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L'émergence du monde ouvrier en milieu rural dans l'ancienne province du Poitou au XIXè siècle

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Texte intégral

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UNIVERSITE DE POITIERS

FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES SOCIALES Ecole Doctorale

L’émergence du monde ouvrier en milieu rural dans l’ancienne province du

Poitou au XIX

e

siècle

Tome I

THESE POUR LE DOCTORAT EN HISTOIRE DU DROIT Présentée et soutenue publiquement le

21 juin 2008 Par

Nicolas Garnaud JURY :

Directeur de la Recherche

Madame Catherine LECOMTE

Professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Doyen honoraire de la Faculté de Droit

Suffragants

Monsieur Gérard AUBIN

Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux IV, vice-président de l’Université Montesquieu Bordeaux IV, rapporteur

Monsieur Norbert OLSZAK

Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Strasbourg, rapporteur

Monsieur Yann DELBREL

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UNIVERSITE DE POITIERS

FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES SOCIALES Ecole Doctorale

L’émergence du monde ouvrier en milieu rural dans l’ancienne province du

Poitou au XIX

e

siècle

Tome I

THESE POUR LE DOCTORAT EN HISTOIRE DU DROIT Présentée et soutenue publiquement le

21 juin 2008 Par

Nicolas Garnaud JURY :

Directeur de la Recherche

Madame Catherine LECOMTE

Professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Doyen honoraire de la Faculté de Droit

Suffragants

Monsieur Gérard AUBIN

Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux IV, vice-président de l’Université Montesquieu Bordeaux IV, rapporteur

Monsieur Norbert OLSZAK

Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Strasbourg, rapporteur

Monsieur Yann DELBREL

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La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

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Quelle peut-être la place de l’ouvrier dans le Poitou du XIXeme siècle, région archétype d’une France en

miniature, majoritairement conservatrice et rurale ? Quelle perception peut avoir l’autorité publique d’une population marginale noyée dans un océan de ruralité à une époque de bouleversements économiques, sociaux et politiques majeurs ?

Loin des centres industriels du nord et de l’est de la France, le monde ouvrier poitevin demeure très hétérogène, fruit d’une tradition artisanale ancienne plus qu’enfant de la révolution industrielle. Victime d’a priori nationaux l’ouvrier est parfois perçu comme un individu turbulent, voire dangereux pour l’ordre public, ou bien comme un privilégié au regard des masses paysannes, ou, au contraire, comme un simple pauvre sans spécificités propres.

Le développement du suffrage universel et la prise de conscience sociale des gouvernants permettent à la population industrielle locale de faire entendre sa voix, à défaut d’être toujours écouté. Politiquement faible, l’ouvrier possède néanmoins quelques bastions précisément localisés où il peut exercer une influence non négligeable.

Cependant sa modération politique et sa modeste importance numérique ne sont pas suffisantes pour que l’ouvrier soit prioritaire dans l’esprit des autorités publiques. D’autres enjeux locaux priment sur la prise en compte des aspirations d’une catégorie sociale minoritaire. L’application d’une législation sociale, qui émerge dans la seconde moitié du siècle, se fait sans zèle malgré le besoin réel d’une intervention étatique au sein des ateliers.

Pour faire face aux difficultés d’une vie quotidienne éprouvante il reste la solidarité et la revendication active. L’entraide mutuelle, fille de la philanthropie, permet d’entrevoir le futur d’un œil moins sombre. Quant à la grève elle met du temps avant d’entrer dans les mœurs bien qu’elle apparaisse souvent comme un réel moyen de progrès social.

Dispersé dans les campagnes l’ouvrier doit redoubler d’effort pour faire reconnaître sa spécificité par une administration préoccupée par l’ordre publique et les combats politiques et idéologiques de son époque. Mots clés : Ouvrier – Industrie – Administration – Politique – Poitou – Lois sociales – Mutualisme – Grèves

What can the place of the worker be in the 19th century Poitou, archetypal region of a miniature France,

predominantly conservative and rural? What way can the public authority perceive a population living on the margins of society, drowned in an ocean of ruralism in a period of major economic, social and political upheavals ?

Far from the industrial centres of the North and East of France, the Poitou labour force remains very heterogeneous, fruit of an ancient craft tradition rather than child of the industrial revolution. Victim of national a priori, the worker is sometimes seen as unruly and even dangerous for law and order, or as a privileged person in the eyes of the agricultural masses, or on the contrary, as a mere poor man with no specific characteristics.

The development of the universal suffrage and the social awareness of the rulers, allow the local industrial population to make itself heard, even if not always carefully listened to. Though politically weak, the worker masters a few bastions precisely located in areas where he can carry some influence.

However, his political moderation and his small population are not sufficient enough for the worker to have priority in the mind of public authorities. Other local stakes prevail over the aspirations of a minority social group. A social legislation, emerging in the second half of the century, is implemented with no zeal, despite the real need for a state intervention in the workshops.

To face the difficulties of a testing daily life, there is solidarity and active claims. Mutual support, child of philanthropy, allows the worker to view the future in a less unfavourable light. As for the strike, it takes time before it has become a normal practice, even if it is often seen as an effective means of social progress.

Scattered in the countrysides, the worker must step up to make his specificity be acknowledged by an administration mainly preoccupied with law and order, and the political and ideological fights of its time.

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ABPO : Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest. ADV : Archives départementales de la Vienne. ADVd : Archives départementales de Vendée. ADDS : Archives départementales des Deux-sèvres. ALA : Archives de Loire-Atlantique.

AM : Archives municipales. AN : Archives Nationales.

BSAO : Bulletin de la Société des antiquaires de l’Ouest.

BSHSDS : Bulletin de la Société historique et scientifique des Deux-sèvres.

BSHAAAP : Bulletin de la Société historique et archéologique les amis des antiquités de Parthenay.

BSHAVS : Bulletin de la société historique et archéologique du Val de Sèvre. BHSS : Bulletin d’histoire de la sécurité sociale.

RBP : Revue du bas Poitou. Cass. : Cour de cassation. C.civ. : Code civil.

CHSS : Comité d’histoire de la sécurité sociale. C. sécur. soc. : Code de la sécurité sociale. C.trav. : Code du travail.

D. : Dalloz.

DP : Dalloz périodique. J.O. : Journal officiel. MS : Mouvement social.

MSSDDS : Mémoire de la Société de statistique du département des Deux-Sèvres. MSAO : Mémoire de la Société des antiquaires de l’Ouest.

RAA : Recueil des actes administratifs. RHCO : Revue historique du Centre Ouest. RFAS : Revue française des affaires sociales. RHES : Revue d’histoire économique et sociale. RHDFE : Revue d’histoire du droit français et étranger. RHMC : Revue d’histoire moderne et contemporaine. SAO : Société des antiquaires de l’Ouest.

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Première partie : L’avènement d’une réalité ouvrière

[1800-1914]

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière

Section 1 : Des professions fruits de la modernité ?

I- Les activités industrielles poitevines post révolutionnaires II- Les caractères de la « grande industrie » poitevine

Section 2 : Des professions émergeant d’un océan de ruralité

I- Du savoir-faire artisanal à la production industrielle

II- L’ouvrier des campagnes ou la quête désuète d’harmonie avec la terre

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi

Section 1 : Un univers sensible aux idées nouvelles

I- L’ouvrier et les scrutins nationaux sous la Deuxième République II- L’ouvrier et le jeu politique sous la IIIe République

Section 2 : La police ouvrière

I- Un milieu sous surveillance II- La répression judiciaire

Seconde partie : Une question sociale prégnante ?

