• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2. LA POSTE : DES STRATÉGIES DE COMMUNICATION

2. Le modèle de transformation

Jusque-là, la transformation s’est traduite par plusieurs programmes d’investissement visant à moderniser les processus et à diversifier les activités. Dorénavant, c’est une évolution continue que vont devoir connaître les organisations locales, afin d’affronter la baisse du volume du courrier et le durcissement des conditions d’activité des autres métiers. Les grands leviers de transformations mis en œuvre jusqu’à présent sont donc remis en question.

2.1 Les limites du précédent et les enjeux du nouveau

Afin d’améliorer la décentralisation, il faut répondre aux attentes de l’encadrement qui

réclame des moyens à la hauteur de ses responsabilités. D’autre part, « le Corporate »27 et la

fonction Ressources humaines sont critiqués sur leur rôle et sur leur éloignement. Enfin, le dialogue social apparaît comme trop formaliste.

La responsabilisation des managers et la mise en place d’une organisation par métier ont été de pair, le but étant le développement de « l’approche clients » (Kaspar, 2012 : 30). Les managers locaux ont donc bénéficié de vrais pouvoirs de décision, ce qui a entraîné une véritable révolution culturelle. L’organisation était imprégnée jusque-là par la tradition administrative dans ce qu’elle contenait de centralisation, d’automaticité des décisions et d’égalité mécanique de traitement. De plus, le mouvement « d’orientation clients » impose une grande réactivité et la nécessité de collaborer tout au long de la chaîne d’activité, ce qui oblige à renoncer à la protection d’une organisation traditionnelle, compartimentée, et gérée par des mécanismes réglementaires standardisés. Avec le principe de responsabilité des managers opérationnels, les demandes à leur égard se sont donc accrues : pression sur les résultats, mais aussi gestion des aspects humains et sociaux. En effet, les temporalités sont différentes pour les partenaires avec lesquels les managers travaillent. Dans la gestion d’une réorganisation, le temps du salarié, de l’entreprise, des clients, et celui des pouvoirs publics, sont différents. Pris par l’urgence, les managers sont régulièrement contraints d’agir sans concertation, sans pouvoir organiser, adapter et expliquer les réformes à leurs équipes. La relation hiérarchique se heurte alors à des difficultés pour maintenir un esprit d’équipe au sein des collectifs de travail. Ainsi, une nouvelle étape à franchir dans la décentralisation s’impose.

27

http://www.i-poste.log.intra.laposte.fr/sites/default/files/docutil/vie%20au%20travail_%20rapport_commission%20du%20gra nd%20dialogue_12092012.pdf. Consulté en mai 2015.

Il est important de décentraliser plus en profondeur les responsabilités et les moyens de gestion aux établissements, de revoir le pilotage de la performance avec un horizon de temps porté à trois ans, et d’apporter plus de soutien aux managers qui doivent être reconnus comme les principaux acteurs de la transformation et de l’accroissement de la performance.

Au cœur des transformations, la question de l’équilibre des pouvoirs entre le

Corporate et les métiers pose question. La Poste est une communauté forte, avec une histoire

très ancienne, qui a favorisé une intégration durable dans le cadre de son mode de recrutement. Pourtant, l’entreprise a dû conjuguer cette identité collective avec la nécessité d’une spécialisation de l’organisation. Cette tension structurelle se traduit par le basculement d’un fonctionnement endogène vers un fonctionnement exogène tourné vers son environnement de marché, avec « l’intrusion du client » (Kaspar, 2012 : 32). Ainsi, jusque-là le modèle social et le développement d’une culture commune ont porté l’unité dans cette période de transformation, mais avec la période qui s’annonce, le groupe doit exercer « un véritable leadership sur tous les leviers de la transformation, comme en particulier le développement des managers, la gestion des dirigeants, l’innovation sociale ou la responsabilité sociale » (Kaspar, 2012 : 32).

Les filiales et le personnel de La Poste sont gérés par un statut commun. Deux grands niveaux exercent l’essentiel des responsabilités : le national qui fixe les politiques, et les

Niveaux opérationnels de déconcentration (NOD)28 qui les mettent en œuvre. La fonction

Ressources humaines est ainsi peu présente sur les établissements, et reste donc peu visible par les salariés. Dans l’ensemble des métiers, la présence des acteurs de proximité a par conséquent été renforcée. Ils sont formés à la conduite du changement, notamment dans ses dimensions sociales et humaines. Ils interviennent, particulièrement dans le domaine du conseil en carrière et de la mobilité, afin de développer l’employabilité des postiers.

Enfin, l’organisation du dialogue social à La Poste résulte d’une longue histoire et comporte une structure originale, dont les réunions de négociation sont productives de nombreux accords. Depuis 2004, 70 accords ont été signés avec les organisations syndicales. Pourtant, le dialogue social rencontre trois limites principales : une dérive formaliste sans véritable négociation, la déconnexion entre les accords nationaux et leurs déclinaisons locales, et enfin un dialogue informel au niveau des établissements.

28 Niveau Opérationnel de Déconcentration : entité intermédiaire entre le siège et l’établissement dont le responsable dispose d’une délégation de pouvoir en matière sociale.

