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La définition multidimensionnelle et systémique de l’agriculture durable : outil d’analyse pour notre étude

Chapitre I : Etudier la multidimensionnalité de la durabilité agricole grâce à la géographie environnementale grâce à la géographie environnementale

A. Pour une approche systémique de l’agriculture durable

2. La définition multidimensionnelle et systémique de l’agriculture durable : outil d’analyse pour notre étude

a. Approche transectorielle, transcalaire et diachronique de la durabilité agricole

La définition agro-économique « classique » de l’agriculture durable est centrée sur les technologies écologiquement saines au niveau de l’exploitation et notamment, voire exclusivement, la substitution d’intrants et la rentabilité économique de l’exploitation à court terme (Allen et al., 1991). Dans cette première approche, les questions sociales et la prise en considération d’échelles spatiales et temporelles plus vastes sont secondaires, voire absentes (Allen et al., 1991). Cette définition trop restrictive, a depuis été dépassée et les textes de référence sur la question visent de plus en plus à considérer la durabilité dans son intégralité (FAO, 2014a. Gliessman, 2014. IAASTD, 2009a.

Gomeiro, Pimentel et Paoletti, 2011. Pretty, 2008. InPACT, 2003. Allen et al., 1991. Chambers et

30 Conway, 1992). Parmi la multitude de définitions récentes données à l’agriculture durable, retenons celle de Jules Pretty (2008 : 451), qui illustre parfaitement cette approche plus complète, plus systémique. Selon lui, la durabilité agricole repose sur quatre grands principes :

(i) intégrer les processus biologiques et écologiques tels que le cycle des nutriments, la fixation de l'azote, la régénération des sols, l’allélopathie1, la concurrence, la prédation et le parasitisme dans les processus de production alimentaire,

(ii) réduire au minimum l'utilisation d’intrants non renouvelables qui causent des dommages à l'environnement ou à la santé des agriculteurs et des consommateurs,

(iii) faire un usage productif des connaissances et des compétences des agriculteurs, améliorant ainsi leur autonomie et remplaçant les intrants externes coûteux par le capital humain, et

(iv) faire un usage productif des capacités collectives des personnes à travailler ensemble pour résoudre les problèmes principaux/courants concernant l’agriculture et les ressources naturelles, tels que les organismes nuisibles, les bassins versants, l'irrigation, la forêt et la gestion du crédit.

Dans cette définition, la multidimensionnalité de la durabilité agricole est appréhendée de façon plus large encore que dans celle de Charvet, Croix et Diry dans la mesure où l’auteur ajoute des dimensions immatérielles tels que les connaissances, les compétences, le capital humain ou les capacités (ou capabilités) collectives. Ici, la durabilité est aussi directement liée au principe de l’autonomie. Plus largement, cette multidimensionnalité de la durabilité agricole s’impose d’une part car le terme générique d’« agriculture » ne renvoie pas seulement à la phase de production mais se réfère à l’ensemble du système agro-alimentaire et intègre également les phases de transformation, de distribution, de transport, de commercialisation et de consommation des produits et d’autre part, et parallèlement, car l’agriculture doit être appréhendée sous l’angle de sa multifonctionnalité2. L’agriculture assume la fonction de production d’aliments, mais aussi d’autres biens (fibres, bois, carburants et autres énergies, etc.) et services, notamment les services environnementaux et écosystémiques (Pierre, 2016 : 104-108) et entretient plus généralement des relations étroites avec les secteurs économique (marchés, revenus, marketing, etc.), socio-culturel (santé, culture, tradition, etc.) et environnemental. Cette multifonctionnalité est envisagée comme une condition essentielle de la durabilité agricole, participant notamment à son autonomisation (Ibid. : 83). Le schéma ci-dessous représente le caractère multifonctionnel et au-delà, le caractère multidimensionnel de l’agriculture :

1 « Ensemble des interactions biochimiques entre deux ou plusieurs plantes (autres que des

micro-organismes). » Source : allélopathie (s.d.). In Dictionnaire environnement. Disponible sur : http://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/allelopathie.php4

