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LES INSUFFISANCES DU SYSTÈME D’ENCADREMENT JURIDIQUE DES CONFLITS ASYMÉTRIQUES EN IRAK, SYRIE

SECTION 1. Le Jus ad Bellum dans le cadre des conflits asymétriques en Irak, Syrie et Libye

A. Une application aux entités intra-étatiques

47. L’évolution du contexte sécuritaire interétatique vers un cadre davantage affranchi de la norme statocentrée, interroge sur la capacité des acteurs internationaux de faire appliquer le principe du non-recours à la force, notamment aux entités intra-étatiques. Une application reviendrait en outre à leur attribuer implicitement la compétence de l’État. Selon la grille de lecture apportée par M. Couston, trois éléments permettraient d’affirmer l’existence d’entités non-étatiques au travers de leur rôle auprès d’un État ou d’un groupe d’États147, la résolution 3314 de l’AGNU(i), la pratique onusienne (ii) et la

jurisprudence (iii).

144 Independent International fact-finding Mission on the conflict in Georgia, Rapport 2008, Vol.2, p.232. 145 O. SCHACHTER, International law in theory and practice: general course on public international law, RCADI,

Vol. 178, 1982, p.133.

146 E. JUMENEZ de ARECHAGA, International law in the past third of a century, Boston, 1978, p.87. 147 M. COUSTON, Droit de la sécurité internationale, op.cit., p.81.

i. La résolution 3314 (1974)148 fait état d’acteurs non-étatiques pouvant

commettre des actes d’agression sous condition de la qualification de fait par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, puis, par l’administration de la preuve. Dans son article 3 (§g)149, l’Assemblée Générale rappelle que « L’envoi par un État ou en son nom de bandes, ou de

groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre État d’une gravité telle qu’ils équivalent aux actes énumérés ci-dessus, ou le fait de s’engager d’une manière substantielle dans une telle action », correspond à un acte d’agression. Les différentes

catégories de groupement d’individus citées seraient ainsi soumises à l’article 2§4 et au Jus

ad Bellum. Or, dans le cas d’étude irakien, syrien et libyen, de nombreux experts

témoignent du soutien officieux des puissances régionales aux entités infra-étatiques, sans évidemment agir en leur nom. Peut-on pour autant prouver l’effectivité d’un lien, ou prouver que ces organisations agissent par l’envoi d’un État étranger ? Nous aborderons ce point fondamental de la recherche dans l’examen du chapitre II de la seconde partie.

ii. L’étude de la pratique du Conseil de Sécurité nous permet d’affirmer que

l’organe a déjà attribué la qualification de « l’acte d’agression et de rupture de la paix » à une entité non-étatique150. Le 15 octobre 1999, le Conseil de Sécurité des Nations Unies

adopte à sa 4051e séance la résolution 1267 (1999)151 relative au régime des talibans et du

terrorisme, considérant en vertu du Chapitre VII que « (…) les autorités des Talibans font peser

une menace sur la paix et la sécurité internationales ». Plus anciennement, l’acte d’agression fut

invoqué au travers de la résolution 411 (1977)152 concernant le régime illégal de Rhodésie

du Sud, le Conseil de Sécurité s’est alors « indigné par les actes d’agression systématiques commis

par le régime illégal de Rhodésie du Sud contre la République Populaire du Mozambique (…) », et

affirmera être « Conscient du fait que les actes d’agression récemment perpétrés par le régime illégal

contre la République Populaire du Mozambique ainsi que les menaces et actes d’agression constants de ce régime contre la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République du Botswana et de la République de Zambie aggravent encore la menace qui pèse sur la sécurité et la stabilité de la région ».