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail

Section 1 : A peine égale, salaire inégal

I- Des revenus disparates II- La précarité de la paie

Section 2 : De longues journées de travail

I- Un temps douloureusement plein

II- Des textes législatifs difficilement recevables

Chapitre 2 : L’épreuve du quotidien

Section 1 : Des conditions de vie et de travail éprouvantes

I- Un environnement insalubre et oppressant II- De l’assistance à la mutualité

Section 2 : L’éclosion des revendications

I- De la coalition à la grève

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INTRODUCTION

Le XIXe siècle marque un bouleversement considérable des conceptions et des structures sociales du monde occidental. La société d’ordres, abolie depuis la nuit du 4 août 1789, laisse définitivement la place à une organisation fondée avant tout sur la richesse : « […] aujourd’hui le législateur fait de l’argent un étalon général, il l’a pris pour base de la

capacité politique », écrit Balzac en 18321. Les progrès techniques et productifs liés à l’exploitation de nouvelles sources d’énergie accélèrent la métamorphose d’un univers rural et artisanal vers un monde industriel. La réorganisation des techniques de productions agraires pousse quantité d’individus vers les villes où ils constituent un nouveau et inépuisable réservoir de main-d’œuvre bon marché. L’économie et l’industrie s’en trouvent profondément et durablement bouleversées. Une révolution qui va de pair avec une expansion démographique augmentant la demande de biens manufacturés et obligeant à produire plus. Cependant cette révolution industrielle pour les uns, ou cette mutation progressive de l’appareil productif pour les autres, touche principalement, hormis l’Angleterre, une minorité de zones ayant le privilège de condenser les éléments nécessaires au « take off ». Ainsi la majorité du territoire français demeure à l’écart de l’effervescence manufacturière régnant dans les régions du Nord et de l’Est de la France. Hormis quelques « oasis industrielles » liées à l’histoire ou aux ressources locales, la ruralité et ses archaïsmes immémoriaux prédominent dans la majorité des provinces d’un pays encore commotionné par le choc révolutionnaire. Le Poitou n’y fait pas exception.

Le XIXe siècle, allant de 1814 à 1914, servira de limite temporelle à l’étude du monde ouvrier « industriel » poitevin2.

La Restauration marque le début d’une nouvelle ère dans laquelle les repères anciens des classes laborieuses vont disparaître progressivement. L’économie de guerre nécessaire aux entreprises militaires napoléoniennes cesse. Les activités commerciales et industrielles poitevines ne sont plus entravées ni par les guerres de la Révolution ni par le blocus continental qui a causé le déclin des ports atlantiques et, plus généralement, de l’Ouest de la France. Dans ce contexte, l’industrie à nouveau normalisée peut repartir de l’avant et tenter de

1 BALZAC (H.) in Le colonel Chabert cité par BABÉRIS (Pierre), Mythes balzaciens, Paris, 1972, p.269. 2 Précisons que, malgré cette limite temporelle, il nous arrivera d’utiliser certaines sources datant de l’époque

impériale, période propice aux enquêtes statistiques nationales et régionales, à l’image de certains recensements professionnels et des rapports concernant les départements poitevins, fruits du travail d’illustres préfets de l’époque.

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combler les décennies perdues ; la monarchie de Juillet marquant ensuite le début de l’industrialisation réelle du pays.

La Grande Guerre marquera le terme du champ temporel de l’étude. Une date symbolique marquant incontestablement la fin d’un monde et le début d’un nouvel âge. Les utopies politiques et sociales quittent l’âge de l’innocence. L’Europe tout entière voit ses bases culturelles et économiques sapées par le traumatisme des tranchées et son hémorragie démographique. Quant à la Révolution française elle cesse d’être une référence permanente, positive ou négative.

Les deux premiers tiers du XIXe siècle apparaissent fort peu favorables à l’ouvrier. La révolution libérale de 1789 consacre l’individualisme en rejetant les structures communautaires, trop symboliques de l’Ancien Régime. « L’âme de l’industrie est la liberté » proclame l’Assemblée constituante3. Les corporations sont accusées d’exercer une mainmise absolue sur le travail et les travailleurs. Le décret d’Allarde du 2-17 mars 1791 les abolit. Dans le même temps la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 interdit toutes réunions et coalitions d’ouvriers ou de patrons. Dès lors, et pour de longues décennies, l’ouvrier est seul face au patron, à parité, comme le veut la théorie juridique de l’époque. Le contrat de travail n’est pas dissocié des autres formes de contrat. Seule la rencontre de deux volontés libres et de deux consentements non viciés est suffisante. Un bel équilibre mis à mal en pratique puisque l’ouvrier est rarement sur un pied d’égalité avec l’employeur. L’absence de qualification, l’augmentation considérable de la main-d’œuvre disponible, deux facteurs allant de pair, rompent l’harmonie de la théorie juridique contractuelle toute puissante à l’époque.

Une soumission que le Consulat et l’Empire parachèvent. Le Code civil de 1804 consacre la liberté du travail4 tout en renforçant la puissance patronale. Une présomption favorable aux maîtres règle le contentieux salarial5. En 1803 le livret ouvrier est instauré6. Il apparaît comme une mesure de police qui autorise le contrôle des autorités administratives sur les travailleurs. En outre on octroie la faculté aux patrons de garder le livret s’ils estiment que l’ouvrier n’a pas répondu aux obligations auxquelles il était tenu contractuellement. Une situation qu’amplifie encore le succès de « l’industrialisme » saint-simonien où l’industrie et ses dirigeants sont appelés à la gestion des intérêts généraux de la société.

3 Cité par DAMOUR (Louis), La conciliation et l’arbitrage en matière de grève, Nîmes, 1924, p.17. 4 Articles 1779, 1780, 1781.

5 Article 1781 du code civil : « le maître est cru sur son affirmation pour la quotité des gages, pour le paiement

du salaire échu, pour les acomptes donnés pour l’année courante ».

6 Arrêté du 9 frimaire an XII / 1er décembre 1803. On reprend un système déjà mis en place à la fin de l’Ancien

Régime où les règlements corporatifs exigeaient un certificat de congé afin d’embaucher un compagnon ou un apprenti. Une pratique qui s’est propagée à toutes les manufactures à partir de 1749. Trente ans plus tard un véritable livret est instauré à cet effet.

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L’attitude soupçonneuse du pouvoir à l’égard du monde ouvrier perdure jusqu’aux premières décennies de la IIIe République. Seules la parenthèse sociale de 1848 et peut-être les dernières années d’un second Empire en mal de soutien font figurent d’exception. Avant 18647 « ce n’est pas le régime de la liberté, c’est le régime de l’isolement8» pour le travailleur industriel. Une défiance alimentée régulièrement par les événements sanglants et tragiques liés aux revendications sociales. L’opinion est marquée par la révolte des canuts lyonnais en 1831, première émeute du genre suivie des émeutes parisienne et lyonnaises de 1834 ; les manifestations violentes de juin 1848, provoquées par la fermeture des ateliers nationaux ; le traumatisme considérable de la Commune de Paris et ses répliques provinciales9 ; la fusillade des grévistes de Fourmies en 1891.

Cependant les mentalités évoluent lentement au fil du siècle. Le constat de l’apparition et du développement d’une pathologie sociale nouvelle appelée « paupérisme » y est pour beaucoup. Ce paupérisme est un mal que très rapidement les contemporains vont estimer très nécessaire de soigner. La morale, religieuse et laïque, ou la simple humanité le commandent. Les intérêts futurs de la nation l’exigent. C’est ainsi que l’Etat va abandonner progressivement sa posture libérale et non interventionniste. Le domaine social va s’agréger lentement aux fonctions régaliennes traditionnelles. La loi du 22 mars 1841 réglementant le travail des enfants marque le début du processus10. Celui-ci conduit à l’adoption de lois

toujours plus protectrices des travailleurs, à la création d’un corps efficace d’inspecteurs du travail en 1892 et à l’élaboration d’un Code du travail.

