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Première partie : L’avènement d’une réalité ouvrière [1800-1914]

Section 2 : Des professions émergeant d’un océan de ruralité

I- Du savoir-faire artisanal à la production industrielle

2. forgerons poitevins

La métallurgie est très anciennement implantée dans le Poitou. La toponymie de certains noms de communes l’atteste638.

Après les troubles du haut Moyen Age, la formation du comté du Poitou et du duché d’Aquitaine, le travail du métal connaît une prospérité inconnue jusqu’alors.

« Ses fers et ses aciers, ses casques et ses cuirasses, ses équipements militaires, ses épées , ses arcs et ses arbalètes, produits principalement à Saint-Maixent, à Nieul l’Espoir et à Poitiers, ont une renommée si grande qu’elle s’étend jusqu’en Italie, jusque dans la Scandinavie et même dans la lointaine Islande639».

On utilise alors du minerai venu du Poitou mais aussi du Limousin et de l’Angoumois.

Au XVIe siècle, le Poitou est une des provinces où les forges sont les plus nombreuses640. Le royaume en compte 460 en 1540641. François 1er juge ce nombre trop important, ce qui le conduit, en 1543, à en ordonner la réduction.

Les forges consomment une très grande quantité de bois, destiné à être transformé en charbon afin d’alimenter les fourneaux. Un maître de forge poitevin explique, en 1757, « qu’une forge à fer engloutit tous les ans plus de bois converti en charbon qu’il n’en faut

pour chauffer deux petites villes642». Au XVIIIe siècle, la famille de Mortemarts, propriétaires de la forge de Verrière, près de Lussac-les-Châteaux, possède environ 2000 hectares de bois dont la forêt de Verrière. Les forges de la Peyratte, non loin de Parthenay, sont situées à proximité de la forêt d’Autun643 et de divers autres bois, soit un total de 1800 hectares

637 A titre de comparaison voir l’étude sur les ouvriers des forges nivernaise : THUILLIER (Guy), Les ouvriers

des forges nivernaises au XIXe siècle, vie quotidienne et pratiques sociales, Paris, 2002, 645 p.

638 C’est le cas des noms de commune comme La Ferrière, Puyferrier, les Mines, les Vieilles Forges ou les

Renardières/Goupillières, du nom de la forge volante dite « à queue de renard » etc. cf. LEVAINVILLE (Jacques), L’industrie du fer en France, Paris, 1922, chap.2, p.18 et Fer, Forges et forgerons, le fer et la

métallurgie ancienne en Poitou, les forges de la Vienne au XVIIIe et XIXe siècles, Société archéologique et historique du Montmorillonais, Montmorillon, 1986, p.8.

639 BOISSONNADE (P.), Histoire du Poitou, Paris, 1915, p.65. Voir également MIRBEAU-GAUVIN, l’Echo

du Poitou dans les pays nordiques au Moyen Age, BSAO, 4e série, t.XIX, 1986, p.493 et s.

640 DELSALLE (Paul), La France industrielle aux XVI e, XVII e, XVIII e siècles, Paris, 1993, p.50.

641 On construit alors des forges pour revaloriser de grands domaines seigneuriaux situés dans des zones

déshéritées et forestières.

642 Fer, Forges et forgerons, le fer et la métallurgie ancienne en Poitou, les forges de la Vienne au XVIIIe et XIXe siècles, op. cit., p.20.

643 La forêt d’Autun ayant été pour la forge « mine de fer et mine de charbon » cf. VIGUĒ (Paul), La forêt

d’espaces boisés644. Les propriétaires de la forge de Luchapt, localisée entre Availles- limouzine et L’Isle-Jourdain, détiennent, quant à eux, environ 1600 hectares de forêts aux alentours.

Beaucoup de petites forges poitevines périclitent au XVIIIe siècle avec le développement de la métallurgie au charbon645. A cette époque il y a quatre forges principales dans la généralité du Poitou. Trois d’entre elles sont dans le montmorillonais, région riche en minerai de fer646, dans les paroisses de Lhommaizé et de Gouex647. Quant à la quatrième elle est établie près de Parthenay, dans le village de la Peyratte648. En 1770, on estime « qu’elles

donnent annuellement 1500 mètres de fonte et 1100 de barres ; les mines sont de bonnes qualités, le fer est pliant et ductile. On n’y fabrique, ni acier, ni quincaillerie649». Dix-huit ans plus tard, la forge de La Peyratte est la plus productive du Poitou avec 450 milliers de fer par an ; celle de la Verrières suit avec 300 milliers de fer, puis viennent les forges de Luchapt et de la Gaubreté avec, respectivement, 230 et 150 milliers de fer650.

2.1. La forge de La Peyratte

Les gisements de fer de la baronnie de Parthenay ont été longtemps exploités par intermittence, d’abord aux abords de la forêt d’Autun, puis sur les rives du Thouet. Il faut attendre 1645-1649 pour que naisse la forge proprement dite. Là, Charles de La Porte, marquis puis duc de la Meilleraye651, achète un moulin à la Peyratte où il transporte la forge qu’il avait établie derrière son château. Dix-sept ans plus tard, une vingtaine de personnes y travaillent652. En 1652, elle est affermée 150 000 livres par an653 et réorganisée en 1660 ; il y a désormais un haut fourneau et une fenderie destinée à fendre le fer en verges654.

