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Chapitre I : Etudier la multidimensionnalité de la durabilité agricole grâce à la géographie environnementale grâce à la géographie environnementale

CONNAISSANCE - PRODUCTION - COMMERCIALISATION – SOCIALIBILTE CONSOMMATION

C. De la théorie à la pratique : la transition et l’adoption des producteurs comme étapes décisives

1. Le concept de transition pour appréhender la complexité de la mise en application

Concrètement, comment faire pour mettre en pratique ces propositions d’agriculture durable et plus généralement les grands principes de durabilité agricole que nous avons présentés ? Dans la littérature scientifique, cette concrétisation est couramment désignée par le terme de « transition » ou de

« transition écologique » ou plus précisément encore de « transition agroécologique » (Stassart et al., 2012. Baret et al., 2013. Piraux, Silveira et Diniz, 2010. Fares, Magrini et triboulet, 2012. Duru, Fares et Therond, 2014, etc.). Ce terme de transition se popularise également au sein de la société civile, à

1 Traduction de : “Un enfoque agroecológico para el desarrollo de sistemas de producción sustentables para los campesinos andinos”

2 Traduction de : “La agroecología moderna es una concepción holística y sistémica de las relaciones entre las sociedades humanas y las sociedades vegetales y animales de cada ecosistema, orientada a la producción agraria en armonía con las leyes naturales. La cosmovisión de las culturas andinas fue el marco desde el cual se entendió en forma integral la relación entre las sociedades humanas con el clima, el espacio y el tiempo. En este marco la tecnología agrícola andina fue la alternativa de dichas culturas para asegurar la producción de alimentos y constituye el más importante antecedente histórico de la agroecología en América del Sur”.

3 voir : www.agruco.org

61 travers des mouvements tels que les Initiatives de Transition écologique, initiées par l’enseignant britannique en permaculture Rob Hopkins (2008), et qui rassemble des collectifs de citoyens impliqués à l’échelle locale dans la construction rapide et concrète de la transition (Servigne, 2013 : 94). Dans cette thèse, nous ne nous limitons pas à l’étude de la stricte transition agroécologique (sans tiret), c’est-à-dire au modèle précis de l’agroécologie. Nous nous intéressons plutôt aux transitions écologiques (avec un tiret) au sens large, c’est-à-dire aux transitions vers des systèmes agro-alimentaires plus durables prenant en compte la diversité des approches de durabilité et des modèles d’agriculture durable.

Nous proposons d’étudier la transition à l’échelle territoriale, en prenant comme territoire la région de Cusco (définie dans l’introduction générale) et à travers un cadre d’analyse inspiré des théories anglo-saxonnes des transitions technologiques. Ces théories se caractérisent par l’étude des trajectoires technologiques à travers une approche multi-dimensionnelle prenant en compte la multiplicité des acteurs impliqués dans un régime technologique donné (Lamine, 2012 : 141), en l’occurrence le système agro-alimentaire. Ce cadre théorique permet notamment de comprendre et de décrypter les mécanismes ou effets d’exclusion des voies alternatives (Dosi, 1982, cité par Lamine, 2012 : 141-142), aussi appelés « verrouillages ». Claire Lamine explique par exemple que, dans le cas de l’agriculture, les voies alternatives correspondant à certains modèles d’agriculture durable, notamment ceux visant une durabilité forte, peuvent se trouver bloquées, verrouillées car « les trajectoires convergentes des différents acteurs contribueraient à l’émergence et au renforcement d’un régime technologique productiviste » basé sur une forte dépendance aux intrants chimiques (Ibid. : 142). C’est précisément cette dynamique d’auto-renforcement du régime technologique dominant qui empêchent l’émergence de technologies alternatives, quand bien même ces innovations apparaissent comme supérieures aux technologies en place (Ibid.). Depuis les années 2000, des chercheurs hollandais (Geels, 2002. Geels et Schot, 2007) développent un cadre d’analyse spécifique pour étudier la transition des régimes technologiques vers des modèles de durabilité, appelé « Sustainability Transition Studies », et ce, dans une perspective multi-niveau (Multi-Level Perspective – MLP). Le concept de transition, entendu comme le passage d’un état à un autre, est ici appréhendé au sens large, systémique et holiste, intégrant tous les secteurs et tous les acteurs de la société. Lorsque Geels parle de transitions technologiques, il précise que celles-ci « impliquent non seulement des changements technologiques, mais aussi des changements d'éléments tels que les pratiques des usagers, la réglementation, les réseaux industriels, l'infrastructure et le sens symbolique » (notre traduction1) (2002 : 1257). Cette théorie de la transition apparaît plus pertinente et plus adaptée à notre objet d’étude que la théorie de la diffusion de l’innovation développée par des sociologues ruralistes états-uniens et notamment Everett M. Rogers (1996), selon laquelle la diffusion est appréhendée avant tout comme un processus chronologique. Selon cette théorie, la diffusion de l’innovation résulte de l’accumulation progressive de différents groupes d’adoptants, caractérisés essentiellement par leur positionnement chronologique dans le processus global de diffusion : d’abord les « innovateurs », puis les « premiers adoptants » suivis de la « première majorité » et de la « majorité tardive », et enfin les

