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LES INSUFFISANCES DU SYSTÈME D’ENCADREMENT JURIDIQUE DES CONFLITS ASYMÉTRIQUES EN IRAK, SYRIE

SECTION 2. Le Jus in Bello dans le cadre des conflits asymétriques en Irak, Syrie et Libye

II. Le Protocole additionnel II 1977, confirmation de l’inadaptation

86. Si le Protocole I étend l’application du Jus in Bello aux luttes de libération nationale assorties par la suite d’une reconnaissance de belligérance, le Protocole II cherche à règlementer les conflits internes (hors situation coloniale, postcoloniale ou Apartheid). À l’instar de l’article 3 Commun aux Conventions de Genève, le Protocole II protège les individus en leur qualité d’être humain, non en qualité de « membres d’une collectivité politique combattante »308 - sauf reconnaissance de belligérance. Notons que dans les

CANI, les dispositions relatives aux statuts de combattants et de prisonniers de guerre ne sont pas prévues car les États Parties concernés par une telle situation ne sont pas disposés à accorder une immunité aux groupes d’opposition armée interne.

87. Un détour par le Protocole I pourrait sembler pertinent, celui-ci vise les méthodes et moyens de guerre afin d’obtenir une meilleure protection des populations civiles. Considérant les actes commis par les entités djihadistes en Syrie, Irak ou Libye comme terroristes en ce sens qu’ils visent des biens ou personnes civiles, le traité énonce, « Ni la

population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être l’objet d’attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi les population civile »309.

Néanmoins, le Protocole I n’accorde ni le statut de prisonnier de guerre aux personnes qui participent illégalement aux hostilités, ni ne garantit « la reconnaissance et la protection aux

organisations et aux personnes qui agissent au nom d’un État ou d’une entité soumise au droit international »310.

Notons que la quatrième Convention de Genève interdit les « actes de terrorisme » contre les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités311.

308 D. CUMIN, Manuel de droit de la guerre, op.cit., p.152.

309 Protocole Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Relatif à la protection des victimes des

conflits armés internationaux (P1, 8 Juin 1977), Chapitre II, Article 51 (§2).

§3. Les catégories de combattants, la qualification juridique du « Djihadiste »

88. Un regard élargi sur la présence d’entités terroristes en Irak, Syrie ou Libye mène à la problématique du statut des membres affiliés aux organisations terroristes.

Le choix méthodologique d’un paradigme transdisciplinaire suppose que la qualification juridique du terroriste soit également appréhendée par le biais philosophique, sociologique ou encore historique.

Deux catégories factuelles et majeures sont répertoriées, les combattants réguliers appartenant aux forces conventionnelles et les combattants irréguliers appartenant aux forces non-conventionnelles. Ainsi, sur le plan juridique, s’affrontent les combattants légaux et illégaux. Notons que les combattants irréguliers peuvent devenir des combattants légaux. Les combattants sont les membres d’une collectivité armée, militaire ou non militaire, même si tous ne portent pas les armes (unités d’encadrement ou de soutien)312, à cela, s’ajoutent les personnes y compris civiles qui participent directement

aux hostilités. Concernant les combattants légaux, soumis au statut de prisonnier de guerre, les militaires, les volontaires étrangers313, et les milices ou « corps de volontaires »

nationaux à condition qu’ils possèdent un commandement responsable, signe distinctif fixe et reconnaissable à distance, portent ouvertement les armes, respectent les lois et coutumes de la guerre314.

Dans le cas syrien, irakien ou libyen, de nombreux combattants sont catégorisés de manière générique comme « combattants ennemis ». Selon le CICR, « Le terme est utilisé

couramment - par ceux qui considèrent que la lutte contre le terrorisme inclut un conflit armé de nature transnationale contre certains groupes terroristes - pour désigner les personnes dont on pense qu’elles appartiennent à des groupes terroristes, ou qu’elles sont associées à de tels groupes, quelles que soient les circonstances de leur capture »315. Quel que soit le statut de l’individu, en cas de capture, il reste

soumis aux protections apportées par l’article 3 Commun aux CG.