2 Selon, l’IAASTD, la multifonctionnalité est utilisée pour caractériser « l’interdépendance indéniable entre les différents rôles et fonctions de l’agriculture. Le concept de multifonctionnalité reconnaît l’agriculture comme une activité générant non seulement plusieurs produits de base (nourriture pour humains et animaux, fibres, biocarburants, produits médicinaux et ornementaux), mais aussi des biens non marchands tels que des services écosystémiques, des aménagements paysagers et des patrimoines culturels. » (2009b : 7)

31 Figure 1 : Les interconnexions entre les différents rôles et fonctions de l’agriculture ou la

multifonctionnalité de l’agriculture

Source : IAASTD, 2009b : 14. Notre traduction

Cette multifonctionnalité de l’agriculture peut être appréhendée sous l’angle des services écosystémiques. Le Rapport du MEA désigne les biens et services écologiques, ou services écosystémiques, comme des « biens et services que les hommes peuvent tirer des écosystèmes, directement ou indirectement, pour assurer leur bien-être » (2005). Ils correspondent aux « services » que la nature rend à l’homme « d’elle-même », sans l’intervention de ce dernier, par exemple dans la production de nourriture, de fibre, d’eau, dans la régulation climatique, dans la séquestration de carbone, la prévention et protection contre les inondations, le stock d’eau en nappes phréatiques, les aménagements paysagers, les loisirs, le tourisme, etc. (MEA, 2005. IAASTD, 2009b. Gomeiro et al., 2011 : 13. Pretty, 2008 : 451). Cette notion renvoie à des approches, définitions et utilisations très diverses selon les acteurs, toutefois l’approche dominante est économique et vise à donner une valeur marchande à ces services (Arnauld de Sartre et al., 2014). Nous mobiliserons quant à nous cette notion dans une approche strictement agro-écologique, en l’appliquant non pas aux écosystèmes mais aux agroécosystèmes, et donc avec intervention humaine. L’agriculture durable et notamment l’agroécologie repose en effet en grande partie sur la valorisation et la maximisation de ces services naturels « gratuits », notamment les services de conservation, régénération et fertilisation des sols (cycle des nutriments, fixation de l’azote), de régulation naturelle des maladies et ravageurs de cultures (allélopathie, etc.), de pollinisation des cultures, de nettoyage de l’eau, d’entretien de la biodiversité, etc. Dans les définitions de l’agriculture durable et notamment de l’agroécologie, on parle effectivement de services écosystémiques (David et al., 2011, McNeely et Scherr, 2003 : 6), de services écologiques (Altieri, 1995) mais aussi de processus biologiques, écologiques ou naturels (Pretty, 2008 : 451, De Schutter, 2011). Comme le précisent Xavier Arnauld de Sartre et al., une confusion s’établit parfois entre services, processus et fonctions (2014 : 21).

32 La prise en compte du système agro-alimentaire dans son ensemble et de la multifonctionnalité de l’agriculture nous amène inévitablement à considérer différentes échelles spatiales, du local au global, afin de rendre compte des multiples relations entre « écosystèmes » et « systèmes socio-économiques » (Gomeiro, Pimentel et Paoletti, 2011 : 14). Dans le système agro-alimentaire actuel, la viabilité d’une agriculture régionale dépend en effet en grande partie des conditions socio-économiques des autres pays et de leur approvisionnement en denrées alimentaires ou encore des cours sur les marchés mondiaux. Ne citons qu’un exemple, particulièrement représentatif : ces dernières années, le boom du quinoa sur le marché international, ou plutôt occidental, a fortement modifié et dynamisé l’agriculture dans l’altiplano sud de la Bolivie (Vassas Toral, 2011. Viera Pak, 2012. Winkel et al., 2012).