La fin du XIXe constitue alors une période riche et fondamentale en matière d’histoire sociale où l’ouvrier occupe une place centrale. Une évolution qui ne manque pas de bouleverser les mentalités, même dans les contrées rurales comme le Poitou, là où les enjeux liés à l’industrialisation sont apparemment moins sensibles et surtout très peu connus.

7 Année de la dépénalisation du délit de coalition ouvrière. 8 SCELLE (Georges), Le droit ouvrier, Paris, 1922, p.8.

9 Des Communes se proclament, entre autres, à Lyon, où Bakounine est présent, à Macon, à Toulouse ou à

Limoges.

10 Si on excepte le décret impérial du 3 janvier 1813 interdisant aux enfants mineurs de 10 ans de descendre au

fond des puits de mine. Voir entre autre SUEUR (Philippe), La loi du 22 mars 1841, un débat parlementaire : l’enfance protégée ou la liberté offensée, Histoire du droit social, mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, 1989, pp 493-508 ; BARRAU (Patrick), HORDERN (Francis), Histoire du droit du travail par les textes. De la

Révolution à la Première Guerre mondiale (1791-1914), tome 1, université Aix-Marseille II, Cahiers de l'Institut régional du Travail, n°8, 1999, 232 p. ; GUIN (Yannick), Au cœur du libéralisme : la loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers, in LE CROM (Jean-Pierre) (dir.), Deux siècles de droit du travail. L’histoire par les lois, Paris, 1998, pp.29-41, LECOMTE (Catherine), Contrôle de l’administration départementale sur le travail des enfants au XIXe siècle. Réalité ou

fiction en Seine-et-Oise, in CHIANEA (G.), CHAGNY (R.), DEREYMEZ (J.-W.), Le département. Hier,

aujourd’hui, demain. De la province à la région. De la centralisation à la décentralisation, Grenoble, 1994, pp. 551-569.

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Définir précisément l’ouvrier au XIXe siècle n’est pas chose aisée. Le Grand Larousse

Universel du XIX e siècle indique qu’il s’agit d’une « personne qui gagne sa vie à travailler de

ses mains11». Phrase ambiguë car elle englobe à la fois les ouvriers industriels, travaillant en chambre ou en atelier, les artisans, maîtres et employés, mais aussi certains employés ainsi que les travailleurs des campagnes, qualifiés au XXe siècle « d’ouvriers agricoles ». Une catégorie professionnelle que l’on écartera du cadre de l’étude12, tout en prenant soin de toujours garder à l’esprit l’existence constante d’un lien consubstantiel entre « l’ouvrier industriel » et le monde rural. Bien souvent le « métier industriel » apparaît uniquement comme une activité annexe des travaux des champs.

Le salaire, c'est-à-dire l’ensemble des rémunérations ou des prestations fournies par un employeur à chacun de ses salariés en rétribution de ses services, dans le cadre d’un contrat de travail, est une condition nécessaire13 mais insuffisante pour définir l’ouvrier. En effet le salariat se développe considérablement au XIXe siècle et la qualité de salarié n’est pas toujours aisée à déterminer. Certains travailleurs textiles à domicile, appelés « fabricants », sont censés œuvrer pour leur propre compte. Toutefois la dépendance très forte les unissant généralement à leur unique commanditaire les font appartenir sinon en fait du moins en droit au monde du salariat.

L’ouvrier est donc un salarié qui participe prioritairement à la production de biens matériels. Ce critère permet donc d’écarter les manœuvres14, les employés, les domestiques et autres professions basées sur une prestation de service. Cependant cet élément supplémentaire ne permet pas de différencier l’ouvrier de l’artisan salarié d’un maître.

Cette difficulté à différencier monde artisanal et industriel en formation est le problème majeur auquel se heurte le chercheur. Toutefois trois nouveaux critères peuvent être utilisés afin de les distinguer. Ce sont la taille de l’établissement, le degré de qualification et les méthodes de travail.

11 LAROUSSE (Pierre), Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, 1866-1876 (reprint Nîmes, 1990).

12 Il s’agit ici d’étudier une population minoritaire tendant à se singulariser. Les ouvriers agricoles, bien plus

nombreux, sont loin d’opérer une telle mutation.

13 Précisons que le critère du salaire ne semble pas prépondérant pour Emile Levasseur qui, dans la préface de

son ouvrage Histoire des classes ouvrières en France depuis 1789 à nos jours (Paris, 1867, p.II) range sous le terme « classes ouvrières » « tous ceux qui vivent du travail de l’industrie, patrons, apprentis, ouvriers, en

insistant particulièrement sur ces derniers ». L’auteur rejoint en cela la conception propre à l’Ancien Régime de l’ouvrier, cf. TULARD (Jean) (dir.), Dictionnaire Napoléon, Paris, 1987, v° ouvrier.

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L’artisan, maître ou ouvrier, œuvre à l’intérieur de petits ateliers disposant de faibles effectifs15, alors que l’ouvrier travaille généralement dans de plus grandes unités. Mais cette distinction n’est pas suffisante car elle laisse de côté les travailleurs des fabriques, systèmes de production axés autour du travail à domicile, comme c’est le cas dans le secteur textile où maints tisserands et fileurs agissent seuls chez eux.

Cette distinction fondée sur la taille de l’établissement rejoint celle effectuée au sein même de l’industrie. Celle-ci regroupe deux réalités : d’un côté le monde industriel fournissant des biens de production ou des bien intermédiaires (filés, fonte, fer), très minoritaire dans beaucoup de régions françaises, de l’autre côté l’univers artisanal traditionnel, appelé aussi « arts et métiers », produisant des biens de consommation courante, destinés le plus souvent au marché local, et des biens de consommation de luxe, fabriqués dans des ateliers urbains grâce à un savoir-faire ancien et élaboré16. L’industrie regroupe donc « les personnes [patrons comme ouvriers] qui fabriquent un produit en totalité ou lui font subir une élaboration

quelconque tendant à le modifier, à le transformer, à l’achever, à le parer17». Précisons, comme l’a fait la Cour de cassation en 1902 à propos d’employés de congrégations religieuses18, que « le caractère industriel du travail est indépendant du but dans lequel il est

organisé ; que ce caractère dépend uniquement de sa nature propre et de son objet ».

Le processus d’élaboration diffère selon le statut du travailleur et son niveau de qualification. Celui-ci n’est pas le même entre un artisan salarié et un ouvrier. L’ouvrier est un individu ayant une faible qualification, accomplissant des tâches simples et mécaniques ce qui en fait une main-d’œuvre interchangeable, fréquemment intégrée dans un système de production où la division du travail et l’emploi de machines entraîne une meilleure productivité. Une définition parfaitement valable à notre époque mais qui ne correspond pas parfaitement à la réalité du XIXe siècle. Là encore la persistance du travail « en chambre » fausse cette perception contrastée. Une gantière ou un fileur travaillant à domicile peuvent posséder un métier, avoir une certaine qualification et travailler selon leurs propres rythmes en étant payés à la pièce. Des paramètres qui les rangeraient dans la catégorie des artisans comme en témoignent certaines enquêtes de l’époque. Cependant ces artisans travaillent souvent pour un seul entrepreneur dont ils dépendent totalement. Cette situation conduit à les assimiler à de véritables salariés, incorporés dans une filière productive sur laquelle ils n’ont

15 Appelés parfois « ouvriers qualifiés ».

16 VERLEY (Patrick), Nouvelle histoire économique de la France contemporaine : 2.L’industrialisation

(1830-1914), Paris, 1989, p.23.

17 Cf. circulaire du 5 mai 1856 émanant du ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics. 18 Cass., 28 mars 1901, DP. 1903, I. 229.

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aucune prise, comme pourraient en avoir par ailleurs des travailleurs artisanaux plus qualifiés19.