« retardataires » (Padel, 2001). Comme le résument Stassart et al., dans ce modèle de Rogers « le

1 Traduction de : “TT do not only involve technological changes, but also changes in elements such as user practices, regulation, industrial networks, infrastructure, and symbolic meaning”.

62 changement est fondé sur le découplage entre les phases de conception et de diffusion de l’innovation et est compris comme un processus linéaire de multiplication d’une innovation initiale et du développement de son marché. Ce modèle fait dès lors l’impasse sur les processus d’apprentissage liés aux innovations socio-techniques et sur les mécanismes de coévolutions entre les différentes parties prenantes. » (2013 : 103-104). Par ailleurs, Susanne Padel rappelle que ce modèle s’est développé au paroxysme du paradigme productiviste et de la révolution verte et n’est donc pas approprié pour étudier les agricultures durables et leurs objectifs environnementaux et plus largement les objectifs en termes de durabilité qu’elles comportent (2001 : 40). Elle ajoute que ce modèle est surtout centré sur les caractéristiques personnelles des producteurs et peu, ou pas suffisamment, sur l’environnement économique, structurel, institutionnel, politique et culturel de l’agriculture qui influence pourtant de façon déterminante la décision d’adoption (Ibid. : 55-56). La théorie de la transition de Geels et Schot propose quant à elle d'analyser la complexité des processus de transition vers la durabilité à travers les interactions entre trois niveaux : le paysage socio-technique, le régime socio-technique et les innovations de niche.

- Le paysage socio-technique forme l’environnement exogène au régime socio-technique. Il est composé des macro-économies, des grands modèles de représentations culturelles (deep cultural patterns) et des développements macro-politiques (Geels et Schot, 2007 : 400). « Il s’agit d’éléments de contexte pouvant influencer le régime tels que, dans le cas qui nous intéresse, les grandes crises écologiques, les mouvements sociaux, des institutions internationales telles que la FAO, etc. » (Stassart et al., 2013 : 104). A ce niveau du

« paysage », les changements s’effectuent sur un temps long, de l'ordre de la décennie.

- Les régimes socio-techniques (ou version élargie du régime technologique) sont des ensembles de routines cognitives, de croyances, de connaissances, de normes (standards), règles et régulations, d’acteurs, qui orientent les pratiques dans un certain domaine (agro-alimentaire, habitat, énergie, etc.). Ils regroupent le monde politique, celui des sciences, des technologies, de l’industrie, de la culture, les marchés et les préférences des consommateurs. La stabilité d’un régime repose sur la forte interdépendance entre ces différents éléments. Ceci génère un certain degré d’irréversibilité qui rend le régime plus ou moins résistant au changement (Ibid.).

- Les niches d’innovations (ou innovations de niches). Si le paysage correspond au niveau

« macro », le régime au niveau « meso », les niches-innovations correspondent au niveau

« micro » où émergent des innovations radicales. Les niches agissent comme des « chambres d’incubation » protégeant l’innovation contre la sélection exercée par le marché dominant. Ces niches-innovations sont portées et développées par des petits réseaux d’acteurs spécifiques, souvent des outsiders ou des acteurs marginaux.