312 D. CUMIN, Manuel de droit de la guerre op.cit., p.164. 313 RLH de 1907 (Article 6, Ve CLH 1907).

314 D. CUMIN, Manuel de droit de la guerre, op.cit., p.165.

89. Le débat introduit par cette interrogation ne traite pas directement du registre juridique mais porte sur une finalité de jugement, essentielle à la reconnaissance normative du « Djihadisme ».

Ainsi, selon J. Baud, le terrorisme n’est ni une finalité ni une doctrine mais une « méthode d’action »316. Cette lecture introduit une pseudo légitimité relative au soutien qui peut être

apporté à des organisations pratiquant cette méthode, au prétexte que la finalité peut servir une cause. Les États-Unis ont ainsi soutenu les « moudjahidin » en Afghanistan au nom de leur « combat pour la liberté ». Ainsi, il nous semble pertinent de rappeler qu’aucune définition validée par l’ensemble de la communauté internationale ne fut trouvée, mais également de rappeler que la notion de terrorisme diffère selon les régions. En effet les pays du « tiers-monde » dont cinquante-six pays de l’Organisation de la Conférence Islamique souhaite une définition différenciée de la méthode à partir de la finalité317.

S’inscrivant dans une pratique du « faible au fort », le terrorisme intègre la dimension asymétrique des conflits.

Une grille de lecture proposée par J. Baud classifie le phénomène terroriste en fonction de la nature, dans un souci d’évincer toute approche monolithique du terrorisme. Selon ce dernier, il existerait un « terrorisme de droit commun » dont l’usage de la terreur est de satisfaire des objectifs purement criminels ; un « terrorisme marginal » censé entamer un processus révolutionnaire sans aucun support populaire ; le « terrorisme politique » situé dans un processus qui doit conduire à la mise en place d’une autorité nouvelle, subdivisé en terrorisme d’extrême droite, gauche, marxiste et autres (etc.)318.

Le terrorisme présent en Irak et en Syrie s’apparente davantage à un processus politique dont l’objectif est la création du Califat, d’une sorte d’État basé selon les règles de la Charia. Celui présent en Libye, ayant regroupé plusieurs entités djihadistes relève davantage d’une implantation réussie en raison des fragilités étatiques et institutionnelles, avec un ralliement davantage marqué par des questions économiques et sociales que par des raisons idéologiques.

316 J. BAUD, La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, op.cit., p.114. 317 Idem., p.115.

Notons enfin que de nombreuses études portant sur le choix du ralliement d’Occidentaux aux entités djihadistes marquent le besoin de rupture avec les codes de la société, la volonté de construire un monde nouveau, un complexe de persécution pour d’autres, mais avec une dimension religieuse et idéologique faiblement marquées. En effet de nombreux chercheurs tels que G. Kepel ou O. Roy affirment que le terrorisme naît en grande partie des problèmes sociaux, chômage, racisme en Europe (…)319.

En outre, Daech se distingue avec une identité spécifique appartenant aux guerres irrégulières fondées sur la guérilla et le terrorisme, parfois considéré comme mouvement révolutionnaire s’inscrivant dans les innovations apportées par Mao Zedong (organisations terroristes cherchant un contrôle des populations et la position d’une structure administrative en vue de s’emparer du pouvoir320), Daech n’est pas comparable

aux autres groupes terroristes connus par le passé.

90. En fonction des éléments cités précédemment, les djihadistes sont-ils révolutionnaires, victimes, criminels, rebelles (etc.) ? La qualification semble différente selon les zones géographiques, les cultures et les enjeux nationaux. Dans de nombreux cas, le droit national (droit pénal) va définir le statut de terroriste en fonction de critères précis et discrétionnaires selon les législations, cependant, notons que la dénomination d’un individu comme terroriste revêt un caractère politique fort. S’il demeure que le Protocole II est le plus adapté à la qualification de ces actes, la notion de « combattant » pourrait être dans un premier temps la plus adéquate si ces derniers répondent aux critères énoncés, or, ce n’est pas le cas321. De fait, les Djihadistes, s’ils ne respectent pas

les principes d’humanité322 et commettent des « tueries collectives ou des meurtres de

