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Les Andes ou la concentration exceptionnelle d’une grande diversité de milieux : l’exemple de la Vallée sacrée des Incas

Quels terrains et pourquoi ?

A. Diversité et richesses des milieux géographiques, bioclimatiques, des paysages et des agroécosystèmes

1. Les Andes ou la concentration exceptionnelle d’une grande diversité de milieux : l’exemple de la Vallée sacrée des Incas

Le milieu andin, comme tous les milieux montagnards, se décompose en différents étages bioclimatiques (Demangeot, 1999 : 223), appelés pour la région andine, des étages écologiques (« pisos écologicos »), décrits par le géographe péruvien Javier Pulgar Vidal (1975), le géographe allemand Carl Troll (1968) ou encore par le géographe français Olivier Dollfus (1981, 1992). Le tableau suivant décrit les quatre principaux étages : Yunga, quechua, suni et puna. En dessous de

101 l’étage yunga, on trouve l’étage chala, entre 0 et 500 mètres et au-dessus de l’étage puna, on trouve l’étage Janca, au-dessus de 4800 mètres, parfois appelé cordillère ou altiplano1.

Tableau 13 : Description des étages écologiques dans les Andes du sud du Pérou (Région de Cusco)

(limites supérieures des cultures très variables, autour de 4500-4300m)

* Yungas sèches, sur le flanc occidental de la cordillère, et yungas humides, sur le versant amazonien, celui qui nous intéresse ici. Réalisation : Margaux Girard à partir de Morlon, 1992 : 22-27. Dollfus, 1981 : 44-47.

Ces différents étages ne peuvent pas être appréhendés de manière séparée. Ils fonctionnent ensemble, dans un même milieu physique et bioclimatique, le milieu andin, mais aussi dans un même système rural et agricole caractérisé traditionnellement par le contrôle vertical d’un maximum d’étages écologiques, appelée le modèle en « archipel » (cf. chapitre III, partie II.A.2.).

Notre étude porte essentiellement sur les étages quechua et suni, c’est en effet, à ces étages que se situe l’essentiel de notre zone d’étude : les campagnes proches de Cusco, dont notre terrain principal, la VSI mais aussi nos deux terrains comparatifs. La situation géographique de la Vallée sacrée, entre les hautes terres andines et les vallées tropicales chaudes du versant oriental, offre des conditions bioclimatiques particulièrement favorables et des paysages somptueux. Elisée Reclus décrit la vallée du Vilcanota comme « l’un des "paradis" du Pérou » (1895 : 598). Nathan Wachtel parle lui de

« paysage admirable » (1971 : 168). Selon Angel Avendaño « la vallée de l’Urubamba est une des

1 Une autre terminologie, adoptée entre autres par A. Humboldt et A. Bonpland au XIXème siècle, et pour d’autres régions andines, différencie les tierras calientes (0-1 000 mètres), tierras templadas (1 000-2 000 mètres), tierras frias (2 000-4 000 mètres), tierras heladas (4 000-4 800 mètres), et tierras nevadas (au-dessus de 4 800 mètres) (Demangeot, 1999 : 224).

102 plus belle du monde » (1995 : 860). Cette vallée est traversée par le « fleuve sacré », le Vilcanota-Urubamba, qui se distingue pour être une des sources les plus lointaines de l’Amazone, il prend en effet sa source à proximité de l’altiplano entourant le lac Titicaca. Le fleuve se nomme « Vilcanota »1 de sa source jusqu’à la ville d’Urubamba, puis « Urubamba » de cette même ville jusqu’à sa confluence avec le fleuve Tambo où ils forment ensemble l’Ucuyali. Comme on le voit sur la photographie ci-dessous, cette vallée rassemble les principaux étages écologiques andins, elle offre un condensé des Andes et présente dans le même temps, des conditions bioclimatiques exceptionnelles.

Photographie 1 : La Vallée sacrée des Incas. Vue générale

Vue sur la VSI depuis les hauteurs de Taray, à 3200 mètres. On distingue le fond de vallée, à l’étage Quechua, les versants, à l’étage Suni et les hautes terres, à l’étage Puna. (Crédit : Margaux Girard).

