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LES INSUFFISANCES DU SYSTÈME D’ENCADREMENT JURIDIQUE DES CONFLITS ASYMÉTRIQUES EN IRAK, SYRIE

SECTION 1. Le Jus ad Bellum dans le cadre des conflits asymétriques en Irak, Syrie et Libye

A. La résolution 1973 (2011), intervention militaire internationale

73. Que le régime de M. Kadhafi soit critiquable, autoritaire et despotique semble avéré, que le Conseil de Sécurité intègre des principes autoritaires et arbitraires semble également avéré dans le cas présent.

Lors d’une rencontre prévue en France entre le Président de la République N. Sarkozy et le Colonel M. Kadhafi, ce dernier rencontra de nombreux patrons et industriels français, le Président de l’Assemblée Nationale et fit un discours à l’Unesco. Sa présence fut justifiée par le Ministre des Affaires Étrangères de l’époque B. Kouchner comme « une diplomatie de la réconciliation »263.

De la même manière que les « printemps arabes » ont provoqué la déstabilisation de la Syrie et d’autres pays de la zone Afrique du Nord - Moyen-Orient, l’arrestation à Benghazi le 15 février 2011 d’un militant des droits de l’Homme va provoquer des émeutes à travers le pays. L’instrumentalisation sémantique, l’usage de notions libertaires et démocratiques visant à séduire l’opinion publique d’une intervention armée va s’accompagner de l’activation du processus normatif visant à intervenir en Libye.

En vertu des exigences imposées par l’article 39 de la Charte des Nations Unies264, le

Conseil de Sécurité a statué sur le risque de menace à la paix et à la sécurité internationales engendré par la situation interne en Libye.

74. La résolution 1973 (2011) se caractérise ipso facto par l’instauration d’un régime d’exclusion aérienne, qui est une interdiction explicite du droit de survol, principalement établie par les armées françaises, britanniques et autres, du territoire libyen, et donc, d’opérer à des bombardements aériens en vue de faire respecter cette zone d’exclusion. Le Conseil autorise implicitement le bombardement en ce sens que la résolution 1973 (2011) mentionne que « la résolution, qui était présentée par la France et le Royaume-Uni, autorise en outre

les États Membres à prendre au besoin toutes mesures nécessaires pour faire respecter l’interdiction de vol (…) ».

Ce qui nous paraît invraisemblable dans cette résolution et dans la manière dont elle a été conduite, est l’usage d’une procédure de communication visant à toucher l’émotionnel et l’affectif. La Représentante des États-Unis, Mme S. Rice, a insisté de son côté sur le fait que la résolution que le Conseil de Sécurité adoptée avait « pour unique objectif » de « répondre à l’appel à l’aide lancé par le peuple libyen ainsi qu’à la demande de la Ligue des États

263 L’EXPRESS, Seconde rencontre Kadhafi-Sarkozy, 12 décembre 2008.

https://www.lexpress.fr/actualite/politique/seconde-rencontre-kadhafi-sarkozy_468617.html

264 Article 39 de la Charte des Nations Unies : Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre

la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.

arabes d’établir une zone d’exclusion aérienne »265, devenons-nous rappeler les interventions très

médiatisées de B.H. Levy ? Ou devons-nous rappeler les quelques mots d’A. Juppé alors Ministre des Affaires Étrangère de la France : « Chaque jour, chaque heure qui passe alourdit le

poids de la responsabilité qui pèse sur nos épaules, (…) prenons garde d’arriver trop tard », en

soulignant que « ce sera l’honneur du Conseil de sécurité d’avoir fait prévaloir en Libye la loi sur la

force »266, de telle sorte que l’instrument juridique semble se substituer à l’instrument

moralisateur. Enfin et non des moindres, la déclaration du Président N. Sarkozy, « Paris

n’a qu’un seul objectif : venir en aide à un peuple en danger de mort (…) au nom de la conscience universelle qui ne peut tolérer de tels crimes. Nous le faisons pour protéger la population civile de la folie meurtrière d’un régime qui, en assassinant son propre peuple, a perdu toute légitimité »267.

75. Faisant suite à la résolution 1970 (2011)268, l’emblématique résolution 1973 (2011)269

va d’une part invoquer le devoir de responsabilité internationale de la Libye de protéger ses populations civiles et condamner « la violation flagrante et systématique des droits de l’homme,

y compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires »270.

