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La Gâtine poitevine, un vieux cœur textile fatigué

Première partie : L’avènement d’une réalité ouvrière [1800-1914]

Carte 4 : exemples de localités du rayon choletais accueillant des usines de chaussure au début du XX e siècle :

A- La suprématie contestée du secteur textile

1. Les ateliers et fabriques clairsemés

1.2. La Gâtine poitevine, un vieux cœur textile fatigué

La Gâtine, et sa capitale Parthenay, sont bien loin de leur faste des siècles passés. Le préfet d’Empire Dupin évalue la main d’œuvre textile de la ville de Parthenay à environ 2000 bras, soit trois ou quatre fois moins que sous l’Ancien Régime. Il y a une fabrique de draps, droguets et serges, qui « mérite des améliorations » et qui aurait fourni une partie des ouvriers de la manufacture de Sedan. Outre la guerre civile et ses plaies non ou mal refermées, le préfet met en cause les entrepreneurs locaux dont il critique sévèrement l’état d’esprit vaniteux et le manque d’initiative. Un manque d’esprit d’entreprise des agents économiques locaux qui est stigmatisé par les autorités poitevines tout au long du XIXe siècle. Les notables préfèrent diriger leurs enfants vers des carrières « de moines ou de mauvais avocats » plutôt que d’en faire des manufacturiers413. Des facteurs qui expliquent selon lui la stagnation du secteur tout au long de l’Empire, le textile local ne parvenant pas à trouver un second souffle après le marasme Révolutionnaire.

La ville de Parthenay fait exception et retrouve un peu de son dynamisme textile au fil du XIXe siècle414. En 1843, on compte en ville 18 fabricants et 36 tisserands. Une fabrique de gilets de laine est créée sous le second Empire et emploie une petite cinquantaine de personnes415, produisant annuellement 25 000 pièces. Un de ses fondateurs n’est autre que le sieur Caballe dont le frère est lui même l’instigateur d’une des fabriques de bonneterie de Saint-Maixent. A cette même époque, plusieurs tisserands sont occupés à la fabrication d’étoffes de laines et de droguets. La palette textile de la ville comprend aussi une fabrique de toiles de lin et de chanvre, ainsi qu’une manufacture de flanelle, dont les travaux sont récompensés à l’Exposition universelle parisienne de 1855.

Dans les trois dernières décennies du XIXe siècle, Parthenay tente de résister à la concurrence des grands centres du Nord et de l’Est de la France. On dénombre en 1872, « 37

tisserands, quatre fabricants, un cardeurs, cinq fileurs, un teinturier, deux fabricants de gilets, un fabricant de tricot, 39 ouvriers giletiers, sept patrons et un ouvriers teinturier, 76 ouvrières giletières, une tisserande en laine, trois fileuses, une fabricante de gilets, deux tailleuses et deux teinturiers416». Mais la lutte est vaine. A l’aube du XXe siècle, les

413 POIGNAT (Maurice), Huit siècles d’artisanat et d’industrie textiles en Gâtine, BSHAAAP, n°28, 1980, p.9. 414 Pour un panorama assez complet de l’univers du textile à Parthenay voir POIGNAT (Maurice), L’industrie

textile à Parthenay et en Gâtine du XVe au XXe siècle, op. cit., pp 429 à 442. 415 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889.]

entrepreneurs locaux, dénués d’ambition et empêtrés dans leurs modes de gestion archaïques, doivent s’incliner devant les produits issus des ateliers modernes des régions hautement industrialisées françaises. Les temps ne sont plus au travail à domicile et à l’artisanat mais à l’organisation méthodique et scientifique du travail en atelier.