La multidimensionnalité de la durabilité agricole repose donc sur la prise en compte de :

- Différents secteurs de nos sociétés : agricole, environnemental, social, culturel, économique, politique

- Différentes échelles spatiales : échelle de l’exploitation agricole, échelle locale, régionale, nationale, internationale

- Différentes échelles temporelles : court terme, moyen terme, long terme. Cette approche diachronique est évidente car inhérente au sujet d’étude qu’est la durabilité. Nous la mentionnons ici pour insister sur le fait qu’une agriculture durable est avant tout une agriculture pensée sur le long terme. Cette agriculture doit proposer des solutions agro-écologiques et agro-alimentaires pertinentes et adaptées au contexte actuel, mais aussi pertinentes et adaptables dans un contexte futur (maintien ou amplification des changements climatiques, épuisement des ressources, désertification des campagnes, accroissement des villes, etc.).

L’intérêt de cette approche multidimensionnelle (transectorielle/transdisciplinaire, transcalaire et diachronique) réside aussi et surtout dans la mise en lumière des relations entre les différents secteurs (interconnexions, liens de causalité, etc.) et entre les différentes échelles spatiales et temporelles.

b. Définition de synthèse de l’agriculture durable

Présentons une définition de synthèse de l’agriculture durable qui servira de référence pour l’ensemble de cette thèse. Elle se base sur les principes de durabilité énoncés dans les synthèses de Hill et MacRae (1988), de Beus et Dunlap (1990), dans la définition de Charvet, Croix et Diry (2004 : 218) qui viennent d’être présentées et dans les textes de référence suivants1 : FAO, 2014a. IAASTD, 2009a.

1 Nous faisons le choix de ne pas mobiliser les différentes méthodes d’évaluation de durabilité basées sur des séries d’indicateurs (SDI : Sustainable Development Indicator) (Geniaux et al., 2009), dans la mesure où ces démarches d’évaluation, davantage quantitatives, ne correspondent pas à l’approche de la durabilité agricole que nous souhaitons étudier. Citons simplement l’une des plus connues, l’évaluation MESMIS (Marco para la Evaluación de Sistemas de Manejo de recursos naturales incorporando Indicadores de Sustentabilidad : Cadre pour l’Evaluation de Systèmes de Gestion des Ressources Naturelles incorporant des Indicateurs de Durabilité), afin de démontrer que, malgré tout, les principes de durabilité retenus par ces méthodes correspondent

globalement aux principes avancés dans les textes pris comme référence. La méthode MESMIS définit en effet

33 Pretty, 2008. Allen et al., 1991. Gomeiro, Pimentel et Paoletti, 2011. InPACT, 2003. Gliessman, 2014. Chambers et Conway, 1992. Pour que cette définition soit la plus complète et systémique possible nous prenons également en compte la notion de « régimes alimentaires durables » définit par la FAO comme : « des régimes alimentaires ayant de faibles conséquences sur l'environnement, qui contribuent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi qu'à une vie saine pour les générations présentes et futures. Les régimes alimentaires durables contribuent à protéger et à respecter la biodiversité et les écosystèmes, sont culturellement acceptables, économiquement équitables et accessibles, sûrs et sains sur le plan nutritif et permettent d’optimiser les ressources naturelles et humaines »1.

Pour cette définition générale, nous distinguons d’une part, des principes globaux et transversaux, et d’autre part des principes propres aux quatre « grands » secteurs de nos sociétés : agro-environnemental, socio-culturel, économique et politique, puis au sein de chaque secteur, des principes propres à chaque échelle spatiale. Les principes ici présentés sont envisagés à toutes les échelles temporelles, le court, moyen et long terme ; le cas échéant, le long terme est privilégié. Ces grands principes de durabilité agricole sont présentés et synthétisés dans le tableau suivant.

sept attributs de durabilité : la productivité, la stabilité, la fiabilité, la résilience, l’adaptabilité, l’équité et

l’autonomie (self-reliance et self-empowerment).

