagné293 dans l’arrondissement niortais294. Déjà en 1863 le canton de Saint-Maixent comptait trois distilleries occupant 140 hommes, femmes et enfants295.

Près de Niort, et comme pour les fabriques de sucre, il y a Melle et ses environs où l’on trouve quelques distilleries à la fin du XIXe siècle. Un état de la situation industrielle de l’arrondissement de Melle pendant le 1er trimestre de l’année 1873 parle de l’existence de deux distilleries employant douze personnes dans la commune de Mougon296.

En 1887, il y a six distilleries dans tout le département, celles de Bréloux et Chavagné et celle de Mougon. De petites tailles, elles emploient une cinquantaine de personnes297. Peu de temps avant la Première Guerre mondiale on en dénombre une douzaine dont trois à la Crèche.

En mai 1908 l’incendie de la distillerie de betteraves sucrières de Melle prive de travail près de 150 personnes298. Après la Première Guerre mondiale l’usine de Melle se reconvertit en une unité de fabrication de produits biochimiques. Elle appartient actuellement au groupe Rhodia.

290 Diverses maladies se succèdent : l'oïdium entre 1845 et 1852 puis le phylloxera en 1865, le mildiou en 1878

et le black-rot en 1885. Ces maladies, en particulier le phylloxera, bouleversent la culture de la vigne. Il faudra du temps pour les identifier, étudier leur développement et mettre en place les moyens de les combattre.

291 Quant aux céréales pouvant être distillées elles sont trop coûteuses.

292 MARTIN (Jean Clément), Aspects de l’industrialisation à Niort au milieu du XIXe siècle, op. cit., p.398. 293 Ces deux bourgs forment depuis 1965 la commune de la Crèche.

294 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889] 295 Ibid.

296 Ibid. 297 Ibid.

Illustration 6 : Distillerie de Melle incendiée le 9 mai 1908 :

Source : Le CORFEC (Jean-Michel), La vie d’autrefois dans les Deux-Sèvres, [S.l.], 2007, p.57.

A côté des nouveaux métiers agro-alimentaires balbutiants, l’industrie chimique appartient également aux secteurs d’activité naissant et se développant au XIXe siècle.

e) Les industries chimiques

Ces industries sont apparues pour la plupart dans le dernier quart du XIXe siècle avec les progrès de la chimie organique et minérale.

En 1874, le département de la Vienne compte trois fabriques de bougies. L’une est établie à Châtellerault et les deux autres à Poitiers. Ces deux dernières emploient alors 30 ouvriers299. En 1887, ce sont quatre petites fabriques de chandelles qui se situent sur le territoire de la commune de Niort, employant seulement dix ouvriers.

La Belle Epoque, c’est aussi et surtout l’avènement du gaz de ville. C’est pourquoi des usines à gaz fleurissent aux alentours des plus grosses cités. Dans la Vienne, Poitiers,

Châtellerault, Loudun et Montmorillon ont chacune leur fabrique de gaz dans le dernier quart du siècle300.

La même évolution se retrouve dans les Deux-Sèvres à Parthenay, Saint-Maixent, Thouars, Bressuire et Niort301. Celle du chef lieu de département produit à la fin du second Empire 240 000 m3 de gaz par an – contre 130 000 m3 pour celle de Poitiers. Elle est créée en 1843 et peut alors alimenter 2000 becs de gaz. L’établissement est racheté en 1855 par un investisseur nantais auquel la municipalité accorde le privilège de l’usine pendant 19 ans à compter de 1857.

En Vendée, les trois chefs lieux d’arrondissement disposent également de leurs fabriques employant chacune une petite dizaine d’ouvriers302.

Enfin Poitiers a longtemps connu intra muros des fabriques de savon, de soude et de lessive.

Plus anecdotique est l’existence d’une marque automobile niortaise qui est apparue à la toute fin du XIXe siècle, époque où le secteur foisonne de multiples initiatives semblables.

f) La brève et folle aventure automobile niortaise

Gaston Barré est à l’initiative de la création d’une marque automobile à Niort qui va concurrencer pendant quelques temps les productions de Renault, Citroën, Berlier ou Ford303.

