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Première partie : L’avènement d’une réalité ouvrière [1800-1914]

Section 2 : Des professions émergeant d’un océan de ruralité

I- Du savoir-faire artisanal à la production industrielle

2. Tanneurs, corroyeurs et cordonniers

Au Moyen Age comme sous l’Ancien Régime, les tanneurs se répartissent un peu partout dans la province du Poitou. Néanmoins, dès les XIe et XIIe siècles, de nombreux tanneurs peuplent la ville de Saint-Maixent575. Au XVIe siècle, à Poitiers et à Niort ils partagent leurs quartiers avec les bouchers. D’autres s’installent à Châtellerault, à Montmorillon, dans le pays Mellois, et de petites bourgades comme Lavausseau ou Saint- Loup576.

Le travail du cuir est une des principales industries de la province où elle fait vivre non seulement les tanneurs, mais aussi bon nombre de bouchers, auxquels s’ajoutent les marchands de tan577 et les nombreux moulins nécessaires à son broyage578. Au XVIIIe siècle, les plus grandes tanneries se situent à Benassay579 et à Poitiers, où quatre foires annuelles sont consacrées au commerce du cuir580.

Une fois la parenthèse révolutionnaire refermée, la tannerie perdure de façon artisanale sans jamais atteindre des volumes de production importants. Les enquêtes statistiques des préfets de Napoléon vont dans ce sens. Cochon de Lapparent581 cite quelques tanneries situées dans les cantons de Sanxay, Lusignan, Châtellerault et Chauvigny dont les cuirs sont de bonne qualité582. Dupin énumère les tanneries et mégisseries du département des Deux-Sèvres. Saint-Maixent compte 10 tanneries occupant 30 à 35 ouvriers. Mais leur prospérité appartient au passé. Le sous-préfet de Melle recense 16 tanneries tout en rappelant que leur nombre a diminué des trois-quarts depuis 1759, date de l’édit imposant un droit de marque sur les cuirs583.

575 TINTHOIN (Robert), L’économie des Deux-Sèvres, BSHSDS, Niort, 4e trim.1960, t.XI, p.333.

576 Lavausseau est une commune située dans l’actuel département de la Vienne à l’Ouest de Poitiers. Saint-Loup

est un village voisin d’Airvault dans l’actuel département des Deux-Sèvres. De petites localités où des fortunes importantes se seraient amassées comme nulle part ailleurs dans le Poitou, à en croire certains auteurs, cf. RAVEAU (Paul), op. cit., p.43.

577 Le tan est une écorce de chêne séchée et pulvérisée, employée pour le tannage des cuirs.

578 L’écorce de chêne provient de Touraine, du département actuel des Deux-Sèvres et de la forêt de Mareuil non

loin de Chauvigny.

579 A l’ouest de Poitiers, à la limite de la Gâtine et de l’actuel département des Deux-Sèvres. 580 PINARD (Jacques), op. cit., p.78.

581 Charles Cochon de Lapparent (1750-1825) est natif de Champdeniers dans les Deux-Sèvres. Il siège à la

Convention pendant la Révolution, où il vote la mort de Louis XVI, puis au Conseil des Anciens. Ministre de la police générale du 14 germinal an IV au 28 messidor an V, il tombe en disgrâce par la suite. Interné sur l’île d’Oléron, il doit attendre le 18 brumaire pour retrouver sa liberté et poursuivre sa carrière. Il est nommé préfet de la Vienne le 11 ventôse an VIII, cf. PELCRAN (Anne), op. cit., p.293.

582 AUGUSTIN (Jean-Marie), Description générale du département de la Vienne..., op. cit., p.98.

583 Docteur PROUHET, Notes sur l’agriculture, le commerce et l’industrie à la Mothe-Saint-Héray à la fin de

En fait seule la ville de Niort est réputée pour son industrie du cuir conséquente584. Dupin estime que 400 ouvriers sont employés dans les cordonneries de la ville585. La tannerie ordinaire souffre de l’essor de la chamoiserie qui permet « avec moins de fonds d’obtenir

rapidement des bénéfices plus élevés586». Néanmoins, dans les années 1840, la mégisserie niortaise soutient la concurrence des villes de Millau et d’Annonay, dans l’Ardèche587.

Il existe de rares tanneries en Vendée. Sous le règne de Charles X, l’arrondissement de Fontenay-le-Comte588, particulièrement le bourg de Chantonnay, comptent une trentaine d’ouvriers tanneurs regroupés en petits ateliers de trois à quatre personnes589. A La Roche- sur-Yon il y a aussi une quarantaine de tanneurs organisés de façon identique590.

