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Section 1. La recherche-action : éléments de repérage

4. Enjeux en SIC et questions d’éthique

« La communication des et dans les organisations fait l’objet de nombreux travaux empiriques » (Bouzon, Meyer, 2008), où les questions méthodologiques se révèlent essentielles, aussi bien dans le choix des techniques d’enquête que dans leur mise en œuvre. De même, les démarches de production de savoir se multiplient pour et dans les milieux professionnels. Ainsi, les sciences humaines et sociales, y compris les sciences de l’information et de la communication, sont-elles régulièrement convoquées afin de produire du savoir ainsi que pour éclairer les conduites et les pratiques des acteurs. Pour ce faire, des démarches de RA sont régulièrement engagées. L’enjeu est d’autant plus important qu’avec

les domaines spécifiques d’application des pratiques d’information et de communication (par exemple, dans le cadre de la prévention des risques), les praticiens sont en demande d’un

discours garant de l’acte et en recherche de connaissances immédiatement

opérationnalisables. Aussi, les SIC trouvent-elles leur place dans cette démarche, étant donné que ces travaux vont traiter, par exemple, de la conduite du changement et de la gestion des crises internes dans un contexte d’évolution généralisée des démarches de qualité et des plans de stratégies de communication.

Lorsque l’on s’intéresse aux RA en SIC, il ressort une grande variété d’emprunts théoriques et d’expériences méthodologiques. La mise en œuvre de ces méthodes ne dépend pas que de critères rationnels définis à priori, mais se révèle au contraire, fortement ajustée aux spécificités du terrain et aux attentes des acteurs concernés. Quand l’intervention du chercheur n’est pas réalisée selon une expertise ou une évaluation externe (de type consulting, par exemple), l’engagement sur une période donnée et le travail de terrain des chercheurs peuvent se heurter à des obstacles tels que les incompréhensions diverses, les résistances individuelles ou encore les contingences locales. Il est donc très rare de pouvoir appliquer une démarche pré-établie sans avoir été amené à la modifier. Pourtant, ce sont aussi ces « arrangements méthodologiques » qui permettent de s’introduire au cœur du terrain et ainsi de produire des connaissances autant dans la communauté scientifique que chez les praticiens, sans trahir ces derniers.

Une méthodologie de recherche, et notamment dans le cadre d’une recherche-action en communication des organisations, ne constitue pas toujours un ensemble de recettes satisfaisantes. Très souvent, sous un formalisme convenu, l’aspect itératif du processus d’investigation, avec ses tâtonnements et bricolages, est régulièrement passé sous silence, bien qu’il constitue inévitablement le quotidien de toute recherche et d’autant plus dans le cadre d’une recherche-action. Il est donc rare de trouver des analyses approfondies et/ou des exemples précis des conditions pratiques du déploiement des arrangements méthodologiques développés sur le terrain. De même, la présentation circonstanciée des difficultés rencontrées sur le terrain, ainsi que l’analyse des conséquences en découlant sur les résultats des recherches, demeurent encore parcellaires.

Ces difficultés proviennent de différents éléments : la demande peut prendre différentes formes selon qu’elle émane d’un projet du terrain ou d’un contrat de recherche ; un objet qui se délimite progressivement avec un choix contraint de méthodes et un difficile accès aux informations ; les statuts et rôles des acteurs concernés ; le déroulement concret des différentes phases d’une RA avec, par exemple, les effets de celle-ci sur l’organisation ou les

acteurs, ou encore l’élaboration et la restitution des résultats. Ainsi, compte tenu de ces points de tension, on comprend mieux pourquoi les supports méthodologiques doivent autant être ajustés au cas par cas des terrains. Lorsque le chercheur transforme la recherche en acte de production collective et de connaissances, il passe donc par des phases de déconstruction et reconstruction, qui peuvent être apparentées à la notion de « bricolage » (Lévi-Strauss, 1962). La RA implique, quant à elle, peut-être encore davantage que les autres démarches, cet inévitable « bricolage » méthodologique.

