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Quels terrains et pourquoi ?

B. Problèmes écologiques et changements climatiques

Le milieu andin est un milieu riche par sa diversité mais aussi un milieu particulièrement fragile. Les principaux problèmes agro-écologiques actuels sont : la dégradation des sols, la déforestation, la perte de terres agricoles, la dégradation des écosystèmes, l’apparition de nouvelles maladies ou de plantes invasives comme le kikuyu (pennisetum clandestinum) (Jobbé Duval, Cochet et Bourliaud, 2007 : 175) et enfin, les pollutions multiformes, du sol, de l’air, de l’eau (notamment liées aux exploitations minières), visuelle, etc. (cf. photographies ci-dessous). Nous nous concentrons ici sur le premier problème, celui des sols, crucial pour l’activité agricole et sur un problème plus général et lié à tous les autres, le phénomène du changement climatique.

Photographie 5 : Le problème de la gestion des déchets dans les Andes péruviennes

A gauche : pollution sur le fleuve Vilcanota-Urubamba, dans la VSI. A droite, déchèterie improvisée dans la communauté isolée d’Antapallpa (TC2). (Crédits : Margaux Girard)

108 1. La dégradation des sols

La qualité des sols est très variable dans les Andes, selon les étages, l’exposition, la pente, etc.

Globalement, les sols des fonds de vallée sont de meilleure qualité que les autres (cf. encadré ci-dessous sur la VSI). Les sols des versants sont minces, peu épais sur la roche-mère, à déclivité prononcée et subissent l’érosion. Ils se renouvellent lentement et la matière organique est rare (Dollfus, 1992 : 26. 1981 : 48). Dans l’étage de la puna, la matière organique est abondante dans les sols mais leur évolution est ralentie par le froid (Dollfus, 1992 : 27). Par ailleurs ils sont également minces, très fragiles, et se dégradent vite. A cet étage, les pratiques agricoles traditionnelles sont adaptées à cette fragilité des sols : on y pratique le muyuy ou layme : une rotation de cultures sur trois ans (avec la pomme de terre en tête de rotation, puis orge/lupin/fève…) suivie d’une période de repos pâturé de 6 à 10 ans (Ibid.) ou friche herbeuse d’environ sept ans (Mazoyer et Roudart, 2002 : 264), assurant le renouvellement de la fertilité des sols (cf. chapitre III, partie II.A.4). Mais globalement, les sols andins sont relativement dégradés, et ce, à cause de différents phénomènes d’érosion biochimique, mécanique, et anthropique (Tapia, 1996 : 128. Rieder et Wyder, 1999 : 89. Dufumier, 2004 : 387.

Demangeot, 1999 : 232). Lorsqu’elle n’est pas contrôlée par les terrasses, l’érosion de ruissellement (érosion mécanique) provoque des dégâts considérables comme la formation de ravinements et de glissements de terrains (Dollfus, 1992 : 26). L’érosion des sols touche l’ensemble du pays : 41,6% des terres sont touchées par une érosion très légère, 27,5% par une érosion légère, 24,5% par une érosion modérée, et 6,4% (8 241 000 hectares) par une érosion sévère, et cette érosion sévère concerne surtout la sierra (4,2%, contre 2% dans la costa et 0,2% dans la selva) (INEI, 2015a : 64). Par ailleurs, sur l’ensemble de la superficie totale du Pérou (128 521 560 hectares), plus d’un quart (34 400 000 hectares) est affecté par la désertification1 (surtout dans la sierra, un peu sur la costa) (Ibid.). Marc Dufumier pointe également, pour expliquer la dégradation des sols andins, la diminution des apports en matières organiques liée à la « diminution brutale du volume de biomasse pâturée et la réduction de la taille des troupeaux » et qui entraîne une baisse de la fertilité et de la stabilité structurale (2004 : 387). Les autres agents d’érosion sont la surexploitation ou la pression sur les terres se traduisant par une réduction du temps de repos de la terre (Ladislao Palomino et Victor Nina de l’INIA, à Zurite.

