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LES INSUFFISANCES DU SYSTÈME D’ENCADREMENT JURIDIQUE DES CONFLITS ASYMÉTRIQUES EN IRAK, SYRIE

SECTION 2. L’ingérence humanitaire au Moyen-Orient

III. Les moyens juridiques, une analyse critique

167. Si la partie précédente dont l’inspiration fut issue de chercheurs tels que J.B. Jeangène Vilmer ayant à cœur de dénoncer l’approche défendue par B. Kouchner et M. Bettati, nous allons poursuivre notre recherche par l’étude des moyens juridiques applicables tels que défendus par les deux auteurs précités.

Introduit par le juriste G. Carcassonne, « S’il en est parmi nous qui ne croient pas à l’existence de

l’Être suprême ou encore doutent de l’immortalité de l’âme, qu’ils sachent qu’ils sont dans l’illégalité. Illégalité d’autant plus grave que servir dignement ce culte est un devoir de l’homme »598. C’est ainsi

qu’est saisie la partie relative à la légalité et la légitimité de l’ouvrage de B. Kouchner et M. Bettati.

Le fond moraliste et humaniste semble central dans l’approche analytique des rapports internationaux. Ainsi qualifié de « distance si grande » entre le droit et la morale, ce plaidoyer pour l’intervention « juste » reprend une sémantique philosophique, sociologique et d’inspiration quasi religieuse.

L’approche consistant à distendre puis faire converger la légitimité et la légalité est centrale dans le débat ouvert par ces auteurs car le curseur est davantage placé vers la première notion. Ainsi, la notion de croyance, de démarche salutaire, risquant l’ethnocentrisme est fondamentale dans ce que G. Carcassonne défend, assumant que « la

légitimité, pour nous, a un référent stable, un minimum de dessous duquel s’impose la certitude de son existence et qui seul justifie, mais justifie pleinement, de méconnaître la légalité599. »

Si nous devions croiser la dimension juridique avec les pensées développées précédemment, notre inspiration se concentrerait sur l’argumentaire de penseurs

597 M. DUBUY, La « guerre préventive » et l’évolution du droit international public, op.cit., p. 555.

similaires, G. Scelle dira que la norme « est à la conjonction de l’éthique et du pouvoir, la première

lui donne son inspiration et aussi sa légitimité, le second lui donne sa forme et sa force par son autorité »600.

Cette exploitation de l’argumentaire est névralgique car elle éclaire la base d’appréciation voire d’acceptation du droit/devoir d’ingérence telle qu’elle fut appliquée dans le cadre libyen. Cette dénonciation de l’inefficacité du système normatif et juridique est une des clés de compréhension de l’ordre interventionniste ici défendu. P.M. Dupuy démontre par un argumentaire construit, les schémas qui mènent à l’approbation d’une ingérence humanitaire, « trois causes, parmi bien d’autres, de cette débilité normative ou de cette impuissance

relative du droit à faire respecter l’Homme, méritent d’être rapidement cités :

1. La première déjà aperçue aux évidentes lézardes qui parcourent le socle de légitimité sur lequel on a prétendu fonder, après 1945, l’unité et l’universalité des valeurs proclamées601 ;

2. La seconde, prolongement de la première, tient au fait que les institutions internationales de promotion des normes sont elles-mêmes le lieu sinon toujours l’enjeu de l’affrontement des idéologies et des stratégies normatives des États602 (…) ;

3. Enfin, les normes elles-mêmes sont toujours sujettes à interprétations diverses, notamment lorsque coutumières, elles ne sont pas incluses dans des instruments juridiquement obligatoires, c’est-à-dire des traités. Et lorsqu’elles sont consignés dans des traités ces derniers sont toujours susceptibles de dénonciation603. Le traité qui plus est ne lie que les États qui l’ont ratifié »604.

600 P.M. DUPUY, Situation et fonctions des normes internationales, in, Légalité et légitimité, in, M. BETTATI & B.

KOUCHNER, Le devoir d’ingérence, op.cit., p.151.