Pourtant, il n’en reste pas moins que la RA constitue bel et bien l’une des formes les plus abouties des démarches méthodologiques existantes. Aussi, afin de faire face aux difficultés et questionnements rencontrés, nous allons voir comment il est possible de s’accommoder des contraintes du terrain sans perdre pour autant la pertinence et la scientificité des recherches. Nous allons donc nous intéresser de près aux enjeux de la RA, et notamment en ce qui concerne les méthodes et la posture du chercheur, ainsi que du rapport au terrain quand il s’agit de réaliser des dispositifs communicationnels.

Béatrice Vacher (2008) signale une dimension essentielle : « La communication est au cœur du processus de la recherche-action », ce qui a inévitablement des conséquences sur la recherche et l’approche méthodique. De plus, il faut prendre en compte que les acteurs de terrain développent des stratégies opportunistes et que le contexte organisationnel change : les intérêts des acteurs concernés évoluent donc en fonction (y compris pour et par la recherche). C’est ici que se dessine alors le passage de « l’acteur chercheur » à la « recherche-action ». C’est pour cette raison que Gino Gramaccia (2008) insiste pour que le chercheur en communication organisationnelle se focalise plus particulièrement sur la façon dont l’individu utilise le langage des et dans les organisations.

Benoît Cordelier (2008) aborde, quant à lui, la question du positionnement en partant d’une expérience de terrain en entreprise. Il qualifie cette posture d’approche ethnométhodologique et constructiviste. « Pour lui, le "devenir membre", au sens de Harold Garfinkel, reste une source de tension dans laquelle les logiques stratégiques et opératoires des directions conditionnent largement les modes opératoires et les analyses » (Bouzon, Meyer, 2008 : 11), l’engagement du chercheur y est donc éprouvé. Par exemple, Audrey de Ceglie (2008), dans le cadre d’une posture d’observateur et d’acteur à la fois, a recours à l’autobiographie afin d’objectiver son implication.

Par ailleurs, des questions qui vont de pair avec celle de la posture du chercheur sont celle de l’éthique et celle de la responsabilité sociale lors d’une intervention dans une

situation organisationnelle, et davantage encore lorsqu’il s’agit d’une RA. « Se retrouve ici l’épineuse question de la mesure du juste et du vrai, qui nous invite autant à la réflexion épistémologique qu’à l’évaluation sans complaisance de nos activités de production d’un savoir en organisation » (Bouzon, Meyer, 2008 : 14). Ces interrogations portent sur le cœur même du métier de chercheur, sur sa responsabilité et liberté, sur les valeurs et finalités qui le guident, ainsi que sur la posture qu’il adopte selon les circonstances de la recherche et de ses évolutions.

Dans la lignée des écrits de Paul Ricœur (1996 : 202), l’éthique peut être considérée comme une « visée de la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes ». Ce référent met les acteurs scientifiques devant la question de la responsabilité sociale endossée, quand il y a intervention dans une situation organisationnelle. En effet, c’est par la réflexion et la conduite éthique que le chercheur assume ses choix de recherche et d’action, et qu’il en évalue les conséquences auprès des autres, avant de les exposer et de les justifier. L’éthique a donc une double visée. Elle concerne à la fois la réflexion permettant d’analyser, de distinguer, de repérer, de classer et d’évaluer les phénomènes et les situations. Elle concerne également la réflexion produisant de la réflexivité, en renvoyant en miroir aux acteurs le résultat de l’analyse, qui entraîne une boucle récursive de questionnements et de réponses inter agissantes, modifiant par là même les visions et actions des uns et des autres.

Aussi, afin d’analyser les enjeux d’éthique, nous allons nous centrer sur les trois temps successifs de la RA, à savoir le premier temps correspondant aux visées de la RA et aux injonctions paradoxales auxquelles les chercheurs sont confrontés ; le deuxième temps sur l’évolution des postures des chercheurs, des commanditaires et des organisations observées ; et enfin, le troisième temps sur l’évaluation des actions menées.