Ainsi, il serait envisageable de définir l’ouvrier comme un individu salarié participant partiellement à un processus de production de biens matériels par l’accomplissement d’actes et de tâches simples manuelles ou mécaniques et répétitives sans esprit d’initiative.

Cependant cette conception trop stricte de l’ouvrier éliminerait bien trop de personnes du cadre de cette enquête. En effet, comme le dit Alain Dewerpe, « il existe une distance

considérable entre le lexique utilisé dans la première moitié du XIXe siècle pour désigner les phénomènes économiques et sociaux de l’industrialisation et celui que nous employons aujourd’hui20». C’est pourquoi le terme « ouvrier » sera employé dans son sens large afin de coller au plus près à la réalité de l’époque. Il sera précisé quand notre propos portera plus précisément sur l’ouvrier industriel, en « fabrique concentrée » ou en « chambre », ou sur celui appartenant à la sphère artisanale. C’est l’opinion de Chantal Beauchamp qui définit le « monde ouvrier » comme un large ensemble englobant « des artisans, des ouvriers et leur

famille, tous ceux qui, à défaut d’un statut économique unique, partagent des valeurs communes, en grande partie héritées du passé » et qui voit dans « la classe ouvrière » un groupe « de travailleurs manuels salariés plus homogènes dans ses caractéristiques, tel qu’il

s’est développé dans la seconde partie du XIXe siècle » 21.

L’ouvrier, quelles que soient ses particularités, est confronté tôt ou tard à l’administration, « médiatrice » entre le pouvoir, ses agents et les usagers22. L’administration doit remplir deux rôles dans le seul but de satisfaire l’intérêt général sans pour autant ignorer les intérêts particuliers. D’une part elle doit assurer des missions régaliennes, de protection de l’ordre public. D’autre part elle doit mener à des prestations destinées à aider, soulager et contrôler ceux que la société, dans son perpétuel mouvement, écarte ou oublie. Au XIXe siècle, l’administration est presque exclusivement cantonnée à assurer l’ordre et la bonne application des lois et des décisions du pouvoir central. Une mission dont le préfet – et les forces de police – a l’entière responsabilité. Dans les départements cet « empereur aux petits pieds » accompagne paradoxalement les vies et les mouvements ouvriers du siècle.

19 MOSS (Bernard.-H.), Aux origines du mouvement ouvrier français. Le socialisme des ouvriers de métier

(1830-1914), Paris, 1985, p.32.

20 DEWERPE (Alain), Le monde du travail en France 1800 – 1950, Paris, 1998, p.81.

21 BEAUCHAMP (Chantal), Révolution industrielle et croissance économique au XIXe siècle, Paris, 1997, p.159.

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Initié depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, le corps préfectoral agit à la fois comme représentant et comme agent du pouvoir central. Il est « l’intermédiaire obligé entre le

gouvernement et les administrés23», la « grande artère du pouvoir exécutif24».

Dès l’Empire il connaît du livret ouvrier. De 1815 à 1870 les autorités publiques s’appuient sur le corps préfectoral pour surveiller les agissements de ce monde ouvrier mal connu et donc inquiétant. En milieu rural encore plus qu’en ville il revient aux sous-préfets de signaler les mouvements de l’opinion publique, les réunions que des ouvriers pourraient organiser. Les maires25 deviennent naturellement les relais de ces incessantes et permanentes enquêtes et surveillances. L’administration, des municipalités aux préfectures, apparaît comme le miroir où se reflètent les agissements ouvriers. Les nombreux rapports administratifs rédigés sont une source d’information, peut être vue à travers un prisme déformant mais essentiel.

Les délibérations et les votes des conseils généraux permettent aussi d’appréhender la manière dont les travailleurs industriels sont perçus par les notables et élites poitevins.

Les mentalités locales ne manquent pas parfois d’influencer sur les préoccupations de l’administration. Dans la Vienne les notables demeurent très puissants jusqu’en 1914. En 1831 seulement 6,5% de la population figurent sur la liste des électeurs censitaires, divisés entre légitimistes, orléanistes, bonapartistes et libéraux. Mais l’absence d’opinion commune explique que les antagonismes prennent le pas sur les initiatives et débouchent immanquablement sur « une vie administrative languissante26».

23 BARTHELEMY (H.), Traité élémentaire de droit administratif, Paris, 1910, p.128. A ce titre il a pour mission

d’assurer la police générale en plus de nommer certains agents ou d’exercer une tutelle administrative sur les institutions subalternes, tels les conseils municipaux. A cette vocation très encadrée s’ajoute un rôle représentatif où le préfet jouit d’une plus grande autonomie au sein de domaines strictement définis par un texte – dans ces cas de figure précis l’annulation ou la réformation d’un acte préfectoral n’est possible qu’en cas d’illégalité ou d’inopportunité –. La Restauration, puis le second Empire (cf. le décret-loi du 25 mars 1852) développent cet aspect de la mission préfectorale. Une latitude toujours plus grande, intéressante quant à l’approche que l’administration locale peut avoir de la question ouvrière.

24 SERIGNY (Denis), Traité de l’organisation, de la compétence et de la procédure en matière contentieuse

administrative, Paris, édition de 1865, t.3, p.243, n°1356.

25 Longtemps totalement subordonnés au pouvoir central, comme l’illustre l’article 57 de la Constitution de 1852

(cf. BURDEAU (François), op. cit., p.197) ils acquièrent une véritable autonomie quand la IIIe République est définitivement conquise par les républicains et quand à partir de 1882 le maire est élu par le conseil municipal25.

Il acquiert ainsi une véritable fonction d’administrateur de la collectivité locale en plus de son rôle traditionnel d’agent de l’Etat. Un nouveau statut l’obligeant à prendre en compte les aspirations des ouvriers au sein des cités où leur nombre représente un poids politique non négligeable. Voir FOUGERE (Louis), MACHELON (Jean-Pierre), MONNIER (François), Les communes et le pouvoir : histoire politique des communes françaises de

1789 à nos jours, Paris, 2002, 661 p.

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L’ancienne province du Poitou est divisée pendant la Révolution en trois départements, Deux-Sèvres, Vendée et Vienne, le 26 février 179027. Elle était avant 1789-1790 une entité géographique et administrative, à défaut d’en être une réellement historique.

La province, qualifiée parfois « d’espace frontière28», se situe aux confins de deux bassins sédimentaires, bassin parisien et bassin aquitain, et de deux masses géologiques, massif armoricain et massif central. « Le cœur du Poitou est, avant tout, un seuil, une voie de

passage29». Les batailles qui s’y déroulent au fil des siècles en témoignent30. Les langues d’oïl et d’oc s’y rencontrent tout comme jadis les droits coutumiers et ceux de droit écrit.

Ce seuil est bordé d’une grande diversité de pays : au nord et au nord-ouest, la Touraine et l’Anjou ; à l’est, la Brenne berrichonne, séparée des plateaux secs et pierreux du Poitou oriental par les vallées de la Creuse et de l’Anglin ; au sud-est le Limousin et ses reliefs, au sud, le fertile pays charentais et à l’ouest, une zone littorale ouverte aux influences océaniques.

Strictement encadré le Poitou n’en est pas moins divers à la fois dans sa définition administrative que dans sa physionomie naturelle.

Depuis 1670 et la création officielle de deux lieutenances, on distingue le haut du bas Poitou. Le premier centré autour de la ville de Poitiers, le second autour de celle de Fontenay-le-Comte. Les cours d’eau du Thouet et de l’Autize marquant la séparation entre les deux entités.

L’ouest et le sud-ouest sont des pays de bocage, englobant une bonne partie des actuels départements vendéen et deux-sèvrien. La Gâtine, qui ceint Parthenay, en est la meilleure expression31. Plus à l’est, Poitiers et son plateau calcaire, regroupant à la fois Châtellerault et Loudun, se définit par une plaine descendant jusqu’à la vallée de la Loire. Quant aux deux extrémités elles se caractérisent par des terres pauvres : plaine rocailleuse du montmorillonais à l’est et prolongement du marais breton du côté occidental, la Vendée des genêts et des

27 Voir entre autre OZOUF-MARIGNIER (Marie-Vic), La formation des départements. La représentation du

territoire français à la fin du XVIIIe siècle, Paris, 1992, 365 p.