17/10/2014), et dans certaines zones localisées, le surpâturage. En effet, globalement l’association agriculture-élevage diminue, sauf dans certaines zones spécialisées dans l’élevage comme les punas (Aubron, 2006) et dans certains espaces autour des villes (Rebaï, 2012). On retrouve ces différents facteurs d’érosions biochimique, mécanique et anthropique dans la VSI, comme le montrent les photographies ci-dessous.

1 Le Chapitre 12 d'Action 21 adopté par la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le

développement (CNUED) définit la désertification comme étant « la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et sèches subhumides par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines ». Disponible sur : http://www.fao.org/docrep/V0265F/v0265f01.htm

109 Photographie 6 : L’érosion des sols dans les Andes (Vallée sacrée des Incas)

A gauche, cônes d’éboulis dus à l’érosion des versants par la succession gel/dégel et les écoulements torrentiels de surface autour de la communauté paysanne de Poques (Secteur : Sapaqto), à 4 200 mètres, sur les hauteurs

de Lamay, dans la VSI. A droite : érosion mécanique et surtout anthropique le long de la route reliant Ollantaytambo à Quillabamba, en quittant la VSI. (Crédits : Margaux Girard)

Les sols du fond de la Vallée sacrée des Incas, de grande qualité mais en cours de dégradation Dans la VSI, globalement, les terres sont variées, de bonne qualité et meubles (Molinié-Fioravanti, 1982 : 24. Brisseau Loaiza, 1977 : 38). Les meilleures terres sont celles situées sur les terrasses inca, en pierre (cf. chapitre IV, partie II.A.5.a), « gradins anti-érosion » (Demangeot, 1999 : 233). Précisons que dans cette Vallée sacrée, les principaux ensembles de terrasses, ceux de Pisac, Moray, Ollantaytambo, Chinchero, Huchuy Qosqo, etc. sont devenus des sites touristiques importants et ne sont plus cultivés par les communautés, ou occasionnellement, les autorités craignant que leur mise en culture endommage le site… En dehors de ces terrasses de pierre, les terres les plus riches se situent logiquement au fond de vallée, sur les cônes de déjections et les terrasses alluviales (Salis, 1987 : 18).

Ces terres sont majoritairement décrites comme étant d’excellente qualité, il s’agit de terres franches1. On retrouve aussi des sols franc-argileux ou franc-sablonneux. La bonne qualité des terres de la Vallée connaît toutefois des exceptions : notamment sur les cônes de déjections - « Ces cônes présentent des sols variés, pas toujours très riches, et il a fallu les épierrer avant de les cultiver ». (Brisseau Loaiza, 1977 : 40) – ou sur certaines terres bordant le fleuve, très argileux et posant des problèmes d’aération et de perméabilité (Molinié-Fioravanti, 1982 : 24). Par ailleurs, un phénomène propre à ce territoire participe également à la dégradation des sols : l’usage intensif de fertilisants chimiques qui occasionne une salinisation de certaines zones du fond de vallée. (Rivera Campos et Riveros Serrato, 2008 : 125).

2. Changements climatiques : raréfaction des ressources en eau, changement de régime des pluies et hausse des températures

La grande majorité des producteurs interrogés ont évoqué, à un moment ou à un autre, les problèmes causés par les dérèglements climatiques. Précisons à ce sujet que ce sujet est de plus en plus évoqué par les ONG, les médias nationaux, notamment car la COP20 fut organisée à Lima, fin 2014. Le Pérou et les Andes en général, sont en effet parmi les régions les plus affectées par ce phénomène : multiplication des phénomènes climatiques extrêmes (sécheresses, inondations, gelées, grêles, fortes pluies, vents violents, friajes2, etc. observés par la grande majorité de nos interlocuteurs), participation

1 « Bonne terre végétale, propre à la culture, sans cailloux, ni graviers, et contenant en proportions

convenables, calcaire, sable, humus, argile » (d'apr. Plais.-Caill. 1958) ». Source : Franche (s.d.). In Le Trésor de la Langue Française informatisé. Disponible sur : http://www.cnrtl.fr/definition/franche.