Les interactions entre ces trois niveaux sont schématisées par Geels (2002) de la façon suivante :

63 Figure 5 : Schéma de la transition selon la perspective multi-niveau de Geels (2002)

Source : (Geels et Schot, 2007 : 401. adapted from Geels, 2002, p. 1263)

Dans ce modèle, la transition est possible lorsqu’il y a une convergence et des interactions entre les processus de changement aux trois niveaux. Les principales interactions sont les suivantes : les changements dans le paysage socio-technique (crise écologique/climatique, mouvements sociaux, institutions type FAO, etc.) créent des pressions sur le régime socio-technique ouvrant dans ce régime des fenêtres d’opportunités pour les innovations et parallèlement, les innovations de niche émergentes, elles-mêmes influencées par le paysage et le régime socio-techniques, profitent de l’ouverture de ces fenêtres pour s’intégrer dans le régime socio-technique. Mais cette intégration, ou apprentissage, n’est pas linéaire comme dans la théorie de la diffusion des innovations de Rogers (1996), elle correspond plutôt à un processus complexe, continu et itératif (Stassart et al., 2013 : 105). Stassart et al. précisent en effet que « l’innovation (niche) et le système (régime) existant sont en réalité pris dans un flux continu d’échanges parce qu’influencés l’un par l’autre dans un processus (l’innovation étant toujours en compétition par rapport à un élément du régime) » (Ibid. : 105-106). Geels et Schot (Geels, 2011. Geels et Schot, 2007) identifient quatre types de voies de transition (transition pathways) en fonction de la coïncidence temporelle entre les pressions du paysage sur le régime et l’émergence d’innovations de niche (timing of interactions) et la nature de ces interactions. Le tableau

64 ci-dessous présente ces quatre voies de transition nommées : transformation, reconfiguration, substitution technologique et désalignement – réalignement.

Tableau 8 : Typologies des voies de transition de Geels (2011) et mise en relation avec le modèle

« ESR »

Source : Geels, 2011 et Geels et Schot, 2007. Tableau Inspiré de Grisel, 2013 : 358. Adaptation personnelle

Ces quatre voies représentent quatre modèles de transition distincts devant être appréhendés séparément les uns des autres. Toutefois, Geels et Schot précisent que, dans certains cas, ces différentes voies peuvent aussi se succéder dans un même processus de transition (2007 : 413).

Lorsque les pressions du paysage socio-technique prennent la forme de « changements perturbateurs », une « séquence de voies de transition » peut potentiellement se mettre en place avec, au départ, la phase de transformation, suivi de la phase de reconfiguration, puis les phases de substitution et/ou de désalignement et réalignement (Ibid.). Les auteurs expliquent que les « changements perturbateurs » constituent un type de développement du paysage socio-technique spécifique : « En raison de leur vitesse faible, les acteurs ne perçoivent initialement que des changements modérés. Alors que la pression continue à s’accentuer dans une certaine direction, le changement de paysage devient progressivement plus perturbateur » (notre traduction1) (Ibid.). Selon eux, le changement climatique (et nous ajoutons la crise écologique, alimentaire, énergétique, la pauvreté, etc. soit plus globalement, la crise systémique) pourrait, dans les années et décennies à venir, s’affirmer comme des

« changements perturbateurs » et donner lieu à ces séquences de transition dans le secteur des transports et des énergies (Ibid.) et, probablement selon nous, dans le secteur agro-alimentaire.

Les quatre voies de transition définies par Geels et Schot peuvent en partie être mises en relation avec les trois approches de durabilité agricole du modèle efficience, substitution, reconception (ESR), comme nous le proposons sur le tableau ci-dessus. Et de la même manière, ces trois approches du modèle « ESR » peuvent être appréhendées soit comme des voies de transition distinctes, soit comme les différentes phases ou étapes d’un même processus de transition. Dans son rapport international, l’IAASTD propose un schéma de transition vers des systèmes durables (cf. figure n°6 ci-dessous) dans

1 Traduction de : “Because of its slow speed, actors initially perceive only moderate change. As pressure continues to build in a certain direction, landscape change gradually becomes more disruptive.”

65 lequel la première phase correspond à des démarches d’efficience, la seconde, à des démarches de substitution, et la troisième et dernière phase, nommée « systèmes agroécologiques » aux démarches de reconception. Notons que l’IAASTD considère l’apport de l’agriculture paysanne et des systèmes traditionnels indigènes comme partie prenante de la transition vers des systèmes durables.

Figure 6 : Processus de transition vers des systèmes durables selon l’IAASTD mis en relation avec le modèle « ESR »

Source : IAASTD 2009. Summary for Decision Makers of the Latin America and the Caribbean (LAC). Report.

28p (P. 9). En rouge, nos ajouts.

