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La recherche-action : entre initiative et réajustements

Section 3. Déroulé des actions de la recherche-action

1. La recherche-action : entre initiative et réajustements

Nous sommes recrutée en tant qu’assistante sociale du personnel sur un poste à temps plein en contrat à durée indéterminée (CDI) au Centre financier de Toulouse (Groupe La Poste) à compter du 1er avril 2013. Au fur et à mesure de nos observations de terrain, et

notamment concernant la prévention des RPS (domaine qui fait partie de nos attributions), nous nous rendons compte qu’il y a eu quelques actions et initiatives prises dans ce domaine dont une, « le groupe projet vie et santé au travail », qui nous semble particulièrement intéressant. En effet, les collaborateurs eux-mêmes sont invités à réfléchir et à proposer des actions sur la prévention des RPS. C’est la précédente AS en poste qui avait proposé cette action et le DRH a suivi. Aussi, nous trouvons l’idée intéressante et dans la continuité de ces actions, nous souhaitons mettre en place une recherche-action sur la prévention des RPS, afin que les acteurs de cette RA soient les collaborateurs tout comme ils l’ont été dans « le groupe projet vie et santé au travail ». Nous commençons à prospecter pour trouver un directeur de recherche et parallèlement nous parlons de notre projet à la coordinatrice technique du réseau des assistants de service social des Services financiers (par l’intermédiaire de plusieurs échanges téléphoniques et d’une formalisation par mail) pour qu’elle en parle également à la coordinatrice technique nationale des assistants de service social.

De plus, au cours de réunions d’équipe RH (auxquelles nous participons régulièrement), et au détour d’une discussion avec la DRH au cours du mois de septembre 2013 (soit environ cinq mois après notre embauche), nous lançons l’idée de mener un travail de recherche compte tenu de la « matière » que pourrait représenter le Centre financier. La DRH est partante. Elle nous demande de préparer un projet de recherche, de le lui soumettre (ce que nous faisons quelques jours après par mail), puis de le proposer à la directrice du Centre financier de Toulouse (c’est elle qui nous a recrutée quelques mois auparavant). Nous restons volontairement ouverte sur notre sujet de recherche et nous proposons de rester souple quant à son objet pour qu’il puisse coller au projet stratégique de La Poste 2013-2018 dont un des axes de développement est la qualité de vie au travail. C’est par mail que nous envoyons notre projet de recherche à la directrice du CF de Toulouse qui nous répond une demi-heure plus tard par l’affirmative : « Très bonne idée... ».

Dans ce contexte, plusieurs caractérisations sont déjà possibles, concernant d’une part la commande et le salaire, et d’autre part la demande initiale.

Concernant la commande et le salaire : ici le professionnel (AS) n’est pas mandaté pour le travail que représente la RA. Il n’y a pas de financement supplémentaire au salaire. En revanche, l’inscription à la faculté en doctorat est payée par le CF de Toulouse, ainsi que les déplacements pour les conférences et manifestations scientifiques. Un autre avantage : nous pouvons mener notre RA sur notre temps de travail, étant donné que notre sujet de recherche

sera en lien avec notre profession (dans le cadre d’un développement de notre métier en tant qu’AS au CF et dans le cadre de la prévention des RPS, car dans notre proposition de projet, nous l’avons argumentée de la sorte). Il y a donc un retour financier par rapport à notre investissement, ainsi qu’un paiement symbolique (satisfaction personnelle), un paiement social (par la contribution aux changements en cours, la reconnaissance des pairs), et enfin une satisfaction sociale et intellectuelle (« les chercheurs en sciences humaines sont plus ou moins militants […] interviewer des gens sur des sujets « sensibles », impliquant voire tabous, constitue, quoi qu’on en dise, une forme d’intervention auprès de ces personnes et des situations qu’elles traversent. Ayant fait émerger des affects, des conflits, le chercheur ne laisse pas le terrain tel qu’il l’a rencontré » (Mackiewicz, 2001 : 28).

Concernant la demande et l’initiative : ici, il s’agit du professionnel (l’AS) qui se demande comment travailler et améliorer la prévention des RPS. De plus, dans un premier temps, le chercheur (ou plus précisément ici, le praticien-chercheur) est à l’origine de sa recherche : c’est le scénario idéal qui lui permet de formuler ses questions et d’inventer les dispositifs pour y répondre.

