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Minifundium, manque de terres et développement de la propriété privée : un contexte propice au développement de l’agriculture durable ?

Quels terrains et pourquoi ?

C. Un système agraire en pleine mutation : une petite agriculture familiale attirée par le modèle conventionnel

1. Minifundium, manque de terres et développement de la propriété privée : un contexte propice au développement de l’agriculture durable ?

L’agriculture du département de Cusco, comme l’agriculture péruvienne en général, est fortement

1 Et l’agroécologie défend spécifiquement le principe de diversification des cultures, notamment via le maraîchage, de polyculture-élevage et d’autoconsommation, donc de diversification de l’alimentation.

138 caractérisée par le minifundium hérité de la colonisation et du système des haciendas et qui, aujourd’hui encore, continue d’augmenter (INEI : CENAGRO 1961, 1972, 1994, 2012). Sur les quelque 179 100 unités agricoles du département, environ 143 000, soit près de 80% font moins de 5 hectares, ce qui correspond génériquement à la définition du minifundium, et près de 64% font moins de 2 hectares (INEI, CENAGRO IV, 2012). On parle alors de microfundium. Globalement, il s’agit d’une petite agriculture familiale (97% des unités agropastorales du pays selon le CENAGRO IV (2012) parfois appelée de façon plus précise agriculture paysanne.

Figure 23 : Répartition des exploitations agricoles selon leur superficie dans le département de Cusco (2012)

Réalisation : Margaux Girard. Sources : INEI, CENAGRO IV, 2012

La croissance démographique accentue inévitablement ce minifundium1 mais d’autres phénomènes participent à la raréfaction des terres arables2. On a vu que globalement la qualité des sols se dégrade.

Les surfaces agricoles sont également réduites par la concession de grandes superficies foncières à l’industrie extractive, souvent étrangère3, par exemple dans les provinces d’Espinar, de Paruro, ou par l’utilisation de terres agricoles pour la construction d’infrastructures de transports et/ou de tourisme (construction du futur aéroport sur le plateau de Chinchero, construction d’hôtels touristiques de luxe dans la VSI, etc.) et encore pour la construction de logements individuels liée au phénomène de rurbanisation4. Les anciennes parcelles sont revendues comme terrains constructibles, à un bien meilleur prix. Ces phénomènes sont particulièrement présents dans la VSI comme l’illustre cette image satellite.

1 Les parcelles familiales sont divisées et réparties entre les enfants et deviennent donc plus petites de génération en génération. Les communautés paysannes, qui traditionnellement compensent cette réduction en « offrant » des terres aux jeunes générations ne disposent souvent plus de terres disponibles. (Julio Cesar Nina, 05/04/2012).

2 Yessica et Julio Cesar Nina, le 05/04/2012. Pepe Pila Bautista, le 11/02/2014.

3 Dans cette région andine, ces terres ne sont pas accaparées pour cultiver leur sol mais pour exploiter leur sous-sol. En revanche, ce phénomène d’accaparement des terres dans une logique agricole existe bien dans la région côtière du pays (FAO, 2014d).

4 Yessica Nina, le 05/04/2012. Victor Nina (INIA), le 17/10/2014. Efrain Quispe Huampfotupa (Agencia Agraria de Calca), le 30/10/2014.

139 Photographie 7 : La réduction des terres agricoles dans la Vallée sacrée des Incas à travers les

images satellites

Juin 2007 Août 2016

Images satellites de la VSI (le fleuve Vilcanota-Urubamba est visible sur la gauche), au niveau de la communauté de Huayoccari, en juin 2007 et aout 2016. Sur l’image de droite, dans les cercles rouges, on observe la construction de deux hôtels touristiques de luxe (un était déjà en construction en 2007), et dans le

cercle jaune, un nouveau lotissement, construits sur les terres particulièrement fertiles du fond de vallée.

Source : Image©2016DigitalGlobe. 2016.

