• Aucun résultat trouvé

l’agriculture traditionnelle andine

A. Une dynamique nationale datant des années 1980

Avant de présenter les principales formes d’agriculture durable présentes au Pérou, rappelons que globalement la tendance dominante des politiques publiques et du secteur privé reste, au Pérou comme ailleurs dans le monde, orientée vers la promotion et la diffusion de l’agriculture conventionnelle et/ou de l’agriculture « raisonnée », très proche de l’agriculture conventionnelle. Le ministère de l’agriculture péruvien (MINAGRI), par exemple, ne soutient pas, ou très peu, le marché biologique local et national et n’apporte qu’un soutien partiel au secteur agro-exportateur biologique (Willer et Lernoud, 2016 : 236). De façon très schématique trois principales formes d’agriculture durable peuvent être distinguées au Pérou : une agroécologie, portée par les acteurs de la société civile et une partie du monde académique, une agriculture biologique labellisée destinée à la commercialisation et surtout à l’exportation et enfin une agriculture biologique institutionnalisée par les acteurs publics. Ces différentes approches se distinguent, entre autres, par leur période d’apparition. Les dates et évènements majeurs de chacun de ces courants sont représentés dans la frise chronologique proposée à la fin de cette sous-partie.

1. L’agroécologie comme modèle alternatif pour les acteurs pionniers (début 1980’s) : la société civile et le monde académique

Selon Alcedo Peña, les premières formes de conceptualisation de l’agroécologie dans le Pérou andin apparaissent dès les années 1970 (1999 : 19). Toutefois, l’agriculture écologique émerge réellement au Pérou durant les années 1980 avec la création des premières structures au sein de la société civile et dans le monde académique : le Centro IDEAS (1983), la Red de Acción en Alternativas a los Agroquímicos - RAAA (1988), la Red de Agricultura Ecológica del Perú – RAE (1989), la Comisión Coordinadora Nacional sobre Agricultura Ecológica – CCONAE (1989), l’Instituto para una Alternativa Agraria – IAA (1990 à Cusco), « el Círculo de Agroecología » à la UNALM (1990-1993) (Wú Guin et Alvarado de la Fuente, 2008. Garrido Valero, 2005 : 205). Ces institutions organisent les premières expériences de terrain et les premières formations de professionnels, d'étudiants (UNALM) et d’agriculteurs, avec le financement de l’agence de coopération allemande (Wú Guin et Alvarado de la Fuente, 2008. Garrido Valero, 2005 : 204). En 1988, le premier séminaire sur l'agriculture biologique a lieu à San Marcos, dans le département de Cajamarca. En 1989, le Centro IDEAS, l’Instituto de Desarrollo y Medio Ambiente (IDMA) et El Centro de Asistencia Proyectos y Estudios Rurales (CAPER) organisent la Première Rencontre Nationale d'Agriculture Écologique (Encuentro nacional de agricultura ecológica, ENAE), à Lima. Ces rencontres nationales seront dès lors organisées tous les deux ans. Durant ces années 1980 et le début des années 1990, ces institutions

163 pionnières défendent presque unanimement le modèle de l’agroécologie. Le terme « alternatif », qui apparaît dans l’intitulé de deux institutions majeures, témoigne de l’opposition « forte » au modèle de la révolution verte. Durant les années 1990 et jusqu’à aujourd’hui, l’organisation des producteurs écologiques se consolide à travers divers la création de rassemblements et de nouvelles associations.

La Première Rencontre Nationale des producteurs écologiques (ENPE) se déroule en 1996, à Piura. En 1998, à l'issu du III ENPE qui se tient dans la ville de Cusco, l'association ANPE Perú (Asociación Nacional de Productores Ecológicos) est créée. Elle reste depuis lors la principale organisation de producteurs écologiques du Pérou. Selon Moises Quispe, directeur de l’ANPE Peru, l’association rassemblait 21 000 producteurs péruviens en 2014 (Salasar, 2014). Cette association travaille notamment à l’organisation de la commercialisation locale, régionale et nationale des produits écologiques via l'organisation d'ecoferias et la création de la marque collective « Frutos de la tierra ».