L’industrie du cuir perd nombre d’ateliers au fil des années qui clôturent l’ère des monarchies censitaires. Dans le département des Deux-Sèvres les « tanneries qui

fonctionnaient encore en 1831 à Thouars, Parthenay, Saint-Maixent ferment progressivement leurs portes591». Ce qui n’empêche pas la ville de Parthenay de compter encore 72 cordonniers en 1848 qui tirent leurs cuirs des villes de Niort et surtout de Poitiers592. Quelques tanneries sont encore recensées en 1848 à la Mothe-Saint-Héray593. La même année, le bourg de Mauzé, localisé dans l’arrondissement de Niort, compte une quarantaine de petits ateliers travaillant le cuir594.

Seuls les mégissiers niortais traversent, tant bien que mal, les difficultés qui se dressent devant eux. Une cinquantaine de tanneurs et de corroyeurs, ainsi qu’environ 600 cordonniers des deux sexes exercent leurs métiers dans la capitale des Deux-Sèvres quand survient la révolution de 1848595. La cordonnerie et l’industrie de la chaussure s’y

584 Il ne faut pas oublier d’y ajouter les villes de Champdeniers et de Frontenay. Quant à Poitiers on y dénombre

une dizaine d’ateliers occupant entre deux et quatre ouvriers, Lettre du maire de Poitiers au préfet de la Vienne

du 24 septembre 1832, ADV M12.22. Situation industrielle du département.

585 DUPIN (Claude), Mémoire sur la statistique du département des Deux-Sèvres, op. cit., p.39.

586 ARCHES (Pierre), Mémoire sur la statistique du département des Deux-sèvres par le préfet C. Dupin, La

Crèche, [S.D], p.39 note 162.

587 TINTHOIN (Robert), L’économie des Deux-Sèvres, op. cit., p.341.

588 Cet arrondissement comptera toujours quelques dizaines de tanneurs et de corroyeurs tout au long du XIXe

siècle cf. ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887] & ADVd 6M1243. Statistiques des

industries principales [1882 ; 1889].

589 ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales [1806 ; 1850]. 590 Ibid.

591 MARTIN (Jean Clément), Aspects de l’industrialisation à Niort au milieu du XIXe siècle, op. cit., p.383. 592 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p. 412 & 425.

593 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 1) : réponses de l’arrondissement de

Melle, BSHSDS, 3e série, Niort, tome 1, 1993, p.505. 594 ARCHES (Pierre), (partie 3), op. cit., p.400.

595 Ibid., p.397. La ville de Niort compte 200 fabricants cordonniers patentés en 1836, cf. ADDS 4M6.12. Chouannerie ; rapports divers [1836 ; 1837].

développent. Mais le secteur d’activité est divisé. D’un côté, une quinzaine de cordonniers bottiers qui œuvrent sur mesure. De l’autre, le même nombre de cordonniers travaillant en plus grande série pour une clientèle populaire ou étrangère596. Entre les deux, une cinquantaine de cordonniers indépendants597. Des fabriques de chaussures sont créées. La plus connue et la plus importante est l’établissement Macard fondé au milieu du XIXe siècle. Cette entreprise est considérée comme prospère en 1867 alors qu’elle occupe 45 ouvriers598. Trente ans plus tard, cette réussite s’est accentuée puisque les ateliers du chausseur comptent 200 employés599.

Le chef-lieu des Deux-Sèvres n’a pas le monopole de cette nouvelle forme de production même si la ville dispose des plus gros effectifs. En 1908 il y a à Chauvigny des cordonniers organisés dans trois établissements600, une activité déjà jugée prospère en 1866601. Quant à Poitiers elle compte une soixantaine d’ouvriers cordonniers dans la manufacture Raynaud et Biard602. Enfin, l’industrie de la chaussure bon marché, bien plus récente, se développe considérablement dans le « rayon choletais » où cette production supplante à la fin du XIXe siècle l’activité textile traditionnelle déclinante603.

Si la chamoiserie et le Poitou ont longtemps cheminé de concert, une seconde activité artisanale d’envergure existe dans la province, la coutellerie. Celle-ci perdure jusqu’à l’époque contemporaine et se localise précisément à Châtellerault.

b) Les travailleurs du métal

On travaille le métal de longue date dans le Poitou. Des forges anciennes, mais déclinantes au XIXe siècle, coexistent aux côtés du fleuron métallurgique poitevin : la coutellerie châtelleraudaise.

596 Ils fabriquent des chaussures dites « de pacotille » qu’ils exportent par l’intermédiaire des ports de La

Rochelle et de Rochefort.

597 BODIN (E.), op. cit., p.123.

598 MARTIN (Jean Clément), Aspects de l’industrialisation à Niort au milieu du XIXe siècle, op. cit., p.383. 599 TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit., p.215.

600 ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911].

601 ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-1870). Rapport mensuel du préfet de septembre 1866. 602 ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911].