Un des enjeux des études sur la transition est précisément de chercher à savoir si, sur le terrain, ces différentes voies ou approches, celles de Geels comme celles du modèle ESR, apparaissent distinctes, indépendantes les unes des autres, ou si elles peuvent au contraire se succéder, s’additionner et se mélanger dans un même processus de transition. La réponse à cette question est évidemment complexe et nécessite une analyse sur le temps long. Or, nous verrons que la dynamique de transition en place dans la région de Cusco est relativement récente. Malgré tout, nous chercherons à apporter quelques premiers éléments de réponse tout au long de cette thèse. Quoi qu’il en soit, comme le rappellent Lamine et Bellon, le modèle ESR – mais cela vaut également pour le modèle de Geels, ne doit pas être utilisée dans une perspective normative selon laquelle la trajectoire souhaitable conduirait nécessairement vers l’étape de reconception, alors considérée comme une forme d’idéal du bio ou de l’agroécologie (2009a : 188). D’autres trajectoires, moins radicales, s’intègrent également, mais à des degrés différents, dans les objectifs de durabilité agricole.

EFFICIENCE

SUBSTITUTION

RECONCEPTION

66 L’agroécologiste Stephen Gliessman (2014 : 342), a complété le modèle ESR en proposant deux autres niveaux de transition permettant, entre autres, de distinguer l’échelle de l’exploitation des échelles régionale, nationale et internationale et d’inclure les questions relatives à la commercialisation, à la consommation et donc au système agro-alimentaire dans la globalité. Selon lui, les deux premiers niveaux de transition, l’efficience et la substitution, correspondent à l’échelle de l’exploitation (et/ou à l’agroécosystème) et le niveau 3 de reconception s’applique également à cette échelle mais aussi à l’échelle régionale. Le niveau 4, qui intègre notamment les phases de commercialisation et de consommation et peut se résumer par la formule « rétablir un peu de culture dans l’agriculture » (« to put some culture back into agriculture »), s’applique aux échelles locale, régionale et nationale. Enfin, le niveau 5 correspond à une reconstruction du système agro-alimentaire global, qui réunit « les agriculteurs, les ouvriers agricoles, les consommateurs, les grossistes, détaillants, distributeurs, courtiers, importateurs, exportateurs, fournisseurs et industries de produits phytosanitaires, le système de transport, les mécanismes de régulation étatiques et les structures économiques, socioculturelles et politiques plus larges dans lesquelles opèrent la production et la distribution de l’alimentation » (notre traduction1) (Ibid. : 31). Claire Lamine donne une définition très similaire de ce système agro-alimentaire global2. Cette reconstruction du système agro-alimentaire global implique un changement de paradigme dans lequel le changement social et la durabilité agricole apparaîtraient intrinsèquement liés (Gliessman, 2014 : xii).

Tableau 9 : Les cinq niveaux de transition agroécologique définis par Gliessman (2014)

NIVEAUX ECHELLE 1. Efficience des pratiques agro-industrielles Exploitation Primordial Important Mineur 2. Substitution par des pratiques et intrants

alternatifs Exploitation Primordial Important Mineur

3. Reconception de l’agroécosystème entier Exploitation,

global pour le rendre durable et équitable pour tous

Monde Soutien Important Primordial Source : Gliessman, 2014 : 342. Traduction et synthèse personnelle.

1 Traduction de : “Food systems include farmers, farmworkers, consumers, food wholesalers, food retailers, food distributors, food brokers, importers, exporters, suppliers and manufacturers of agricultural inputs,

transportation systems, government regulatory apparatuses, and the larger economic, sociocultural, and political structures within which food production and distribution occurs”.

2 Selon Claire lamine, le système agro-alimentaire global peut être défini comme « englobant les agriculteurs, le conseil, la recherche, les acteurs de l’amont et de l’aval des filières, les politiques publiques et les instances de régulation (réglementation des phytosanitaires, des pollutions, des semences et de la qualité des produits notamment), les consommateurs et la société civile » (2012 : 139).

67 Tout en gardant à l’esprit les limites de ces modèles théoriques1 – critiques auxquelles s’efforcent de répondre Geels et Schot (2007 : 402-405) – nous considérons avec Stassart et al. (2013) et Claire Lamine (2012) que la théorie de la transition construite initialement pour le secteur industriel peut parfaitement être adaptée au secteur agro-alimentaire. Aussi, pour notre étude, nous proposons un modèle de transition agro-écologique en partie inspiré du modèle de Geels et de la typologie ESR complétée par Gliessman, mais simplifié et adapté à notre terrain d’étude. Nous distinguons ainsi trois niveaux ou échelles d’analyse : l’échelle du producteur, le système agro-alimentaire territorial et le système agro-alimentaire global.

