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Des différences de visions qui influent sur l’extension de la santé et la coordination des

Chapitre 4 : Les mutuelles dans la transition du système de santé Une pluralité d’acteurs et

3. Des visions différentes de la mutualité

3.4. Des différences de visions qui influent sur l’extension de la santé et la coordination des

3.4.1. Des nuances au sein de mêmes groupes d’acteurs

Le rôle des divers acteurs, intégrés dans des interactions institutionnelles complexes au niveau politique, économique, social, et les effets des idées politiques dominantes sont des facteurs importants afin d’expliquer pourquoi telle politique est mise en place, et pourquoi celle-ci réussit ou non (Marmor, Wendt, 2012 ; Walt et al., 2008 ; Embrett, Randall, 2014). Les mutuelles de santé sont confrontées à des visions différentes, provenant des nombreux partenaires privés comme publics, mais l’État lui-même est impliqué dans plusieurs cadres compliquant la coordination des acteurs. Malgré les partenariats, les méthodes préconisées peuvent varier. Alors que le cadre de l’UEMOA concernant les mutuelles de santé consacre le caractère volontaire de l’adhésion, l’OMS affirmait avec force dans son rapport sur la santé dans le monde de 2010 qu’atteindre la CMU est impossible avec des régimes volontaires. Le Sénégal cherche ainsi à améliorer la pénétration de la population par les mutuelles à travers des incitations, lui-même remettant en cause ce caractère volontaire dans les documents préliminaires de la CMU, mais se devant d’appliquer les décisions de l’UEMOA.

Une étude conjointe de 200874 résumait ainsi la situation : « Il existe cependant des

divergences de vues pour savoir dans quelle mesure les systèmes de santé devraient être financés par les revenus d'imposition et dans quelle mesure différents mécanismes d'assurance pourraient être mis en place. Il y a également des désaccords sur le rôle que le gouvernement devrait jouer et même dans quelle mesure l’objectif d’équité dans l'accès aux soins de santé devrait être poursuivi », puis précisait que « l'OIT préconise fortement une approche de la protection sanitaire sociale basée sur les droits, en accordant une attention plus particulière aux segments de la population qui ne sont pas couvertes actuellement : « Toutes les options de financement devraient être envisagées tant qu’elles contribuent à l'assurance universelle et à l'égalité d'accès » (OIT, 2007). La Société financière

74 Oxfam International, Action for global health, Médecins du monde, Save the children, Plan, Global health advocates, Act up Paris.

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internationale, le bras financier du secteur privé de la Banque mondiale, a préconisé dans sa stratégie 2007 pour le secteur privé que les fonds publics et des donateurs devraient être canalisés par les acteurs privés du secteur de la santé, y compris les systèmes d’assurances privées. Des pays donateurs tels que l'Allemagne, la France et les Pays Bas ont également montré un intérêt croissant pour l'assurance maladie […] Cependant, ni les Pays Bas ni la France n'ont défini une politique claire en matière de financement de la santé. Dans certains cas, on semble considérer que le manque de ressources justifie d’accorder des avantages de manière inéquitable – tels que des taux d'accès plus bas pour les populations pauvres - en se concentrant d'abord sur l’extension de l'assurance à la population qui peut y contribuer, comme les travailleurs du secteur formel et ceux qui sont en bonne santé » (Oxfam, 2008, p6, p28). L’OIT met plus en avant la dimension sociale et le rôle de l’État. La Banque mondiale, de son côté, met en avant la dimension économique et la limitation du rôle de l’État à la protection des plus pauvres, le reste de la population devant gérer ses risques sociaux (Fonteneau, 2007).

L’OMS, bien qu’ayant une vision limitée des mutuelle communautaires, insiste sur l’importance d’approches systémiques et adaptatives par rapport à des contextes, des normes sociales et culturelles, bien particuliers (Dye et al., 2013). En 2009, la Commission des déterminants sociaux de la santé de l’OMS affirmait que « les marchés ne peuvent fournir les biens et services indispensables de façon équitable», plaidant pour une meilleure implication de l’État et des sociétés civiles locales dans les décisions de développement (Commission des Déterminants Sociaux de la santé, 2009, p 12). La santé, comme l’accès à l’eau propre, sont des besoins humains de base, ce qui implique, dans la vision la commission, que les services y attenant soient mis « à la disposition de tous, sans considération de solvabilité », s’éloignant de l’approche par les biens publics en faveur de l’approche par les droits humains pour justifier l’intervention des autres acteurs que le marché (Commission des Déterminants Sociaux de la santé, 2009, p 14). L’ONU présente une définition du développement plus humaine que celle des institutions financières internationales (Favreau, 2003). Ce fut déjà dans les années 1990 des branches des Nations Unies qui furent les fers de lance de la critique du FMI et de la Banque mondiale par rapport aux conséquences des PAS. Dans son rapport de 2012, la CTB regrettait, par rapport à la CAFSP, « un leadership trop modéré, qui traduit la coexistence de différentes visions au niveau national (UEMOA, BIT, MSAS, autres). Cela aboutit sur un manque de débat sur les questions stratégiques majeures (ex : coexistence et conflit potentiels entre modèles mutualistes différents) et le manque de développement de politiques et documents d’orientation nationaux » (AEDES/CTB, 2012, p 10). Autant de visions diverses compliquant la trame de la coordination entre les acteurs par rapport au développement mutualiste.

