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Le praticien-chercheur : un processus entre engagement et distanciation

Section 4. Évaluation de la démarche

1. Le praticien-chercheur : un processus entre engagement et distanciation

« Le double concept d’engagement-distanciation est tout à fait adéquat pour appréhender […] la méthodologie de la recherche en sciences humaines, et plus spécifiquement lorsque cette recherche est menée par des praticiens-chercheurs, c'est-à-dire des acteurs sociaux impliqués […] dans une organisation » (Albarello, 2004 : 16). Ici, nous sommes un des collaborateurs de l’entreprise du groupe La Poste, plus précisément l’assistante de service social du personnel, qui entreprend une recherche, au départ sur la prévention des risques psychosociaux. Nous sommes donc bien dans une position d’engagement par rapport à notre terrain, en y étant un acteur social parmi d’autres. Autrement dit, nous nous situons clairement dans le registre de l’action et de l’engagement ; or, toujours dans le cadre de notre organisation, nous sommes amenée à remplir une autre fonction avec ce projet, celle de l’analyse et de la recherche. Pour Christine Mias (1998 : 54), « conjuguer deux postures, praticien et chercheur, relève d’une position difficile à tenir, mais non impossible et plutôt enrichissante pour une compréhension des problèmes soulevés » (Albarello, 2004 : 17). En effet, le praticien-chercheur est en relation intense et réciproque avec les autres acteurs du terrain ce qui lui permet de prendre conscience plus facilement des véritables enjeux présents dans le terrain.

Néanmoins, le praticien-chercheur, entendu avec le trait d’union, se distingue du praticien chercheur sans trait d’union. Le premier porte simultanément les deux statuts, alors que le second les alterne. Le premier est bien à la fois partenaire avec d’autres dans une pratique et, dans le même temps, observateur et analyseur. Il est donc important que le chercheur soit conscient de cette situation, car bien qu’elle soit un atout, celui-ci reste toujours plus ou moins proche ou distant de son objet, alors que la finalité du travail de recherche doit bien être de pouvoir observer scientifiquement des faits sociaux et de les analyser sans jugement de valeur.

Par ailleurs, il est important que le praticien-chercheur sache nommer et justifier ses choix en termes de posture épistémologique, y compris quand il est en train de tenir un discours de professionnel. Afin de faire face à l’enchevêtrement des deux postures, Yves Barel décrit trois stratégies paradoxales que le praticien-chercheur vit tout au long de son processus de recherche (Barel, 1988 : 16). Il s’agit du « compartimentage » (une position est privilégiée au détriment de l’autre), de « l’oscillation » (tantôt une position, tantôt l’autre), et du « compromis » (les deux positions sont prises en compte simultanément). Autre point de

difficulté : le rapport au temps. En effet, mener une action auprès des collaborateurs et faire une recherche sur cette même action, ne suivent pas le même rythme et n’ont pas les mêmes échéances. Parfois, le temps de l’action est supérieur au temps de recherche, et parfois c’est l’inverse. Par exemple, la DRH nous a proposé de travailler sur la prévention des risques psychosociaux en lien avec la création de la filière de prévention des risques. Néanmoins, nous avons décidé de limiter notre recherche sur les matériaux du groupe de travail des assistants de service social, comme la DRH nous l’a proposé dans un premier temps, et bien que nous ayons nous-même proposé l’idée au départ de notre projet de recherche. Étendre notre recherche à la création de la filière de prévention aurait été fort intéressant, mais le temps nécessaire à cette étude aurait été supérieur au temps dont nous disposons puisque notre inscription en thèse courait jusqu’en septembre 2016, date de la création de la filière de prévention au Centre financier.

Par ailleurs, il est important de différencier la démarche menée par un praticien réflexif de celle menée par un praticien-chercheur. Ici, nous sommes à la fois : un praticien réflexif quand nous sommes l’assistante de service social du personnel qui met en place une réflexion sur sa propre pratique, et sur son positionnement personnel en tant que praticien. En tant que praticien réflexif, c'est-à-dire en tant qu’assistante de service social du personnel, nous nous questionnons sur l’amélioration de nos pratiques professionnelles dans le cadre de la prévention des risques psychosociaux. Comment améliorer notre propre performance ? Et à la fois, nous sommes un praticien-chercheur en étant un collaborateur de l’entreprise - chercheuse en sciences de l’information et de la communication, mais également quand nous sommes l’assistante de service social du personnel - chercheuse professionnelle en travail social.