Le fond de vallée, situé à l’étage quechua, à environ 3000 mètres d’altitude2 et large d’en moyenne un kilomètre, parfois deux, est particulièrement plat. « Entre Pisac et Urubamba, la dépression a une forme d’auge tellement parfaite que certains lui ont attribué une origine glaciaire » (Brisseau Loaiza, 1977 : 39). Cette dépression est constituée de sédiments fluvio-glaciaires apportés à la fois par le fleuve Vilcanota-Urubamba et par les différents ruisseaux descendus des montagnes (Molinié-Fioravanti, 1982 : 24). Ces derniers ont donné lieu à des cônes de déjection (un exemple sur la gauche de la photographie, au niveau de la ville de Taray) plus nombreux et importants sur la rive droite où se trouve la Cordillère Orientale. Les principales villes de la vallée et, à l’époque, les haciendas se sont installées sur ces cônes, constitués d’alluvions à caractère fertile. On retrouve des terrasses alluviales à la périphérie de petits cônes de déjection (Brisseau Loaiza, 1977 : 45. Dollfus, 1981 : 49), héritages de climats plus humides à l’ère quaternaire (Dollfus, 1992 : 26). En général, ces fonds de vallée ont à la fois l’avantage de l’horizontalité, celle de la fertilité due aux apports alluviaux et celle de la capacité

1 A l’époque précolombienne, le fleuve s’appelait Willka mayu, signifiant « fleuve sacré » en quechua (Elorrieta Salazar y Elorrieta Salazar, 1996 : 49. Avendaño, 1995 : 885). Les conquistadores espagnols le rebaptisèrent le Vilcanota, venant de Willka unuta signifiant « eau sacrée » en quechua.

2 Pisac (3000 mètres), Calca (2950 mètres), Urubamba (2860 mètres), Ollantaytambo (2800 mètres).

Ville de TARAY

Quechu

a 3000 m

3500 m 4000 m Suni

Puna

Vers PISAC Vers

CALCA

Fleuve Vilcanota - Urubamba Nord

Plateau de Maras-Chinchero

Cordillère orientale

103 d’irrigation. Comme nous le voyons sur la photographie, le paysage agraire du fond de vallée est composé d’une part, de parcelles plutôt régulières, géométriques, souvent situées aux abords du fleuve, et d’autre part, des parcelles plus petites et moins régulières, entourées de haies, murets, canaux et chemins formant un bocage assez serré, sur les piémonts notamment sur les cônes de déjections.

Les versants, répartis entre les étages quechua et suni, sont en pentes relativement raides (entre 15 et 30°, parfois plus), essentiellement couverts de formations colluviales, coupés d’affleurement rocheux (Dollfus, 1981 : 48). Pour limiter l’effet de la pente, aussi appelé la « dictature de la pente », et plus généralement l’érosion et pour gagner en surface agricole, certains versants sont modelés en terrasses de cultures, appelées localement andenes, construites par l’homme. Les plus impressionnantes et les mieux conservées datent de l’époque inca mais certaines sont plus anciennes encore. On distingue les terrasses en pierres, celles « des Incas », des terrasses en terre, aussi appelées « terrasses de formation lente », ou terrasses « rustiques » qui n'ont pas de mur de soutènement en pierres, mais utilisent pour retenir le sol une barrière vive de végétation, le plus souvent arbustive. Dans le département de Cusco, on compte environ 23 700 hectares de andenes, parmi lesquels 5,5% (environ 1 300 hectares) sont bien conservés, 31,6% (environ 7 500 hectares) sont modérément conservés et la majorité, 62%

(environ 14 900 hectares), sont démolis. (INEI, 2015a : 64) Ces terrasses de culture sont généralement irriguées par des réseaux de canaux (Mazoyer et Roudart, 2002 : 262-263).