Nous ne rentrerons pas ici dans une description détaillée de la structure agraire et de la question foncière (régime de propriété de la terre) dans les communautés andines et renvoyons le lecteur aux travaux de Pierre Morlon (1992) ou à la synthèse réalisée par Valérie Robin Azevedo (2008 : 34-35).

Rappelons simplement que les terres communautaires se divisent en trois groupes, repartis généralement suivant un étagement altitudinal : les terres en propriété et en possession communale (c’est-à-dire de la communauté) dans les zones les plus hautes en altitude (pâturages, muyuy ou layme et éventuellement forêts), les terres en propriété communale mais avec possession familiale dans les zones intermédiaires et enfin les terres en propriété et en possession privées dans les zones les plus basses (Mayer, 1981 : 78-82. Robin Azevedo, 2008 : 34-35. Brush, 1982). A titre indicatif, en 2012, environ 60% des parcelles du département de Cusco sont des parcelles communales, environ 33% sont des parcelles en propriété (privée, avec ou sans titre de propriété), environ 4% sont des parcelles en possession, environ 2,5%, sont des parcelles louées, enfin environ 1,5% appartiennent à un autre type de propriété (INEI, CENAGRO IV, 2012). Globalement, on assiste à un abandon progressif des parcelles communautaires (car migrations, pénibilité, pluriactivité, etc.) et de la propriété collective dans les communautés paysannes (sauf celles qui restent relativement isolées) au profit de la propriété privée (Dufumier, 2004 : 375. Mayer, 1981 : 78), qui se développe depuis le démantèlement de la réforme agraire, à la fin des années 1970 et durant les années 1980. Durant la décennie 1990, la fameuse « décennie Fujimori », différents décrets de lois remettent en cause, voire suppriment progressivement le caractère inaliénable des terres des communautés paysannes, leurs terres ne sont plus qu’imprescriptibles. La nouvelle constitution de 1993 « permet » aux communautés paysannes ou indigènes de vendre une partie ou la totalité de leurs terres à un possédant ou une personne tiers, si la majorité des membres de la communauté le décide. L’actuel texte en vigueur concernant la propriété de la terre au Pérou est la loi n°26505 de 1995, appelée « ley de tierras », ou, dans sa version complète, loi relative à « l’investissement privé pour le développement d’activités économiques sur les terres du territoire national et de communautés paysannes et indigènes », promulguée le 17 juillet 1995. Cette loi entérine définitivement le processus de libéralisation du marché de la terre (Eguren, 2014a : 182) et d’octroi de titre de propriété privée sur les terres communales, surtout pour la région côtière. En ce qui concerne la gestion communautaire et l’organisation des producteurs, dans les

140 Andes, les structures coopératives instaurées par la Réforme agraire de 1969 ont rapidement été décollectivisées et parcellisées1 (Bey et al., 1995 : 82. Remy, 1991 : 776. Dufumier, 2004 : 381).

Depuis, quelques coopératives ont perduré, mais le modèle de l’exploitation privée et de l’entreprise privée (et parfois entreprise communale) s’impose. Premièrement, ce développement de la propriété privée est très souvent lié à une intensification de la production (Mayer, 1992 : 171) et pour beaucoup intensification rime avec agriculture conventionnelle même si l’agriculture durable la vise également, elle est en effet parfois appelée agriculture écologiquement intensive. Par ailleurs, la propriété privée implique nécessairement une plus grande responsabilité individuelle sur ce patrimoine et l’adoption d’une vision à long terme, et l’on peut logiquement considérer que prendre soin durablement de ce patrimoine signifie préserver la qualité/fertilité du sol. La question du mode de faire-valoir, direct ou indirect, apparaît donc déterminante. Le producteur et formateur agroécologiste Eulogio Vargas considère que l’agriculture durable ne peut pas être mise en place sur une parcelle en location car

« comme la terre ne nous appartient pas, on n’a pas forcément envie de l’enrichir sur le moyen ou long terme, mais plutôt d’en tirer le plus de rendement sur le court terme, donc avec des produits chimiques. Peu importe si on la dégrade, elle ne nous appartient pas… » (le 29/10/2014). Nous reviendrons peu sur cet aspect dans notre thèse dans la mesure où la quasi-totalité des producteurs écologiques suivi dans notre étude sont en faire valoir direct (cf. chapitre III, partie III.A.).