1 http://www.fao.org/ag/humannutrition/biodiversity/fr/

34 Tableau 4 : Synthèse des principes visant la durabilité multidimensionnelle d’un système agro-alimentaire

AGRO-ECOLOGIQUE SOCIAL - CULTUREL ECONOMIQUE POLITIQUE

PRINCIPES GENERAUX

OBJECTIFS : Amélioration du cadre environnemental et des conditions de vie : réduction de la pauvreté, de la faim (sous et mal nutrition) et des inégalités (0)(1)(2)(3)(4)(5)(6)(7)

PRINCIPES : RESILIENCE des êtres humains et des écosystèmes(0)(1)(2)(6) - EFFICIENCE(0)(1)(2)(4)(5)(6) – EQUITE (0)(1)(3)(6)(7) - ACCEPTABILITE - GOUVERNANCE(0)(1) – AUTONOMISATION(1)(2)(4)(5)(6)(7) - RETERRITORIALISATION(1)(2)(6)(7) pratiques et savoirs paysans(0)(1)(2)(5)(6) - Estime de soi

Rentabilité (Revenus décents(5)(7)) de

l’exploitation à court, moyen et long termes(3)

Systèmes de production économes et

autonomes(5)(7) (Baisse des coûts de productions=

Emploi(0)(1)(7) (forte demande en main-d’œuvre)

Liens sociaux(5) - Organisation en associations, coopératives, réseaux(0)(2)(6)

Equité inter et intragénérationnelle(3)(6)(7) Dans le partage des richesses, des droits, des pouvoirs de décision(5)

gionaleNationale Incitations réglementaires : Politique agricole en faveur de la petite agriculture

(réforme agraire) : Crédits accessibles(7) Politique de taxation et de prix(7) des denrées (3)(6) et des intrants (0)

Investissement public dans l’éducation(7) et la recherche agronomique(0) Répartition équitable des aides publiques(5)

Globale Réduction des GES et autres pollutions.

Conservation des ressources.

Adaptation au changement climatique

Stabilité des cours sur les marchés mondiaux. Et concurrence loyale Relations internationales justes et équitables(5)

Respect des traités internationaux sur l’environnement Sécurité et souveraineté alimentaire (0)(5)(7)

(0): FAO, 2014a. (1): IAASTD, 2009a. (2): Pretty, 2008. (3): Allen et al., 1991. (4): Gomeiro, Pimentel et Paoletti, 2011. (5) : InPACT, 2003. (6): Gliessman, 2014. (7): Chambers et Conway, 1992.

Réalisation : Margaux Girard.

35 Cette présentation par secteur et par échelle permet d’appréhender la durabilité agricole dans sa globalité et de détailler différents domaines d’action. Toutefois, dans une optique systémique, nous voulons surtout mettre en évidence et étudier, non pas ces domaines d’action sectorisés, mais plutôt les relations et interactions entre ces différents secteurs et ces différentes échelles. Aussi, ce tableau pourrait être complété par des flèches horizontales, représentant les relations de causalité ou d’interdépendance entre les différents principes des différents secteurs, notamment entre le secteur agro-environnemental et les autres. Des flèches verticales pourraient également être ajoutées pour figurer les relations entre les différentes échelles géographiques. Pour des raisons de lisibilité, ces flèches ne figurent pas dans le tableau, mais ces interrelations seront évoquées dans les paragraphes suivants consacrés à la présentation des principes majeurs de durabilité, puis tout au long de cette thèse.

La définition de l’agriculture durable prise comme référence pour cette étude se veut systémique. Elle synthétise les principes les plus souvent mentionnés dans les textes de référence cités ci-dessus et se base également sur notre expérience de terrain :

Une agriculture durable est une agriculture qui d’une part, protège et enrichit l’environnement et propose des solutions d’adaptation au changement climatique et qui, d’autre part, participe à la réduction de la pauvreté (de la faim - malnutrition - sous-nutrition) et des inégalités (résilience). Pour parvenir à ce double objectif d’amélioration à la fois du cadre et des conditions de vie, l’agriculture durable doit être productive, via une intensification écologique (éco-efficience) basée sur la conservation et l’amélioration des sols et de leur fertilité, sur la substitution des intrants chimiques, exogènes et payants, par des intrants biologiques, locaux et gratuits, sur la valorisation et la maximisation des services écosystémiques et, plus généralement, sur la diversification. Elle doit aussi être rentable (prix justes, revenus décents. éco-efficience), socialement équitable (production, commercialisation et consommation accessibles à tous et à toutes les générations), adaptée aux conditions géographiques, socio-culturelles et économiques locales, socialement valorisée et politiquement encouragée (acceptabilité socio-culturellle, gouvernance). Dans cette recherche de durabilité de l’agriculture, l’autonomisation des producteurs et la reterritorialisation des systèmes agro-alimentaires, constituent à la fois des fins et des moyens.