- Notre étude se focalise en partie à l’échelle individuelle, celle du producteur et de sa famille, de son exploitation ou agroécosystème et surtout sur ses stratégies et logiques d’adoption personnelles.

- Elle porte plus largement sur le décryptage de la dynamique d’émergence des agricultures durables à l’échelle d’un territoire, celui de la région de Cusco. Cette échelle territoriale permet d’appréhender les interrelations entre secteurs et acteurs, les dynamiques d’émergence, et éventuellement de marginalisation et/ou de verrouillages des alternatives agro-alimentaires à partir d’analyses documentaires et d’enquêtes de terrain. Dans cette optique, Claire Lamine propose le concept de Systèmes Agri-Alimentaires Territoriaux (SAAT) comme déclinaison, à l’échelle du territoire, du système socio-technique global. « À l’échelle territoriale, les différents niveaux du système sociotechnique peuvent être appréhendés concrètement, même si ce système n’est évidemment pas clos sur un territoire. Nous parlerons donc de système agri-alimentaire territorial, englobant non seulement les acteurs locaux des filières de production, de transformation, de distribution, mais aussi le conseil technique, les politiques publiques territoriales ou territorialisées, les consommateurs et la société civile. On peut dire que ce système englobe également, de fait, les différents dispositifs et réseaux mettant en relation production, commercialisation et consommation (qu’il s’agisse de circuits courts ou longs), ces deux définitions facilitant de fait le repérage des acteurs. Nous assumons ainsi une perspective dans laquelle le territoire est pour le sociologue un cadre d’observation des diverses formes d’interaction et de coordination entre acteurs (Alphandéry et Bergues, 2004). » (2012 : 143). Nous transformons simplement le préfixe agri- par agro-, dans la mesure où nous les considérons ici comme des synonymes. Nous parlerons donc de système agro-alimentaire territorial, pouvant ainsi être mis directement en relation avec le système agro-alimentaire global. Dans notre étude, nous rassemblons dans ce SAAT l’échelle individuelle (les producteurs et leur logiques/stratégies), l’échelle des agroécosystèmes,

1 « La théorie de la transition fait l'objet de plusieurs critiques, parmi lesquelles nous retiendrons la suivante : en termes de transformation radicale, c’est à dire de réorientation ou de création d’un régime, cette théorie ne permet pas de caractériser la manière dont le développement d’une niche peut affecter un régime. Face à cette critique, Grin et van Staveren (2007) utilisent le terme d’ancrage (anchoring) pour décrire le processus qui permet de créer des liens entre la niche et le régime. La métaphore de l’ancrage indique que les connexions entre niches et régime peuvent être initialement assez fragiles et aisément rompues, comme c’est le cas pour une ancre. La manière de jeter l’ancre et le substrat dans lequel s’effectue l’ancrage va pouvoir déterminer les chances de succès d'une innovation. Cette notion d’ancrage permet de répondre à une critique fréquente du modèle multi-niveaux de la théorie de la transition : celle de la dissociation entre l’espace du régime et de la niche. En effet, certains acteurs peuvent être impliqués simultanément dans le processus de développement d’une niche tout en jouant un rôle dans la stabilité d’un régime. », expliquent Stassart et al. (2013 : 106).

68 l’échelle locale et l’échelle régionale, soit la région de Cusco telle qu’elle a été définie dans l’introduction générale. Cette échelle locale ou territoriale du système agro-alimentaire nous semble pertinente pour étudier un éventuel processus de transition dans la mesure où nous avons vu plus haut que la reterritorialisation constitue un des principes majeurs de l’agriculture durable. Dans ce SAAT peuvent en effet émerger des innovations agro-écologiques, agro-commerciales, économiques (Chapitre III, IV, V), sociales et politico-culturelles (Chapitre VI et VII) donnant potentiellement lieu à des innovations territoriales.

Ces différentes innovations correspondent aux niches d’innovation de Geels et peuvent, si elles se généralisent, participer à la construction d’une transition vers un système agro-alimentaire territorial durable.

- Le système agro-alimentaire global (SAAG), tel qu’il est décrit ci-dessus par Gliessman, correspondrait, dans la perspective multi-niveau de Geels, au paysage socio-technique et au

- Le système agro-alimentaire global (SAAG), tel qu’il est décrit ci-dessus par Gliessman, correspondrait, dans la perspective multi-niveau de Geels, au paysage socio-technique et au

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