2 Chutes brutales des températures en zone tropicale ou selva.

110 à l’extinction d’espèces animales et végétales en Amazonie, baisse des rendements de blé et de maïs, etc. (Eguren, 2015c : 6-7). Pour les producteurs de notre étude, la conséquence la plus manifeste et la plus inquiétante du changement climatique concerne la disponibilité en eau. Ils citent en premier lieu la raréfaction des ressources en eau en général, la diminution, l’irrégularité et l’imprévisibilité des pluies (arrivée tardive des premières pluies). Tout en ayant bien conscience que les causes de cette raréfaction des ressources en eaux sont multifactorielles, notons que les ressources nationales sont particulièrement touchées : « On estime que dans quatre décennies, le Pérou bénéficiera seulement de 60% de l’eau qu’elle a aujourd’hui » (Eguren, 2015c : 6). Cette perte des ressources en eau se traduirait essentiellement par la fonte des glaciers andins. Les glaciers à latitude intertropicale des Andes ont, par exemple, déjà perdu 30 à 50% de leur surface depuis quatre décennies (Jomelli et al, 2014). Il ressort par ailleurs du dernier recensement agricole qu’au niveau national, environ 774 900 hectares de surface agricole ne sont pas travaillés, principalement à cause du manque d’eau (INEI, CENAGRO IV, 2012). En ce qui concerne la diminution des précipitations, en revanche, ce phénomène n’est pas confirmé par les données météorologiques. Au contraire, les précipitations augmentent même dans la région au cours du XXème siècle, comme le montre le diagramme suivant.

Figure 14 : Evolution des précipitations (moyenne mensuelle par année) entre 1931 et 2014 enregistrées à la station météorologique de K'ayra (Cusco)

Trait rouge : courbe de tendance linéaire. Réalisation : Margaux Girard. Source : SENAMHI Cusco 1931-2014.

Cette contradiction entre leurs discours et la réalité s’explique très certainement par une confusion, de la part de nos interlocuteurs, « entre diminution des précipitations et changement de régime de précipitations, celles-ci devenant effectivement plus irrégulières et plus imprévisibles », selon Zenón Huamán Gutiérrez, directeur du bureau du SENAHMI à Cusco (le 26/11/2015). « Normalement, les premières pluies arrivent fin août, début septembre mais de plus en plus elles arrivent en octobre ou novembre, donc les producteurs attendent désespérément… de plus, ce sont des précipitations courtes mais très intenses, donc ça donne l’impression aux agriculteurs qu’il ne pleut pas… » précise-t-il. En effet, ces précipitations tombant « en trombes d’eau » sur une brève période sont bien moins efficaces pour l’agriculture que des précipitations disséminées en pluies continues. Dans ce contexte montagnard andin, comme dans d’autres régions montagneuses du monde caractérisées par une grande variabilité pluviométrique, la gestion des manques et des excès d’eau devient un enjeu majeur de l’agriculture contemporaine et future (Ardillier Carras, 2009).

111 Selon nos interlocuteurs cusquéniens (dont les producteurs) le changement climatique se manifeste également par une augmentation des températures - phénomène qui est, cette fois-ci, confirmé par les données météorologiques - comme le montre le diagramme suivant.

Figure 15 : Evolution des températures (moyennes annuelles) entre 1964 et 2014 enregistrées à la station météorologique de K'ayra (Cusco)

Trait rouge : courbe de tendance linéaire. Réalisation : Margaux Girard. Source : SENAMHI Cusco 1931-2014.