28 MATHIEU (Maurice), Les poitevins et la République (1870-1914) : le passage d’une société traditionnelle à

la modernité, thèse histoire, Paris, 1990, 3 vol., p.III.

29 CROZET (René), Histoire du Poitou, Paris, 1949, p.5

30 Citons la bataille de Vouillé opposant, en 507, francs et Wisigoths, la bataille de Poitiers en 732 où Charles

Martel défit les arabes, la défaite en 1856 de Jean II le bon fait prisonnier des anglais, là encore à Poitiers, ou bien la bataille de Moncontour entre protestants et catholiques de l’armée royale (1569).

31 MERLE (Louis), La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Age à la

Révolution, Paris, 1958, p.23 et s., voir aussi NEVEU (Hugues), La métairie poitevine, in DUBY (Georges), Wallon (Armand) (dir.), Histoire de la France rurale : l’âge classique des paysans (1340-1789), Paris, 1975, pp.130-131.

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roseaux. Marécages auxquels il est nécessaire d’ajouter ceux situés à l’ouest de Niort, formant le marais poitevin.

Comme pour beaucoup de provinces du royaume de France, la délimitation stricte du Poitou varie au fil du temps32. Les généralités et les gouvernements se chevauchent en formant un ensemble complexe d’enclaves et de territoires entremêlés. A l’époque moderne l’Aunis, le Limousin ou La Rochelle y sont parfois rattachés comme c’est le cas jusqu’en 1694 dans le cadre de la Généralité du Poitou33. De même en 1714, Confolens et Rochechouart, situés dans le Limousin, sont également incorporés au Poitou. Au nord, la généralité de Tours empiète pour sa part sur le territoire poitevin. Loudun et Mirebeau y sont rattachés par l’intermédiaire de la sénéchaussée de l’Anjou34.

Ces fluctuations de frontières importeront peu dans le cadre de l’étude à venir. Celle-ci ne portera que sur les trois départements issus de l’ancienne généralité. En excluant les territoires que le découpage de 1790 n’y inclut pas, telles certaines zones de la Saintonge, les régions de Rochechouart et de Confolens.

Carte 1 : départements composant l’ancienne province du Poitou et ses préfectures et sous-préfectures :

32 CROZET (René), op. cit., p.80 et s.

33 A cette date un bureau de finance est créé à La Rochelle ce qui retire certains territoires de la généralité du

Poitou.

34 A cela s’ajoutent de nombreux petits territoires situés aux abords des marches charentaises, angevines,

bretonnes ou berrichonnes. Aux divisions administratives et politiques se surajoutent les divisions ecclésiastiques : le loudunais étant rattaché au diocèse de Poitiers.

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La pertinence du cadre spatial de l’étude peut être mise en question. En effet la région Poitou-Charentes, entité territoriale administrative créée en 1972 et développée en 1982, peut paraître plus appropriée à la recherche historique, sociale et juridique qui est la nôtre.

Cependant nombre d’éléments plaident en faveur d’une étude portant sur le Poitou historique et les départements qui en sont issus. Leur longue histoire commune constitue un premier argument non négligeable. En outre l’ancienne province se caractérise par une certaine unité géographique et environnementale35, bien qu’elle soit une zone de transition entre quatre grandes régions naturelles. Cette unité est plus frappante que celle qu’elle pourrait entretenir avec les charentes.

Certes le sud fontenois et niortais n’est que le prolongement de la plaine de la Saintonge et le ruffecois déborde légèrement sur les Deux-Sèvres comme sur la Vienne. Néanmoins l’ancien Poitou possède lui aussi ses plaines autour de Niort, de Luçon et de Fontenay-le-Comte, de Thouars et d’Airvault ou celles allant, dans la Vienne, de Loudun à Lezay et de Neuville à Thouars. Elles s’ajoutent aux plaines vallonnées et boisées, rarement artificielles, recouvrant une très grande partie de l’ouest de ce département, du tuffeau et des sols crayeux du nord aux terres rouges du sud. Des terres céréalières parfois fertiles comme dans le loudunais ou le mirebalais.

Le bocage bressuirais, mellois et vendéen n’est que l’extension de la Gâtine poitevine qui s’étend en Vendée comme dans l’ouest de la Vienne, de Lusignan à Couhé jusqu’à Saint-Maixent, un paysage formant ce que l’on peut nommer « le cœur poitevin »36. A ce bocage ajoutons celui situé entre le civraisien et le montmorillonais, au sud-est du département de la Vienne, des terres humides difficiles à travailler.

A cela s’ajoutent des paysages de brandes37 partant des Deux-Sèvres pour couvrir une grande partie de la Vienne jusqu’aux confins orientaux du département, aux marches du Berry, et aux alentours de Châtellerault. « Des plaines immenses » à en croire le juge de paix de Gençay en 1848 où l’humidité et la rareté des voies de communication ne sont pas sans rappeler certains caractères du bocage.

35 Site de l’Observatoire régional de l’environnement Poitou-Charentes [en ligne],

http://www.observatoire-environnement.org/OBSERVATOIRE/ (page consultée le 27 novembre 2007).

36 Le docteur Louis Merle ne distingue pas Gâtine et bocage qui forment, selon lui, un seul et unique ensemble,

cf. MERLE (Louis), op. cit., pp.24-25.

37 Des territoires que l’on a cherché à améliorer, particulièrement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle sous

l’impulsion de grands propriétaires comme le marquis de Pérusse, celui de Vareilles ou d’Argenson. Ceux-ci ont même fait appel à une main-d’œuvre étrangère, venue entre autre de Westphalie, et aux acadiens expulsés du Canada par les anglais (CROZET (René), op. cit., p.87). Une seconde phase de défrichement a lieu à partir de 1830 : la Vienne passe de 82000 hectares de friches en 1832 (dont 37000 dans le montmorillonais, à 59 000 en 1892, cf. TOURAINE (Gaston), Le pays montmorillonais, deux siècles d’histoire d’une société rurale, Poitiers, 1989, p.32.

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En outre l’ancienne province n’échappe pas aux terres marécageuses : celles pauvres du littoral vendéen et celles bien plus riches du marais poitevin ouvertes aux influences sociales et politiques du marais desséché, prolongement de l’Aunis38.

Il existe donc un véritable enchevêtrement de paysages entre la Vienne, Les Deux-Sèvres et la Vendée. Trois départements bien plus « imbriqués » les uns aux autres que ceux de la région Poitou-Charentes, dans son acception moderne.

Cette relative cohérence environnementale s’accompagne de modes de vie similaires influant sur la mentalité des habitants. Le bocager, à l’image de ses champs clos, est bien plus renfermé sur lui-même que l’habitant des plaines. L’organisation vendéenne en bourgs épars en témoigne. De petites communautés que le traumatisme des guerres de Vendée a rendu encore un peu plus farouches et hostiles aux concepts républicains. Une mentalité casanière que l’on retrouve aux alentours de Civray39 et aux fins fonds des zones couvertes de brandes et d’ajoncs.

Au contraire le poitevin des plaines se montre plus enclin à s’imprégner d’idées et d’opinions plus nouvelles comme c’est le cas dans le niortais, le thouarsais et une partie de la Vienne où la République, voire le socialisme, vont acquérir droit de cité.

En dépit de ces analogies de fortes nuances existent entre les populations catholiques et monarchistes d’une grande partie de la Vendée et celles plus à gauche des Deux-Sèvres ou de Châtellerault.

