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Etudier les logiques sous-jacentes et les jeux d’acteurs à travers l’observation participante

Chapitre I : Etudier la multidimensionnalité de la durabilité agricole grâce à la géographie environnementale grâce à la géographie environnementale

DE LA POLITICAL ECOLOGY A LA POLITICAL AGROECOLOGY

B. Interroger (et s’interroger), analyser les discours, observer les pratiques et les jeux d’acteurs

2. Etudier les logiques sous-jacentes et les jeux d’acteurs à travers l’observation participante

Sur notre terrain d’étude, différents types d’observations ont été utilisés comme techniques de collecte de données. En sociologie, on distingue différents degrés d’implication du chercheur dans le groupe observé et de participation à ses activités allant de l’observation non participante (observation directe externe, avec interactions limitées) à l’observation participante en passant par toutes les positions intermédiaires (Morange et Schmoll, 2016 : 67). L’observation participante, aussi appelée observation ethnographique, consiste en un processus d’immersion longue sur le terrain, caractérisée par la participation du chercheur aux activités et au quotidien des personnes enquêtées. Cette technique présente quatre avantages majeurs résumés par J. Friedrichs et Ludtke : différencier le comportement réel du comportement verbal, mettre au jour des éléments souvent non conscients chez l’observé lui-même, identifier des processus qui, si recherchés autrement, ne pourraient se dessiner qu’après une laborieuse et pénible chaîne d’interviews répétées ou itératives et enfin, éviter le problème de la capacité de verbalisation de l’observé (1975). Selon Olivier de Sardan, ces séances d’observation participante permettent de récupérer des données, entendues comme « la transformation en traces objectivées de "morceaux de réel" tels qu’ils ont été sélectionnés et perçus par le chercheur » (1995b).

Ces données sont généralement consignées dans un carnet de terrain (Morange et Schmoll, 2016 : 79), outil que nous avons utilisé durant nos différentes missions de terrain. Ces séances d’observation

87 participante jouent aussi un rôle « indirect mais important, dans cette "familiarisation" de l’anthropologue avec la culture locale, dans sa capacité à décoder, sans à la fin y prêter même attention, les faits et gestes des autres, dans la façon dont il va quasi machinalement interpréter telle ou telle situation. Nombre des interactions quotidiennes dans lesquelles le chercheur est engagé ne sont pas en liaison avec l’enquête, ne sont pas consignées dans le carnet de terrain, et donc ne sont pas transformées en données. Elles ne sont pas pour autant sans importance. […] c’est ainsi que l’on apprend à maîtriser les codes de la bienséance (et cela interviendra très indirectement et inconsciemment, mais très efficacement, dans la façon de mener des entretiens) ; c’est ainsi que l’on apprend à savoir de quoi la vie quotidienne est faite et de quoi l’on parle spontanément au village (et cela interviendra très indirectement et inconsciemment, mais très efficacement, dans la façon d’interpréter les données relatives à l’enquête) » (Olivier de Sardan : 1995b). Notre apprentissage des rudiments du quechua s’inscrit par exemple dans cette démarche. L’anthropologue andiniste Valérie Robin Azevedo résume parfaitement ses avantages : « […] une gringa qui converse en quechua avec les membres d’une communauté, même si elle s’exprime maladroitement et commets des erreurs, provoque la curiosité et suscite même une certaine sympathie. […] Au début, les comuneros préféraient d’ailleurs discuter avec moi du mode de vie des paysans en France, qui les intriguait, plutôt que d’évoquer leur propre existence, qu’ils connaissaient déjà. » (2008 : 43). Ce même constat a été fait durant nos missions de terrain.

Dans notre étude, des séances d’observation, parfois participantes, ont été principalement réalisées dans trois espaces et contextes différentes : i) dans les champs durant les travaux agricoles, ii) sur les marchés, notamment les marchés bio, et iii) durant les journées de formation, les réunions d’organisation et les visites des ONG sur leur zone d’intervention. Ces différentes séances d’observations, parfois participantes, sont listées dans l’annexe n°5. La plupart des expériences d’immersion réalisées portent sur des périodes relativement courtes, souvent quelques heures ou une journée. On parlera donc de séances « courtes » d’observation participante. Toutefois, quelques périodes d’immersion plus longues, d’environ cinq, six jours, ont été réalisées chez certains producteurs. Ces différents types d’observation furent essentiels pour appréhender la réalité de la vie paysanne et des activités agricoles andines et pour observer et détecter les logiques et stratégies sous-jacentes des acteurs et les relations entre acteurs ou jeux d’acteurs. Nous gardons bien à l’esprit que cette « transparence », si elle s’avère plus accessible durant ces séances d’immersion que dans les discours, n’est pas pour autant totale et il est possible que certaines pratiques ou comportements aient été différents en notre absence. Il s’agit de « paradoxe de l’observateur », la présence du chercheur modifiant inévitablement l’expérience (cf. partie II.B.3.de ce chapitre I). Par exemple, les offrandes adressées à la Pachamama, aux apus, aux outils agricoles, etc. n’étaient-elles pas liées à la présence d’une chercheuse gringa, en quête d’exotisme et de traditionalisme ? Difficile à savoir…

