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En évoquant les liens tenus entre la MS-PAMECAS et le ministère de la Santé, la coordinatrice du réseau rajoute : « ce qui nous renferme surtout c’est les programmes internationaux qui sont venus avec leurs stratégies, leurs objectifs bien définis, et que compte-tenu de ceci, il faut faire cela ». Les liens sont tout de même importants, dans la mesure où le BIT/STEP a appuyé l’expansion de la mutuelle dans le réseau et effectué des formations.

« Tu viens dans un pays et les partenaires ont des visions différentes », confirme un économiste à la DGPSN (Direction générale à la Protection sociale et à la Solidarité Nationale), « et il y a la problématique des visions techniques mais aussi politiques. Comment on fait pour les concilier ? Les choix politiques ne sont pas toujours scientifiques. Ça dépend du Président, du cabinet. Il a lui aussi parfois des contraintes que je n’ai pas en tant que technicien ».

Le Coordinateur de l’Union régionale des mutuelles de santé (URMS) de Saint Louis appuie cette hiérarchisation des acteurs : « Jusque-là, il n’y a pas de cadre logique pour les partenaires. L’État ne soutient pas. Chacun avait sa mission, ses objectifs. La coopération appuie l’État, mais ce n’est pas l’État qui dicte ça. L’État ne contrôle pas les actions, pour savoir si c’est en cohérence avec la vision du terrain. Il dégage des ressources mais ne sait pas où ça va. »

« Chacun avait ses mutuelles, avec ses objectifs, avec sa philosophie, ce ne sont pas les mêmes moyens mais pour la même population. C’était pas facile de savoir si c’était pour les besoins de la population ou les résultats » raconte le PCA (Président du Conseil d’Administration) de l’Union régionale des mutuelles de Santé de Diourbel (URMUSAD), dans la période d’engouement pour les mutuelles dans la région de Diourbel à la fin des années 1990 et au début des années 2000.

Source : présentation par l’auteur d’après les entretiens effectués en juin 2014 à Dakar auprès de Khady Fall Diop (Coordinatrice de la MS-PAMECAS), puis Ousseynou Diop (Économiste à la DGPSN), en septembre 2013 à Saint Louis auprès d’Alioune Niasse (Coordinateur de l’URMS de Saint Louis) et à Diourbel en août 2013 auprès de Demba Mame Ndiaye (PCA de l’URMUSAD).

Plusieurs acteurs mutualistes comme des pouvoirs publics confirment ainsi ce cloisonnement entre les divers partenaires extérieurs. Les contraintes, les pressions amenés par les acteurs internationaux, en particulier les bailleurs de fonds, se ressentent dans ces extraits. Lors d’une interview menée par Allison Kelley, lors du séminaire international organisé par l’AFD au CIDR (Centre International de Développement et de Recherche) en 2013, Bruno Gallan, conseiller thématique sur les mutuelles de santé en Afrique de l’Est et centrale au CIDR, regrettait le manque de cohérence : « Il y a de la place pour tout le monde ! Ce qui se passe aujourd’hui est que

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nous sommes dans la politique du roitelet : un bailleur « Je prends une province pour financer par exemple un Financement Basé sur les Résultats » et en ‘chasse’ les autres ; un autre dit « je prends en charge les indigents » ; il y a un troisième qui dit « je vais faire des mutuelles ». Rares sont les pays où ces différents mécanismes de financement sont associés de façon cohérente. Chaque bailleur développe des mécanismes coûteux de gestion et de contrôle de son financement63. »

2.2.3.2. Un cadre logique restrictif

Toutefois, malgré ces difficultés de cohérence et ces différentes philosophies, les divers acteurs de la coopération internationale harmonisent leur méthode de terrain à travers un outil particulier : le cadre logique, élaboré par l’USAID en 1969. Le but est d’établir, avant la mise en place d’un projet sur le terrain, des liens logiques entre des objectifs finaux, des objectifs intermédiaires, des moyens, des conditions de réalisation et des résultats attendus. Ainsi, le plan stratégique de développement de la CMU (2013-2017), mis en place par le Ministère de la Santé et de l’Action sociale, propose un cadre logique afin de planifier l’action, avec une hiérarchie des objectifs, des indicateurs de performances et des hypothèses critiques (ANNEXE 9). Précisons que le DECAM, point central de ce plan, est chapeauté par l’USAID. Le but global, ambitieux, est l’extension de la couverture maladie à 65% en 2017 au sein de la population rurale et du secteur informel. Pour cela, des indicateurs clés sont édictés : taux d’utilisation des services de santé, dépenses directes de santé des ménages, proportion des ménages qui font face à des dépenses catastrophiques de santé, proportion de la population satisfaite de la qualité des services des formations sanitaires, proportion de la population générale/du secteur informel/rural couverte par les mutuelles.