La « petite église » représente une communauté de 20 000 âmes en 1820 implantée profondément dans le Bressuirais40. Ces catholiques dissidents possèdent leurs propres rites basés sur la pratique religieuse prérévolutionnaire. Renfermés sur eux-mêmes ils s’opposent toutefois à leurs voisins vendéens réactionnaires et traditionalistes du bocage en ne rejetant pas l’école publique, qu’ils préfèrent aux institutions religieuses, et en accordant leurs suffrages aux « forces de gauche ».

De même si le catholicisme est bien implanté dans la Vienne comme en témoigne la révérence à l’égard de Mgr Pie, évêque ultramontain de Poitiers41, le département est peu

38 SIEGFRIED (André), Tableau politique de la France de l’Ouest, reprint, Paris, 1995, p.72.

39 MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la Seconde République (Fin 1846-courant 1852).

Le rôle des forces économiques et sociales et des mentalités collectives, thèse histoire, Poitiers, 1968, p.6.

40 Les membres de la petite église ont refusé le concordat entre Pie VII et le premier consul Bonaparte modifiant

profondément le diocèse de La Rochelle et provoquant l’exil en Espagne de son évêque, voir BILLAUD (Auguste), La petite église dans la Vendée et les Deux-Sèvres (1800-1830), Paris, 1961, 654 p.

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sensible aux sirènes monarchiques contrairement aux départements situés plus à l’ouest42. Généralement conservateur mais peu réactionnaire, l’habitant de la Vienne est plus tenté par le bonapartisme ou un républicanisme modéré.

En outre la présence protestante significative dans le sud du département des Deux-Sèvres – arrondissements de Niort et de Melle – explique en partie le penchant de ses habitants pour les thèses républicaines.

Autant de positions idéologiques où la question ouvrière ne peut être qu’accueillie différemment. Le Poitou peut être considéré, mutatis mutandis, comme une « France en miniature ». Une région banale ou moyenne, archétype d’un pays profond, où les populations ouvrières sont nécessairement originales et marginales eu égard au poids considérable de la ruralité en ces contrées.

En effet, nonobstant les particularismes locaux, les départements poitevins ont tous en commun leur ruralité. Caractéristique à laquelle il convient d’ajouter, selon les auteurs anciens, une certaine apathie de leurs habitants peu enclins à dynamiser les différents aspects de la vie locale.

Arthur Young brosse un tableau bien peu élogieux du Poitou. La province serait, à en croire l’agronome anglais, « un pays arriéré, pauvre et laid [manquant] de communications,

de débouchés et de toutes sortes d’activités », ainsi qu’une région bien peu productive en comparaison de son potentiel43. Si la description de l’illustre voyageur est certainement exagérée44, elle a le mérite d’insister lourdement sur la langueur économique poitevine et son caractère rural et enclavé45.

Le département de la Vienne apparaît moins bien pourvu dans son ensemble que certaines zones des Deux-Sèvres ou de la Vendée avec leurs plaines et leurs marais fertiles. Les statistiques des préfets l’attestent. En l’an X Cochon de Lapparent écrit, dans sa

Description générale du département de la Vienne, que « le département de la Vienne est,

sans contredit, le plus pauvre et le moins fertile de ceux qui composaient la généralité de

42 SIEGFRIED (André), op. cit., 636 p.

43 YOUNG (Arthur), Voyages en France en 1787, 1788 et 1789, Paris, 1931, t 1, reprint, p.161. Il remarque tout

de même que le Bas Poitou « est beaucoup plus riche et meilleur ».

44 Ibid., note 1. Notons tout de même que le préfet d’Empire Cochon de Lapparent qualifie « d’inerte » la

population du département de la Vienne, AUGUSTIN (Jean-Marie), Description générale du département de la

Vienne par Charles Cochon de Lapparent, préfet, La Crèche, 2000, p.73.

45 Tout comme est également manifestement exagéré le mémoire présenté au roi Charles VII afin de provoquer

sa clémence. Il y est dit que « le païs est stéril et infertil de toutes provisions et marchandises, fors seulement de

blez et de vins et du dit sel », Mémoire présenté au roi Charles VII par les délégués de la ville de Poitiers pour le détourner d’établir la gabelle en Poitou et en Saintonge, Archives historiques du Poitou, tome 2, Poitiers, 1873, pp.228-284.

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Poitiers46». Quelques années plus tard, un de ses successeurs est encore plus radical quand il affirme qu’il est « peut être le plus pauvre de tout l’Empire47». Sous le second Empire, le préfet de la Vienne Louis Jeanin décrit lui aussi des populations qui « vivent au jour le jour et

s’opposent à tout progrès qui pourrait les faire sortir de leur isolement48». Les terres en friches sont nombreuses dans une grande partie sud du département. La pratique ancestrale de l’assolement biennal ou triennal est encore fortement développée. Les autorités le déplorent encore en 188949. On indique aussi que les arrondissements de Poitiers et de Châtellerault comptent de nombreux sols stériles50. Les protestations des grands propriétaires, des autorités et les nombreuses pétitions ne parviennent pas à faire cesser la vaine pâture. Enfin, l’outillage agricole demeure longtemps rudimentaire. De telles observations valent également pour une grande partie des territoires de bocage vendéen et deux-sévrien.

L’absence de voies de communication demeure longtemps un handicap pour la région51. Nombre de rivières ne sont guères navigables à l’image de la Charente et du Clain. Le transport de marchandises n’est possible que sur la Vienne et la sèvre niortaise52.

L’axe nord-sud traversant la Vienne, reliant Paris à Bordeaux par la route puis plus tard dans le siècle par le train, fait figure d’exception. Ailleurs les populations sont « éloignées les unes des autres, vivant dans des villages saupoudrés ça et là [...] où les voies

de communication sont trop peu développées pour changer cela53». Cette description du montmorillonais54 s’étend à de nombreux autres territoires du Poitou. Ainsi, la Vendée est souvent représentée comme une sorte de forteresse végétale que l’on contourne sans jamais pouvoir y pénétrer ; c’est comme pour les Deux-Sèvres, un département où le chemin de fer

46 AUGUSTIN (Jean-Marie), Description générale du département de la Vienne …, op. cit., p.42

47 Lettre du préfet Chéron du 9 brumaire an XIV. Louis Claude Chéron de La Bruyère est préfet de la Vienne du

13 thermidor an XIII à sa mort le 13 octobre 1807. Son fils fut sous-préfet de Civray, cf. PELCRAN (Anne), Les

préfets et l’administration départementale dans les Deux-sèvres et la Vienne au XIXe siècle (1800-1914), thèse

droit, Poitiers, 2003, t.3, p.734.

48 ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851). 49 TARRADE (Jean) (dir.), op. cit., pp.275-284.

50 HUGO (Abel), JOANNE (Adolphe), VERNE (Jules), La Vienne, [S.L], 1991(reprint).

51 Notons que pour certaines activités répondant aux besoins locaux, l’enclavement n’est pas forcément un

handicap. En effet le développement des moyens de transport, particulièrement le chemin de fer, oblige à une spécialisation régionale des productions tout en provoquant la disparition des établissements les plus faibles qui ne répondent qu’à une demande circonscrite aux zones alentours.

52 Les deux rivières sont à l’origine du développement de Châtellerault et de Niort.

53 ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851). Le nombre d’habitants au kilomètre est de

20 dans l’arrondissement de Montmorillon, 33 dans celui de Châtellerault et 45 à Poitiers, JEAN (Yves), TOURAINE (Gaston), op. cit., p.28.

54 Le train arrive à Montmorillon en 1867. En revanche les autres villes de l’arrondissement ne sont reliées au

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tarde à s’implanter55. Il en résulte un isolement qui peut paraître paradoxal pour une région qui est un « gué de transition56» entre le nord et le sud du pays.