En d’autres termes, cette qualification juridique est l’introduction du principe de « Responsabilité de protéger », héritière du « droit d’ingérence humanitaire ». Nous reviendrons plus spécifiquement sur ce point.

Rappelant le §26 de la résolution 1970 (2011) consistant à se rendre prêt à « envisager de

prendre d’autres mesures pertinentes si nécessaire pour faciliter et appuyer le retour des organismes d’aide humanitaire et rendre accessible en Jamahiriya arabe libyenne une aide humanitaire et une aide connexe (…), se déclarant préoccupé par le sort tragique des réfugiés (…) »271, il nous semble que la

ressemblance dialectique s’apparente à une didactique que nous retrouvons dans le cas syrien.

Cette architecture juridique va conduire le Conseil de Sécurité à considérer que la situation en Jamahiriya arabe libyenne est une menace à la paix et la sécurité internationales et

265 Couverture des réunions et Communiqués de presse de l’ONU, Libye : le Conseil de sécurité décide

d’instaurer un régime d’exclusion aérienne afin de protéger les civils contre des attaques systématiques et généralisées, CS/10200, 17 mars 2011. https://www.un.org/press/fr/2011/CS10200.doc.htm

266 Ibidem., CS/10200.

267 Déclaration du Président N. Sarkozy à l’Élysée le 19 mars 2011.

268 Résolution du Conseil de Sécurité 1970, 2011, Situation relative à la Paix et la Sécurité en Afrique.

donc, à invoquer des actions en vertu du Chapitre VII de la Charte. Ainsi, le §4 de la résolution 1973 (2011) autorise à cet effet, les États membres ayant adressé au Secrétaire Général une notification à « prendre toutes les mesures nécessaires (…) pour protéger les populations

et les zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit (…)272, mais également

les États membres ayant adressé au Secrétaire général une notification à « prendre toutes les

mesures nécessaires (…) pour faire respecter l’interdiction de vol imposée au §6 (…) »273 et enfin, à

veiller sur l’application de l’embargo sur les armes274.

76. La notion de « toutes mesures nécessaires » est profondément floue, et non définie. L’imprécision est dans le jeu international juridique, une faille dont les libertés interprétatives deviennent aubaines. Pour un grand nombre d’experts, cette notion ouvre la voie aux entreprises arbitraires et actions discrétionnaires. À cela, l’impulsion normative française et britannique ainsi que leurs mêmes présences militaires dans la phase opératoire du conflit peuvent remettre en cause le principe de neutralité et d’action désintéressée. Dans le second temps de l’intervention française en Libye, l’État a conclu un accord avec les rebelles visant à récupérer 35% du pétrole brut libyen275/276. Cet accord

signé par le CNT (Conseil National de Transition)277 attribue également des concessions

aux États intervenants tels que la Grande-Bretagne ou les États-Unis. Doit-on au préalable rappeler que le CNT n’a en réalité aucune revendication démocratique et sociale, composé du « Front national pour la sauvegarde de la Libye » dont le siège est en Arabie Séoudite, du « Comité libyen pour la défense de la démocratie et les droits de l’homme » dont le siège est à Londres et Washington, de « l’Union des monarchistes » dont le siège est au Caire278

272 Résolution du Conseil de Sécurité 1973, 2011, §4. 273 Idem., §8.

274 Idem., §13.

275 V. de FILIPPIS, Pétrole : l’accord secret entre le CNT et la France, Libération, 1er septembre 2011.

http://www.liberation.fr/planete/2011/09/01/petrole-l-accord-secret-entre-le-cnt-et-la-france_758320

276 Extrait de la lettre d’engagement : « S’agissant de l’accord sur le pétrole passé avec la France en échange de

la reconnaissance de notre Conseil, lors du sommet de Londres, comme représentant légitime de la Libye, nous avons délégué le frère Mahmoud Shammam, Ministre pour signer cet accord attribuant 35% du total du pétrole brut aux Français en échange du soutien total et permanent à notre Conseil ».

277 Autorité de transition créée par les rebelles libyens reconnue au 14 septembre par 86 États comme autorité

légitime de la Libye. Le 16 septembre 2011, lors d’un vote à l’AGNU, le siège libyen leur sera accordé.

278 A. CHOUET (Entr. J. GUISNEL), Au cœur des services spéciaux. La menace islamiste : fausse piste et vrais

Si pour Clausewitz, « la guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens », pour nous, les instruments du droit international sont une prolongation de la politique par d’autres moyens.

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