601 L’avenir du droit international dans un monde multiculturel, Colloque de La Haye, 17/19 novembre 1983.

Académie de droit international de La Haye/Université des Nations Unies, Martinus Nijhoff Publishers. Note citée dans l’ouvrage P.M. DUPUY, Situation et fonctions des normes internationales, in, Légalité et légitimité, in, M. BETTATI & B. KOUCHNER, Le devoir d’ingérence, op.cit., p.157.

602 G. LADREIT de la CHARRIERE, La politique juridique extérieure, Paris, Economica, 1983, in, P.M. DUPUY,

Ibidem., p.157.

603 Idem., p.158. Note de l’auteur : « une très difficile question, intraitable ici, et celle de l’identification des

normes de droit international général qui, au titre de normes gros connus comme impérative par la « communauté internationale dans son ensemble », serait insusceptible de dérogation par voie conventionnelle, sinon déjà constitutive, en cas de violation, de « crimes internationaux » de l’État qui en serait l’auteur ».

168. Ce positionnement étayé par certaines références de juristes est la démonstration ostentatoire et sans détour du manque de confiance qu’ont les acteurs humanitaires s’inscrivant dans cette école de pensée, du monde multilatéral dont le système onusien fait office de garant.

Toute proportion gardée, la pensée néoconservatrice américaine, agissant de manière unilatérale s’inscrit dans la même condamnation de l’efficacité de protection et donc, de dénonciation de l’ONU et du Conseil de Sécurité. Le désaccord matérialisé par une intervention en Irak témoigne de prime abord, d’un même manque de confiance à l’égard du système onusien, et par conséquent, d’une reconnaissance implicite du manque de crédibilité de l’organe central.

Pour reprendre la pensée ici défendue, même si le principe de réciprocité d’égalité souveraine et de non-ingérence dans les affaires intérieures sont reconnus par les juristes « humanistes », il semble que la protection des droits de l’Homme relève d’un caractère suprême. Considérant que la ratification d’un traité - convention relative à la protection des droits civils et politiques engage l’État signataire dans le cadre même de ses frontières, et non-seulement à échelle interétatique : « la norme de protection des droits de l’homme fait

substantiellement voler en éclats la règle de la non-ingérence, parce qu’elle abolit la dure carapace qui distingue habituellement l’ordre interne de l’ordre international »605.

Le corollaire fondamental d’une telle approche est de faire non pas de l’État un sujet primaire, mais bien l’individu. Ainsi, il conviendra de conclure cette approche comme étant la matérialisation d’une « confusion entre son essence et son contenu », mais si difficulté il y a, à analyser et accepter l’argumentaire juridiquement moraliste des pourvoyeurs du devoir/droit d’ingérence, c’est que notre cas précis relatif au Moyen- Orient ne doit pas uniquement s’étudier par le prise humanitaire ou émotionnel.

En Irak, en Syrie, et en Libye, les enjeux politiques, stratégiques, économiques rendent toute intervention « humanitaire » douteuse en ce sens que l’action intéressée est un modus

vivendi des relations internationales. Il conviendra alors de se référer au Léviathan de T.

Hobbes, qui évoquait explicitement « l’état de nature », où seul l’intérêt national guide une pratique étrangère. Si les instruments de droit pouvaient être en capacité de contrôler et

de condamner toute action ayant une conséquence positive ou négative pour un État étranger, il se pourrait que l’intervention pour motif humanitaire soit légitime. Or, comme le rappelle J. Zylberberg, « Une action humanitaire, lorsqu’elle émane de l’Occident, échappe

difficilement à une prétention d’universalité, à une quête de moralité, à un besoin d’énoncé juridique, bref, à un désir de légitimation et de reconnaissance transcendantale »606.

§2. La Responsabilité de protéger

169. La sécurité humaine largement répandue au travers du principe de Responsabilité de protéger repose sur un travail de la Commission Internationale de l’Intervention et de la Souveraineté des États (I) datant de 2001, soit près d’une décennie avant sa mise en lumière dans le cadre libyen. L’étude du rapport conduit à déceler une vocation et une application controversée, posant ainsi la question de la reconnaissance et de la valeur juridique de la R2P (II) par les États. Tenant compte du contexte régional au Moyen- Orient ou en Afrique, la R2P s’opérationnalise à l’endroit des acteurs non-étatiques présents en Irak, Syrie et Libye (III).

I. La Commission Internationale de l’Intervention et de la Souveraineté des

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