Les termes en majuscule et en gras correspondent aux principes généraux et transversaux de durabilité agricole : résilience, éco-efficience, équité, acceptabilité, gouvernance, autonomisation et reterritorialisation. Nous présentons à présent chacun de ces principes en expliquant de quelles manières chaque secteur (agro-environnemental, socio-culturel, économique et politique) y participe et de quelles manières ces grands principes sont liés entre eux et interdépendants. Nous ne présentons donc pas séparément la durabilité environnementale, durabilité sociale, durabilité économique ou politique considérant que toutes ces durabilités sont indissociables et profondément interdépendantes.

Par ailleurs, pour marquer la distinction avec l’agriculture conventionnelle, nous choisissons de ne pas présenter la productivité et la rentabilité comme des principes majeurs mais comme des principes secondaires liés aux principes majeurs d’efficience et d’équité. En effet, en agriculture durable, la productivité doit être eco-efficiente et non simplement efficiente ou efficace comme dans l’agriculture

36 conventionnelle (éco-efficience). Par ailleurs, nous avons vu dans l’introduction générale que le problème alimentaire mondial ne réside pas tant dans le manque de productivité que dans la mauvaise répartition des productions (équité) (Dufumier, 2012. Caplat, 2012. Aubert, 2009. Brunel, 2009). De même, nous considérons que la rentabilité, et plus largement la richesse ou la croissance, en elles-mêmes, telles qu’elles sont envisagées dans nos modèles de développement actuel, ne sont pas durables si elles ne sont pas équitablement réparties (équité). Les définitions détaillées qui suivent sont basées sur les textes de références utilisées dans le tableau n°4 et dans la définition de synthèse. Pour des raisons de lisibilité nous ne re-citons pas ces références bibliographiques déjà mentionnées.

La résilience est définie par la FAO comme « la capacité des personnes, communautés ou systèmes qui sont confrontés à des catastrophes ou crises à résister et se relever rapidement des dommages subis ». Plus précisément, dans le cadre de la durabilité de l’agriculture, il s’agit de « La capacité à prévenir les catastrophes et les crises ainsi qu’à anticiper, absorber les chocs et adapter ou rétablir la situation d'une manière rapide, efficace et durable. Cela comprend la protection, la restauration et l'amélioration des systèmes des moyens d'existence face à des menaces ayant un impact sur l'agriculture, la sécurité nutritionnelle et alimentaire et la sécurité des aliments »1. Dans cette approche, la résilience concerne tout autant les écosystèmes que les populations humaines. La résilience opère de façon cyclique, comprenant quatre phases distinctes décrites par Walker et al.

(2004) et synthétisées dans le schéma suivant :

Figure 2 : Le cycle de la résilience et ses quatre phases

Réalisation : Margaux Girard. Source : Walker et al. (2004).

Précisons que la résilience ne signifie pas le retour à un état antérieur mais plutôt la capacité à s’adapter et à tirer avantage d’une perturbation pour construire un nouveau système plus durable. Dans les Andes péruviennes, les crises (ou chocs, ou perturbations) sont multiformes, systémiques : biophysique et écologique (séismes, dégradation de l’environnement, des sols, érosion, déforestation, etc.), climatique (hausse des températures, multiplication des sécheresses, inondations, etc.), démographique (croissance exponentielle de la population et exode rural, etc.) mais aussi politique (conflit armé avec le Sentier lumineux des années 1980), économique (volatilité des marchés, crises

1 http://www.fao.org/emergencies/comment-nous-travaillons/resilience/fr/

37 économiques et financières des années 1980 et de la fin des années 2000), etc. Plus généralement, la colonisation puis la néo-colonisation et leurs corollaires (minifundium, exploitation de la main-d’œuvre, racisme, etc.) ont profondément affectés et continuent d’affecter la paysannerie andine. La résilience des écosystèmes passe par exemple par des programmes de reforestation (agroforesterie permettant la séquestration de carbone, la lutte contre l’érosion, etc.), de régulation et gestion hydrique efficiente, de conservation des sols (lutte contre l’érosion), l’utilisation des variétés de cultures traditionnelles, paysannes adaptées aux sécheresses ou à l’excès d’eau ou plus généralement par une baisse de la pollution via des pratiques agro-écologiques (intensification écologique) et la reterritorialisation de l’agriculture. La résilience des êtres humains passe elle essentiellement par la mise en application du principe d’équité, d’acceptabilité, de gouvernance et d’autonomisation.