Nous pouvons en conclure que la privatisation des terres a des effets contrastés sur la durabilité des modes de production, entre intensification potentiellement conventionnelle des cultures et soin apporté sur le long terme au patrimoine foncier. Notons simplement que certains modèles d’agriculture durable, ceux visant une durabilité forte (agroécologie et ses dérivés), encouragent des modes d’organisation collectifs, associatifs ou coopératifs compatibles avec la propriété privée. Le minifundium, quant à lui, peut être envisagé comme un facteur majeur de non-durabilité de l’agriculture andine niant le principe d’équité dans la répartition des terres. La très faible superficie des exploitations pose indiscutablement la question de la viabilité des exploitations (en partie résolue par la pluriactivité). Là encore, les agricultures durables peuvent être envisagées comme des solutions pertinentes dans la mesure où ces modèles, notamment l’agroécologie, sont adaptés voire spécifiquement pensés pour les petites exploitations (Caplat, 2012 : 304. Altieri, 2002. Altieri et Hecht, 1990. Gonzalez de Molina, 2013, Padel, 2001 : 44. Roussy, Ridier et Chaib, 2015 : 11).

1 Le dysfonctionnement de ces coopératives (Coopératives Agraires de Production : CAP et Sociétés Agricoles d’Intérêt Social : SAIS) est lié à une série de facteurs externes ; baisses des prix, hausse des coûts de production, dépendance à la Banque agraire et donc liberté limitée dans le choix des cultures et des pratiques, etc. (Remy, 1991 : 776-777) et de facteurs internes ; bureaucratisation (Deler, 1991 : 286), conflits entre travailleurs

agricoles et personnels techniques (Chonchol, 1995 : 241), mauvaise gestion par manque de personnels formés et compétents (Eguren, 2006 : 12), corruption (Remy, 1991 : 777-778), etc. Ces nouvelles structures se retrouvent dans une situation économique et sociale critique (Remy, 1991 : 776), s’avèrent peu productives et, rapidement, se bureaucratisent. Dès le début des années 1980, avec la fin du régime militaire de Velasco et le retour à un régime démocratique libéral, les coopératives sont rapidement décollectivisées et parcellisées (Bey et al., 1995 : 82. Remy, 1991 : 776). En 1984, soit à peine 15 ans après leur création, ces coopératives sont quasiment toutes démantelées (Dufumier, 2004 : 381). Les membres de ces coopératives préfèrent se répartir les terres et les exploiter individuellement, on parle de mise en valeur parcellaire (Remy, 1991 : 776). Aujourd’hui, les producteurs restent méfiants, craignent, voire fuient ce type de structures.

141 2. Les différentes formes d’agriculture dans la région : la lente conventionnalisation

de l’agriculture andine

a. Principales caractéristiques de la production agricole régionale

Nous nous intéressons ici à l’évolution des systèmes de production dans la région de Cusco en nous focalisant sur les techniques utilisées, que nous appelons ici le mode de production (traditionnel, conventionnel, etc.). Basons-nous pour cela sur les principales caractéristiques de la production agricole régionale. Premièrement, la surface agropastorale totale (environ 2 666 600 hectares) est largement dominée par le pâturage (85%). Sur les 15% de terres cultivées, une grande majorité (73%) n’est pas irriguée.

Figure 24 : Répartition de la surface agropastorale du département de Cusco, en pourcentage (2012)

Réalisation : Margaux Girard. Source : INEI, CENAGRO, 2012.

Sur ces terres agricoles, différentes cultures sont mises en place selon les étages écologiques.

L’élevage, on l’a vu, est lui essentiellement réservé aux étages les plus hauts en altitude. Le tableau ci-dessous présente l’expansion altitudinale optimale (approximative) de culture des principales plantes alimentaires dans les Andes.

