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Section 2. Des décalages entre une grande démarche de communication et des réalités communication et des réalités

2. Les limites du rapport Kaspar

L’Observatoire du stress et des mobilités forcées dans les entreprises est une association 1901 indépendante, dont la mission est « d’analyser le lien entre le mal-être et les conditions de travail, et de favoriser le débat public et les propositions pour combattre le développement des Risques Psycho-Sociaux dans les entreprises »37. Elle a été déclarée en décembre 2007 à l’initiative de chercheurs et de militants SUD et CGC de France Télécom. L’Observatoire « est ouvert à l’ensemble des entreprises et se veut un lieu d’échange et de réflexion entre syndicalistes et militants de toutes obédiences : le conseil d’administration élu

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en janvier 2014 comprend des militants de la Confédération française de l'encadrement et de la Confédération générale des cadres (CFE-CGC), de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), de la Confédération générale du travail (CGT), de l’Union Force ouvrière (FO), de celle de « Solidaires, Unitaires et Démocratiques » (SUD) et enfin, de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), des non-syndiqués, des travailleurs sociaux et des chercheurs du Centre national de recherche scientifique (CNRS) et de l’Université. L’Observatoire prend les avis d’un conseil scientifique indépendant et pluridisciplinaire » (Fontenelle, 2013).

En date du 2 octobre 2012, l’Observatoire du stress publiait un article sur « les dessous du rapport Kaspar » et annonçait dès l’introduction : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission », disait Georges Clémenceau. « Le rapport Kaspar enterre-t-il le problème ? ». Pour l’observatoire du stress, « La lecture de ce rapport illustre à elle seule le conflit d’intérêt qui se joue entre les objectifs des dirigeants actuels de l'entreprise et ceux de son personnel : le rapport donne une réalité officielle au malaise qui règne à La Poste, dépassant les cas individuels de personnes fragiles ou en échec professionnel, […] Mais jamais le rapport ne fait de lien explicite entre la dégradation des indicateurs sociaux et l’organisation du travail et du management de l'entreprise. En préalable et en préambule, le rapport décrit et présente la stratégie actuelle de l’entreprise comme la seule option possible, […] ».

En effet, Astrid Herbert-Ravel38 (cité par Fontenelle, 2013), « très investie, depuis le dépôt de

sa plainte, dans la déconstruction de certains discours des dirigeants de La Poste », estime comme à l’unisson de nombreux syndicalistes, « que le rapport Kaspar reste très en deçà de ce qu’il devrait être ». Selon elle, ses auteurs, « peut-être parce qu’ils n’ont pas voulu heurter leurs commanditaires, se montrent beaucoup trop timorés lorsqu’ils prétendent pointer les limites du modèle social de transformation de La Poste ». Leur restitution des réalités sociales du groupe s’en trouve donc biaisée. « Le rapport évoque les problèmes en creux », explique-t-elle. « Le diagnostic en creux est sans appel et met en cause le mode de gouvernance de La Poste, les changements mal appréhendés et conduits au bulldozer, un contrat social en berne ». « Mais, poursuit-elle, comment se fait-il qu’une telle adaptation soit encore nécessaire, alors que le groupe se vante depuis des années d’être, dans ces matières,

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Ex-Directrice des ressources humaines des Services financiers et du Réseau grand public de La Poste en Ile-de-France

( http://www.lasemaine.org/exposition-de-photographies-droits-a-lessentiel-par-reza/droit-au-travail/la-poste-ab-une-situation-de-risque-sanitaire-majeur-bb-interview-de-astrid-herbert-ravel-parue-dans-politis. Consulté en septembre 2015.)

précurseur et volontariste ? C’est ce qui n’est pas dit. Or, comment pourrait-on espérer établir un dialogue social honnête et productif en le fondant sur un diagnostic en creux, qu’on n’ose pas énoncer clairement ? ». Finalement, « cette lecture laisse un goût amer, et l’impression qu’on manque là une occasion de poser un vrai débat […] Et on néglige que les postiers, qui ne sont pas […] hostiles par principe au changement, sont les otages de cette ambiguïté, contraints à de grands écarts permanents ». Astrid Herbert-Ravel (op.cit) estime donc que Jean-Paul Bailly a « toutes les raisons de se féliciter du rapport Kaspar », dont les auteurs se montrent, selon elle, trop complaisants à l’égard de la stratégie qu’il a mise en place : « Moyennant quelques ajustements, et contre la promesse de quelques emplois, négligeables par rapport aux réductions d’effectif déjà opérées ou à venir, il se trouvera conforté dans sa gestion ».

