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Chapitre I : Etudier la multidimensionnalité de la durabilité agricole grâce à la géographie environnementale grâce à la géographie environnementale

CONNAISSANCE - PRODUCTION - COMMERCIALISATION – SOCIALIBILTE CONSOMMATION

B. Les agricultures durables dans le monde : diversités des fins et des moyens

4. L’agroécologie, le modèle de durabilité agricole du XXI ème siècle ?

Pensée par des scientifiques occidentaux dès les années 1930, expérimentée par des chercheurs et des mouvements paysans en Amérique latine à partir des années 1970, l’agroécologie se diffuse depuis les années 1980, et fait de plus en plus parler d’elle ces dernières années. Ce modèle est en effet cité comme référence par de nombreuses institutions internationales comme la Banque Mondiale, la FAO, le PNUD, le PNUE, l’UNESCO ou encore l’OMS, à travers le rapport « Agriculture at a crossroads » (IAASTD, 2009a) ou celui d’Olivier De Schutter, rapporteur Spécial auprès des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, intitulé « Agroecology and the Right to Food » (2011), mais aussi par des ONG, et au niveau français par le Ministère de l’agriculture (Projet agro-écologique de Stéphane Le Foll), le CIRAD, l’INRA, etc. D’une manière générale, l’agroécologie est de plus en plus associée aux réflexions sur la durabilité agricole aussi bien dans les milieux scientifiques, institutionnels, que militants et politiques (Gliessman, 2014 : 29. Wezel et al., 2009 : 505. Wezel et al. 2014) au point d’apparaître comme le modèle d’agriculture durable « à la mode » en ce début de XXIème siècle. Pour cette raison, mais aussi car sa démarche transcalaire et transdisciplinaire nous semble le plus en cohérence avec l’approche multidimensionnelle de la durabilité que nous avons définie et car ce modèle est né en partie sur le continent sud-américain, nous choisissons d’y porter une attention particulière tout au long de cette étude.

a. Qu’est-ce que l’agroécologie ? Un concept devenu polysémique

Il existe aujourd’hui une multitude de définitions de l’agroécologie, mais comme pour l’agriculture durable en général et pour l’agriculture biologique (cf. annexe n°1), deux approches peuvent distinguées (Guzmán Casado, Gonzalez de Molina et Sevilla Guzmán, 2000 : 85-86) : Une agroécologie « originelle », large, scientifique et civile, qui propose une approche transcalaire et transdisciplinaire visant une durabilité forte (et proche sous certains aspects du modèle originel de l’agriculture biologique. cf. annexe n°1) et une agro-écologie plus récente et plus restreinte, institutionnelle, politique et commerciale, « limitée » à l’écosystème et à l’intensification écologique.

Cette seconde approche qui s’intègre pleinement dans les processus de conventionnalisation et d’institutionnalisation des alternatives peut inclure des initiatives visant une durabilité forte mais est

54 globalement plus proche du concept de durabilité faible. Certains proposent de différencier ces deux approches en nommant la première « l’agroécologie paysanne » et la seconde « l’agroécologie » (Collectif pour une agroécologie paysanne, 2014). D’autres distinguent la « soft agroecology » (le modèle originel et large) de la « hard agroeocology » (le modèle récent et restreint) (Dalgaard, Hutchings et Porter, 2003 : 40-41). Pour différencier ces deux approches, nous utiliserons l’orthographe « agroécologie » (sans tiret) pour se référer au modèle originel, et nous préférerons l’orthographe « agro-écologie »(avec tiret) pour se référer à la seconde acception. Nous avons déjà précisé dans l’introduction générale et l’introduction de ce chapitre, que dans cette thèse, l’adjectif

« agro-écologique » écrit avec un tiret est un terme « neutre » caractérisant la mise en relation de l’agronomie et de l’écologie, et est utilisé comme synonyme d’agriculture durable au sens large, visant aussi bien une durabilité forte que faible. Nous nous intéressons ici surtout à l’agroécologie

« originelle » visant une durabilité forte. Présentons cependant brièvement cette seconde tendance.