142 Tableau 14 : Expansion altitudinale optimale (approximative) de culture des principales plantes

alimentaires dans les Andes

Réalisation : Margaux Girard. Sources : Tapia et Fries, 2007 : 21-23. *Morlon, 1992 ; 487, 488.

La carte suivante synthétise la répartition spatiale des principales cultures dans le département de Cusco. On retrouve dans ce département, des zones « spécialisées » dans l’élevage (au Sud), dans la culture de tubercules, de céréales, de légumineuses, dans les arbres fruitiers (au Nord et à l’Ouest) ou encore dans le maraîchage, en fonction essentiellement de leur altitude.

143 Carte 8 : Répartition des principales cultures agricoles dans le département de Cusco

(en superficie cultivée par district) (2012)

144 Globalement, l’agriculture dans le département de Cusco est de moins en moins vivrière et de plus en plus commerciale, comme le montre le graphique ci-dessous. Une part de plus en plus importante de l’agriculture andine est en effet aujourd’hui fortement marquée par des logiques d’intégration des agriculteurs aux marchés locaux, nationaux et internationaux.

Figure 25 : Evolution de la destination de la production agricole dans le département de Cusco (1994-2012)

Les pourcentages cumulés ne correspondent pas à 100% car une même culture peut être affectée aux deux destinations. Réalisation : Margaux Girard. Source : INEI, CENAGRO III, 1994. CENAGRO IV, 2012.

b. Essai de typologie des agriculteurs de la région de Cusco selon les modes de production

Notre typologie des agriculteurs de la région de Cusco selon les modes de production se base en partie sur les derniers recensements agricoles, dont les résultats concernant les pratiques agricoles sont synthétisés dans le tableau ci-dessous.

Tableau 15 : Taux d’utilisation de certaines pratiques agricoles par les agriculteurs du département de Cusco (1994 et 2012), de la Vallée sacrée, de la région andine, et du Pérou (2012)

Ø : Pas de donnée disponible. * Provinces de Calca et Urubamba sans les districts de Lares, Yanatile, Machu Picchu, Maras, Chinchero. ** Dans le CENAGRO III, 1994, les insecticides chimiques et biologiques ne sont pas dissociés. *** Dans le CENAGRO III, 1994 : Semillas y plantones mejorados. Dans le CENAGRO IV, 2012 : Semillas certificadas y plantones mejorados. **** Plus de 80% d’entre eux affirment les appliquer en « faible quantité ». Réalisation : Margaux Girard. Sources : INEI, CENAGRO III, 1994. CENAGRO IV, 2012.

Types de pratiques

145 On constate que certaines pratiques d’agriculture traditionnelle et/ou écologique perdurent, augmentent même, mais ce sont surtout celles de l’agriculture conventionnelle qui sont en pleine progression, notamment l’utilisation de tracteur, de fertilisants chimiques ou d’herbicides.

La lente « conventionnalisation » de l’agriculture andine, ou le semi-échec de la révolution verte dans les Andes

La révolution verte, version tropicale de l’agriculture conventionnelle basée sur la mécanisation, l’irrigation, l’utilisation de nouvelles variétés à haut rendement associées à l’utilisation d’engrais chimiques, de pesticides, etc. (Tapia, 1996 : 89) diffusée dans les pays du Sud dans les années 1960-1970 a été relativement peu mise en place ou très lentement au Pérou (Maris, 1990 : 33. Gonzales de Olarte, 1988). Gonzales de Olarte et al. parlent « de la lente modernisation de l’économie paysanne » (1987). Cette révolution verte est particulièrement peu adaptée à la région andine et plus spécifiquement au milieu andin (Earls, 2006 : 158. Mesclier, 2006 : 181-182. Tapia Ponce, 2002 : 59, 101-102. Salis, 1987 : 18, 266. Tapia, 1996 : 89. Kervyn, 1992 : 449. Dollfus, 1981 : 15). Les pentes et le morcellement des terres limitent l’application des « paquets techniques » et notamment la mécanisation (Salis, 1987 : 262). « la topographie des Andes centrales fait que les terrains

