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– Une ou plusieurs organisations multilatérales onusienne(s) ou internationale(s). Ce sont les agences de normalisation et/ou de standardisation. Elles mobilisent sur le continent africain les «contingentements internationaux imposés par des agences de normalisation et de standardisation des modes de gestion sociale relayées par les jeux d’acteurs africains et non africains».

– Une ou plusieurs agences de coopération bilatérale. Ce sont les agences d’ajustement qui se sont repositionnées suite à la chute du mur de Berlin. Elles acceptent formellement le nouvel ordre mondial et les directives internationales tout en tentant de redéployer des sphères d’influence, parallèlement et dans le respect des agences de normalisation imposées au niveau multilatéral. Dans ce registre, la France, à travers la défunte « coopération française », est parmi les derniers grands pays industrialisés à s’être réadaptée à la multilatéralisation de l’action publique en Afrique. À l’inverse, les États-Unis, via l’Agence américaine de développement international (United States Agency for International Development, USAID), se sont soumis aux desiderata des agences multilatérales malgré leurs velléités

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hégémoniques en la matière. Ces « agences d’ajustement » soutiennent, conseillent, (ré)orientent les acteurs sociaux et politiques des pays concernés dans la mise en oeuvre des directives internationales. – Une plate-forme de coordination des acteurs nationaux et internationaux présents sur le territoire des États africains concernés. Ce sont les agences de concertation qui agissent sur les procédures administratives et techniques dont la mission est d’organiser la mise en oeuvre bureaucratique de l’action publique en question. Selon les secteurs, ces agences se réunissent suivant un agenda défini par les pays africains eux-mêmes.

– Une structure étatique chargée officiellement de la mise en oeuvre de l’action publique dans le secteur concerné. Ce sont les agences de régulation nationale. Elles sont constituées d’acteurs nationaux, nommés par décret présidentiel ou par arrêté ministériel, dans la logique des jeux politiques nationaux et internationaux. Suivant les pays, cette structure peut être rattachée au ministère de tutelle (santé, éducation, environnement par exemple), à la primature ou à la présidence de la république. Elles portent le nom de « programme national », de « comité national » ou encore de « conseil national » et elles s’inspirent en cela, dans certains cas (santé), de la structure établie pour les programmes/conseils/comités nationaux de lutte contre le sida.

– Un partenariat dit « public-privé » entre les structures étatiques et internationales d’une part et les entreprises ou fondations impliquées dans la promotion, la gestion et la pérennité du secteur en question.

– Des associations nationales africaines − ou régionales dans certains cas − représentant les personnes et les groupes directement concernés par l’action publique dans un secteur précis. Ce sont des agences d’exécution issues de structures initialement créées par des acteurs internationaux ou nationaux pour faire « société civile ». Certaines d’entre elles ont évolué et constituent des forces de contre- proposition. Il peut s’agir d’associations de malades, de défense des droits des populations riveraines (environnement), de parents d’élèves ou d’étudiants (éducation). Elles constituent les parties prenantes nationales et s’inscrivent dans des réseaux transnationaux d’action/mobilisation collective en maintenant des liens avec des organisations non gouvernementales (ONG) internationales.

– Un bailleur de fonds multilatéral et des bailleurs de fonds privés notamment des fondations internationales occidentales (États-Unis) ou des groupements d’intérêt public (GIP, France) tels que Estherfondé en 2001. Ils accompagnent et soutiennent le travail des agences d’ajustement et/ou celui des agences d’exécution. Ce sont les médiateurs de surcroît.

– Des réseaux d’experts internationaux publics ou privés (universitaires, consultants, etc.). C’est dans ce cadre que l’on retrouve les « communautés épistémiques » dont il convient de rappeler ici la célèbre définition de Peter M. Haas : « Ce sont des réseaux de professionnels ayant une expertise et une compétence reconnues dans un domaine particulier qui peuvent faire valoir un savoir pertinent sur les politiques publiques. » Autrement dit : « La notion de communauté épistémique désigne les canaux par lesquels de nouvelles idées circulent des sociétés vers les gouvernements et d’un pays à l’autre. »

Source : Eboko, 2015, pp 8-9.

Cette matrice, comme l’a montré Fred Eboko, est pertinente pour étudier divers secteurs, tel que celui de la santé. Si l’auteur l’utilise pour analyser l’action publique transnationale en ce qui concerne le Sida, le paludisme et la tuberculose, nous l’utilisons ici afin de mieux classifier les nombreux acteurs impliqués dans le développement des mutuelles de santé, de comprendre comment ils s’organisent, de déceler l’importance de chacun.

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Tableau 11 : Action publique pour les mutuelles de santé Agences de standardisation/normalisation

Organisations internationales

Banque Mondiale, OMS, UNICEF

Agences d’ajustement

Principales agences de coopération bilatérale

USAID (États-Unis), CTB (Belgique), ACDI (Canada), GIZ (Allemagne), AFD (France), JICA (Japon)

Grandes fondations Mutualité française

Agences de régulation Structures étatiques « Points focaux »

Les divers ministères impliqués, ACMU, CNC

Agences d’exécution, de proposition ou de contre-proposition

ONG internationales

USC, Frère des hommes, Solidarité mondiale, PROMUSAF, Abt associates, FHI360, coopération décentralisée, RADI

Associations nationales/locales APROFES, AcDev, Intermondes, GRAIM, PACTE Agences de concertation

Plate-forme pluri-acteurs et multiniveaux

Programme PASS, CONGAD, CCMS de l’UEMOA

Médiateurs de surcroît Principaux groupes d’intérêt Acteurs privés

GIP SPSI

Offre de santé privée

Principales communautés épistémiques (réseaux transnationaux)

IRD, CIDR, ADECRI, Développement international Desjardins, Cabinet Hygea

Source : fait par l’auteur.