L’agro-écologie visant plutôt une durabilité faible se caractérise de façon schématique par une non prise en compte des objectifs socio-culturels et politiques de l’agroécologie originelle et par une focalisation « unique » sur les aspects technico-agronomiques et productifs. On parle d’une agro-écologie « scientiste ou technocratique » (Gonzalez de Molina, 2013 : 46), ou « faible », vue simplement comme « une technique ou un instrument méthodologique » (Guzmán Casado et al., 2000 : 85) ou encore de « technologisme alternatif », pour reprendre les mots de Christian Deverre (2011 : 42 – 43) qui considère que cette approche est « à l’heure actuelle très prégnant dans les réflexions sur l’agroécologie en France. » (Ibid. : 49). En effet, cette vision étroite de l’agro-écologie est en plein développement au sein des grandes institutions françaises dédiées à l’agriculture, notamment au ministère de l’agriculture avec le « Projet agro-écologique pour la France »1, mais aussi, dans une moindre mesure, à l’INRA et au CIRAD. Il s’agit là d’un des exemples les plus manifestes d’institutionnalisation de l’agroécologie (Arnauld de Sartre, 2015). Cette approche de l’agro-écologie pourrait correspondre, au niveau français, au nouveau nom donné à l’agriculture durable ou à l’agriculture « raisonnée » et pourrait être présentée comme un simple « verdissement » (ou green washing) de l'agriculture conventionnelle ou dit autrement, une agriculture conventionnelle « moins polluante » (Caplat, 2012 : 86). « En réalité, cette agroécologie faible est très peu différente de l’agronomie conventionnelle, et n’implique qu’une rupture partielle par rapport aux visions traditionnelles » résument Guzmán Casado et al. (2000 : 86). Jacques Caplat va plus loin en affirmant que cette forme d’agro-écologie refuse « toute rupture avec la "pensée unique" de l’agronomie industrielle » (2012 : 86). Et de citer l’exemple d’agronomes se revendiquant de cette agro-écologie mais acceptant les OGM et le recours limité aux pesticides, ou encore de la chaîne de restauration rapide Mc Donald’s qui utilise désormais ce terme pour communiquer sur ces produits (Ibid.).

La première acception de l’agroécologie, l’agroécologie originelle, se distingue quant à elle des autres agricultures durables par deux caractéristiques principales : son approche à la fois profondément transdisciplinaire, associant l’agronomie, l’écologie, la géographie, la sociologie, l’économie et toutes

1 Par ailleurs, en aout 2015, l'agro-écologie (avec un tiret) (et l’agroforesterie) a fait son entrée officielle dans la langue française, par un avis au Journal officiel de la république (JO du 19 aout 2015). Elle est définie comme un

« ensemble de pratiques agricoles privilégiant les interactions biologiques et visant à une utilisation optimale des possibilités offertes par les agrosystèmes » et une note précise : « L’agro-écologie tend notamment à combiner une production agricole compétitive avec une exploitation raisonnée des ressources naturelles ».

55 les sciences sociales1 (Francis et al., 2008. Ruiz Rosado, 2006. Buttel, 2003. Dalgaard, Hutchings et Porter, 2003. Pretty, 2008) et multiscalaire – elle intègre en effet l’échelle de la parcelle (Bensin, Friederichs), puis l’échelle de l’agro-écosystème (Odum. Altieri), et enfin l’échelle du système alimentaire (Francis et al., 2003. Gliessman, 2014), c’est-à-dire la société dans son ensemble (David et al., 2011). Cette prise en compte multiscalaire et transdisciplinaire complexifie grandement l’exercice de définition de cette agriculture. On peut toutefois retenir deux principes majeurs : Au sens strictement agronomique et écologique, l'agroécologie se définit comme la conception des systèmes agricoles basés sur l’optimisation écologique de la productivité agricole et la maximisation des services écosystémiques (David et al., 2011). Mais elle se définit aussi et surtout par son approche profondément systémique et holiste. Dans son célèbre rapport, « Agroecology and the Right to Food » (2011), Olivier De Schutter la définit selon cinq objectifs qui dépassent largement les strictes considérations techniques et agro-écologiques et s’inscrivent dans une perspective plus large de développement rural :

- Disponibilité : l’agroécologie accroît la productivité au niveau local - Accessibilité : l’agroécologie réduit la pauvreté rurale

- Adéquation : l’agroécologie contribue à l’amélioration de la nutrition - Durabilité : l’agroécologie facilite l’adaptation au changement climatique

- Participation des agriculteurs : un atout pour la diffusion des meilleures pratiques.

b. L’agroécologie, bien plus qu’un modèle agricole, une proposition pour un modèle de développement rural alternatif

L’agroécologie se distingue par sa prise en compte du développement rural dans son intégralité, mais aussi et surtout par une proposition de développement rural alternatif. Cette proposition est synthétisée dans la définition de synthèse de l’agroécologie proposée par Stassart et al. (2012), résumée dans le tableau suivant.