319 J.C VERSET, Gilles Kepel : « Le terrorisme naît des problèmes sociaux et d’une idéologie islamique », RTBF, 22

mars 2017. https://www.rtbf.be/info/societe/detail_gilles-kepel-le-terrorisme-nait-des-problemes-sociaux-et- d-une-ideologie-islamique?id=9560884

320 G. CHALIAND, Terrorisme et politique, Paris, CNRS Édition, 2017, p.9.

321 Attribuer le statut de combattant aux djihadistes de Daech présent en Irak, Syrie et Libye, peut se faire sous

les conditions de groupes organisés, hiérarchisés etc., cependant, ils ne répondent pas aux critères de la distinction, d’humanité, de respect de la dignité et autres critères énoncés. Leurs exécutions arbitraires, la traite d’être humain, attentats contre les civils et autres actes non-conforment au droit international ne leurs permet pas de prétendre aux statuts de combattants.

322 Selon la Croix-Rouge France, le Principe d’Humanité impose le DIH comme « droit pragmatique » au cœur

du conflit pour concilier nécessités militaires et humaines. https://www.croix-rouge.fr/La-Croix-Rouge/Droit- International-Humanitaire/5-principes-fondamentaux

civils »323 comme en Irak ou en Syrie, deviennent criminels de guerre, soumis à la

juridiction de la Cour Pénale Internationale. À cela, leurs agissements (tortures, assassinats, violes etc.) constituent des crimes contre l’humanité. Pour les djihadistes capturés et jugés par les autorités gouvernementales irakiennes, syriennes et libyennes, libres à elles d’intenter une action auprès de la juridiction pénale nationale, ou internationale - le motif sera dans un premier temps le terrorisme, dans le second, les crimes de guerre.

Dans un autre contexte, les djihadistes ne peuvent être qualifiés de mercenaires même si certains États soutiennent l’idée selon laquelle leurs financements par des monarchies du Golfe constitue un mercenariat, cependant, selon l’article 47 des CG324, « un mercenaire n’a

pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre ». De plus, la Convention sur le

Mercenariat de 1989 dans son article premier cite que le mercenaire dispose « d’une

rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattant ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette partie » 325.

Au travers de cette réflexion, nous pouvons étayer l’idée selon laquelle le djihadiste n’est ni mercenaire, ni combattant, mais criminel. Or, commettre des crimes de guerre et contre l’humanité est une inculpation pénale internationale, elle est le jugement de l’acte, ni la qualification, ni la reconnaissance, ni l’attribution d’un statut.

Voilà pourquoi comme démontré précédemment, le Jus in Bello est encore lacunaire. Le Conseil de Sécurité, peu cité dans cette partie agit malgré tout afin de lutter contre ce fléau.

§4. L’apport normatif du Conseil de Sécurité pour la lutte contre le terrorisme

91. Non sans rappeler que les attentats du 11 septembre 2001 aient sensibilisé la communauté internationale au risque terroriste, l’évènement a également contribué à

323 R. MIELCARK, Djihadistes : sont-ils terroristes, victimes ou mercenaires ?, RFI, 08.04.2014 – Article réalisé

avec l’aide de J.M. THOUVENIN, Y.TROTIGNON, S.TAILLAT et S. ZASOVA.

http://www.rfi.fr/moyen-orient/20140708-jihadistes-terroristes-victimes-mercenaires-sectes-EIIL-PKK- islamistes

324 Protocole Additionnel aux CG du 12 août 1949 – Relatif à la protection des victimes des conflits armés

l’émanation d’une saisie remarquée du Conseil de Sécurité (I). Outre le développement d’approches doctrinales ou normatives plus aiguës, le CSNU va participer à la création d’un Comité contre le Terrorisme (II).

I. Le 11 septembre 2001, des conséquences pour l’Irak, la Syrie et la Libye

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