2.2 Une modernisation sans toujours des organisations de travail participatives

Les grandes transformations se sont traduites par de nouvelles organisations de travail qui ont eu un impact sur le rythme, les objectifs et le contenu des activités. Les postiers ont connu un changement de culture et ont dû faire face a des conflits de valeurs, ainsi qu’à la rationalisation des organisations, sans forcément qu’ils soient toujours associés à l’évolution de leur cadre d’activités. L’association des agents et leur participation à l’évolution des modes de travail restent donc pour la plupart des postiers très insuffisantes au regard de leurs témoignages.

La transformation progressive de La Poste en entreprise compétitive a entraîné une révolution culturelle. Elle a conservé ses missions de service public, et reste donc imprégnée par l’idée de l’intérêt général. Mais, dans certaines fonctions, l’apparition d’objectifs commerciaux a été mal vécue par certains agents. Ces postiers parlent de fréquents conflits de valeurs. À l’époque, une bonne partie d’entre eux sont entrés dans l’entreprise comme fonctionnaires. Ils se retrouvent aujourd’hui dans une économie des services hyperconcurrentielle.

La rationalisation des organisations de travail a permis d’adapter la force de travail aux flux d’activité. Cette optimisation s’est traduite par la spécialisation de certaines activités et la plus grande polyvalence de certains agents. Cette taylorisation de l’organisation a débouché sur des organisations du travail plus tendues qu’auparavant, d’autant plus que les agents inaptes et ceux ayant un mandat de représentant du personnel continuent d’être comptabilisés dans les effectifs. Ainsi, calculé au plus juste, le temps disponible pour la communication managériale et l’échange avec les supérieurs hiérarchiques s’en est-il trouvé réduit. Cette situation rend également difficile la formation continue et déborde sur la vie de famille.

À titre d’exemple, l’agent en Centre financier a connu, depuis dix ans, la spécialisation des activités et le développement de la relation client par téléphone. Les Centres financiers ont en effet été réorganisés par spécialités en 2005, à la place de missions généralistes, et leurs activités de relation à distance ont connu un fort développement. Ces grandes évolutions se sont faites sans mobilité forcée, mais par le biais d’un programme de formation qui a permis à plus de 11 000 personnes d’obtenir une promotion, entre 2007 et 2010. Depuis cette période, les agents sont dans un univers de travail beaucoup plus professionnalisé et normé qu’auparavant. Près de la moitié d’entre eux sont maintenant en relation directe avec les clients. Le phénomène le plus important reste la standardisation des procédures et la rationalisation des activités, qui sont par ailleurs également observées au sein du secteur

bancaire. Des logiciels de suivi de la durée des appels et le contrôle du nombre de liens traités par heure ont par exemple été mis en place, car les Centres financiers font l’objet d’un pilotage à distance par la direction des opérations, en plus du management du directeur des centres, comme c’était uniquement le cas auparavant.

2.3 Une conduite du changement à clarifier et un modèle social à réajuster

Bien que la conduite du changement à La Poste ait été récemment formalisée afin de donner un cadre commun applicable dans l’ensemble des entités, elle est restée longtemps une démarche non cadrée. Le « plan santé sécurité au travail 2010-2013 » (Kaspar, 2012 : 38) fixe néanmoins trois principes généraux de conduite des projets de changement. Dès leur conception, les changements doivent prendre en compte l’impact humain et y associer les services de santé au travail, également pour la mise en œuvre et le suivi des changements. De plus, l’accompagnement des projets doit se faire par la ligne managériale, les services Ressources humaines et de santé au travail, ainsi que les conseillers mobilité et les assistants de service social. Le plan insiste également sur la nécessité de donner à chacun le sens et la visibilité, ainsi que sur la prise en compte des situations individuelles. À ces principes se sont rajoutées des garanties pour les agents, telles que l’absence de mobilité non souhaitée au-delà de trente kilomètres, le maintien des dispositifs de rémunération fixe et variable si changement de fonction, et la fixation d’un délai minimum de deux ans entre deux réorganisations.

Par ailleurs, la concertation avec les représentants du personnel dans la phase amont des projets reste insuffisante. Les modifications des organisations de façon continue provoquent alors une déstabilisation importante des équipes avec une perte des repères, un délai insuffisant entre deux réorganisations, un manque de visibilité déploré par les managers dans la conduite des réorganisations, et enfin un manque de perception dans la finalité des transformations.

Pour conduire sa transformation, La Poste s’est appuyée sur un modèle social qui a évolué à chacune des grandes étapes, et qui recouvre trois principes importants : des carrières longues, l’emploi à plein temps, et l’absence de plans sociaux. Aujourd’hui, alors que l’entreprise doit faire face à de nouveaux défis et aux attentes des salariés, le contenu du modèle social devient donc à réinterroger. En effet, ses limites concernent le vieillissement des postiers, l’accroissement du nombre de personnes en reclassement ou en situation d’aptitude réduite, l’exercice tout au long de la carrière de certains métiers pénibles, et enfin

le développement de l’employabilité qui reste très insuffisant, d’autant plus que celle-ci ne peut plus s’envisager seulement dans une dimension interne.

La décentralisation reste inachevée, des efforts sont à faire pour améliorer les organisations de travail participatives et la conduite du changement. De même, alors que jusqu’ici le modèle social s’est révélé protecteur et statique en ayant pu faire fonction de « bouclier social », aujourd’hui il lui est reproché de ne pas favoriser les mouvements et une gestion dynamique de ses ressources humaines.

Outline

Documents relatifs