Tableau 2 : l’industrie textile dans la statistique industrielle de l’arrondissement de Parthenay au premier janvier 1827 :

Lieux Type d’établissement Nombre d’ateliers Nombre d’ouvriers

Fabrique d’étoffes en serge 20 ateliers 20 cardeuses 120 fileuses 30 tisserands

Fabrique de toiles 40 ateliers 60 tisserands

Airvault

Fabriques d’étoffes, draps

communs etc. 18 ateliers

34 tisserands 44 fileuses 6 cardeuses Azay-sur-

Thouet Fabrique d’étoffes

40 ateliers dont 6 ouvrières seulement travaillent à leur compte

40 tisserands 80 fileuses 10 cardeuses Fabrique d’étoffes, fils de

laine dite barrée 3 ateliers. Seulement une partie de l’hiver et au printemps

3 tisserands 12 fileuses 2 cardeuses Largeasse Fabrique de toile 4 ateliers ouverts pendant 4 mois de

l’année

4 tisserands

Le nombre de fileuses n’est pas connu

Fabrique de molleton en

serge 10 ateliers

10 tisserands 12 fileuses 2 cardeuses Chapelle Seguin Fabrique de toile 6 ateliers Le nombre de fileuses 6 tisserands

n’est pas connu

Moncoutant Etoffe de fil de laine 1 atelier

5 tisserands 4 fileuses 1 cardeuse Saint Paul en gâtine Fabrique de molleton en serge 5 ateliers 12 tisserands 16 fileuses 2 cardeuses Châtillon-sur-

Thouet Fabrique mécanique à filer la laine 2 ateliers 80 personnes

Source : ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].

Les environs du chef-lieu d’arrondissement sont, eux aussi, profondément marqués par l’industrie du fil, de l’étoffe et de l’habillement. Sur les rives du Thouet fleurissent de petites fabriques disséminées dans les communes de Saint-Loup, de Secondigny, du Tallud ou d’Airvault. Des petits ateliers qui souffrent eux aussi de la concurrence des métiers mécaniques comme s’en plaint le maire d’Airvault en réponse au questionnaire de l’enquête économique et sociale de 1848.

La filature de Pompairain, localisée dans la commune de Châtillon-sur-Thouet, à quelques kilomètres au nord de Parthenay est la plus remarquable. Cet établissement est l’œuvre de Louis-Joseph et François-Joseph Blot, les frères de Célestin Blot, le fondateur de la filature de Saint-Maixent417. Une famille qui, comme quelques rares autres, joue un rôle capital dans l’économie locale. Leurs actions et leurs investissements favorisent l’éclosion de quelques établissements industriels dynamiques et relativement modernes. C’est aussi le cas des frères Caballe, qui ont vitalisé l’industrie textile à Saint-Maixent comme à Parthenay.

Ces dynasties d’entrepreneurs sont rarement originaires du Poitou. Les frères Blot, par exemple viennent d’Etreux dans l’Aisne. Une bonne illustration du manque d’esprit d’entreprise des capitalistes poitevins laissant, le plus souvent, la prise de risque économique à des personnes étrangères à la région. Le rapport des autorités municipales de Parthenay destiné à l’Enquête économique et xociale de 1848 le dit clairement : « les indigènes ne feront

jamais les frais de premiers établissements et il faudra que ce soient des étrangers qui le fassent418».

Les Blot osent créer des ateliers modernes dans un pays attaché à ses traditions anciennes et cela dès 1821. Ici point de filage au rouet mais des ateliers mécaniques, mués à la fois par des forces hydrauliques l’hiver et par la puissance d’une machine à vapeur l’été. Autant d’atouts qui font de l’établissement de Pompairain le plus moderne du département des Deux-Sèvres mais aussi le premier du département dans sa spécialité. On y traite dans les meilleures années près de 250000 kilos de laine.

Illustration 10 : filature Blot à Pompairain :

Source : Service régional de l'inventaire de Poitou-Charentes / Beauvarlet.

417 Voir supra.

418 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2) : réponses des arrondissements de

Les effectifs employés ne sont pas pléthoriques pour un établissement de cette importance. Ils oscillent entre 50 et 80 ouvriers en fonction des années419. Un nombre relativement faible qui s’explique par la mécanisation des tâches.