1 Ce modèle peut être défini comme « un ensemble disciplinaire alimenté par le croisement des sciences agronomiques (agronomie, zootechnie), de l’écologie appliquée aux agroécosystèmes et des sciences humaines et sociales (sociologie, économie, géographie) (Tomich et al., 2011) » (David et al., 2011). En 2007, Buttel présente l’agroécologie comme une « interdiscipline qui inclut les sciences humaines et les sciences sociales tout autant que les sciences écologiques et agricoles ». Pour Dalgaard et al., l’agroécologie est « une discipline intégrée qui prend en considération des connaissances de l'agronomie, l'écologie, la sociologie et l'économie. » (2003).

56 Tableau 7 : Principes de l’agroécologie (d’après Stassart et al., 2012).

Réalisation : Margaux Girard. Sources : Stassart et al., 2012

Cette définition reprend les cinq principes historiques de Miguel Altieri (1995), considéré comme un des pères de l’agroécologie, auxquels elle en ajoute un sixième, essentiel, lié à l’autonomie des agriculteurs et à la souveraineté alimentaire, et une série de principes méthodologiques et socio-économiques, dont la plupart appellent à un changement de paradigme global. En effet, les alternatives au système actuel sont recherchées comme en témoignent les propositions suivantes : « exploration de situations nouvelles », « favoriser les possibilités de choix ». Ce changement de paradigme vaut aussi pour le domaine scientifique où la co-construction des savoirs, entre savoirs paysans et savoirs scientifiques, est encouragée (« dispositifs de recherche participatifs », « diversité des savoirs ») (De Schutter et Vanloqueren, 2011). Citons ici la philosophe Isabelle Stengers, selon qui l’intérêt, entre autres, de l’agroécologie réside dans ce pari « de pouvoir fabriquer avec les intéressés, les paysans, mais aussi avec tous ceux dont dépend ce qu’est un produit agricole, un savoir qui relie et qui soit pertinent, c’est-à-dire le contraire d’un savoir top-down : un savoir "entre". » (Stengers et Deléage, 2014 : 71). En se basant sur les travaux de Francis et al. (2003), François léger (2015) propose la définition suivante : « L’agroécologie est l’écologie du système alimentaire dans sa totalité, le substrat scientifique d’un développement durable pensé sur le long terme, sans hiérarchie entre dimensions économiques, sociales, culturelles, environnementales ». En somme, l’agroécologie apparaît comme un nouveau paradigme fusionnant des idéaux forts de durabilité. D’une part, elle comprend des pratiques agricoles respectant le milieu naturel et susceptibles d’accroître les rendements agricoles et de résoudre les problèmes alimentaires (idéaux agronomiques et alimentaires), d’autre part, elle intègre des pratiques sociales s’appuyant sur les cultures locales et l’autonomie des communautés paysannes face à la mondialisation (idéaux culturels et socio-économiques).

L’originalité et surtout l’intérêt de cette approche transdisciplinaire réside dans la mise en relation des problématiques sociales avec les problématiques écologiques. Citons Gonzalez de Molina qui considère que, d'un point de vue environnemental, les inégalités sociales constituent une « pathologie écosystémique » (2013 : 48) ou encore Pretty pour qui « les systèmes agricoles avec des niveaux élevés

PRINCIPES HISTORIQUES PRINCIPES

57 de capitaux humains et sociaux sont plus en mesure d'innover face à l'incertitude » (notre traduction1) (2008 : 451).