Aussi, en tant que praticien-chercheur, que ce soit en sciences de l’information et de la communication ou que ce soit en travail social, nous menons une recherche de nature scientifique où la valeur centrale est davantage le doute que la certitude de l’acteur social engagé dans l’action, qui doit notamment répondre à des critères d’efficacité individuelle ou collective. En effet, dans la démarche scientifique, l’important est la rigueur de la méthode, l’objectif étant la compréhension et l’explication ; par exemple, en décrivant au mieux les modalités de fonctionnement d’un système. Il s’agit de mettre en lumière et de caractériser les liens existant entre différents éléments : explication fonctionnelle, systémique, causale, dialectique. De même, la falsifiabilité des acquis de recherches antérieures fait partie de l’analyse. Pour mener à bien l’ensemble de l’analyse, et comme vu précédemment, l’effort à réaliser est de se détacher du pôle de l’engagement pour se diriger vers celui de la

distanciation. Dans un premier temps, il s’agit de construire un objet de recherche à partir d’interpellations issues du terrain social ou d’une question, souvent vague au départ. Puis, il est nécessaire de construire un dispositif adéquat d’observation empirique de la réalité sociale. Ce processus nécessite donc des compétences particulières proches notamment de la posture du philosophe en recherche de la vérité, car « la vocation de la science est

inconditionnellement la vérité »44

(Albarello, 2004 : 23).

Afin d’illustrer les tensions qui peuvent exister entre la posture du praticien et celle, ici, du chercheur en sciences de l’information et de la communication, nous proposons de revenir sur l’exemple suivant : à un moment de notre processus de recherche, et notamment lors de nos tentatives de définition de notre objet de recherche, nous avons partagé en entretien avec la DRH l’intérêt de pouvoir faire évaluer le « Grand Dialogue » par les collaborateurs. Ici, également, la DRH a refusé la démarche la qualifiant de « casse gueule ». Nous avons donc dû réajuster notre démarche de recherche-action et la recentrer sur le numérique comme elle nous le demandait.

De même, afin d’illustrer les tensions qui peuvent exister entre la posture du praticien et celle, ici, du chercheur professionnel en travail social, nous proposons de revenir sur l’exemple suivant : au tout départ de notre projet de recherche, nous avons proposé à la DRH d’entreprendre une recherche-action sur la prévention des risques psychosociaux à laquelle nous souhaitions intégrer l’équipe pluridisciplinaire (RH et médico-sociale), ainsi que les collaborateurs du Centre financier. L’objectif était de réfléchir avec les collaborateurs à une meilleure prévention des risques psychosociaux, et par là même, d’améliorer nos pratiques professionnelles en tant qu’assistante de service social du personnel. Nous avons travaillé ce projet en lien avec l’agent chargé de l’amélioration des conditions de travail (APACT) du Centre financier, et nous avons rencontré tous les deux la DRH. Néanmoins, lors de cet entretien, la DRH a refusé catégoriquement cette proposition, disant qu’il fallait qu’un tel projet soit soutenu par les managers et la direction, ce qui lui semblait difficile à ce moment-là.

Ici, l’AS est donc à la fois une praticienne-chercheuse mais aussi une praticienne chercheuse (sans trait d’union). De même, elle est à la fois une praticienne-chercheuse en étant une collaboratrice de l’entreprise–chercheuse en SIC, mais aussi quand elle est l’AS du personnel–chercheuse en travail social. Ces différentes postures sont sources de tension pour une même personne. Enfin, l’AS est aussi une praticienne réflexive quand elle remet en

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question ses propres pratiques et son positionnement professionnel, tout comme le font ses collègues du « groupe de travail numérique ». Nous allons voir également comment ceux-ci sont aussi des praticiens–apprenants–chercheurs (Mackiewicz, 2001) en situation d’apprentissage coopératif.

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