A la mort de Louis-Joseph Blot en 1830, son frère dirige seul la fabrique420. Sa réussite lui fait envisager une carrière politique afin de promouvoir ses idées libérales et démocratiques. Elle sera brève. On lui confie d’abord, en 1848, la présidence du comité républicain des Deux-Sèvres. Puis, sous la seconde République, il est élu député en mai 1848, avant que les urnes ne le chassent en 1849. Entre-temps, il a transmis la gestion de la filature à son gendre, Auguste Bardet.

Les difficultés surviennent dans les années qui clôturent le second Empire malgré une remise à niveau technique opérée en 1863. La concurrence est trop forte. Les conséquences du traité de libre échange se font douloureusement sentir. Les effectifs s’étiolent. L’établissement finira par fermer ses portes en 1884.

Une autre commune de la vallée du Thouet s’illustre particulièrement en la matière. Azay-sur-Thouet a une longue histoire drapière. Situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Parthenay, c’est un des principaux bourgs ruraux du monde textile poitevin profitant du sillage ouvert par Parthenay. Une quinzaine de fabriques y existaient déjà en 1693421. Une

manufacture de tiretaines y est implantée en 1776422.

Le XIXe siècle se caractérise par la mise en œuvre d’une production d’étoffes grossières destinées à être vendues sur les marchés locaux, des campagnes proches de Niort, quelquefois jusqu’en Bretagne. Le travail à domicile constitue là aussi la règle. Les enquêtes préfectorales comptabilisent 40 ateliers en 1827 employant 130 personnes, « dont six

ouvrières seulement travaillent à leur compte423». Ils sont 180, 35 ans plus tard424. L’éventail des productions est large, comme dans le chef lieu d’arrondissement. On y confectionne des serges, futaines, tiretaines et droguets.

419 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].

420 Il commande également la Garde Nationale locale en tant qu’ancien vétéran des armées napoléoniennes. Sur

sept frères membres des armées de Napoléon Bonaparte, seuls trois survivent. Le plus vieux, Louis-Joseph, colonel au 4e Hussard, accompagne l’Empereur pendant les Cent Jours ; le second, Célestin est un ancien chef de

bataillon ; et le troisième, François-Joseph, est fait lieutenant le jour même de la bataille.

421 POIGNAT (Maurice), Huit siècles d’artisanat et d’industrie textiles en Gâtine, op. cit., p.12.

422 ADV C39, Inspection des manufactures du Poitou et de l’Aunis, cf. TEXIER (Dominique), Les ouvriers du

textile au XVIIIe siècle dans les paroisses de Notre Dame de Lusignan, de Saint-Pierre et Saint-Paul de Pranzay et de Saint-Martin d’Enjambes, op. cit., p.26.

423

Tableau de la statistique industrielle de l’arrondissement de Parthenay au premier janvier 1827 in

ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].

424 Situation de l’industrie dans l’arrondissement de Parthenay au mois de juin 1862 in ADDS 10M17.1.

En outre trois filatures de laine emploient un peu moins de 200 personnes en 1858425. L’une d’entre elles se détache sous l’égide des familles Forestiers et Sabiron. On y traite près de 100 kilos de laine par jour au milieu du siècle en employant 56 personnes426. Cet établissement, créé au siècle précédent, vivra ses dernières heures en 1935, quand la famille Sabiron abandonne le filage au profit d’une fabrique de vêtements. Entre-temps, ces industriels développent de petits ateliers dans les villages proches de la commune où on y apprête des pièces d’étoffes confectionnées à domicile.

La présentation ne serait pas complète sans les fabriques disséminées dans le nord- ouest de l’arrondissement à l’extrême limite du Bressuirais, tout autour de la ville de Moncoutant. Il existe là, selon l’enquête économique et sociale de 1848, une fabrique de laine occupant 138 personnes de tous sexes et de tous âges, et une d’étoffe employant 40 ouvriers427.