Entre-temps, « le groupe projet vie et santé au travail » s’essouffle pour finir par disparaître. Par ailleurs, l’AS et l’APACT reçoivent une formation de prévention des RPS qui met l’accent sur la prévention primaire des RPS. Cette formation est dispensée par La Poste. Elle met notamment l’accent sur la prévention primaire des RPS avec l’importance et la nécessité d’associer les collaborateurs à la réflexion en amont du process, en partant sur des cas concrets. Ce process nous semble intéressant à transférer dans une démarche de recherche-action. Nous échangeons avec l’APACT et décidons de monter un projet commun, sachant que l’APACT est chargé chaque année de réaliser l’évaluation des risques (EVRP). Nos deux démarches peuvent donc s’articuler et prennent sens au regard de nos pratiques quotidiennes, enrichies de la formation que nous venons de suivre. Par ailleurs, nous pouvons aussi bénéficier des avantages de l’interdisciplinarité par un travail en équipe pluridisciplinaire, en prenant comme éléments d’observation les informations du pôle médical pour le pré-diagnostic via le DESSP par exemple, ce qui donne encore plus de sens à la démarche. Dans cette continuité, nous envisageons ensuite d’intégrer comme acteurs à la RA, non seulement les collaborateurs, mais également le pôle médical, puis ensuite les CEP. Nous présentons alors notre projet à la DRH au cours de l’été 2014 (cf. chronologie de notre travail de recherche en introduction, p.29), qui le refuse en disant que la démarche est intéressante mais que c’est trop tôt. Pour qu’une démarche de prévention des RPS fonctionne, il faut que

la direction et les managers la portent, sinon elle est réduite « à peau de chagrin ». La direction et les managers ne sont pas prêts à ça. Il faut préciser entre temps que la directrice du Centre financier est partie et qu’un nouveau directeur du Centre financier vient d’arriver (été 2014).

En revanche, la DRH accepte que nous travaillions sur les RPS en lien avec « le fil rouge »43

du Centre financier de Toulouse, qui est représenté par le thème du numérique. Nous devons donc recentrer notre sujet sur la prévention des RPS, mais uniquement dans le cadre du numérique : à ce moment-là, la commande devient explicite. Pour autant, nous nous situons, pour le coup, bien en avance du risque. En effet, le numérique à l’instant T. ne semble pas faire particulièrement partie des risques identifiés, que ce soit via le DESSP, via l’EVRP ou

via l’observation sociale et les données du terrain (pôle médical ou service des ressources

humaines par exemple), ni même via le questionnaire créé par la direction de la communication à cet effet pour sonder, dans un premier temps, les collaborateurs face à leur utilisation du numérique. Pour autant la démarche proposée nous semble intéressante, car dans la méthodologie de prévention des RPS donnée par La Poste pour faire de la prévention primaire, il faut se situer bien en amont du risque, donc la démarche paraît malgré tout pertinente…« même si le chercheur est encore censé reconstruire la commande qui lui parvient » (Mackiewicz, 2001 : 29).

Concernant la demande et la commande : ici, la commande provient de la DRH après négociation, car ce n’était pas la proposition faite par le chercheur, mais au final le chercheur accepte la commande (est-ce qu’il a vraiment le choix, étant donné qu’il est déjà en contrat de subordination de par son activité professionnelle principale ?). À la fois, même si ce sujet n’est pas le sujet idéal (celui qui l’a proposé au départ), il reste néanmoins près de son sujet de départ. Il suffit simplement de le réajuster au domaine du numérique.

En revanche, il est à noter qu’il n’y a pas, à ce stade, de demande particulière du terrain. Le contexte avec le fil rouge : oui, mais pas de données qui permettraient de dire que le numérique représente ou peut représenter un risque psychosocial. À noter également qu’il n’y a pas d’attendus particuliers ou d’objectifs à atteindre, que ce soit à ce stade ou même au stade du premier temps avec la directrice du Centre financier.

Par la suite, il y a une troisième étape dans la formulation de la commande et de ses réajustements. Il s’agit du moment où la DRH nous propose le poste de responsable de

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prévention, en avril 2015. Ici, non plus, il n’y a pas de formulation particulière de la DRH quant à notre objet de recherche, ni de réajustements explicites, néanmoins elle revient finalement sur notre proposition de départ avec l’APACT de faire une RA sur la prévention des RPS dans le cadre de ce poste et de la création de la filière prévention, qui donnerait « une autre dimension à notre recherche ». Donc, à ce moment-là, il n’y a pas davantage de commande particulière, ni d’attendus. On reste sur la commande de départ « RPS et numérique ». Il s’agit simplement de propositions d’étendue de notre objet de recherche, au vu du contexte de création de la filière de prévention qui cette fois sera forcément portée par la direction et les managers, puisqu’il s’agit d’un projet Groupe La Poste. Pour autant, nous refusons la proposition car le timing ne va pas être adapté. En effet, la création de ce poste est prévue pour le mois de septembre 2016, date de soutenance de notre thèse. L’idée aurait pu être intéressante à creuser, mais l’année écoulée a déjà donné son lot de matière concernant la commande initiale « RPS et numérique ». En revanche, ce projet peut être intéressant à creuser sur un post-doctorat.

Ici, nous avons vu comment la RA, dès le départ, pouvait se réajuster. Dans un premier temps, la RA ne comporte pas de commande initiale. Au contraire, c’est l’AS praticienne-chercheuse qui impulse le projet. Puis, dans un deuxième temps, une commande se fait jour et demande au projet de départ de se réajuster. Nous allons voir maintenant comment ces réajustements impactent également les acteurs de la RA et leur organisation.

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