Barré, choletais d’origine, s’installe à Niort en 1888 où il crée un magasin de loueur et de réparateur de cycles, puis devient fabricant de bicyclettes six ans plus tard. L’affaire est florissante et les revenus générés poussent l’entrepreneur niortais à se lancer en 1899 dans la grande aventure automobile. Il construit des tricycles et quadricycles propulsés le plus souvent par des monocylindres Dion-Bouton. Outre une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris en 1900, son initiative est remarquée par un grand propriétaire terrien du cru qui lui offre un million cinq cent mille francs pour développer son affaire.

300 Les deux plus importantes sont celles de Poitiers et de Châtellerault qui emploient respectivement 45 et 10

ouvriers en 1874 et 30 et 15 dans les années 1880, ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries

principales (1873-1888). Un établissement de lumière électrique, comme on disait alors, s’installera dans la capitale du Poitou où il occupera 8 ouvriers en 1894.

301 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].

302 La commune de Luçon compte elle aussi une usine à gaz, ADVd 6M1243. Statistiques des industries

principales [1882 ; 1889].

303 Nos deux sources principales sont constituées par l’ouvrage Le CORFEC (Jean-Michel), La folle aventure de

Gaston Barré, constructeur d’automobiles à Niort, Saintes, 2004, 64 p. et par l’article mis sur le site de la direction des Affaires culturelles du Poitou-Charentes [en ligne], http://www.poitou-charentes.culture.gouv.fr/

« L’établissement Barré et Cie » vient de naître et semble avoir toutes les cartes en mains pour réussir304.

Dès 1903 la fabrique propose sept modèles, assemblés à partir d’éléments venant de fournisseurs différents. En outre Barré profite du savoir-faire local, particulièrement en matière de travail du cuir. Toutefois la diffusion demeure essentiellement régionale. En 1905, l’entreprise innove en présentant un véhicule propulsé par un quatre cylindres refroidi par eau.

En 1906, l’établissement industriel change de raison sociale et devient les « Automobiles G. Barré ». Jamais à court d’idées il est un des premiers à s’engager à apprendre à conduire à ses futurs clients305.

Illustration 7 : publicité pour les automobiles Barré :

En 1910 la maison Barré acquiert un magasin à Paris, dans le XVIIeme arrondissement, où est transféré le siège social. Désormais, jusqu’en 1914, l’usine de Niort fabrique une

304 A titre de comparaison Louis Renault ne dispose que de 5000 francs comme capital de départ quand il crée sa

société en 1899.

voiture par jour306. Elle emploie une centaine de personnes dans trois usines307 et a déjà produit près de 1500 véhicules.

Malheureusement La Grande Guerre va briser l’élan du constructeur niortais en interrompant la production d’automobiles. Pendant quatre années les ateliers ne fabriquent plus que des obus et de petits camions pour l’armée. Après guerre Barré néglige le développement de son entreprise au profit de bénéfices immédiats, ce qui condamne, à terme, la fabrique. Cependant on produit tout de même 400 véhicules en 1926 soit quatre ans avant la fin de l’aventure automobile de Gaston Barré.

Cette « épopée » industrielle qui dure près de 30 ans montre assez bien qu’il suffit d’enthousiasme, de créativité et de ténacité pour qu’un centre industriel puisse voir le jour. Barré dispose d’un budget bien plus élevé que ses concurrents de l’époque (et désormais illustres), seul le manque d’ambition semble avoir empêché la firme niortaise d’avoir une destinée bien plus marquante.

Ces nouvelles professions apparaissant au fil du XIXe siècle constituent la partie la plus visible et la plus remarquable d’un ensemble bien plus conséquent formant ce que l’on nomme à l’époque la « grande industrie ».

306 Voitures de tourisme ou utilitaires.