Quant au caractère rural, il ne s’atténue guère avec le temps. L’enquête économique et sociale sur le travail agricole et industriel de 1848 le constate dans la quasi-totalité des cantons des trois départements poitevins et les rapports préfectoraux font de même régulièrement jusqu’à la Grande Guerre.

En outre l’exode rural, débutant à partir des années 188057, est rarement compensé par une plus grande urbanisation hormis, peut-être et par intermittence, pour la ville de Châtellerault.

Toutefois, au XIXe siècle, ruralité et industrie ne sont plus toujours antinomiques. En 1861 le conseil général de la Vienne bat en brèche l’idée que le département ne serait pas du tout industriel. L’institution départementale qualifie cette opinion « d’erreur », même si les rapporteurs reconnaissent l’absence d’habitude industrielle de sa population58. Surtout, la proto-industrie est loin de disparaître avec l’ère industrielle. Bien au contraire elle y perdure longtemps, connaissant même un second souffle dans les dernières décennies précédant 1900. S’y ajoutent nombre d’ateliers installés loin des villes afin de profiter d’une main-d’œuvre supposée docile et surtout moins onéreuse. On a affaire à une sorte de délocalisation avant l’heure. Dans le Poitou, comme dans tout l’Ouest, l’industrie est « à

l’état gazeux » d’après l’expression de Bertier de Sauvigny59.

En effet si l’ouvrier industriel ou artisanal existe, il est nécessairement marginal en comparaison de la masse paysanne.

Selon le recensement national de 186660 la Vendée est le plus peuplé des trois départements poitevins. Elle compte 403 440 habitants répartis dans 298 communes, dont sept d’entre elles ont plus de 2 000 âmes.

55 Si Niort est reliée à Poitiers et à La Rochelle dès les années 1850, le reste du département demeure longtemps

oublié par le chemin de fer. Quant à la Vendée elle figure jusqu’en 1866 parmi les huit départements français qui en sont dépourvus.

56 AUGUSTIN (Jean-Marie), La Révolution française en Haut Poitou et Pays charentais…, op. cit., p.6.

57 Notons que la département de la Vendée sera touché bien plus tard par cet exode. La grande fécondité

vendéenne profite quelque temps à l’industrie locale, particulièrement dans le Bocage et autour de choletais.

58 AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].

59 Expression citée par WILLARD (Claude) (dir.), La France ouvrière, des origines à 1920, Paris, 1993, t.1,

p.52. Cf. BERTIER de SAUVIGNY (Guillaume de), La Restauration, Paris, 1999, 514 p.

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Si on s’en tient aux conclusions de l’enquête61, l’industrie y compte 95 541 personnes soit plus de 23,5% de la population totale. Un pourcentage de très loin inférieur à celui de l’agriculture (64,25%) mais bien supérieur à celui du commerce (3%). La même situation se rencontre dans les départements des Deux-Sèvres et de la Vienne. Le premier compte 333 500 habitants62 dont 71 137 appartiennent au secteur industriel soit environ 21% d’entre eux63.

En 1866 le recensement évalue à 325 733 habitants la population globale de la région dont 23% appartiennent au secteur industriel64. Ces chiffres doivent être comparés à la moyenne nationale établie à l’aide des mêmes sources. A cette date la population industrielle française est évaluée à près de 9,5 millions de personnes sur une population totale de 38 millions, soit environ 25%65. L’industrie régionale s’inscrit donc légèrement en deçà de la moyenne nationale66 d’un pays essentiellement rural67.

Toutefois ces données apparaissent bien peu fiables si on se livre à un examen approfondi des données brutes des recensements poitevins68. C’est pourquoi ces données issues directement des tableaux de recensement auront notre préférence en 1866 comme en 1891.

Si on calcule la place de l’industrie dans la population locale en utilisant ces chiffres la proportion du secteur industriel dans la population globale est beaucoup moins importante69. Elle oscille autour de 11%70.

61 ADVd 6M1100. Etats statistiques quinquennaux du département [1866 ; 1926]. 62 ADDS 7M4-2. Dénombrement de la population [1831-1866].

63 L’agriculture représente 60% de la population et le commerce 2,6%.

64 Soit un effectif de 75 428 travailleurs et affiliés. Le secteur agricole occupe 61% de la population et le

commerce 3,3%. ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].

65 DUVEAU (Georges), op. cit., p.196. L’auteur compte 11 millions de personnes vivant de l’industrie.

Toutefois le calcul des chiffres qu’il fournit donne un résultat plutôt proche des 9 millions.

66 Nous sommes très loin des chiffres du département du Nord, où plus de la moitié des 1450000 habitants vivent

de l’industrie, ou bien encore de ceux du Rhône où 47% de la population appartient au monde industriel, cf. DUVEAU (Georges), La vie ouvrière en France sous le second Empire, Paris, 1946, p.198 et 201. En 1865, un tiers des ouvriers français sont localisés dans cinq départements : le Nord, le Rhône, la Seine-Maritime, la Loire et le Haut-Rhin. Cf. MARCHAND (Olivier), THELOT (Claude), Deux siècles de travail en France, Paris, 1991, p.38.

67 Dans les premières années du XIXe siècle 73 départements ont ensemble moins d’ouvriers et d’ouvrières que

les 14 autres, DUPAQUIER (Jacques), DUPAQUIER (Michel), Histoire de la démographie, la statistique de la

population des origines à 1914, Paris, 1985, p.261.

68 Outre l’absence de définition précise des secteurs d’activités on constate surtout que la somme des travailleurs

de chaque secteur d’activité ne correspond pas au chiffre de la population totale.

69 Voir annexes 2, 3 et 4.

70 L’explication de cette différence se trouve peut être par l’absence de prise en compte de l’entourage du

patronat et des maîtres ne figurant pas dans les données brutes telles qu’elles sont répertoriées dans les grands tableaux de recensement présents au sein des archives départementales. Il est nécessaire de signaler la place non négligeable tenue par les activités propres à l’alimentation et le transport, deux domaines figurant dans la partie des recensements consacrée à la petite industrie. On peut se demander légitimement ce que font les cafetiers, restaurateurs, bouchers, haleurs, administrateurs de chemins de fer ou mariniers dans une classification consacrée aux industries ? Autant de professions qui gonflent artificiellement les statistiques en augmentant le

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A l’intérieur du secteur industriel tel qu’il est défini à l’époque, la petite industrie est très largement majoritaire dans le Poitou. Ce domaine comporte le bâtiment, l’éclairage, l’ameublement, l’habillement, l’alimentation, les transports, les secteurs dits « des sciences » et « du luxe », c'est-à-dire globalement la sphère artisanale. Celle-ci représente ici près de 77% des personnes vivant directement ou indirectement d’une telle activité71. Un poids bien lourd face à l’industrie proprement dite qui regroupe les secteurs du textile, de l’extraction, de la fabrication de métaux ou d’objets en métal, et les activités propres au bois, à la céramique et à la chimie.

Les recensements de 1891 gagnent en précision. Les catégories professionnelles sont mieux définies72. La part du monde industriel et artisanal augmente dans les trois départements concernés73.

La Vendée, qui reste largement le département le plus peuplé74, voit plus de 16% de sa population globale vive de l’industrie75, soit une augmentation de cinq points par rapport aux données brutes de 186676. Un taux d’augmentation identique à celui constaté pendant la même période dans les Deux-Sèvres77.

C’est dans la Vienne que l’augmentation est la plus importante. L’industrie y gagne plus de six points entre 1866 et 1891 passant de 11% à plus de 18% d’une population globale de 344 155 âmes78. Un « essor » qui s’explique grandement par le développement de la Manufacture nationale d’armes de Châtellerault, alors en plein apogée. Des milliers d’ouvriers y travaillent drainant avec eux femmes et enfants dépendants de l’activité du père de famille.

