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Chapitre 1 : La couverture maladie en Afrique de l’Ouest et centrale Une analyse historique

1. Une histoire de la couverture maladie en Afrique de l’Ouest et centrale

1.4. Un système peu adapté au contexte africain

Même si les couvertures santé traditionnelles (au sens des couvertures d’origine occidentale) subsistent pour le secteur formel de la population dans la plupart des cas en Afrique de l’Ouest et centrale, il semble qu’elles ne peuvent s’adapter à l’ensemble de la population dans cette région. Le système européen de la protection sociale apparaît comme peu légitime en tant que modèle à suivre pour les pays africains. Cette protection se base sur les salariés dans l’emploi, avec un droit du travail, une implication des partenaires sociaux, et un haut niveau de protection. Ce dernier représente depuis 1945 non plus la garantie d’un minimum vital mais plutôt la conservation d’un certain niveau de vie (Ramaux, 2007). L’État est important pour réguler cette protection sociale. Cette légitimité est d’abord remise en cause par rapport au contexte africain dans la mesure où la majorité de la population exerce au sein de l’économie populaire et que la pauvreté est importante. Le travail n’est pas « normalisé », et les pays ne possèdent pas un droit du travail et des droits sociaux s’accompagnant d’un système juridique fort. Si ces droits existent, leur application pose problème (Destremeau, Lautier, 2006).

La couverture maladie connaît généralement plusieurs limites, propres au risque qu’elle protège et au comportement des agents. Le risque est ici la probabilité qu’une maladie ne survienne, celle-ci étant associée à une perte monétaire. Cette perte sera compensée en cas de sinistre grâce au paiement régulier d’une prime. Le comportement des agents peut varier en raison d’une asymétrie d’information entre le contractant et l’assureur. La sélection adverse correspond à la demande d’un client potentiel de s’assurer alors qu’il sait avoir un risque très

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élevé de maladie et qu’il ne met pas l’assureur au courant. Cependant, en Afrique de l’Ouest et centrale, le problème de sélection adverse est connu et généralisé dans la mesure où de grandes maladies touchent les populations, et que les conditions de vie ont un impact fort sur la santé qui peut constamment vaciller. L’aléa moral (Akerlof, 1970) est un problème d’asymétrie d’information ex post, c’est-à-dire que l’assuré, se sachant protégé, va négliger sa santé. Si cela peut avoir un effet négatif, l’utilisation accrue des services de santé est bien l’objectif en Afrique subsaharienne, et comporte ici un effet positif (augmentation de la fréquentation des services d’accouchements par exemple) (Wang et al., 2010).

La contribution à apporter pose ainsi d’importants problèmes pour ceux qui ne peuvent payer la prime, nombreux dans les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Trouver et délimiter une base contributive est complexe avec une forme informelle dominante. La couverture maladie doit, de plus, se coupler avec une amélioration de la qualité des soins en garantie de la couverture. Elle semble, tout au moins dans son extension à l’économie populaire, trop limitée ou peu adaptée pour couvrir la population de cette région. Le discours prônant la couverture maladie, et une base de protection sociale pour tous les pays en développement, s’appuie sur les avantages techniques sans réellement penser à la complexité de l’application (Letourmy, 2003), alors même qu’une approche par les risques semble limitée, ceux-ci étant bien connus en Afrique de l’Ouest et centrale. En effet la vision de la couverture maladie comme un « contrat », selon la théorie de l’agence et le modèle néoclassique, est censée résoudre ces problèmes propres au comportement rationnel et opportuniste des agents demandeurs de santé, et se trouve bien restrictive (Domin, 2006).

Ainsi, même sans prendre en compte l’histoire de la protection sociale en Afrique de l’Ouest et centrale, par une approche structuraliste, imposer un système copié des modèles de protections occidentaux semble contestable, et montre les limites d’une approche par l’assurance. Ceci confirme le scepticisme d’une certaine littérature qui remet en cause le mimétisme de « bonnes pratiques ». Des études, menées sur les changements institutionnels et le secteur entrepreneurial en Asie (Khan, 2004 ; Qian, 2003), ont montré que le copiage est contre- productif et que, selon les pays, les contextes, des réformes identiques ne débouchent pas sur les mêmes effets. L’argument selon lequel la protection ne peut se faire qu’à partir d’un certain niveau de développement pour en éviter les effets négatifs semble également peu pertinent, dans la mesure où la protection peut aider à sortir de la pauvreté et contribuer au développement économique et social. Le développement économique ne fait pas tout, les liens avec le développement humain peuvent aller dans les deux sens. De plus, la protection sociale résulte d’une histoire, d’interactions entre des acteurs qui offrent une légitimité au système adopté et s’adapte au contexte au lieu de se transposer. En Europe, les différentes forces historiques ont

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abouti à des régimes d’État-providence différents, influant sur le fonctionnement de la protection sociale. La formation politique de la classe ouvrière et les coalitions construites lors de la transition d’une économie rurale à une société bourgeoise ont abouti à des régimes libéraux, conservateurs, méditerranéens et sociaux-démocrates (Esping-Andersen, 2007 [1990]). Ces différences d’État-providence proviennent d’une conception différente du droit à la démarchandisation, à la création de la citoyenneté sociale se basant sur des droits sociaux et une protection sociale collective face à des marchés devenant universels. La construction de la protection sociale en Europe résulte donc d’un processus complexe de la création de régime d’États-providence forts, régulant la protection sociale en accord avec les partenaires sociaux.

A contrario, en Afrique de l’Ouest et centrale, la Sécurité sociale ne s’est créée que par l’impulsion de la colonisation et n’a pas résulté de tels enjeux. Aujourd’hui encore la coordination des acteurs pose problème, et la protection sociale a peu évolué pendant 50 ans, face à la faiblesse des interactions entre les acteurs (État, différents ministères, coopération internationale, entreprises, formes communautaires de couverture, société civile) et à différentes échelles (entre l’État et les infrastructures de santé). Aujourd’hui l’État peine à établir des tutelles claires par rapport aux organismes obligatoires, comme à mettre en place des cadres institutionnels pour aider les formes de couvertures maladies volontaires notamment. L’implication de celui-ci est faible dans la régulation des systèmes existants (Letourmy, 2003). Au niveau des individus, leur vision de la justice sociale couple l’égalité, qui provient du statut de citoyen de l’État, et le respect des hiérarchies ancrées dans les sociétés d’Afrique de l’Ouest et centrale. Si les systèmes de sécurité sociale hérités des politiques coloniales n’ont pas été revendiqués par l’ensemble de la population, c’est non seulement du fait de l’étroitesse du salariat, mais surtout du caractère élitiste et isolé de ces politiques sociales, qui ne peuvent se substituer aux logiques et mécanismes locaux, informels (Vuarin, 2000). Ainsi, si la protection sociale est plébiscitée aujourd’hui dans les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, leur histoire a construit un cadre bien moins propice à ce type de régime dans le court terme. La couverture maladie ne s’est pas construite par une interaction entre les acteurs, une culture, ou une histoire, mais sur un certain modèle de développement (Ron, Abel-Smith, Tamburi, 1990).

1.5. Les impacts du développement ciblant l’efficacité sous la contrainte de l’équité

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