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Montage expérimental

II.1 Principe général

II.1.1 Une boucle de rétroaction quantique

L'utilisation de boucles de rétroaction, ou systèmes asservis, est plus que courante en physique classique et dans notre vie quotidienne. Un des exemples les plus connus est sans doute le thermostat d'un four. Pour le physicien, on pourrait également citer les

Système

Filtre

Régulateur

s

p

s

p

e

c

Figure II.1  Boucle de rétroaction classique. Le signal de sortie s est traité par un ltre H. Sa sortie ps est comparée à la consigne pe. Le signal d'erreur  résultant est utilisé par le régulateur R pour calculer la correction c.

asservissements de circuits électroniques ou encore ceux des lasers. Tous ces systèmes, quoique très divers, sont constitués des mêmes éléments principaux, regroupés de façon schématique sur la gure II.1, et énumérés ci-dessous (on donne entre parenthèses ce qu'ils sont dans le cas du thermostat d'un four) :

Le système L'objet (le four) dont on veut contrôler une des propriétés physiques p (la température) ;

Le signal de sortie La grandeur physique mesurée s qui renseigne sur (ou qui est) la propriété du système que l'on veut asservir (la résistance de la thermistance du four) ; Le ltre Le signal de sortie, avant de pouvoir être exploité, peut nécessiter le passage par un ltre H qui en extrait les informations pertinentes : ps = H(s) (la table de conversion résistancetempérature pour la thermistance utilisée) ;

La consigne La valeur pe que l'on cherche à imposer à la grandeur p (la température

voulue pour le four). La diérence avec la valeur actuelle psconstitue le signal d'erreur  = E (pe, ps);

Le régulateur et la correction Étant donné , le régulateur doit alors calculer la cor-rection c = R() à appliquer au système pour amener la grandeur p vers la valeur désirée pe (la résistance chauante et son alimentation commandée). Les régulateurs PID (proprotionnel-intégrateur-dérivateur) sont les plus courants.

Le problème que nous nous posons ici est celui de la préparation et de la protection contre la décohérence d'un état |ncichoisi. La solution retenue est de transposer au monde quantique les idées de la rétroaction classique [57] : le système considéré S est le champ électromagnétique piégé dans la cavité micro-onde, dont la propriété physique p que nous cherchons à contrôler est bien évidemment l'état quantique, donné par sa matrice densité ρ. La consigne pe est l'état cible, à savoir ρc= |ncihnc|.

La simplicité de la transposition s'arrête cependant ici. Nous nous heurtons à une première diculté lors de la mesure du signal de sortie sur le système quantique S. De

faibles, déjà rencontrées au I.4.1, qui ne fournissent qu'une information partielle sur le système, mais avec une perturbation a minima.

La consigne étant ici la matrice densité de l'état à préparer, le ltre H doit être en mesure d'estimer en temps réel la matrice densité de S, an d'appliquer la correction ad hoc. Contrairement à ce que nous pouvons faire avec une boucle de rétroaction classique, l'emploi seul de mesures faibles, sans information a priori, ne nous permet toutefois pas de connaître parfaitement l'état de S après l'une d'elle. Le ltre quantique utilisé, dont nous donnerons le détail du fonctionnement dans les paragraphes suivants, devra donc, connaissant l'état initial du système, actualiser son estimation ρs à chaque modication, contrôlée ou pas, de l'état du champ : l'action en retour des mesures, les corrections faites sur S dans le cadre de la rétroaction, ainsi que les modications dues à toutes les imperfections expérimentales, telles que la décohérence via le temps de vie ni du champ. Nous voyons déjà ici à quel point la connaissance du dispositif expérimental devra être précise pour que la rétroaction puisse être ecace.

Nous rencontrerons enn une diculté dans la dénition du signal d'erreur qui contrôle les corrections de la boucle. Comment dénir la distance, au sens de la diérence, qu'il y a entre deux états quantiques, à savoir l'état cible ρc et l'état courant ρs? La réponse à cette question sera donnée au paragraphe II.1.3.

Au fait de ces dicultés, propres à toute boucle de rétroaction quantique, revenons à notre cas particulier et décrivons étape par étape une itération de la boucle. Le schéma de principe, adapté de celui donné gure II.1, en est donné gure II.2.

De même que dans nos expériences décrites au chapitre précédent, des atomes de Ryd-berg circulaires réalisent sur le champ micro-onde par une succession de mesures faibles une mesure QND du nombre de photons piégés. Après chaque détection atomique j = e, g (le signal de sortie) cependant, une correction est appliquée an que les mesures suivantes tendent à rapprocher l'état du champ de l'état cible.