Concernant la première phase de la RA, il y a dans les situations une mise en tension dialectique entre l’exigence d’opérationnalité et l’exigence de vérité. Autant la vérité correspond à la connaissance méthodique dont le contenu est universellement valable (Jaspers, 1961), autant la RA ne peut pas y prétendre, car elle est contextualisée. Son déroulement s’effectue selon un temps et un lieu situés, car elle procède, après observation, d’un travail de construction, déconstruction et reconstruction d’un problème à traiter entre des chercheurs, des commanditaires et des acteurs. Les présupposés prédéterminant les catégories à étudier sont donc à repérer, à évacuer et à retravailler. Ce travail ainsi contextualisé s’appuie sur l’identification et le redessinement des agencements organisationnels, qui ne représentent pas des structures stables, mais qui résultent, au contraire, d’accords souvent modifiés tout au long de l’enquête. Il est donc nécessaire de dialoguer avec les commanditaires, de confronter

les savoirs experts et les savoirs profanes, afin de cadrer la situation, mais également de redéfinir la problématique initiale dans le but d’être à la fois au plus près des réalités professionnelles des acteurs, et à la fois au plus près de l’opérationnalité. La dynamique entraînée par l’observation et les réactions des acteurs peut donc amener à des modifications de perspectives, ainsi qu’à l’adoption de plans d’intervention modifiés. Il en est de même pour le dévoilement des méthodes de connaissance, qui peuvent générer des conflits d’interprétation. La recherche doit donc se faire écoute et médiation des valeurs, des expériences faites et des formes symboliques examinées, ce qui peut lui permettre de déterminer des critères de choix et de mettre en lumière certains points de vue non exprimés jusque-là. Il s’agit donc de n’être ni dans le relativisme, ni dans le suivisme, mais dans une appréciation de la situation y compris sur les leviers d’action, et concernant la posture du chercheur.

Pour que la posture du chercheur soit juste, il est nécessaire que les praxis s’adaptent (deuxième phase de la RA). Au départ, l’accès au terrain se fait par entrée négociée, laquelle peut avoir des conséquences sur la suite de l’enquête. Par la suite, les règles d’échange, d’observation et de consultation se mettent en place. Puis, elles évoluent au fur et à mesure de l’avancement des travaux et selon des jeux d’alliances et des rituels d’enquêtes, car les terrains ne sont pas stabilisés. Par exemple, ceux-ci vont inclure ou au contraire exclure de nouveaux entrants et sortants modifiant la situation de départ et les attendus. Ainsi, le chercheur utilise le principe du « bricolage », et de la même façon, les hypothèses de recherche évoluent et se modifient. Dans tous les cas, le chercheur devient partie prenante de la situation.

En fin d’enquête (troisième temps de la RA), la restitution est un jeu de rétroaction qui va néanmoins tenir compte du système « culturel » de l’organisme observé, ainsi que des normes sociales d’acceptabilité propres au groupe. Par ailleurs, il peut également y avoir négociation entre l’obligation de confidentialité imposée au chercheur et son souhait de publicisation des résultats. Enfin, il peut également y avoir des effets non attendus tels que, par exemple, une dissolution de collectifs ou des découragements.

La RA est bien une démarche scientifique reposant sur un processus cyclique, et non une méthode, ni une discipline. Un des avantages de la RA, bien que celle-ci soit de différents types, est qu’elle permet une hybridation des méthodes d’enquête. Les RA en SIC trouvent toute leur place pour aborder des questions de conduite du changement, ou encore de gestion

de crise interne dans un contexte d’évolution généralisée des plans stratégiques de communication. Pour autant, le chercheur, comme dans n’importe quelle RA, se confronte à des questions d’éthique dès lors qu’il intervient dans une situation organisationnelle, où la production des connaissances s’opère selon un mode constructiviste.

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