Cette augmentation des températures d’environ un degré en 50 ans entraîne la fonte des glaciers, évoquée ci-dessus, qui provoque, à court terme et sur certains espaces, une certaine abondance, voire un excès d’eau sur les versants et dans les vallées (Ruth Huayta Mango. 06/10/2014) et à long terme, un épuisement de cette ressource. Elle provoque également l’« élévation » des étages écologiques, ou plus précisément l’« élévation » des limites altitudinales des aires d’extension des plantes, phénomène observé par la plupart de nos interlocuteurs, notamment ceux vivant sur les hautes terres. Il s’agit, d’un côté, d’un phénomène positif car les communautés paysannes des hautes altitudes peuvent désormais cultiver certaines plantes qui poussent normalement plus bas, comme certains légumes (oignon, carotte, courge) ou légumineuses (fèves) et ainsi diversifier leur production et leur alimentation. D’un autre côté, cette « élévation altitudinale » des plantes s’accompagne nécessairement de l’« élévation altitudinale » des ravageurs et maladies associées à ces plantes (Zenón Huamán Gutiérrez, SENAHMI, le 26/11/2015). Ces producteurs doivent alors faire face à la prolifération de maladies « nouvelles » et ravageurs « nouveaux » (« nouveaux » pour eux) qu’ils combattent généralement avec des pesticides chimiques (Efrain Quispe Huampfotupa. Agencia Agraria de Calca. 30/10/2014), faute d’autres moyens et savoirs. Cette élévation des températures permet également, sur les hautes terres, de réduire les cycles végétatifs, et donc de faire trois récoltes par an, au lieu des deux habituels, sur une même parcelle : par exemple à Tambo (P. Paruro) les producteurs cultivent désormais sur une même parcelle et une même année de la papa maway (précoce) puis de l’oignon, puis du fourrage. Ces conséquences peuvent évidemment être perçues comme positives. Quoi qu’il en soit, ces bouleversements agricoles engendrés par les changements climatiques demandent un travail d’adaptation continu de la part des producteurs dont les connaissances et pratiques traditionnelles (le calendrier agricole, la gestion des maladies et ravageurs, etc.) sont remises en cause.

Cette brève présentation du milieu physique de notre zone d’étude et des enjeux auxquels il fait face actuellement montre à quel point la notion de durabilité est complexe et dépend de l’angle de vue adopté. Au niveau agronomique, les principaux enjeux actuels semblent être la dégradation des sols et les changements climatiques, deux dynamiques qui, quoi qu’il en soit, remettent profondément en cause la capacité de résilience et l’autonomie tant du milieu que des agriculteurs andins. Aussi, il

112 apparaît justifié de se demander si les agricultures durables et notamment l’agroécologie, théoriquement spécialisées dans la conservation des sols et l’adaptation au changement climatique, ne pourraient pas pallier à ces difficultés.

Les problématiques pédologiques, écologiques et climatiques qui viennent d’être présentées concernent aujourd’hui peu ou prou, et selon des modalités différentes, toutes les régions du monde.

En ce sens, la région de Cusco représente une illustration locale, spécifiquement andine, de la crise écologique et climatique globale. A l’échelle internationale, le milieu andin est à la fois particulièrement vulnérable mais aussi particulièrement riche et diversifié, ce qui est lié. Dans la région de Cusco, cette richesse et cette diversité en termes d’écosystèmes, de biodiversité, de paysages, etc. sont associées à des richesses historiques et culturelles et finalement à des spécificités socio-économiques qui la distinguent des autres territoires dans le processus de mondialisation.

II. Une région de plus en plus connectée au système monde : concentration de touristes, d’immigrés et capitale « New Age » sud-américaine

A l’échelle internationale, la région de Cusco est connue pour être une région touristique majeure, une

« région symbole », capitale mythique des Incas, toute proche du Machu Picchu, donc une des capitales de la culture andine, mais aussi capitale mystique et spirituelle pour les New-agers/hippies, spécifiquement dédiée au culte de la Terre-Mère (Pachamama). Ces différentes richesses paysagères, archéologiques et culturelles attirent plus de touristes et d’immigrés que les autres départements du pays (excepté Lima), mais aussi plus d’ONG (cf. chapitre IV, partie I.A.1.).

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