Le nouveau modèle de développement rural porté par l’agroécologie est qualifié par certains de

« développement rural durable » (Sevilla Guzmán, 2001. Guzmán Casado, Gonzalez de Molina et Sevilla Guzmán, 2000), mais la plupart des auteurs insistent sur son caractère alternatif par rapport au modèle de développement conventionnel dominant. Pour Caporal, Costabeber et Paulus, l’agroécologie constitue une « matrice disciplinaire pour un nouveau paradigme de développement rural » (2006). Dans son étude sur les liens entre l’agroécologie et le développement rural, Mario Palma Ruiz rappelle que celle-ci« […] part d’un questionnement critique du concept de développement pour aller jusqu’à une proposition alternative dans laquelle l’agroécologie s’impose comme une approche scientifique du développement rural opposée au développement conventionnel de l’agriculture […] dans laquelle ni l’économie, ni la vision occidentale ne seraient l’unique direction » (2012 : 19). Plus précisément, le modèle de développement porté par l’agroécologie s’inscrit à la fois comme une critique et une proposition d’alternative au modèle capitaliste (Rist, 2013. Latouche, 2004. Collectif, 2003. Sachs et Esteva, 1996). Selon Eduardo Sevilla, « ce que prétend l’agroécologie est de renforcer depuis l’endogène, le décollage de cette identité non acceptée par le capitalisme, en trouvant des mécanismes qui la renforcent et qui établissent des barrières pour se défendre des processus de mercantilisation croissants » (notre traduction2) (cité par Palma Ruiz, 2012 : 19). Selon Xavier Ricard Lanata, l’agroécologie constitue « le noyau dur d’une alternative au capitalisme » (2013) et s’en prend « au ressort intime de l’accumulation du capital » et « subordonne les arbitrages économiques à un impératif d’intérêt général : la viabilité des écosystèmes et des sociétés humaines » (Ibid. : 66). Cet auteur (Ibid. : 69), comme Gonzalez de Molina (2013 : 55), associe par exemple l’agroécologie au concept de la décroissance, dont l’expression certes peu engageante traduit un idéal économique profondément alternatif3. D’autres utilisent des références moins radicales tout en maintenant l’idée de changement de paradigme. Selon Olivier de Schutter et Gaëtan Vanloqueren, l’agroécologie correspond à « un nouveau paradigme agricole » qu’ils appellent

« la nouvelle révolution verte » (2011), ou que Nicholas Parrot et Terry Mardsen nomment « la

1 Traduction de : “Agricultural systems with high levels of social and human assets are more able to innovate in the face of uncertainty […]”

2 Traduction de : “[…] la Agroecología va desde un cuestionamiento crítico al concepto de Desarrollo, hasta una propuesta alternativa en donde la Agroecología es un enfoque científico del Desarrollo Rural que se opone al desarrollo convencional de la agricultura, y que tiene particularidades ecológicas, económicas y sociales, pero sobre todo que va orientado hacia la sustentabilidad. […] la agroecología […] busca una nueva de análisis y resolución de la problemática rural, en donde no sea la economía ni la visión occidental la única dirección. […]. En palabras de Eduardo Sevilla (2007) “la Agroecología lo que pretende es potenciar desde lo endógeno el despliegue de esa identidad no aceptada por el capitalismo, encontrando mecanismos que la fortalezcan y que establezcan barreras para defenderse de los procesos de mercantilización creciente […]”.”

3 Se référant principalement aux œuvres de Nicholas Georgescu-Roegen (1995) et d’Ivan Illich (1973), des auteurs tels que Gilbert Rist (2013), François Partant (1997) ou Serge Latouche (2004) proposent le mouvement de la décroissance. Ce terme, qui trouve son origine dans le célèbre rapport du Club de Rome de 1972 intitulé en français « Halte à la croissance ? »3, ne signifie pas la croissance négative ou la récession économique. « Le mot d’ordre de la décroissance a surtout pour but de marquer fortement l’abandon de l’objectif insensé de la croissance pour la croissance […] En particulier la décroissance n’est pas la croissance négative » (Latouche, 2004 : 98). Ainsi, l’économiste français Paul Ariès préfère parler d’« a-croissance » (Conférence de Paul Ariès le 12/10/2016, sur le Campus d’Orléans), l’Irlandais John Barry, parle lui de « post-croissance » et insiste sur la nécessité d’adapter cette post-croissance à chaque lieu, à chaque contexte (Conférence de John Barry le 17/11/2016 sur le Campus d’Orléans).