Des hypothèses critiques dans une approche « top-down »

Un second niveau est ensuite fixé, celui des objectifs spécifiques, qui sont au nombre de quatre : mise en place d’un environnement favorable pour stimuler l’extension de la couverture, avec un indicateur d’effet qui est le niveau des subventions de l’État et des collectivités locales pour étendre les paquets ; renforcement des capacités techniques des acteurs de développement pour soutenir l’extension de la couverture maladie, avec pour indicateur d’effet la proportion des mutuelles qui disposent de gestionnaires qui répondent au profil professionnel défini par les autorités compétentes ; extension progressive de la CMU dans le cadre de la décentralisation, avec comme indicateur d’effet le nombre de bénéficiaires par région ; renforcement de l’interface entre les mutuelles et les filets sociaux, avec le nombre d’indigents et de groupes vulnérables pris en

63 Disponible à cette adresse : http://www.healthfinancingafrica.org/home/la-contribution-des-mutuelles-au- financement-de-la-sant-interview-de-bruno-galland

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charge par des tiers (État, ONG, mécènes, etc.) à travers les mutuelles selon la région comme indicateur d’effet. Pour atteindre l’objectif général à partir des objectifs spécifiques, deux hypothèses critiques sont fixées : la qualité de l’offre d’un côté et la gouvernance de l’autre s’améliorent. Deux hypothèses qui sont difficilement vérifiables ou quantifiables. La qualité de l’offre repose certes sur son renforcement, donc sur des indicateurs chiffrés (ressources humaines, nombres de prestataires, équipement, etc.), mais aussi sur la perception des patients comme nous le détaillerons par la suite. Placer la gouvernance dans les hypothèses critiques revient, en cas de difficultés ou d’échec par rapport aux objectifs, à jouer encore sur une « mauvaise gouvernance » face à une « bonne gouvernance ». Enfin, un dernier niveau est fixé, celui des extrants pour chacune des quatre composantes. Les hypothèses critiques, pour passer de ces extrants aux objectifs spécifiques, sont multiples : capacité de payer des ménages, de l’État, des collectivités grâce à une croissance économique soutenue ; soutien durable à plusieurs niveaux de la volonté et du leadership politique ; engagement des collectivités locales ; engagement de la société civile, des organisations socioprofessionnelles et des organisations communautaires de base ; renforcement de la stabilité politique et de la cohésion. Cette diversité d’hypothèses critiques, qui touche à plusieurs acteurs, pourrait être intéressante pour amener une approche systémique. L’amélioration des mutuelles dépend aussi de facteurs externes. Mais les politiques menées, d’un côté pour la croissance, de l’autre pour la santé, de l’autre pour la politique, sont cloisonnées. L’apparition de ces facteurs dans la colonne des hypothèses critiques permet encore une fois de les évacuer, et non de les intégrer dans la direction que prennent les politiques de santé.

Chacun des quatre objectifs spécifiques dispose de son propre cadre logique, dans lesquels les hypothèses critiques sont « à déterminer par les parties prenantes aux niveaux national, régional, départemental et local au niveau de leur plan de travail annuel » (Plan stratégique de développement de la CMU, p 71). Il en est de même pour les indicateurs et les sources de vérification en ce qui concerne les activités qui sont ensuite détaillées une à une pour chaque objectif spécifique. Ce cadre logique n’a pas été mis en place en amont avec la participation de tous les acteurs, y compris ceux du « bas ». Il a été créé dans une logique « top-down » et reste effectivement en « surplomb » de la réalité des échelons locaux. Une fois le programme CMU lancé, il revient aux acteurs locaux d’essayer d’adapter ce cadre logique à leur propre contexte en aval, dans une logique qui est celle de l’urgence pour l’accès à la santé, comme le démontre l’ambition des objectifs généraux. Ce cadre n’est là que pour fixer la base et les indicateurs principaux. Les spécificités économiques, politiques, sociales, culturelles des populations ciblées sont finalement reléguées dans les hypothèses critiques.