Photographie 2 : Les terrasses agricoles andines, en pierre et en terre

A gauche : terrasses en pierre de l’époque inca à Pisac. A droite : terrasses de formation lente sur les hauteurs de Calca (mars 2014). (Crédits : Margaux Girard)

Sur ces versants, les villages sont généralement situés à mi-hauteur (autour de 3500 mètres), à la limite entre les terres irriguées en terrasses dans les parties basses et les terres en sec des pentes prononcées, dans les parties hautes (Salis, 1987 : 10), mais on trouve de nombreux villages plus hauts, autour de 4 000 mètres, au pied des glaciers. Ces villages sont généralement directement entourés de champs, mais chaque communauté cultive généralement d’autres secteurs, dans des zones plus éloignées des habitations, à des altitudes et des expositions différentes.

104 Photographie 3 : Communauté de Cancha Cancha, sur les hauteurs de la Vallée sacrée des Incas

Communauté paysanne de Cancha Cancha, située à 4 000 mètres d’altitude au pied d’un glacier, sur les hauteurs de Huaran, dans la VSI. Ce village traditionnel en pierres, adobes et chaume, n’est accessible qu’à

pied (3h30 de marche) (déc. 2015). (Crédit : Margaux Girard)

Le versant nord (rive droite) est formé par la cordillère orientale des Andes1, avec des sommets culminant à plus de 5 800 mètres et abritant quelques glaciers (Sahuasiray : 5 818 m, Verónica : 5 682 m, Chicón : 5 530 m). Les montagnes du versant sud (rive gauche) s’élèvent jusqu’à 4 300 mètres maximum. Au niveau d’Urubamba, la vallée est surplombée par une unité morphologique spécifique, le plateau calcaire karstique de Maras-Chinchero situé à 3 500 mètres en moyenne. Contrairement à la verdoyante Vallée sacrée, ce plateau est très sec (brousse subtropicale, absence d’arbre) et soumis à une forte érosion (Molinié-Fioravanti, 1982 : 26). On y cultive majoritairement la pomme de terre, sans irrigation, mais aussi du blé et de l’orge. On y trouve en effet quelques bons sols d’argile rouge de décomposition (Ibid. : 27). Sur ce plateau, se situe le site inca de Moray et celui de Maras, une source salée, la seule de toute la zone. Ces salines, exploitées depuis les Incas, forment un paysage inédit composé d’une multitude de minuscules terrasses blanches accrochées à flanc de montagnes.

Photographie 4 : Terrasses de Moray et salineras de Maras, près de la Vallée sacrée des Incas

A Gauche : « laboratoire agronomique inca » de Moray. A droite : dans la partie basse de la photographie, les salineras de Maras, sur le plateau de Chinchero-Maras qui surplombe la VSI (Mars 2014). (Crédit : Margaux

Girard).

1 « Le corps central de ces montagnes est formé d’un batholite de granit de 14 à 15 kilomètres de largeur et par des roches primaires, lutites, grès, brêches volcaniques, etc. Elles présentent des reliefs glaciaires hérités du pléistocène : cirques, roches striées et polies, hautes vallées en auge que dévalent des torrents » (Molinié Fioravanti, 1982 : 25).

105 2. Un climat tropical d’altitude varié : l’exemple du « climat exceptionnel » de la

Vallée sacrée des Incas

Globalement la région andine bénéficie d’un climat tropical d’altitude semi-aride. Ce climat se caractérise par une saison sèche et froide de mai à septembre, et une saison des pluies, plus chaude, d’octobre à avril. Comme le montre le tableau n°13, le climat varie beaucoup d’un étage écologique à l’autre mais aussi à l’intérieur d’un même étage. Globalement, les températures diminuent avec l’altitude alors que l’insolation augmente (Dollfus, 1992 : 20. Mazoyer et Roudart, 2002 : 256.

Demangeot, 1999 : 216) et les précipitations sont en partie corrélées à l’altitude (elles augmentent en altitude) mais surtout à l’exposition. Par ailleurs, les variations journalières de températures sont très importantes : chaleur le jour et fraîcheur la nuit. Les diagrammes ombrothermiques ci-dessous décrivent le climat en aval de la ville de Cusco, à environ 3 200 mètres, dans l’étage quechua et celui de la petite ville de Pomacanchi, dans la province d’Acomayo, situé à environ 3700 m, à l’étage suni.