Au total le monde industriel au sens large regroupe environ 16% de la population des départements poitevins. Un groupe social que les autorités ne peuvent pas ignorer, d’autant plus qu’il se concentre généralement dans des zones géographiques précises.

pourcentage total de un à deux points dans chaque département. C’est pourquoi il faut estimer que l’industrie occupe ou fait vivre peu ou prou 9 à 10% de la population de chaque département.

71 Soit 74,28% en Vendée, 77,24% dans les Deux-Sèvres et 79,19% dans la Vienne.

72 Désormais le secteur du transport n’appartient plus au monde l’industrie et une nouvelle catégorie de

travailleurs apparaît : celle des employés.

73 En 1891 les conclusions des recensements sont très lacunaires, voire inexistantes. C’est pourquoi l’étude se

fonde sur les chiffres bruts calculés à partir des grands tableaux récapitulatifs consultés aux archives départementales.

74 On y dénombre 442 355 habitants, soit une augmentation de près de 40 000 personnes depuis 1866 75 Soit 71 859 personnes : patrons, ouvriers et leurs familles, voir annexe 5.

76 ADVd 6M1100. Etats statistiques quinquennaux du département [1866 ; 1926]

77 Soit une augmentation de près de 20 000 personnes depuis 1866 dan un département qui compte 352 790

habitants. L’industrie y fait vivre 56 300 personnes.

78 Soit une différence de près de 20 000 personnes par rapport à 1866. Voir annexe 7. ADV 8M2.2 à 8M2.21.

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Toutefois l’industrie reste nettement en marge de l’agriculture qui occupe près des deux tiers de la population des Deux-Sèvres et 60% de celle de Vendée79.

En 1891, la petite industrie demeure majoritaire bien que son hégémonie s’achève80. En 1866, le secteur « des arts et métiers » occupait environ les trois-quarts de la population industrielle de la région. Vingt-cinq ans plus tard la réalité n’est plus la même. Le secteur perd 16 points en Vendée (57,8%), 26,5 points dans les Deux-Sèvres (50,7%) et 32,4 dans la Vienne (46,8%), département où il ne domine plus.

Afin de tenter de cerner la place qu’occupe le monde artisanal et industriel dans cette région il est nécessaire de s’intéresser à la population réellement active81.

En 1866 la population active industrielle, au sens large, des trois départements poitevins représente environ 8% de la population totale82, soit une proportion moindre que celle constatée alors à l’échelle nationale83. Les données confirment la prédominance du monde « des arts et métiers ». En effet 79% des actifs sont occupés à des activités liées aux secteurs de la petite industrie84.

Le recensement de 1891 fait apparaître une baisse de la population active industrielle et artisanale dans les trois départements. En effet elle n’y représenterait plus en moyenne que 6,5% de la population totale85, soit un point et demi de moins par rapport à l’année 1866. Cependant les modifications apportées aux recensements entre 1866 et 1891, que ce soit la mise à l’écart de nombres d’épouses ou la classification autonome du secteur du transport,

79 Selon les statistiques fournies par le recensement de 1886, celui de 1891 étant lacunaire en la matière. Une

domination qui perdure malgré les crises comme celle du phylloxera.

80 Cependant l’énorme accroissement des chiffres propres aux familles des acteurs industriels et artisanaux,

relevé dans le recensement de 1896, relativise ces constatations. On peut difficilement croire qu’en 25 ans cette catégorie ait été multipliée par 4,6 en Vendée, 3,6 dans la Vienne et 2,8 dans les Deux-Sèvres. La relative unité de cette augmentation dans les trois départements laisse à penser que les recensements ont gagné en précision par l’adoption de critères mieux définis et mieux suivis. Désormais la femme exerçant la profession de son mari se retrouve classée dans la catégorie « famille ». On considère qu’elle n’exerce plus une profession à part entière. Cette nouvelle façon de faire explique en partie cette croissance tout comme la meilleure appréhension de la réalité ouvrière et artisanale par les personnes chargées de mener ces enquêtes statistiques, que ce soit aux échelons communaux ou aux niveaux des arrondissements ou des départements. On ne constate plus les lacunes dont pouvaient souffrir quelques-uns des recensements précédents. Ces derniers souffraient d’omissions et d’erreurs, parfois flagrantes, qui ne semblaient pas choquer outre mesure les fonctionnaires chargés du travail récapitulatif.

81 La population active ne comprend pas tous les individus profitant directement ou indirectement des fruits du

travail d’un seul comme la famille proche ou bien encore les employés et les domestiques.

82 85 591 personnes sur une population globale de 1 062 513.

83 DUVEAU (Georges), op. cit., p.196. L’auteur compte 4 700 000 travailleurs pour une population totale de 38

millions de personnes, soit environ 12% de la population française de l’époque.

84 Cf. annexe 8.

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sans parler d’une meilleure exécution des enquêtes elles-mêmes, incitent plutôt à croire à une baisse plus légère voire à une stagnation numérique de la population industrielle et artisanale en Poitou entre 1866 et 189186. La dépression qui sévit pendant les vingt dernières années du XIXe l’explique en grande partie. Certains secteurs d’activités industrielles se heurtent à des difficultés économiques conjoncturelles. D’autres déclinent structurellement dans la dernière décennie du XIXe siècle. C’est le cas par exemple du textile choletais qui se reconvertit en partie dans la chaussure bon marché, ou bien de la chamoiserie niortaise pour qui l’avenir paraît bien sombre en cette fin de siècle.

La petite industrie, celle des arts et des métiers, demeure majoritaire dans la population active industrielle. Néanmoins son importance est en très net recul puisque l’artisanat occupe selon les départements entre 50 et 60% des actifs du secteur87, soit beaucoup moins qu’en 1866 où ce type d’activité en employait plus des trois-quarts.

En 1866 le patronat des départements des Deux-sèvres et de la Vienne est numériquement proche du monde ouvrier. La concentration ouvrière y est faible. Les petites structures artisanales y prédominent. Il est fréquent qu’un patron exerce son activité seul ou bien aidé d’un voire deux employés88. Les enquêtes des années 1840 et 1860 le confirment à l’échelon national. Elles montrent « qu’une grande partie du tissu industriel français est

composé de micro entreprises, d’établissements proches de l’artisanat ou de l’atelier89 » employant moins de dix personnes.

La Vendée est l’exception à cause du déséquilibre patent qui existe entre le patronat et le monde ouvrier, tel qu’on le définit aujourd’hui. En effet, l’effectif patronal y représente plus du double de l’effectif ouvrier. Cette différence est due à l’existence d’activités rurales s’exerçant à domicile dans les secteurs du textile et de l’habillement dans la partie vendéenne du rayon choletais. Néanmoins on peut considérer qu’une majorité de ces personnes ne travaille pas réellement à son compte puisqu’elle est intégrée dans une chaîne proto-industrielle de production où la frontière est floue entre l’entrepreneur indépendant et l’ouvrier soumis aux exigences des fabricants et des négociants. Une enquête plus approfondie des différents secteurs d’activités le montrera90.

86 Une stagnation que l’on retrouve au niveau national, cf. NOIRIEL (Gérard), Les ouvriers dans la société

française (XIXe –XXe siècles), Paris, 1986, pp.12.

87 59% en Vendée, 56% dans la Vienne et 52% dans les Deux-Sèvres, voir annexe 11. 88 Cf. annexes 9 et 10.

89 VERLEY (Patrick), Entreprises et entrepreneurs du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, op. cit., p.61

90 Voir infra p.108 et s. pour l’étude consacrée aux activités textiles de la Sèvre nantaise et du modèle

Figure

Illustration 1 : la manufacture à ses débuts  :
Illustration 2 : Vue d’ensemble de la manufacture en 1840  :
Illustration 3 : machine à fabriquer des bois de fusil  :
Illustration 4 : Puits Saint-Laurent à Saint-Laurs  :
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