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Une démarche scientifique et un processus cyclique

Section 1. La recherche-action : éléments de repérage

1. Une démarche scientifique et un processus cyclique

C’est Kurt Lewin, entre 1940 et 1945, dans le cadre de la psychologie sociale, qui fait figure de pionnier dans la recherche-action (RA). Celle-ci se différencie de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. Elle est une recherche impliquée qui se mène sur le terrain. Elle a des fins pratico-pratiques. Elle intervient sur les pratiques sociales, afin de transformer celles-ci. Elle tente de changer la réalité sociale. Le cadre d’intervention est celui d’un travail engagé dans un devenir qui n’est pas défini au départ. La visée reste la transformation souhaitée, le changement attendu, la crise à provoquer ou à apaiser, ou encore les futures valeurs à encourager. Quoi qu’il en soit, l’action de recherche présuppose toujours l’espace réel d’une organisation, l’implication de ses membres, et l’espace symbolique d’un projet de renouveau.

La version classique de la RA, celle au sens de Kurt Lewin, présente deux caractéristiques essentielles : le chercheur est seul à l’origine de la recherche et la méthodologie utilisée équivaut à l’expérimentation en laboratoire (hypothèses-vérification) transposée en contexte social. En effet, le chercheur identifie le problème et propose d’intervenir, mais il est le seul à

en décider les modalités, que ce soit pour le protocole, l’analyse, l’utilisation et la diffusion des résultats. Ainsi, les acteurs de l’organisation ne participent pas à la définition de la RA, mais ils en bénéficient, car le but est de produire des connaissances sur les systèmes sociaux en les modifiant.

L’utilisation de cette démarche méthodologique va ensuite évoluer au cours des années, où des chercheurs s’affranchissent de certaines caractéristiques de la RA telle que pratiquée par Kurt Lewin, en variant ses formes d’intervention. C’est le cas, par exemple, de la démarche de nature thérapeutique (Trist et al., 1951 ; Bion, 1965) telle que l’analyse institutionnelle, qui vise à apporter une aide pour et par les acteurs de l’organisation. Ici, la démarche participative de changement peut être une voie de remise en cause radicale d’une institution par ses membres. Cette nouvelle conception de la RA, la RA participative, est donc beaucoup plus collaborative que la RA dite classique, puisque les acteurs de l’organisation sont impliqués, que ce soit dans la formulation du problème ou dans la définition des modalités d’intervention ; aussi bien dans la dimension pratique, c'est-à-dire dans la résolution du problème, que dans la dimension théorique, c'est-à-dire dans la production de connaissances sur la base de l’action. Dans la recherche participative, il s’agit d’évaluer la qualité de la participation de chacun. Le changement n’est pas explicitement visé, mais il reste escompté et attendu de surcroît, même si un délai sépare les transformations pratiques des découvertes théoriques. Ce type de recherche est analytique. Elle vise à faire ressortir les jeux de rôle tenus par des acteurs sociaux travaillant dans une même institution. La recherche participative entend dés-objectiver les regards, et fluidifier les rôles dans un espace de travail donné. Par exemple, dans une équipe de travail, il s’agit d’élucider les raisons et les mobiles de l’implication, et de prendre conscience du surmoi qui détermine le style du lien social. Cette recherche-action participative poursuit un objectif préventif. Elle peut s’engager sans le concours des experts, mais en faisant appel à ces derniers ; ceux-ci se placent en position d’analystes, et donc apportent leur regard extérieur, neutre et correcteur. C’est ce regard qui est capable de supposer et de susciter d’autres regards et visions possibles des choses. Le changement peut donc surgir d’une critique et d’une redéfinition des rôles compris en termes de stratégies d’action, en retrait des statuts et des fonctions.

En revanche, bien que les variantes de la RA soient nombreuses, plusieurs points communs peuvent être relevés : « la RA est un processus ; c’est une démarche de recherche visant à résoudre des problèmes concrets en situation ; elle est mise en œuvre par une collaboration entre les chercheurs et les acteurs de l’entreprise […] ; son objectif est de

produire des connaissances scientifiques sur les situations étudiées » (Jouison-Laffite, 2009 : 5). Le point de départ du processus de recherche vise à identifier et à définir un problème concret : c’est la phase de diagnostic. Puis, il faut planifier l’action, c'est-à-dire considérer différentes formes d’actions pour résoudre le problème. Une fois l’action réalisée, il faut l’évaluer et en identifier les résultats généraux. Ce processus, défini par Susman et Evered en 1978, est cyclique. Autrement dit, les cinq étapes du cycle sont parcourues à plusieurs reprises et les apprentissages se font d’une manière progressive. Les acteurs de l’entreprise se trouvent au milieu de ce processus itératif, puisqu’ils participent effectivement à l’action « tout en prenant en considération l’organisation dont ils ne sont que des représentants » (Jouison-Laffite, 2009 : 5). La RA nécessite donc une stratégie, c’est-à-dire le déroulement d’un ensemble d’opérations, réparties en séquences et échelonnées sur un calendrier suffisamment large pour réajuster au besoin, le profil de l’action en fonction de nouveaux objectifs. La stratégie demande donc une planification, avec un programme et une organisation adoptée collectivement.