Le plus simple techniquement consiste à utiliser une correction classique, à savoir l'in-jection dans le mode de champs cohérents |αi d'amplitude et phase contrôlées. La même source classique qui nous avait permis précédemment de préparer le champ dans un état cohérent, et dont le couplage à la cavité a déjà été décrit au paragraphe I.1.2.b, est main-tenant utilisée pour réaliser de petits déplacements dans l'espace des phases. La façon dont est choisi le paramètre α sera décrite au paragraphe II.1.3.c.

Nous dénissons alors une itération de la boucle comme la succession des trois événe-ments suivants (voir aussi la gure II.3), donnés pour l'itération numéro k :

1. détection du ke atome1 dans le niveau |ei ou |gi,

1. Dans toute cette section, nous ne ferons pas la distinction entre atome et échantillon faite au chapitre I. Cela revient en fait à supposer que nous sommes dans le cas idéal où tous les échantillons contiennent un et un seul atome.

Système Filtre quantique Régulateur Imperfections : - temps de vie, - erreurs de détection, … Mesure faible Mémoire

Figure II.2  Boucle de rétroaction quantique. À la (k+1)eitération de la boucle, le ltre quantique a en mémoire l'état du champ ρk, actualisé en ρk+1 à partir du résultat de la mesure atomique jk+1, du déplacement αket des imperfections expérimentales. Étant donné la consigne ρc, la prochaine correction αk+1 = R(ρc, ρk+1) est calculée par le régulateur. Le rectangle grisâtre représente l'ordinateur de contrôle à trois entrées (consigne, mesure, imperfections) et une sortie (correction) en charge de la rétroaction.

2. calcul de la correction optimale αk à appliquer et injection du champ cohérent cor-respondant,

3. évolution libre pendant le temps nécessaire au prochain atome (k + 1) pour arriver au niveau du détecteur.

À l'instant suivant l'interaction du champ avec le ke atome et sa détection, soit juste avant l'injection de la kecorrection αk, la matrice densité du champ micro-onde intracavité (notre système S) est notée ρk. Après cette injection, l'état du système est alors2

ρk+1

3 = Dkρk, (II.1)

2. Nous utilisons ici une notation à indices fractionnaires. Le passage de l'état ρk vers l'état ρk+1étant divisé en trois étapes, les états intermédiaires sont notés ρk+1/3 et ρk+2/3.

Figure II.3  Une itération de la boucle de rétroaction est divisée en trois étapes : détection d'un atome (zone rouge), calcul du déplacement cohérent à appliquer (zone orange), et évolution libre sur un temps Ta nécessaire à l'atome suivant pour atteindre le détecteur (zone bleue). Nous donnons aussi les notations utilisées pour désigner la matrice densité estimée du champ à chaque étape.

où l'action du super-opérateur Dk, contrôlée par le paramètre αk, est dénie via l'opérateur déplacement D(αk) introduit au paragraphe I.1.2.b :

Dkρ = D(αk)ρD(−αk) ≡ ρ(αk). (II.2)

L'amplitude αk de la correction quant à elle est calculée par le régulateur juste après la détection de l'atome k, en fonction de ρk et de ρc :

αk = R(ρc, ρk). (II.3)

Notons que contrairement au cas de la boucle de rétroaction classique, il n'y a pas ici à proprement parler de signal d'erreur à partir duquel le régulateur calcule la correction à appliquer. Il utilise en fait l'estimation brute ρkde l'état du champ et la matrice densité de la cible ρc pour calculer αk. Toutefois αk sera choisi an de minimiser la distance à l'état cible, ou l'erreur, de l'état du champ après application de la correction : E(ρc, Dkρk).

Il faut ensuite tenir compte de la relaxation sur le temps ni Ta d'une itération de la boucle. La façon dont est modiée la matrice densité a déjà été donnée équation (I.19) et on a donc

ρk+2

3 = Tρk+1

3 = (1 + TaL)ρk+1

3. (II.4)

Un atome de Rydberg, ou sonde atomique, réalise enn une mesure faible du nombre de photons. Après détection de la sonde dans l'un des deux états |jk+1i = |ei ou |gi, le champ est projeté sur une nouvelle matrice densité

ρk+1 = Mk+1ρk+2

L'expression du super-opérateur Mk+1 qui traduit l'eet en retour de la mesure sur le champ, en fonction du résultat de la détection atomique jk+1, est donnée au II.1.2.

Après la détection du (k+1)ième atome, la matrice densité du champ est donc donnée par la formule ρk+1 = Mk+1TDkρk = k Y i=0 Mi+1TDi ! ρ0 ≡ Hk+1ρ0, (II.6)

où ρ0 est l'état initial du champ, et D0 =1.

Les paragraphes suivants ont pour objectif de détailler la façon dont est fait le calcul de l'amplitude des corrections, i.e. donner les expressions des fonctions R et E, ainsi que celles de tous les super-opérateurs rencontrés.