A côté de ce chef-lieu de canton, on note l’existence d’une industrie textile dans la commune de Vernoux-en-Gâtine où se trouvent, au milieu du siècle, une filature de laine et une fabrique d’étoffes grossières animée par une petite trentaine d’employés428. Le bourg de Largeasse, au sud-est de Moncoutant, a, dans la première moitié du siècle, une fabrique de toile, et surtout pendant une grande partie du XIXe siècle, une fabrique d'étoffes en fil de laine

dite barrée, disposant d’ateliers saisonniers regroupant une trentaine d’individus429. A celles- ci s’ajoutent encore les bourgades de l’Absie et de la Chapelle-Saint-Laurent, ainsi que nombre de tisserands paysans travaillant à domicile pour des particuliers fournissant la matière première430.

Les caractéristiques du textile gâtinais se retrouvent encore en Vendée, dans le canton de la Châtaigneraie proche de Fontenay-le-Comte431. Ici aussi l’industrie textile est liée à l’histoire régionale. Marcel Faucheux, dans son ouvrage L’insurrection vendéenne de 1793,

425 Note préfectorale évaluant le nombre d’ouvriers par établissements industriels du département en 1858 in

ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].

426 POIGNAT (Maurice), L’industrie textile à Parthenay et en Gâtine du XVe au XXe siècle, op. cit., p 436. 427 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.413.

428 ADDS 10M17. 1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889]. 429 Ibid.

430 Voir par exemple le rapport mensuel du sous-préfet de Bressuire du 23 mars 1864, ADDS 10M17.1.

Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].

431 La Châtaigneraie et son canton appartiennent à la Gâtine poitevine telle qu’elle se définissait au XVIIIe siècle,

recense à la Châtaigneraie, en 1787, 35 fabricants, 80 tisserands et 1200 ouvriers432. La commune voisine du Breuil-Barret compte à la même époque 24 fabricants, 50 tisserands et 700 ouvriers433.

Carte 6 : principales fabriques textiles de la Gâtine et du sud Deux-Sèvres au XIXe siècles :

(Nombre maximum d’ouvriers) Sources : ADDS, POIGNAT (Maurice), L’industrie textile à Parthenay et en Gâtine du XVe au XXe siècle, op. cit., ARCHES (Pierre), L’enquête

économique et sociale de 1848, op. cit.

Les populations de ce canton fabriquent des tissus qui ne sont « propres qu’à l’usage

de la classe pauvre et laborieuse434» des environs. Le travail à domicile y est de mise. Mi

432 FAUCHEUX (Marcel), l’insurrection vendéenne de 1793, aspects économiques et sociaux, commission

d’histoire économique et sociale de la Révolution, mémoires et documents XVII, Paris, Imprimerie nationale, 1964, p.145.

433 Ibid.

XIXe siècle, la fabrique de la Châtaigneraie s’étend sur douze communes du canton. Ses 150 métiers fournissent divers tissus comme le kalmouk, la serge, le molleton, ou le droguet.

Toute proche du chef-lieu de canton, il y a dans le bourg de Loge-Fougereuse, dès 1841, une filature de laine aux effectifs variables. Ceux-ci passent de 22 en 1844 et 1850435, à 60 en 1873436, et enfin à 26 en 1883 dans deux filatures437, dont l’une d’entre elles au destin très éphémère. Le dernier tiers de ce siècle voit apparaître sur place une fabrique d’étoffes de laine.

Enfin, Chantonnay concentre sur son territoire quelques établissements textiles. La commune compte quelques fabriques de grosses étoffes438, de toiles439 et de chanvre ; cette dernière production employant 70 ouvriers dans quatre établissements en 1873440.

Si le cœur textile du Poitou bat encore un peu du côté de Parthenay441, son artère principale est constituée par la vallée de la Sèvre nantaise qui irrigue les zones septentrionales de la Vendée et des Deux-Sèvres.