644 BELHOSTE (Jean-François), PON-WILLEMSEN (Charlotte), La forge de la Meilleraye, à la Peyratte du

milieu du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, BSHSDS, Niort, 1986, p.313. 645 CROZET (René), Histoire du Poitou, Paris, 1949, p.90.

646 Quelques mines de fer existent aussi dans la région de Montalembert et de Vaussais à l’extrême sud-est de

l’arrondissement de Melle. Elles alimentent les forges de Taizé-Aizie près de Ruffec, dans l’actuel département de la Charente. Cf. PINARD (Jacques), op. cit., p.63.

647 Ce sont les forges de Verrières, dans la paroisse de Lhommaizé, de Luchapt et de la Gauberté, situées dans la

paroisse de Gouex.

648 Il s’agit de la forge de la Meilleraye.

649 BOURGIN (Georges), BOURGIN (Hubert), L’industrie sidérurgique en France au début de la révolution,

Paris, 1920, p.432.

650 Lettre de M. de Nanteuil au bureau du commerce en date du 25 octobre 1788 cf. VIGUĒ (Paul), op. cit., p.23 651 Charles de La Porte (1602-1664), marquis, puis duc de La Meilleraye et Pair de France, baron de Parthenay et

de Saint-Maixent et Comte de Secondigny, maréchal de France, grand maître de l'Artillerie de France (1634), cousin germain du cardinal de Richelieu et surnommé « le preneur de ville ».

La mise en place de cette exploitation sidérurgique s’inscrit dans la mise en valeur de la côte atlantique voulue par Richelieu et Mazarin, qui souhaitent développer le grand commerce maritime et reconstruire une flotte civile et militaire dont l’armement nécessite une production de fer importante.

Le fils de Charles de La Porte, Armand-Charles, accroît le prestige de la famille par son mariage avec une des nièces de Mazarin, dont il prend le nom et les armes655. La forge n’est plus qu’un bien de rapport parmi d’autres pour les descendants du duc, même si elle représente près de 10% des revenus de la famille, qui seront ensuite affermés en 1747.

Une « visite générale du duché de la Meilleraye » en mai 1776 fait état d’une forge qui produit peu et qui exploite des gisements de mauvaise qualité656, quand la force motrice de l’eau ne vient pas à manquer une partie de l’année657. La production varie peu entre la fin du XVIIe siècle et le début du XIXe siècle. Elle oscille entre 80 et 120 tonnes de fonte par an, soit de 50 à 80 tonnes de fer658.

Les troubles politiques qui suivent 1789 ne stoppent pas l’activité de l’établissement. Sa vitalité est simplement amoindrie par le manque de bois, la peur des insurgés vendéens659 et l’absence d’innovation obligeant à un repli sur le marché local.

Le 2 messidor an VII, la forge est vendue comme bien national, sous condition de produire un minimum de « 50 milliers » par an, soit 25 tonnes de fer ; faute de quoi l’Etat en reprendra le contrôle. Elle est rachetée en mai 1803 par Clément Médard Arthuys de Villement, qui la revend en 1818 à César Auguste Brière de Mautaudin. Celui-ci appartient à une très importante famille de maîtres de forges du Berry, dont le père fut le fermier de la forge de Vierzon dans l’apanage du comte d’Artois.

Un haut fourneau et trois affineries660 produisent tant bien que mal « cent à cent vingt milliers » de fer par année. On fabrique des instruments aratoires, vendus à de petits artisans 653 VIGUĒ (Paul), op. cit., p.20.

654 La fenderie est abandonnée en 1677 en raison d’un minerai de fer impropre à la fabrication des fers de

clouterie.

655 Armand Charles de La Porte-Mazarini (v.1631-1713), marquis de La Porte, puis de La Meilleraye, puis duc

de Mayenne, puis duc de Mazarini (dit de Rethélois-Mazarini) et Pair de France, duc de La Meilleraye et Pair de France, prince de Château-Porcien, marquis de Montcornet, comte de Marle et de La Fère, grand maître de l’Artillerie de France et chevalier du Saint-Esprit (reçu le 31 décembre 1688).

656 L’exploitation a lieu à ciel ouvert à deux ou trois lieux de la forge. On l’achemine à dos de mulet, on compte

souvent un muletier pour 50 mules.

657 VIGUĒ (Paul), op. cit., p.22.

658 BELHOSTE (Jean-François), PON-WILLEMSEN (Charlotte), op. cit., pp 325-327.

659 La forge est réquisitionnée pendant la guerre de Vendée. Elle livre des boulets aux troupes de Parthenay et de

Bressuire. Quelque temps plus tard, son activité est interrompue, les marteaux démontés et les outils cachés par crainte d’une attaque des vendéens.

ou marchands en gros, en grande partie à Parthenay et dans la Gâtine, en Vendée, dans les villes de Fontenay-le-Comte et de la Chataigneraie et dans le niortais.