Selon la FAO, l’éco-efficience1 « vise à maximiser l'efficacité de l'utilisation des ressources et à minimiser les pollutions tout au long du processus de production et dans tous les secteurs économiques » (2014c : 220), soit globalement, l’optimisation des ressources et des énergies dans les activités productives. Il faut en effet produire plus, pour nourrir 9 milliards de personnes à l’horizon 2050, avec moins2 : moins de ressources en terre, en eau, en énergie, etc. et en provoquant moins de dégâts sur l’environnement. Nous avons vu, dans l’introduction générale, que l’agriculture durable permet bien, dans les pays du Sud et sous certaines conditions dans les pays du Nord, une hausse et une stabilité des rendements à l’hectare sur le moyen et long terme, et s’avère donc productive (Caplat, 2012 : 294. Aubert, 2009. Pretty, Morison et Hine, 2003. Pretty et al., 2006. Pretty, 2008. UNCTAD et UNEP, 2008. FAO, 2011. Friedrich, Derpsch, Kassam, 2012). En agriculture durable, cette productivité repose sur ce principe d’éco-efficience aussi traduit par les termes d’« intensification durable » ou d’« intensification écologique ». Selon Michel Griffon, créateur du concept d’« agriculture écologiquement intensive », l’intensification écologique se définit comme « une démarche dans le sens de l’amplification des fonctionnalités des agro-écosystèmes, de la complexification et de la diversification des composantes de ces agro-écosystèmes de manière à améliorer leur résilience, et du recours à des innovations issues de la "bio-inspiration", c’est-à-dire de techniques imitant, reproduisant ou inspirées du fonctionnement naturel. » (2013 : 52). Plus précisément, cette intensification agro-écologique repose sur la conservation et l’amélioration des sols et de leur fertilité, sur la substitution des intrants, sur la valorisation et la maximisation des services écosystémiques et plus généralement sur la diversification (agrobiodiversité). L’un des mots d’ordre des pratiques agricoles écologiques est en effet l’augmentation de la diversité dans l’agroécosystème : diversification des assolements et des rotations, des associations de cultures, systématisation des cultures de couverture, agroforesterie, mosaïque de cultures et d’éléments semi-naturels et naturels, intégration cultures-élevage, etc. Cette diversification des composants de l’agroécosystème multiplie les possibilités d’interactions entre ces composants et donc le potentiel productif du système agricole.

L’autre logique globale, si ce n’est centrale en agriculture durable, de substitution des produits

1 Le préfixe « éco » a toute son importance car l’éco-efficience ne doit pas être confondu avec l’efficience du modèle ESR présenté dans la partie I.B.3. de ce chapitre I. Sylvie Bonny rappelle à juste titre qu’une agriculture peut être efficiente sans nécessairement être écologique, en se traduisant par exemple par « de plus forts

prélèvements sur les ressources gratuites (eau, sol, etc.) qui n’apparaîtraient pas dans les comptes » (1994 : 13).

2 En 2011, La FAO publie un document de synthèse intitulé : « Produire plus avec moins. Guide à l’intention des décideurs sur l’intensification durable de l’agriculture paysanne ».

38 chimiques de synthèse (engrais chimiques dont engrais minéraux azotés, pesticides, herbicides, insecticides, etc.) par des intrants biologiques et des services « naturels » : fumier, compost, culture de

38 chimiques de synthèse (engrais chimiques dont engrais minéraux azotés, pesticides, herbicides, insecticides, etc.) par des intrants biologiques et des services « naturels » : fumier, compost, culture de

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