58 révolution réellement verte » (2002), à ne pas confondre avec la « révolution doublement verte » de Gordon Conway (1998) ou de Michel Griffon (2004), qui proposent un changement de paradigme moins radical car plus facilement intégrable dans le système de développement conventionnel (cf.

annexe n°1). D’autres intègrent l’agroécologie dans le concept plus spécifique d’« agriculture sans pétrole » (Servigne, 2013) qui implique, au-delà des bouleversements majeurs dans le domaine agricole, des bouleversements majeurs dans le modèle de développement. Et Pablo Servigne ajoute que cette rupture n’est pas tant consentie et volontaire, que forcée et imposée : « Nous nous trouvons actuellement à un point de bifurcation où les conditions physiques de notre planète (ressources, climat, etc.) nous forceront à changer radicalement de système alimentaire, et a fortiori de modèle de société. » (2013 : 81).

Cette approche de l’agroécologie comme nouveau paradigme de développement est défendue sur le terrain par des mouvements sociaux : organisations paysannes, syndicats, associations, voire ONG, notamment en Amérique de Sud, où elle s’affirme à la fois comme résistance et alternative à la révolution verte. Ces mouvements agroécologiques s’inscrivent en effet dans une logique de critique sociale des effets de la modernisation de l’agriculture, notamment la dépendance de l’agriculteur aux firmes agro-industrielles, et se positionnent pour la recherche d’une autonomie et plus largement d’une souveraineté alimentaire, ainsi que d’une utilisation plus durable des ressources. Plus largement, ils défendent un autre modèle d’agriculture mais aussi de développement. Aujourd’hui, ce mouvement agroécologique mondial est porté par de grandes organisations paysannes comme la Via Campesina (Confédération paysanne en France) (Rosset et Martínez-Torres, 2012. La Via Campesina, 2013) ou le Mouvement des Sans Terre (MST) au Brésil, fortement inspirés par les théories du changement social endogène et postmarxiste. Il est également porté par un réseau d’associations (Terre et Humanisme, par exemple en France, ANPE au Pérou) et d’ONG aussi bien locales, nationales qu’internationales, au Nord comme au Sud (L’ONG française AVSF ou l’ONG nord-américaine Heifer International présentes à Cusco). Ces mouvements sociaux qui portent l’agroécologie participent à ce que certains appellent « les nouvelles paysanneries » du XXIème siècle ou le phénomène de re-paysannisation (van der Ploeg, 2008. 2010a. Rosset et Martínez-Torres, 2012).

Cette politisation de l’agroécologie se traduit également par l’engagement, la prise de position des chercheurs (Guzmán Casado, Gonzalez de Molina et Sevilla Guzmán, 2000 : 86). Ce changement de paradigme scientifique imposé par ce modèle agricole est parfaitement résumé par la philosophe Isabelle Stengers : « Je dirais que ce qu’il y a de nouveau avec l’agroécologie qui est certes marginalisée, même vouée à disparaître, c’est qu’elle semble aujourd’hui affirmer sa dimension politique de résistance. On rencontre des chercheurs engagés, qui ont appris à faire communiquer la disqualification de leur recherche avec le sens de ce que la recherche agronomique dominante mène à une impasse catastrophique. Je pense que cette conscience existait auparavant, mais sur le mode de la souffrance personnelle, on subissait sa marginalisation, on tirait son épingle d’un jeu où on voyait triompher la recherche à vocation top-down. Je pense que personne ne peut jouer l’hirondelle qui fera le printemps mais qu’il y a des chercheurs qui, aujourd’hui, commencent à penser l’agroécologie comme une cause "publique", c’est-à-dire à contester le modèle de science qui les écrase. Et c’est là que l’idée d’un ralentissement prend vie, en conjonction avec l’ensemble des mouvements qui ont fait des OGM une affaire publique, une affaire où l’agriculture de demain devient une question critique. » (Stengers et Deléage, 2014 : 72).

59 Enfin, cette « proposition agroécologique » est fondamentalement nouvelle et alternative dans la mesure où elle est (re)centrée sur l’être humain, le paysan, et associe de façon complexe et ingénieuse la tradition et la modernité, les apports endogènes et exogènes. Pour souligner ces liens spécifiques entre agroécologie, politique et culture Gonzalez de Molina appelle à la création d’un nouveau champ disciplinaire : la political agroecology (2013) (cf. partie II.A.1. de ce chapitre I).

c. La proposition agroécologique parfaitement adaptée aux petits producteurs andins ?