"mécanisables" se trouvent pour la plupart à la limite supérieure actuelle des cultures en altitude, voire au-dessus, là où les risques climatiques sont trop élevés pour que l’on y investisse aussi bien des engrais chimiques que l’utilisation d’un tracteur (Peña, 1975 ; Morlon, 1985). » (Morlon et al., 1992b : 81). A la topographie accidentée et aux risques climatiques, Morlon et al., avancent encore un autre facteur limitant : les faibles ressources économiques des agriculteurs andins et plus précisément les faibles prix des produits vendus : « Les risques climatiques et les bas prix payés aux producteurs sont de ce point de vue une des raisons du faible succès de la mécanisation. » (Ibid.).

Selon Gonzales de Olarte et Kervyn, les paysans préfèrent adopter des stratégies plus rentables ou moins risquées, comme la diversification de leurs activités et la migration (1987, 164 et suivantes).

Toutefois, cette non-adaptation de la révolution verte aux Andes n’est pas générale et certains territoires andins aux caractéristiques spécifiques s’avèrent adaptés : « Un tel ensemble technique [de la révolution verte] n’est applicable que dans des conditions particulières : de préférences sur des zones irriguées, présentant des faibles risques climatiques, relativement intégrées au marché (les coûts de transport deviennent vite prohibitifs sur des marchés éloignés, pour des produits pondéreux) […] » (Salis, 1987 : 266). Il s’agit donc globalement des plaines et fonds de vallée abrités et proches des principaux centres urbains. C’est précisément les conditions que réunit la VSI, où nous le verrons ci-dessous, cette agriculture conventionnelle s’est spécifiquement développée. « On retrouve en partie les caractéristiques de la diffusion de la révolution verte observée par E. Gonzales de Olarte et B. Kervyn sur un échantillon d’exploitations proches de Cusco, au tout début des années 1980, du moins dans le plus grand usage des pesticides qui permettent de diminuer le risque de perte de récolte […] », résume Evelyne Mesclier (2006 : 182).

A cette même époque et dans ces mêmes espaces, on observe également l’essor de la monoculture :

« ils [les paysans] transforment leurs cultures en rotation en cultures permanentes à l’aide d’engrais qu’ils achètent à la coopérative » précise Molinié-Fioravanti, dans son étude sur la VSI (1982 : 196). Les facteurs d’adoption de la révolution verte ne se limitent pas à ces considérations géographiques et à la proximité des marchés. Entrent aussi en compte les réseaux de relations qui permettent d'accéder à l'information, au crédit, aux marchés (Mesclier, 1991. Cité par Chaléard et Mesclier, 2006) et l'accélération de la croissance démographique qui génère une intensification de l'usage des ressources (Chonchol, 1995). Dès la deuxième moitié des années 1980, des économistes et agronomes perçoivent déjà les limites de ce modèle agricole : Efrain Gonzales de Olarte insiste sur le fait que ces changements techniques furent écologiquement inefficaces, « si les rendements augmentèrent sur le court terme, sur le long terme, ils ne garantirent pas la conservation des ressources naturels » (1988). Même constat chez Annette Salis : la révolution verte permet d’« améliorer la productivité du travail et de la terre en parcelles paysannes à court terme […]

cependant ce type de proposition techniques : - ne résout pas les problèmes de l’entretien de la fertilité du milieu, - engendre des dépendances techniques en intrants et assistance – et implique un coût de supervision qui rend l’expérience difficilement généralisable pour l’ensemble du pays » (1987 : 267). Pourtant, aujourd’hui encore, les organismes gouvernementaux (MINAGRI, INIA, etc.) continuent de promouvoir la révolution verte et le constat dressé par Mario Tapia en 1996 est

146 toujours d’actualité : « […] les plans de recherche du gouvernement […] orientent leur programmes sur l’amélioration génétique des cultures et animaux d’élevage dans le but d’augmenter leur productivité et ne reconnaissent pas les interactions et les limites écologiques et socio-économiques que connaissent les paysans et qui explique que ces derniers adoptent difficilement de nouvelles technologies »1 (Tapia, 1996 : 127).

