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Les fondements de l’industrialisation du bocage

Première partie : L’avènement d’une réalité ouvrière [1800-1914]

Carte 7 : principales localités du rayon textile choletais poitevin :

2.3. Les fondements de l’industrialisation du bocage

vendéen

Des auteurs500 ont cherché les fondements du particularisme évident du tissu industriel choletais et nord vendéen. Des analyses partielles qui, faute de travaux approfondis, méritent d’être mentionnées.

Les guerres de Vendée semblent être le premier évènement ayant modelé l’état d’esprit industriel local. Jean-Claude Martin remarque que « ce sont les paroisses qui ont le

plus activement participé au soulèvement de 1793 qui sont aujourd’hui le lieu d’activité la plus intense de l’industrie en milieu rural501». Ces zones sont caractérisées par une très forte

498 TERRIER (Didier), op. cit., p.148. 499 AFTALION (Albert), op. cit., p.157 et s.

500 Cf. les travaux de MARTIN (Jean Clément), Aux origines de l’industrie vendéenne, op. cit., pp 37-48 &

CHAUVET (A.), Le bourg industriel de la Vendée choletaise, Cahier du Centre de Recherche pour

l’Aménagement Régional, Les industries rurales, Actes du colloque du GIS-GIRI du 16-17 novembre 1982 à La Roche-sur-Yon, n°22, Nantes, 1983, pp 49-62.

fécondité, bien supérieure à celle constatée ailleurs dans le département de la Vendée au XIXe siècle. La religion catholique y est très implantée et le vote conservateur très important. Cette région dépourvue d’identité propre avant la Révolution502 trouve dans les évènements tragiques de 1793 de quoi fonder une destinée commune à tous ses habitants, dont l’industrie est une des meilleures illustrations. « L’âme vendéenne serait responsable de cette

industrialisation » centrée dans un contexte sociologique et politique désireux de s’affranchir du pouvoir central jacobin.

Quelques-uns objectent que cette défiance envers l’autorité publique existe depuis des temps bien plus anciens, tout comme l’esprit laborieux des populations de ces contrées503. Selon Perouas, ce « dimorphisme » existe depuis au moins trois siècles504.

Ce qui est remarquable, c’est la capacité du tissu économique et industriel à toujours renaître de ses cendres. Beaucoup de régions textiles ont décliné tout au long du XIXe siècle, alors que la nébuleuse choletaise a réussi à retrouver son dynamisme après l’expérience révolutionnaire et les crises importantes de la Belle Epoque. On peut penser que les guerres de Vendée ont apporté le petit supplément d’âme nécessaire à la survivance de l’industrie locale, là où elle périclite dans d’autres régions.

Cette solidarité vendéenne qui naît alors, va modifier l’état d’esprit des populations du bocage prenant leur destinée en main. L’entrepreneur issu des petits bourgs va supplanter les investisseurs bourgeois des villes voisines, comme ceux de Cholet ou encore les dynasties protestantes du val de Sèvre, ainsi que ceux, trop rares, étrangers à la région. Cette mutation est bénie par le clergé et les notables, favorables à ce repli sur soi. L’ancienne Vendée militaire devient un bastion de résistance politique à la République. Un fonctionnement quasi- autarcique se met en place. La main d’œuvre nombreuse trouve des emplois sur place. Ici, l’exode rural qui se déroule en France dès le régime de Napoléon III est différé d’une vingtaine d’années, puisqu’il ne débute que dans les années 1890. Les élites brandissent la ruralité comme un étendard. On refuse l’industrialisation moderne qui va de pair avec la ville et les usines, autant de lieux de perdition. Le travail à domicile est un moyen de concilier l’inéluctable essor industriel avec la volonté de préserver un mode de vie ancestral, dans un environnement où la concentration des terres est faible.

502 Cette région est partagée sous l’Ancien régime entre la Bretagne, l’Anjou et le Poitou.

503 CAVOLEAU (J. A.), Description abrégée du département de la Vendée, 12e série, 10, n°24, p.25.

Parallèlement d’autres auteurs recherchent des causes plus structurelles expliquant ce particularisme.

On peut mettre en avant la vitalité et la densité démographique du bocage en suivant la pensée de Durkheim. Cette vitalité pourrait se manifester dans l’industrialisation. Cette analyse n’est pas concluante selon A. Chauvet. Celui-ci affirme qu’il n’y a pas toujours corrélation entre les moments de pics démographiques et les phases d’industrialisation. Néanmoins, il reconnaît que cette offre importante de main d’œuvre peut expliquer l’installation d’activités nouvelles, comme celle de la chaussure à la fin du XIXe siècle.

L’interprétation marxiste basée sur « l’acquisition de nouvelles forces de production » ne semble pas plus probante. La mutation industrielle choletaise est lente, sans véritable accumulation de capitaux et sans forte intégration dans les bourgs et les villes. Le monde rural n’a pas été bouleversé. Les paysans ont conservé leur mode de vie et d’organisation traditionnels sans être happés par les usines et leurs ateliers.

Les facteurs culturels apparaissent plus pertinents. Une éthique religieuse guide les populations du pays. L’auteur reprend la thèse de Max Weber505 qui place « l’ascèse

individuelle » comme base de l’esprit capitaliste, à l’image des pays où le calvinisme s’est développé. A. Chauvet affirme que « comme dans le protestantisme, [il] régnait dans le

catholicisme vendéen un rigorisme moral par lequel une austérité de la vie entraînait une certaine accumulation de richesses disponibles pour l’investissement industriel506».

Mais le facteur principal semble être l’organisation socioculturelle centrée autour du bourg et de la communauté. Celle-ci forme une entité repliée sur elle-même où la solidarité joue à plein en formant une forme de « christianisme social ». Les guerres de Vendée ont accentué cet état d’esprit d’une société en vase clos.

« [Le bourg est] une petite entité suffisamment réduite en surface et souple en dimension pour s’adapter aux conditions sans cesse changeantes. Un modèle reproduit à de multiples exemplaires et qui donne un aspect homogène à toute la Vendée choletaise mais un modèle qui du fait même de sa nature, n’a jamais conduit à constituer sur l’ensemble une entité territoriale particulière507».

505 WEBER (Max), L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, 1964, chapitre II, partie 2 : ascétisme

et esprit capitalisme, p.200 à 249.

506 CHAUVET (A.), Le bourg industriel de la Vendée choletaise, op. cit., p.53. 507 Ibid., p.59.