Avec le producteur, sur sa parcelle, durant les travaux agricoles

La quasi-totalité des entretiens auprès des producteurs ont été complétés par une visite de la ferme, ou d’au moins une parcelle, et parfois par une participation, ou plutôt une initiation, aux travaux agricoles. Outre la participation à certaines scènes de vie familiale comme les repas et leur préparation,

88 nous avons pu observer et participer aux semailles (quinoa, maïs, pomme de terre), à la transformation et préparation de certains produits (chicha, fromage, café, pain), à la récolte de fruits et légumes, à l’entretien de potager et notamment au désherbage. Ces séances sont des moments privilégiés durant lesquels le producteur et son travail sont valorisés. Une fois n’est pas coutume, c’est le paysan qui explique, qui enseigne en montrant ses pratiques et outils, ses savoirs et savoir-faire, ses récoltes et ses animaux, et présente plus ou moins formellement ses fiertés et ses difficultés. Ces moments

« d’intimité » avec le producteur et sa famille, dans sa communauté, offrent des conversations privilégiées : le ton et la relation deviennent plus amicales, on oublie presque la présence du

« chercheur » - il n’y a plus ni carnet de note, ni enregistreur -, les langues se délient… et la réalité prend le pas sur les discours. Ces séances s’avèrent essentielles pour comparer les pratiques réelles et les pratiques annoncées lors des entretiens, de comprendre leur cohérence ou de noter des contradictions, des non-dits. Elles ont par exemple permis de constater que certains producteurs qui s’annonçaient entièrement écologiques ne l’étaient en réalité pas complètement.

Avec les producteurs et les consommateurs sur les marchés bio et non bio

Des séances d’observation, parfois participante, ont également été réalisées sur différents marchés biologiques (ecoferia ou bioferia), mais aussi sur des marchés conventionnels ou traditionnels, à Lima, Cusco et dans la Vallée sacrée des Incas. L’immersion se faisait soit en entrant dans la peau d’une cliente lambda, certes gringa mais pas « chercheuse » et en interrogeant vendeurs et acheteurs sous ce statut « neutre » (Evidemment, à la fin, dans certains marchés, les vendeurs nous connaissaient…) soit en intégrant le groupe des producteurs-vendeurs. Nous participions alors à l’installation et au démontage des stands, et avons également pu quelque fois remplacer une vendeuse qui s’absentait quelques minutes ou quelques heures. Plus généralement, l’objectif était d’appréhender cette dynamique de l’émergence locale du bio dans un contexte public et collectif (à la différence des séances « privées » et individuelles chez les producteurs ou sur leur parcelle) et ainsi de pouvoir observer les relations sous-jacentes entre producteurs et entre producteurs et consommateurs.

Toutefois, là encore, l’immersion était limitée par mon statut de gringa : on ne se comporte pas de la même façon avec une vendeuse ou acheteuse gringa qu’avec une vendeuse ou acheteuse andine ou métisse. Des relevés des prix furent réalisés sur certains de ces marchés.

Durant les journées de formation, réunions entre producteurs ou entre acteurs institutionnels et visites des ONG sur leur terrain

Enfin, nous avons assisté à différents types de rencontres entre producteurs et entre producteurs et institutions : les ateliers de formation à l’agriculture durable organisés par la DRAC ou par des ONG auprès de producteurs, des réunions de producteurs (assemblées communales, réunions associatives), des réunions entre acteurs institutionnels ou encore des visites « de suivi » de certaines ONG sur leur terrain d’intervention. Ces séances courtes d’immersion permettent là encore d’observer la dynamique qui nous intéresse dans un contexte public ou semi-public et collectif, mais cette fois dans une logique non directement commerciale, mais plutôt technique, pédagogique et organisationnelle, voire prévisionnelle. Ces réunions permettent d’une part d’identifier la posture et le discours de chaque partie prenante et d’autre part, d’étudier les comportements, attitudes et relations entre acteurs.

89 Toutefois, l’utilité et l’analyse de ces séances d’observation furent parfois limitées par ma trop faible maîtrise du quechua, langue privilégiée dans certaines de ces réunions, et par le fait que les producteurs m’associaient directement ou indirectement à l’institution qui délivrait la formation ou faisait la visite « de contrôle ».

3. Réflexivité du chercheur : Qui suis-je quand je parle de l’agriculture durable au

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