168 Des indicateurs objectivés

Les indicateurs utilisés doivent être « objectivement vérifiables », donc quantifiables et présentés comme neutres. Donnons quelques exemples :

(1) Pour l’objectif spécifique 1, on trouve : le niveau des subventions, la proportion de mutuelles immatriculées, la mise en place des textes juridiques pour harmoniser les paquets de services et les modalités de paiement des prestataires.

(2) L’objectif 2 concerne principalement la formation des gestionnaires de mutuelles, la communication, les TIC, la tenue d’ateliers nationaux afin de valider les outils de gestion, le suivi des mutuelles, etc. Les indicateurs fixés tournent ainsi autour de ces thématiques : mise en place d’un manuel de procédures du plan comptable adapté au règlement de l’UEMOA, proportion de mutuelles qui soumettent régulièrement leurs rapports, nombre de formateurs formés sur la mutualité selon la région, nombres de contrats passés avec les radios pour la communication, etc.

(3) L’objectif 3, d’après le cadre logique, va nécessiter la refonte des mutuelles existantes et le renforcement de l’organisation du système au niveau local, avec des indicateurs tels que le taux de pénétration des mutuelles, la proportion de mutuelles à jour de leur cotisations, le nombre de personnes formées sur la gestion administrative et financière selon les régions, le nombres d’union départementales de mutuelles de santé ayant une convention avec un réseau d’institutions de micro-crédit.

(4) Enfin l’objectif 4 est l’amélioration des liens entre les mutuelles et les filets sociaux pour étendre la couverture maladie aux indigents et aux groupes vulnérables. Les indicateurs consistent à dénombrer les membres de comités locaux de ciblage formés sur les mécanismes communs de ciblage par région, les mutuelles ayant passé une convention avec leur collectivité locale pour la prise en charge des indigents selon le département, et les unions régionales de mutuelles ayant passé une convention avec au moins un programme national de filets sociaux.

Autant d’objectifs et d’indicateurs qui sont certes importants, mais qui laissent les contraintes socioéconomiques locales de côté. Pourtant, de l’atteinte de ces objectifs dépend la continuité des subventions aux mutuelles de santé. Un risque existe ainsi par rapport à l’obligation de rendre des comptes et de bons résultats, ce qui est parfois impossible selon les contextes comme nous le verrons par la suite, de voir des organisations « pousser » les chiffres. La communication, la formation, les moyens techniques et financiers, ou encore une meilleure organisation sont certes des éléments qui seront indispensables à une meilleure évolution de la

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mutualité sénégalaise. Mais ceci ne peut être atteint sans une réelle appropriation par les populations ciblées et une adaptation à de nombreuses spécificités.

Ce cadre logique planificateur possède des finalités générales, politiques, éthiques, se rapportant à la « bonne gouvernance ». Le procédé occulte les acteurs dans l’atteindre des objectifs. Dans ce cadre, une part des responsabilités est rejetée sur l’extérieur, sous la forme « d’hypothèses critiques ». Si le projet échoue, la faute n’incombera pas aux acteurs internes à celui-ci, qui sont guidés par le cadre logique, mais à des acteurs extérieurs, des imprévus, des contextes politiques, des problèmes institutionnels. Mettant en avant la communauté, les discours du développement passent sous silence les clivages, les corporatismes, les inégalités sociales, les tensions. Ainsi ce cadre logique, fixé avant l’action, établie des normes, des principes d’actions, qui font fi de la réalité et des déterminants sociaux de la santé. Il constitue une modélisation qui exclue ce qui est considéré comme non rational, non mesurable, sans rechercher de mécanisme d’adaptation ou d’interaction. Le cadre logique surplombe le contexte dans lequel il intervient plutôt que de s’y inscrire, il est de plus peu soumis à révision en cours de projet. Passage forcé par les institutions, le cadre logique rencontre de nombreuses difficultés sur le terrain et son usage se trouve ainsi limité, mais reste considéré comme un atout pour améliorer la cohérence (Giovalucchi, Olivier de Sardan, 2009).

