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LES INSUFFISANCES DU SYSTÈME D’ENCADREMENT JURIDIQUE DES CONFLITS ASYMÉTRIQUES EN IRAK, SYRIE

SECTION 1. La redéfinition de la souveraineté

II. Les « guerres humanitaires », détour historique de la moralisation

151. L'intervention en Somalie en 1992 fut pour de nombreux analystes et de juristes, les prémices de la R2P. En effet, plusieurs États ont invoqué le devoir d’agir - « l’obligation qui

incombe à la communauté internationale de mettre fin à la tragédie humaine qui se joue »526. Ainsi, le

Conseil de Sécurité autorisera deux résolutions portant sur des éléments humanitaires dans des situations « purement internes ne menaçant pas la paix et la sécurité internationales »527.

Pour R. Brauman, ancien président de MSF (1982-1994) interrogé par P. Boniface528, la

situation en Somalie se décrit ainsi : « Nous estimions qu’il fallait amplifier les apports d’aide

alimentaire, quitte à en laisser une partie aux mains des groupes armés ; il fallait les organiser de manière régulière et prévisible de façon à en faire chuter la valeur et donc dépouiller ces vivres de leur intérêt marchand. Nous pensions, et je continue de le croire, qu’il s’agissait de la bonne réponse à l’insécurité et aux attaques de convois.

Mais ce pragmatisme n’avait, semble-t-il, pas droit de cité face au dispositif hésitant des Nations unies : leurs émissaires sur le terrain affirmaient, ignorant les opérations d’aide en cours, que les conditions de sécurité interdisaient le déploiement des aides. De même, les tentatives de négociations menées par le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies n’étaient pas soutenues par la hiérarchie et ont été disqualifiées afin de privilégier l’option sécuritaire. Au lieu d’envoyer de la nourriture rapidement, on a préparé le terrain à un déploiement militaire qui a eu lieu des mois plus tard, décalé par rapport à l’urgence, et qui a été lui-même happé dans le conflit. (…). L’objectif n’était pas honteux, loin de là, mais

524 J.B. JEANGÈNE VILMER, La responsabilité de protéger, op.cit., 2015, p.19 525 Résolution de l’Assemblée Générale 60/1, 16 septembre 2005.

526 Procès-verbal du Conseil de Sécurité, UN Doc. S/PV.3145, 3 décembre 1992, p.26. 527 J.B. JEANGÈNE VILMER, La responsabilité de protéger, op.cit., p.15.

sa mise en œuvre a considérablement retardé la marche des secours, sans même parler de la catastrophique dérive militariste qui a coûté de nombreuses vies ».

Il est question d’aborder de manière critique et interrogative les motivations impliquant des disposition juridiques et normatives. Confirmant l’importance de venir en aide et de secourir les victimes civiles des conflits armés internationaux, le fondement d’une approche, d’un ordre politico-juridique efficace plus sûr, doit s’appuyer sur une lecture pluridisciplinaire des motivations interventionnistes.

L’entretien accordé par R. Brauman met en cause deux faits majeurs, l’inefficience du système onusien et le poids des images. Pour autant, il semble évident que l’analyse des processus d’interventions sous mandats onusiens et la reconnaissance de la R2P marquent une « rupture souverainiste » pour une contrepartie moraliste et humanitaire.

§2. Les conditions de la souveraineté appliquée à l’Irak, la Syrie et la Libye 152. La souveraineté en tant que construction historique et reconnaissance juridique est un attribut sensiblement politico-juridique. J. Fernandez nous rappelle la complexité qui consiste à définir ce fondement transversal en citant l’absence d’instrument international529, mais celui-ci mentionne l’article 2§1 de la Charte des Nations Unies530

selon lequel la souveraineté induit l’égalité entre États. Ainsi, jugeant l’approche comme « fiction créatrice »531, il va de soi que cette notion de souveraineté se définit selon une

double lecture, l’une au plan interne, l’autre au plan international. Défini selon Weber, « il

faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé – la notion de territoire étant une de ses caractéristiques, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime »532.

Ces questionnements et remarques de science politique et juridique conduisent à considérer la notion de souveraineté comme co-évolutive de l’approche conflictuelle et

529 J. FERNANDEZ, Relations Internationales, op.cit., p.95.

530 Charte des Nations Unies, Chapitre 1 Article 2§1 : « L’organisation est fondée sur le principe de l’égalité

des apports normatifs qui y sont intrinsèques. En d’autres termes, si la conflictualité mesurée en Irak, Syrie et Libye ces quinze dernières années a conduit à une réappréciation de l’ordre normatif et juridique533 (une réappréciation du multilatéralisme vers un

unilatéralisme), alors, les trois États étudiés ont vu leur principe de souveraineté bouleversé par des considérations plurielles, notamment celle de la responsabilité de l’État vis-à-vis de ses populations.

Cette synergie normative et politique démontre un fait, celui que la souveraineté est non seulement partiellement limitée, mais partiellement conditionnée.

Un regard transversal mêlant l’approche historique, politique et juridique permet de dessiner les contours de l’attribut qui sera conditionné à une responsabilité (I) tel que cela est observable dans le cas libyen.

Les concepts humanitaires évoqués précédemment, conjugués au bouleversement du monopole de la violence donneraient « l’acceptation d’une souveraineté partiellement limitée ».534 Dans l’étude du cadre international qui est le nôtre, F. Poirat affirme que « la

souveraineté se définit de manière strictement négative comme le fait pour l’État de n’avoir pas de supérieur, en d’autres termes de n’être lié que par les règles auxquelles il a d’une manière ou d’une autre consenti »535. Cette définition s’intègre dans une approche de défense des droits de

l’Homme et des valeurs libérales du monde occidental (II) qui ne peut se calquer à l’Irak, la Syrie ou la Libye. Ainsi, remarquerons-nous lien avéré entre le devoir d’ingérence humanitaire et le devoir d’ingérence démocratique (III).

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