191 3.4.2. Des rapports de force entre les acteurs

Cette coordination n’est pas seulement complexifiée par les différences de visions mais également des rapports de force, de domination entre les acteurs. L’État comme les mutuelles communautaires à un niveau local sont pour la plupart tributaires d’aides extérieures, qui nécessitent des contreparties fixées par le créditeur. Ce rapport dû à la possession des moyens financiers se couple aux divers consensus75 des organisations internationales, leur représentation

du monde, leur savoir, étant considérés comme les plus légitimes et les plus efficaces (Pesche, 1995). L’évolution des mutuelles de santé et des choix de développement résulte de l’interaction entre divers visions du monde, certaines visions étant à l’arrivée plus importantes que d’autres. A un autre niveau, les organisations locales telles que les mutuelles communautaires subissent des pressions de l’État comme des organisations internationales, ceux-ci appliquant des solutions, des projections similaire dans des milieux culturels bien différents. L’efficacité technique est mise en avant par rapport à la légitimité des actions et des acteurs. La participation est présentée comme la solution à ce manque de légitimité, mais celle-ci est limitée. La « bonne gouvernance », la « bonne participation », se heurtent à des réalités locales bien différentes, aboutissant à de fortes différences entre les discours et les pratiques (Delville, 1992). Entre institutions financières internationales et acteurs locaux, le rapport est très loin d’être équilibré, l’État cherchant au milieu à satisfaire ses faces extérieures (importantes au niveau macroéconomique) et intérieures (revendications des populations).

Les rôles des citoyens, de la participation change ainsi selon la vision mise en avant. Deux manières de voir les mutuelles s’affrontent. L’une combine une approche instrumentale et une approche hiérarchique, mettant en avant le développement économique ; dans ce cadre, les citoyens oscillent entre un statut de consommateur et d’usager, mais la participation reste économique : les mutuelles sont des instruments afin de responsabiliser les populations et les sensibiliser au prépaiement. L’autre met en avant une approche collaborative entre le public, l’ESS et le privé ; ici, les citoyens sont des acteurs d’un développement qui se construit de manière collective, la participation est démocratique avant d’être économique : les mutuelles sont la réalisation d’un collectif avec des représentations diverses, elles produisent des règles, elles sont traversées par des dynamiques conflictuelles, de compromission et reposent sur une convention de réciprocité. Pour la première, l’approche des mutuelles et de l’ESS sont bien circonscrites. Pour la seconde, c’est un contre-mouvement. Cette opposition entre ces deux cadres analytique et toutes les nuances existant dans ce large prisme d’acteurs impliqués dans le développement

75 Ces consensus étant entendus comme « la volonté de celui ou de ceux occupant les principales positions dans un champ de forces donné » (Bako-Arifari, Laurent, 1998).

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mutualiste permettent de se rendre compte de l’importance de représentations différentes du monde et de leur influence sur la dynamique mutualiste au Sénégal. Les critiques émises par les acteurs, au lieu de faire avancer les choses dans un cadre de co-construction du secteur de la santé et du développement, sont en revanche désactivées en raison de rapports de force importants, les acteurs ayant des poids très différents par rapport aux prises de décisions.

Conclusion du chapitre 4

A tous les niveaux diverses représentations des mutuelles existent. Au niveau international, les institutions financières, fortement libérales, cohabitent avec les Nations Unies, insistant sur le développement humain, et des ONG internationales ayant pour certaines un point de vue totalement opposé, redonnant l’épaisseur démocratique propres aux mutuelles. Au niveau national, l’État est traversé à la fois par les besoins locaux et les recommandations internationales. Dans les rapports se retrouvent à la fois l’importance des normes sociales, de la prise en compte de la parole des populations mais aussi l’instrumentalisation, la banalisation des mutuelles dans une optique d’urgence. Au niveau local et des ONG sénégalaises, l’importance de la participation démocratique ressort, les objectifs affichés sont bien différents de ceux des niveaux supérieurs. Hiérarchiquement, malgré les critiques qui se développement partout dans le monde, les institutions financières internationales gardent la main sur le développement ; les objectifs et les intérêts de chaque acteur répondent également de cette hiérarchie, l’objectif économique, d’accès à la santé, prenant largement le pas sur l’objectif démocratique, d’accès à la citoyenneté. Ainsi la dynamique mutualiste est traversée par des idéologies et des concepts qui en découlent très divers, influençant la vision des acteurs sur le terrain.

Si, avant les dernières avancées au Sénégal dans le cadre du DECAM, l’État hésitait entre adopter une posture d’accompagnateur (mise en place de statuts juridiques avec un cadre mutualiste se développant par lui-même) ou de directeur (mise en place d’instruments de tutelle), de par l’intensification de la promotion des mutuelles par la coopération internationale, la seconde approche semble se profiler. Ceci touche directement les mutuelles communautaires, concernées par la nouvelle politique « une collectivité, une mutuelle ». En acceptant de s’intégrer dans le schéma du DECAM, dans le cas où les mutuelles communautaires sont déjà présentes, le niveau de la recherche de financements évolue. Les mutuelles communautaires devaient chercher des financements auprès des collectivités locales, des partenaires internationaux. Désormais le lien est établi avec l’État. Toutefois, dans les deux cas, l’équilibre est complexe pour les mutuelles communautaires entre besoin de financements d’un côté, de par leur situation, et autonomie de l’autre, de par la mise en place d’une situation de domination entre les deux parties. Les chapitres suivants vont nous permettre de nous concentrer sur les mutuelles communautaires en elles-

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mêmes et les représentations des membres, dans le but de comprendre l’influence de l’environnement sur les principes premiers de l’ESS.

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