2.2.4. … Entre les divers acteurs dans les prises de décision Des différences entre les discours et les pratiques

Les plans présentés au niveau national (PNDS, Stratégie de d’extension des mutuelles, CMU, etc.), que ce soit pendant la présidence de Abdoulaye Wade ou de Macky Sall, mettent en avant une approche qui se veut participative, multiacteurs concernant le système de santé, mais ces alliances sont beaucoup plus complexes en réalité. Le partenariat avec la communauté est notamment mis en avant par l’État dans la promotion de la santé à travers le PNDS, ce partenariat fonctionnant grâce à « la participation, l’adhésion et responsabilisation dans la mise en œuvre et l’évaluation des activités. L’appropriation des objectifs de santé par les leaders sociaux et la communauté jouera un rôle important dans la prévention et la prise en charge des maladies. L’analyse situationnelle participative, le renforcement de capacités, la médiation et le recours aux ressources physiques et intellectuelles de la communauté en seront les principales composantes. Sur le plan socioculturel, les valeurs et pratiques sociales positives seront renforcées et mises à contribution pour la protection et l’amélioration de la santé. Les pratiques néfastes seront ciblées par des programmes de recherche socio comportementale, d’éducation et de sensibilisation en vue de leur abandon. Il sera tiré un plus grand profit de toutes les opportunités existantes tels que les

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organisations communautaires de base, les associations de relais polyvalents, les ONG, les associations de jeunes, les leaders communautaires, les notables, le milieu scolaire, les média publics, privés ainsi que des radios communautaires» (Ministère de la Santé et de la Prévention, 2009, p35). Pourtant les difficultés de coordination entre les acteurs sont très importantes, tout comme les différences entre les discours et la situation sur le terrain. Jusqu’ici, ces intentions concernant une meilleure régulation de la promotion de la santé ne trouvent pas leur application dans l’évolution de la couverture maladie. Les différences sont grandes entre les discours et les réalités sur le terrain, entre les volontés et la réelle appropriation des concepts et outils au niveau local.

Le manque de coordination est souvent pointé dans les analyses du système, telles que la Stratégie nationale d’extension de la couverture du risque maladie des Sénégalais ou le PNDS 2009-2018, et pas seulement au Sénégal (Waelkens, Criel, 2004). Le but de celui-ci est d’intégrer un grand nombre d’acteurs, afin de mettre en place des partenariats, et, au niveau des mutuelles et de la décentralisation, de rechercher des financements alternatifs. Mais ces divers acteurs peuvent avoir des intérêts et des visions contradictoires, limitant la mise en place d’un système cohérent de politique de santé nationale. Après l’annonce d’une CMU par le nouveau Président en 2012 et avant la création de la CACMU puis de l’ACMU, au sein du Ministère de la Santé, il a été complexe pour les acteurs de se coordonner afin de savoir à qui donner la responsabilité de la CMU : le Ministère de la Santé, ou la Délégation générale à la protection sociale et à la solidarité nationale64, créé sous la Présidence afin d’améliorer la cohérence des actions du gouvernement

concernant la protection sociale.

Une décentralisation difficile

Pierre angulaire de la coordination entre les acteurs et d’une approche plus adaptée au contexte local, la décentralisation a été entamée il y a maintenant plus d’une décennie. Son rôle est important dans la volonté gouvernementale de lier la mutualisation et la décentralisation, afin de donner un cadre technique aux mutuelles et une garantie financière. La décentralisation intervient également dans l’offre de santé, dont l’une des mesures phares est la réforme des hôpitaux. Pour articuler les approches « bottom up » et « top down », la décentralisation peut être un outil intéressant. Mais la mise en place de la décentralisation est également une période longue (Boidin, 2012), pour les raisons abordées dans la partie précédente. Et la confiance des populations est encore à construire, dans un système où les transactions financières sont opaques et où la corruption tient une place importante (Baade-Joret, 2006). Les extraits suivants, tirés de

64 Article de Seneweb, disponible en ligne : http://www.seneweb.com/news/Sante/gestion-de-la-couverture-

maladie-universelle-awa-marie-coll-seck-et-mansour-faye-a-couteaux-tires_n_91072.html (consulté le 13/01/2015).

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rencontres entre le GRAIM et les chefs de village, à Thiès, illustre les problèmes de la décentralisation.

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