Selon les principaux penseurs de l’agroécologie (Altieri, 2002. Altieri et Hecht, 1990. Gonzalez de Molina, 2013. Pretty, Morison et Hine, 2003, Pretty et al., 2006), ce modèle est spécifiquement dédié aux petits producteurs des pays « pauvres » ou « en développement » ou du Sud : « Au vu de la crise, les deux objectifs d'une stratégie agroécologique sont d'éradiquer la faim et la malnutrition et d'augmenter les revenus des agriculteurs, en particulier dans les pays ayant les indices de pauvreté les plus élevés, et de réduire ou éventuellement d’éliminer les dommages environnementaux, et ce, à travers la promotion des approches de gestion durable des agroécosystèmes » (notre traduction1), résume Gonzalez de Molina (2013 : 55). Par ailleurs, l’agroécologie porte une attention particulière à l’étude et la valorisation des systèmes agricoles traditionnels des pays tropicaux et subtropicaux et propose une association entre les pratiques et savoirs agro-écologiques des paysans et les innovations agroécologiques modernes des scientifiques (Altieri et Nicholls, 2000 : 30. Gliessman, 2014 : xi, 28.

2013 : 27. Stassart et al., 2012 : 6. De Schutter, 2011. Wezel et al., 2009 : 505. Tapia Ponce, 2002 : 77. De Schutter et Vanloqueren, 2011). « L'agroécologie s'est concentrée sur les petits agriculteurs en tant que sujets puisqu'ils possèdent un potentiel agroécologique élevé. Entre autres raisons, ils peuvent être plus proches de la rationalité rurale et des pratiques qui rendent possible la gestion durable des agroécosystèmes (M. Altieri et Toledo 2011) » (notre traduction2), précise Gonzalez de Molina (Ibid. : 56). Aussi, la petite taille des exploitations est perçue non pas comme une contrainte mais comme un éventuel atout : Jacques Caplat explique que les petites exploitations avec une main-d’œuvre familiale importante permettent une « gestion de cultures associées particulièrement intensives » (2012 : 304). Par ailleurs, dans ces régions intertropicales, l’agriculture chimique est en grande partie inadaptée (sols fragiles, conditions climatiques instables, etc.) (Ibid. : 294-299) et relativement peu développée, la transition vers (et le succès potentiel de) l’agroécologie y est donc facilitée. Caplat ajoute : « Comme l’agriculture des pays tropicaux dispose encore de savoir-faire en matière de cultures associées, ainsi que de structures agraires où ces dernières sont encore partiellement ou significativement présente, elle "répond" bien plus rapidement que l’agriculture européenne à la mise en œuvre des techniques de l’agriculture biologique » (Ibid. : 313). Enfin, au sein des pays en développement des zones tropicales et intertropicales, l’agroécologie apparaît particulièrement adaptée à l’Amérique latine dans la mesure où sous certains aspects, ce modèle

2013 : 27. Stassart et al., 2012 : 6. De Schutter, 2011. Wezel et al., 2009 : 505. Tapia Ponce, 2002 : 77. De Schutter et Vanloqueren, 2011). « L'agroécologie s'est concentrée sur les petits agriculteurs en tant que sujets puisqu'ils possèdent un potentiel agroécologique élevé. Entre autres raisons, ils peuvent être plus proches de la rationalité rurale et des pratiques qui rendent possible la gestion durable des agroécosystèmes (M. Altieri et Toledo 2011) » (notre traduction2), précise Gonzalez de Molina (Ibid. : 56). Aussi, la petite taille des exploitations est perçue non pas comme une contrainte mais comme un éventuel atout : Jacques Caplat explique que les petites exploitations avec une main-d’œuvre familiale importante permettent une « gestion de cultures associées particulièrement intensives » (2012 : 304). Par ailleurs, dans ces régions intertropicales, l’agriculture chimique est en grande partie inadaptée (sols fragiles, conditions climatiques instables, etc.) (Ibid. : 294-299) et relativement peu développée, la transition vers (et le succès potentiel de) l’agroécologie y est donc facilitée. Caplat ajoute : « Comme l’agriculture des pays tropicaux dispose encore de savoir-faire en matière de cultures associées, ainsi que de structures agraires où ces dernières sont encore partiellement ou significativement présente, elle "répond" bien plus rapidement que l’agriculture européenne à la mise en œuvre des techniques de l’agriculture biologique » (Ibid. : 313). Enfin, au sein des pays en développement des zones tropicales et intertropicales, l’agroécologie apparaît particulièrement adaptée à l’Amérique latine dans la mesure où sous certains aspects, ce modèle

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