Toutefois, ces techniques conventionnelles se diffusent et se généralisent en ce début de XXIème siècle comme en témoignent les résultats des recensements agricoles. Elles furent notamment largement promues durant la décennie 1990 par les politiques néo-libérales du président Alberto Fujimori. Mais certaines de ces techniques comme les intrants chimiques sont parfois mal appliquées : les producteurs dépassent les doses recommandées ou ne respectent pas les précautions d’usage2, provoquant ainsi des malaises, des maladies voire des décès. Dans notre terrain d’étude, ce type de témoignages est fréquent. Evidemment tous les producteurs andins ne sont pas devenus, ou en train de devenir, des producteurs conventionnels, la réalité est plus complexe : un même agriculteur utilise bien souvent différents types de techniques selon les milieux qu’il exploite, les revenus dont il dispose, etc. Aussi, pour proposer une classification plus fidèle à la réalité, nous pouvons réaliser des rapprochements (peut être trop simplifiés mais logiques) entre les techniques employées et d’autres caractéristiques telles que la destination de la production, la localisation de ces exploitations ou encore le régime foncier. Ces types de rapprochements ont été effectués, pour les Andes centrales du Pérou, par les anthropologues Stephen Brush (1982) et Enrique Mayer (1981) au début des années 1980. Dans son étude sur la vallée du Mantaro, Mayer distingue trois groupes de zones agro-écologiques en fonction de l’altitude : haute, intermédiaire et basse, synthétisés dans le tableau suivant.

Tableau 16 : Synthèse de la zonification agro-écologique réalisée par E. Mayer dans la vallée du Mantaro (Complétée par S. Brush)

ZONES

(-) : absence ou présence très faible. (+/-) : présence moyenne. (+) : présence importante. *Pro = propriété. Pos

= possession. C = communale. F = familiale. P = Privée. (Brush, 1982). Réalisation : Margaux Girard.

Source : Mayer, 1981 : 40-46 et 79.

Evidemment, les travaux de Mayer et de Brush portent sur des territoires différents (avec notamment des limites altitudinales spécifiques, mais qui restent dans les Andes péruviennes) et sur une autre

1Traduction de : “resultaba evidente la diferencia entre esta propuesta y los planes de investigación del organismo gubernamental que orienta los programas por cultivos y crianzas, los que enfatizan la mejora genética para el incremento de la productividad y no reconocen las interacciones ni las limitaciones ecológicas y socioeconómicas que enfrentan los campesinos ; de ahí que estos difícilmente adopten nuevas tecnologías.”

2 Pierre Morlon, communication personnelle, 03/10/2013.

147 période (années 1970-1980). Nous nous y référons ici dans la mesure où, à travers nos observations de terrain, nous pouvons affirmer que ces tendances générales de différenciation des modes de production suivant l’altitude sont toujours d’actualité. De façon très simpliste, plus on monte en altitude, plus l’agriculture est traditionnelle, tournée vers l’autoconsommation et sous un régime foncier communautaire, et plus on descend en altitude, plus l’agriculture est conventionnelle, tournée vers le marché et sous un régime de propriété privée. Etant donné que la majorité des paysans andins disposent de parcelles réparties à différents étages altitudinaux, ils peuvent appartenir simultanément à ces différents groupes d’agriculture. La principale évolution observée depuis les années 1970-1980, concerne la généralisation des pratiques conventionnelles dans les étages les plus bas certes, mais aussi, de façon très progressive, dans les étages les plus hauts. Par ailleurs, si Mayer et Brush focalisent leur classification sur une répartition spatiale verticale (ou altitudinale), nous proposons d’y ajouter un facteur de spatialisation « horizontale » ou plus précisément de distance/temps au marché.

En effet, les pratiques « conventionnelles » (engrais de synthèse, pesticides et tracteurs) sont surtout

En effet, les pratiques « conventionnelles » (engrais de synthèse, pesticides et tracteurs) sont surtout

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