148 Résolution 3314 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, A/RES/3314, 1974. 149 Ibidem.,

150 M. COUSTON, Droit de la sécurité internationale, op.cit., p.81.

Une limite reste en suspens, celle d’imputer à un État ces actes d’agression. En effet, la résolution 419 (1977)153 relative à la situation béninoise implique la notion d’acte

d’agression. Disposant de l’information selon laquelle des « envahisseurs venus de l’étranger » et des « mercenaire seraient impliqués dans les évènements »154, nous pouvons

affirmer qu’aucune sanction à l’égard d’un État fut instaurée au Moyen-Orient sur la base de ces considérations.

iii. Enfin, la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice relative aux

activités militaires et paramilitaires au Nicaragua155 reprend la résolution 3314 (1974)

citant, « L’envoi par un État ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de

mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre État d’une gravité telle qu’ils équivalent (entre autres) à une véritable agression armée accomplie par des forces régulières ». Cela

confirme la valeur angulaire des éléments apportés. Néanmoins, rares sont les déclarations officielles qui ont condamné le rôle d’États étrangers dans le soutien apporté aux entités terroristes présentes en Irak, en Syrie et en Libye.

48. Voici toute la difficulté de l’application complète et crédible de l’acte d’agression défini par son article 3 (§g). S’appuyant selon la grille d’analyse développée par M. Couston156, trois catégories de critères divisent et complexifient les approches retenues en

fonction des institutions afférentes, la CIJ (i), le TPIY (ii) et la CEDH (iii).

i. Selon la Cour Internationale de Justice, dans l’affaire des activités militaires

et paramilitaires au Nicaragua157, l’État n’engage sa responsabilité pour le fait d’acteurs

non-étatiques que « si l’État a ordonné la commission d’actes illicites ou si l’État avait le contrôle sur

ces acteurs lors de la commission d’actes illicites ». Nous sommes en présence d’un degré de

contrôle « effectif », d’une « totale dépendance » selon la CIJ158.

Ce premier cadrage démontre l’écart entre le positionnement de la CIJ et la pratique évoluée des États étrangers concordant à la déstabilisation des États étudiés.

153 Résolution du Conseil de Sécurité 479 (1977), Relative à la situation en République populaire du Bénin. 154 Rapport de la commission spéciale du CSNU, S/12294/ Rev.1, §1426143.

155 CIJ, Rec. 1986, p.103, § 195.

156 M. COUSTON, Droit de la sécurité internationale, op.cit., p.83. 157 CIJ, Arrêt 27 juin 1986.

ii. Selon le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie159, « Une

personne, un groupe de personnes, ou une entité quelconque peut être assimilée – aux fins de la mise en œuvre de la responsabilité internationale – à un organe de l’État, même si cette qualification ne résulte pas du droit interne, lorsque cette personne, ce groupe ou cette entité agit en fait sous la totale dépendance de l’État dont il n’est, en somme, qu’un simple instrument »160, ajoutant l’exigence d’un « degré

particulièrement élevé de contrôle de l’État sur les personnes ou entités en cause ». Cependant, le contrôle effectif ne pas fut retenu, lui préférant le contrôle « global » - plus souple. Entendu qu’aucun contrôle « global » d’une puissance étrangère ne s’effectue à l’endroit de Daech, du Front al Nosra ou Al Qaïda, la capacité juridique à condamner l’État belligérant est très faible.

iii. Enfin, la Cour Européenne des Droits de l’Homme défend la notion du

« contrôle ultime » se matérialisant par une forme « d’autorité, de contrôle ultime de commandement opérationnel »161, (Cette jurisprudence est relative à l’affaire A. et B.

Behrami cl France, affaire Saramati cl France, Allemagne et Norvège).

Tous les critères évoqués (contrôle ultime, effectif, global) correspondent à des critères propres à la juridiction saisie. Plus encore, dans le cas contemporain des luttes asymétriques ou par procuration présentes au Moyen-Orient, ces critères ne sauraient avoir de valeur sans l’administration de preuves, elles-mêmes devant répondre à des notions de gravité, d’effets (etc.). En outre, la qualification d’acte d’agression armée par une entité intraétatique est juridiquement envisageable, mais une réhabilitation adaptée doit voir le jour.

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