Le Grupo EcoLógica Perú créé la même année par des agriculteurs et des ONG vise également la commercialisation des produits écologiques. Cette association est à l'origine de la première bioferia de Miraflores, à Lima, en 1999, aujourd'hui le principal « marché bio » du pays. Depuis, le mouvement agroécologique continue à se développer au Pérou et compte désormais sur un noyau, certes encore restreint mais solide et en constante progression, de participants et sympathisants.

Tableau 18 : Présentation des principales associations et réseaux liés à l’agroécologie au Pérou Nom. Date et producteurs, institutions publiques et autres organisations de la société civile spécialisés dans la promotion, la formation et la recherche sur l’agriculture durable et la préservation de l’environnement.

Réseau de 12 ONG y 16 membres individuels dédié à la promotion et au développement de l'agroécologie au Pérou (agrobiodiversité, souveraineté alimentaire, commerce équitable, etc.). Édition de manuels sur l'agroécologie et d’un annuaire des points de vents de produits biologiques dans le pays. Participation à la création de la certification Biolatina.

Revendique 15 000 agriculteurs affiliés répartis dans les antennes régionales (par exemple, l’ARPEC) et provinciales (par exemple l’APPE Calca). Aide à la commercialisation de produits

biologiques via l’organisation d’ecoferias et autres points de vente, de livraisons et vente en ligne. Création de la marque collective « Frutos de la tiarra » médecins...). Défend les principes du développement durable et de la participation sociale dans les programmes de

développement. Edite depuis 1996 la revue « LEISA Revista de agroecología ».

AE AgroEco.

AGRUCO.

Christian Aid.

IMAGEN Cusco

164 2. L’agriculture biologique labellisée pour la commercialisation (fin 1980’s) par le

secteur privé

a. Au niveau mondial : Le Pérou, un des principaux pays producteurs et exportateurs des produits certifiés biologiques

Selon Novella et Salcedo, 97% de la production biologique du Pérou est aujourd’hui destinée au marché international (2006 : 64, citant Wú Guin, 2002). Les premières exportations de café biologique débutent à la fin des années 1980 (Wú Guin et Alvarado de la Fuente, 2008). Durant la décennie 1990, le marché des produits biologiques se développe au niveau international et le Pérou commence à exporter massivement son café « bio » (Novella et Salcedo, 2006 : 57). Ces produits sont certifiés par des entreprises américaines et en 1994 la première entreprise péruvienne de certification écologique, Inka Cert, est créée (Wú Guin et Alvarado de la Fuente, 2008. Garrido Valero, 2005 : 206). En 2000, le pays s’impose comme le deuxième exportateur mondial de café bio, après le Mexique (Wú Guin et Alvarado de la Fuente, 2008). Ces exportations des produits biologiques péruviens (café, cacao, fruits tropicaux, quinoa, etc.) connaissent un véritable boom à partir de la deuxième moitié des années 2000, comme l’attestent les graphiques suivants. En 2014, le Pérou devient le huitième pays comptant le plus de producteurs certifiés biologiques (plus de 65 000) à l’échelle internationale (Willer et Lernoud, 2016 : 61). Il est aussi le deuxième producteur mondial de cacao biologique (après la République Dominicaine) et le troisième producteur de café biologique (après le Mexique et l’Ethiopie), en termes de superficie cultivée (Ibid. : 94-97).

Figure 28 : Evolution des exportations de quelques produits biologiques péruviens (2001-2011)

Source : Gómez, 2012 : 16- 18 (Fuente: Sistema de Integrado de Información de Comercio Exterior, SIICEX-Promperú)

165 En 2015, la valeur des exportations de produits bio dominées par le café, le cacao, la banane, la mangue et le quinoa, atteignait les 379 millions de dollars, contre 25 millions en 2000 (MINCETUR, 2016). Ces exportations sont quasi-exclusivement destinées aux pays du Nord : en premier lieu aux Pays-Bas (plus de 64 000 tonnes en 2011, en cumulant les cinq principaux produits d’exportations que sont le café, le cacao, la banane, le quinoa et la mangue), puis aux Etats-Unis d’Amérique (plus de 37 000 tonnes), à l’Allemagne (Plus de 12 000 tonnes) à la Belgique (Plus de 11 000 tonnes), Japon (Plus de 8 000 tonnes) (Gómez, 2012 : 12), comme le montre la carte ci-dessous

Carte 10 : Principaux pays importateurs de produits biologiques péruviens, en 2011 (en tonnes, pour le café, cacao, banane, quinoa, mangue)

Précisons que les importations néerlandaises de produits biologiques péruviens concernent essentiellement la banane (près de 61 000 tonnes en 2011) (Gómez, 2012 : 12). Cette surreprésentation des Pays-Bas comme pays importateur s’explique en partie car Rotterdam est le plus grand port commercial d’Europe, ainsi ces produits, et ces bananes notamment, arrivent à Rotterdam et sont ensuite réexportés dans les autres pays européens (ProExpansion, 2014 et FAO1).