Sur le premier diagramme sont également indiquées les principales phases du calendrier agricole : les périodes de labour-semis et de récolte.

Figure 11 : Diagramme ombrothermique de la ville Cusco (Station granja Kayra. 3219 m)

Réalisation : Margaux Girard. Source : SENAMHI : Station : Granja Kayra moyennes mensuelles 2006-2012

RECOLTE LABOUR - SEMIS

106 Figure 12 : Diagramme ombrothermique de Pomacanchi (P. Acomayo) (3700 m)

Réalisation : Margaux Girard. Source : SENAMHI : Station : Pomacanchi moyennes mensuelles 2006-2012 Le climat de la VSI est unanimement reconnu comme « exceptionnel » voire paradisiaque1. Comme l’ensemble de la région de Cusco, il s’agit d’un climat tropical d’altitude avec deux saisons. Par son altitude, l’amplitude thermique quotidienne est importante (plus de 20°C en juillet) et les radiations solaires sont fortes. En revanche, l’amplitude thermique mensuelle est relativement faible.

Globalement, l’altitude « modérée » de cette vallée offre des températures douces, ni trop chaudes comme dans la partie amazonienne, ni trop froides comme sur les hautes terres. Il n’y a pas de gelées ou très rarement. Si le climat de la VSI est décrit comme exceptionnel, c’est parce que, contrairement aux autres vallées andines, celle-ci est directement et idéalement abritée par l’écran que constitue la Cordillère Orientale et ses très hauts sommets, sur sa rive nord (Brisseau Loaiza, 1977 : 38). De ce fait, le climat y est plus sec et plus doux que dans les autres vallées comme celle de Cusco (3 390 mètres) (Molinié Fioravanti, 1982 : 24). Il y pleut un peu moins mais il y fait plus doux. Cette description ne concerne que le fond de vallée est la partie basse des versants, en montant en altitude, on retrouve des climats plus typiques des étages suni (Cf. Diagramme ombrothermique de Pomacanchi, ci-dessus) et puna.

1 Janine Brisseau Loaiza considère que « Lorsqu’on descend du plateau sec de Maras-Chincheros, c’est une véritable oasis de verdure et de fraîcheur […] » (1977 : 46). « La Vallée Sacrée bénéficie d’un climat

exceptionnel pour les Andes », affirme Antoinette Molinié Fioravanti (1982 : 24). Selon Angel Avendaño, Calca, au cœur de la Vallée sacrée, a même « un climat paradisiaque » (1995 : 159). Autre exemple : Selon Fernando et Edgar Elorrieta Salazar, la Vallée sacrée « présente des conditions exceptionnelles telles qu’un climat bienfaisant (18°C de temp. Moyenne annuelle), une faune et une flore riche, une terre fertile et d’innombrables ruisseaux […] » (1996 : 49). Quelques siècles plus tôt, L’Inca Garcilaso de la Vega (1539-1616), l’un des plus célèbres chroniqueurs péruviens, décrivait déjà le climat optimal de cette Vallée sacrée : « La situation en est agréable, l’air y est très bon, et si tempéré qu’on n’y sent ni chaud ni froid ; il n’y a point de mouches, ni aucun autre insecte incommode, et l’on n’y manque pas de bonne eau. […] Cette vallée est remplie de maisons de campagne, d’un beau vignoble, d’arbres fruitiers et de cannes à sucre […] » (Garcilaso de la Vega « el Inca ». (1830).

Histoire des Incas, rois du Pérou, (p 231-232) cité par Molinié Fioravanti, 1982 : 18).

107 Figure 13 : Diagramme ombrothermique d’Urubamba (P. Urubamba) (2863 m)

Réalisation : Margaux Girard. Source : SENAMHI : Station : Urubamba moyennes mensuelles 2006-2012

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