Ainsi, les deux dernières parties du rapport appellent à « un véritable saut qualitatif dans la gestion sociale, sur trois dimensions essentielles : organisation, management et gestion RH » (Kaspar, 2012). Pour cela, huit chantiers sont proposés : la gouvernance de l’entreprise qui aurait échappé sur certains aspects « au Corporate sur des valeurs fondamentales » (Fontenelle, 2013) ; l’organisation du travail qui nécessiterait « la révision des normes, des cadences et des cadres » (Fontenelle, 2013) ; le modèle social « présenté en étendard mais constamment contourné » (Fontenelle, 2013) ; le modèle de management qui « doit être repensé dans son profil, ses critères, ses formations, ses évaluations » (Fontenelle, 2013), car « un manager doit maîtriser son domaine mais aussi être capable d’avoir des relations humaines de qualité » (Fontenelle, 2013) ; la fonction Ressources humaines « jugée trop distante, doit être professionnalisée et animée par un Corporate, garant de l’unité du groupe » (Fontenelle, 2013) ; le dialogue social qui « doit être rénové pour restaurer l’éthique et la confiance » (Fontenelle, 2013) ; la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au niveau du groupe qui reste « anecdotique et non concertée » (Fontenelle, 2013) ; et enfin, la gestion de la santé et de la sécurité au travail qui « relève plus de la stigmatisation que de la prévention, l’accompagnement ou l’aménagement des postes » (Fontenelle, 2013). Pourtant, l’Observatoire dénonce également « les limites en creux d’un rapport » (Fontenelle, 2013), car « en voulant ménager à la fois la direction de La Poste et le personnel, le rapport Kaspar ne traite pas au fond le problème de l'entreprise. A aucun moment il ne parle de la souffrance au travail des postiers, à aucun moment il n’évoque la dérive d'un système managérial qui institutionnalise le harcèlement... On ne saisit la gravité de la crise que par le biais de ce qui n’est pas dit et ce qui manque » (Fontenelle, 2013). De plus, « J. Kaspar demande aux organisations syndicales de coopérer et de faire confiance sur la base d’un diagnostic en creux

et une stratégie jugée impérative. Mais la confiance ne se décrète pas, pas plus qu’elle ne s’achète au travers d’une « rallonge » de moyens dédiés à la représentation syndicale… dont on ne garantit ni l'indépendance ni la liberté » (Fontenelle, 2013).

En outre, l’Observatoire s’interroge sur les retombées du rapport Kaspar, concernant notamment la création des 5000 nouveaux emplois sur deux ans, (rythme que se fixe pourtant La Poste depuis 4 ans, en supprimant parallèlement 10 000 emplois par an). Là aussi, l’Observatoire critique le fait qu’il « n'en reste donc que 3000 pour suppléer au surbooking des postiers ; et sans donner aux syndiqués le pouvoir de dialoguer : « La politique de l'entreprise est non négociable » (Fontenelle, 2013). De même, l’Observatoire dénonce le renforcement du pouvoir des dirigeants « responsables de la situation actuelle » (Fontenelle, 2013) : « Rien sur la façon dont La Poste devrait rompre avec le harcèlement institutionnel et les dérives éthiques que subit le personnel - dérives qui font l'objet de multiples témoignages, jusque et y compris des clients de La Poste. […] Rien sur la prise en compte de la souffrance au travail et des désorganisations subies par le personnel... qui ont fait chuter la qualité de service de 50 % ». (Fontenelle, 2013). Enfin, l’Observatoire compare avec la crise sociale de France Télécom, où le gouvernement avait pris deux mesures : « nommer un administrateur pour remplacer l'équipe responsable de la situation, et imposer une expertise indépendante pilotée par le ministre de l'Emploi : l'enquête Technologia (Fontenelle, 2013).

Par conséquent, il est dénoncé le fait qu’« Aujourd'hui, à La Poste, ce sont les dirigeants responsables de la crise, toujours en place, qui sont chargés de commanditer une « expertise » dont ils fixent les objectifs et le contenu, et dont ils contrôlent l'application » (Fontenelle, 2013). En effet, « Juge et partie, Jean Kaspar intègre la direction de l'entreprise... pour suivre l'application de ses préconisations. C’est-à-dire la poursuite des objectifs qui ont conduit à la crise actuelle (parties un et deux du rapport) » (Fontenelle, 2013). Ainsi, l’Observatoire conclut en critiquant le fait qu’ « en ne s'attaquant pas à la racine des problèmes qu'il dévoile, le rapport Kaspar manque son objectif : rétablir le dialogue social et attaquer les causes de la crise dont souffrent les postiers » (Fontenelle, 2013).

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