1 http://www.fao.org/docrep/004/y1669f/y1669f0d.htm

166 b. Au niveau national : Répartition inégale des productions certifiées biologiques

En 2015, le Pérou compte 97 016 producteurs certifiés biologiques, pour une surface totale d’environ 607 900 hectares (environ 457 000 hectares certifiés et 150 800 hectares en transition) (SENASA, 2016), soit environ 8,5% de la superficie agricole nationale totale1. Ces chiffres sont ceux du SENASA qui reconnaît officiellement en 2016 six organismes de certification2. Ce nombre de producteurs certifiés biologiques est en pleine croissance ces dernières années comme le montre le graphique suivant. Il a plus que doublé entre 2010 et 2015, passant de 44 827 à 97 016 (SENASA, 2011, 2016) – soit environ 4,4% des producteurs du pays3.

Figure 29 : Evolution du nombre de producteurs certifiés biologiques au Pérou, 2005-2015

Réalisation : Margaux Girard. Source : Marredo Saucedo, 2010 : 57. SENASA 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016.

Pour les mêmes périodes, d’autres organismes publics péruviens proposent des chiffres parfois très différents. D’après le dernier recensement agricole de l’INEI de 2012 par exemple, seulement 25 121 producteurs, au niveau national, déclarent avoir une certification biologique, soit environ deux fois moins que les chiffres annoncés par le SENASA pour la même période. Quoi qu’il en soit, ces chiffres ne prennent pas en compte les nombreux agriculteurs se réclamant « écologiques » mais ne possédant pas de certification ou possédant une certification non reconnue par l’Etat, comme le SGP.

Selon la directrice de la RAE Perú, Alejandra Farfán, ils seraient environ 350 000 producteurs écologiques à approvisionner le marché interne, mais elle précise qu’il n’existe pas de données officielles permettant de les comptabiliser (Salasar, 2014). Fernando Alvarado de la Fuente, professeur d’économie à la UNALM et Vice-Président du Centro Ideas, estime, lui, qu’il y aurait 500 000 producteurs « puro ecológicos » au Pérou (le 05/04/2014).

1 Selon le recensement agricole national de 2012, la superficie agricole nationale s’élève à environ 7 125 000 hectares (INEI CENAGRO IV, 2012)

2 Bio Latina S.A.C. (Pérou), KIWA BCS OKÖ Garantie Perú S.A.C. (Allemagne), CERES PERU S.A.C.

(Allemagne), Control Union Perú S.A.C. (Pays-bas), Ocia International Peru S.A.C. (Etats-Unis d’Amérique), Imo Control Latinoamérica Perú S.A.C. (Bolivie). Liste disponible sur :

http://www.senasa.gob.pe/senasa/registro-de-organismos-de-certificacion/

3 Selon le recensement agricole national de 2012, le nombre total d’unités agropastorales s’élève à 2 213 506 (INEI CENAGRO IV, 2012)

167 Que produisent ces producteurs certifiés biologiques ? Au Pérou, les principaux produits certifiés biologiques sont des produits tropicaux destinés à l'exportation : la noix du Brésil (environ 167 800 hectares, sachant que cette noix n’est pas cultivée mais simplement « cueillie »), le café (environ 110 000 hectares), le cacao (environ 29 400 hectares), la banane (environ 5 900 hectares) et le quinoa (environ 7 500 hectares). Ces cinq productions rassemblent à elles seules environ 320 800 hectares sur les environ 607 900 hectares de productions biologiques que compte le pays en 2015, soit 53%

(SENASA, 2016). La carte ci-dessous donne un aperçu de la répartition géographique de ces principales cultures biologiques sur le territoire national.

Documents relatifs