En effet, la RA est constituée d’un groupe comprenant les usagers du terrain, ainsi que le ou les chercheurs qui ont une position déclarée. De ce fait, elle nécessite un espace clairement délimité, à la fois sujet et objet. Un débat critique s’engage alors sur la gestion habituelle des problèmes sociaux ou sur la vie en entreprise. Un accord mutuel est ensuite recherché, portant aussi bien sur le diagnostic que sur le projet à élucider.

La légitimation de la recherche-action se fait au travers d’un rapport qui formalise les actions du groupe. Celui-ci comprend généralement trois orientations majeures. La première est constituée par les usagers en attente d’un modèle d’action impliquant l’adoption de styles de comportements nouveaux. En général, c’est un groupe pilote de l’entreprise qui s’en charge. Si le modèle est vérifié, il est ajusté puis étendu. De même, les experts sont sollicités afin de produire un jugement global sur la situation. Enfin, la finalité poursuivie est mentionnée ; par exemple, l’amélioration des conditions de travail ou le but thérapeutique. « La guérison concerne la personne en situation de communication dans un espace social donné » (Berthon, 1995). La réflexion se concentre sur l’action menée, et en même temps sur l’analyse prospective de l’action à mener. L’action précède la recherche ou inversement. La recherche-action s’impose aussi bien dans le contexte d’une intervention ponctuelle au cœur d’une situation donnée, qu’au titre d’une stratégie plus élaborée et susceptible d’expliquer et de déclencher un changement social souhaité.

Dans le premier cas, l’action prime car elle suscite et dirige la recherche : le contexte est celui de l’urgence ; par exemple, une formation de courte durée ou une analyse institutionnelle.

Dans le second cas, la recherche prime ; par exemple, une psychothérapie ou un redressement économique en matière d’emploi. Néanmoins, il est possible de mener parallèlement ces deux types d’interventions. Par exemple, lors de l’élaboration d’un programme politique ou éducatif, il est défini des objectifs pratiques (action), en même temps que la priorité est donnée à l’examen des finalités recherchées (recherche). Par conséquent, une hiérarchie est privilégiée ou non entre les deux différentes approches (soit l’action, soit la recherche), mais dans tous les cas, la logique de la démarche est dialectique. Autrement dit, il y a circulation entre la théorie et la pratique, entre le travail des usagers et celui des experts, ainsi qu’entre le savoir savant et le savoir construit. Au départ, il y a un moment théorique dans la recherche-action, mais qui est subordonné au changement désiré. À ce stade, la théorie est souvent occultée. Puis, progressivement la part théorique se pose comme étant le moteur de l’action, pour finir par résulter du changement lui-même qu’elle vient cautionner après-coup. La recherche-action est donc à la fois, une action de recherche et une recherche d’action, elle naît de la rencontre de deux expériences. La première est théorique : c’est celle qui est issue de la pratique provenant des acteurs sociaux qui réfléchissent à leur action. Autrement dit, c’est le temps de l’évaluation, de l’analyse et du bilan. C’est le moment d’une action qui est recherche, questionnement et reformulation. La seconde expérience est pratique : c’est celle de la pratique de la théorie élaborée, illustrée par les mêmes acteurs qui réfléchissent à leur action prochaine.

Par ailleurs, le protocole de la RA n’est pas prisonnier d’un mode opératoire ou d’une technique de recueil de données, mais doit reposer sur des techniques variées telles que les questionnaires, les entretiens approfondis, l’observation directe, l’observation participante, etc. Les méthodes d’investigation étant libres, le choix se fait en fonction de divers facteurs tels que la nature du problème, le degré d’implication des acteurs ou encore la forme de RA adoptée (par exemple, classique, participante, etc.). Néanmoins, bien que l’ensemble des documents pouvant servir d’analyseurs de la crise en cours ou de la réforme imposée puissent être utilisés, l’organisation de la recherche-action doit laisser place à l’imprévu et à l’événement, qui engagent les corrections de trajectoires et la redistribution des règles du jeu, voire même la décision de renoncer à l’initiative engagée. C’est parce que la réalité résiste au modèle et que la pratique n’obéit pas entièrement au projet, qu’il y a crise, relance de l’interprétation, questionnement et recherche. Ainsi, la recherche-action est dialectique, mais aussi circulaire. Autrement dit, elle propose des interprétations temporaires, susceptibles d’être rectifiées par leur investissement dans les pratiques.

La RA est une recherche impliquée visant à transformer les pratiques sociales. Elle est un processus qui s’opère en collaboration entre les chercheurs, les acteurs de l’organisation (entreprise et service), et les usagers parfois quand ils sont convoqués, afin de produire des connaissances scientifiques sur les situations étudiées. Le protocole de la RA repose sur des méthodologies variées. Pour notre RA, nous allons utiliser plusieurs techniques : le recueil documentaire, le questionnaire, l’entretien semi-directif et enfin, l’entretien de groupe.

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