Ce panorama n’est pas exhaustif, notamment au niveau des partenariats locaux, qui sont très nombreux sur le territoire. Il montre toutefois bien la diversité des partenaires des mutuelles de santé, dans leur origine, leurs missions, leur importance.

La matrice des acteurs partenaires des mutuelles de santé sénégalaise est ainsi détaillée dans le tableau précédent. Elle montre l’importance des acteurs internationaux dans la plupart des catégories. L’échelle est ainsi fortement étirée entre les mutuelles communautaires de santé, se basant sur la proximité, et les organisations internationales, qui s’inscrivent en dehors de ce contexte local. Souvent, le partenaire national/local de la mutuelle (dont le mandat est ciblé sur la santé ou sur des groupes spécifiques) fait l’intermédiaire avec des partenaires internationaux (dont le mandat est plus large que la santé), qui sont prédominants. Par exemple, des mutuelles communautaires de Guédiawaye se sont rassemblées en un réseau, le REMUSAC, appuyé par Intermondes, elle-même appuyée par IAMANEH Suisse et d’autres partenaires internationaux. Le PROMUSAF, de son côté, est l’organe d’exécution au Sénégal de Solidarité

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Mondiale et de l’Alliance nationale (belge) des mutualités chrétiennes. Ces intermédiaires permettent de rechercher notamment des fonds. Certaines mutuelles possèdent comme partenaires (surtout techniques) des entreprises (comme dans le transport), mais ce schéma est plus rare. Les programmes multilatéraux, nationaux et régionaux, pouvant toucher les mutuelles de santé, en passant par les intermédiaires, sont souvent financés par les mêmes organisations : Commission Européenne, Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement, l’USAID, etc. Les appuis aux mutuelles peuvent se faire de plusieurs manières : soit la communauté a un projet ou une structure déjà mise en place et recherche une aide financière ou technique ; soit c’est l’organisation internationale qui prend l’initiative d’un projet (l’État est désormais, dans le cadre du DECAM, dans cette situation, en appuyant la mise en place de mutuelles dans chaque collectivité locale). Les missions sur le terrain sont très variées. Les appuis financiers peuvent être directs ou en nature (informatisation, local, etc.). Les appuis techniques sont également très ciblés : communication, aide juridique, conseil, suivi, évaluation, échanges d’expertises, etc. (Source : nos observations).

2.1.3. Une hiérarchie forte entre les acteurs

Les structures externes ont un rôle important d’appui technique aux mutuelles, ce qui peut restreindre l’indépendance de ces dernières. Ces structures externes sont constituées des agences de coopération bi ou multilatérales, avec des mandats bien plus larges que les seuls appuis au développement des mutuelles (l’USAID dans la région de Thiès et celle de Louga ou la Coopération Française ayant des actions transversales avec le Ministère de la Santé par exemple). Ces structures comptent aussi les ONG nationales et internationales, ayant pour action prioritaire la santé (PROMUSAF, World Vision ou PACTE par exemple). L’appui est bien plus important au niveau technique que financier. Ainsi ces structures mettent en place des études de faisabilité, en invoquant l’absence de telles compétences au sein des mutuelles, et la diminution des coûts de telles études en en produisant pour une région entière à la fois notamment. Au niveau du suivi, l’informatisation est promue, et le PHRplus comme le BIT/STEP ont démarrés un programme d’appui dans ce domaine. Les réseaux nationaux ou locaux (Groupements d’Intérêt Economique –GIE-, associations, etc.) s’occupent d’actions ciblées, occasionnelles ; ces réseaux sont importants pour relayer les actions de terrains. Pour toutes ces structures, la plupart des locaux se situent à Dakar, pour des interventions principalement menées dans les régions de Dakar et de Thiès (CAS/PNDS, 2004). De plus en plus, les structures externes d’appui étendent les domaines d’étude pour couvrir des thèmes plus globaux que la seule couverture des mutuelles, tels que la santé de la reproduction, le problème du genre, l’environnement économique et social (notamment les coordinations de mutuelles et des prestataires), la mise en place de fonds de garantis et/ou de réassurance et l’amélioration de la capacité contributive des membres par la

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mise en place de crédits rotatifs. Ceci est en soi une avancée dans la mesure où plusieurs déterminants de la santé peuvent être considérés conjointement. Toutefois il est nécessaire pour cela de se coordonner entre acteurs, et même au sein d’un acteur. Même si les mandats d’une agence de coopération ou d’une ONG peuvent être larges, la coordination des divers programmes peut poser problème. La multitude d’actions menées le sont souvent de manière cloisonnée, sans réels liens entre elles. Ainsi, dans une approche « top-down » des nombreux acteurs internationaux, la diversité des aides pour les mutuelles ainsi que la pluralité des actions menées amène à une plus grande confusion plutôt qu’à une action globale et concertée. Comme nous le détaillerons par la suite, l’échelon local peut jouer un rôle important de coordination. Des réseaux tels que le GRAIM, Intermondes, essaient de jouer sur divers déterminants (santé, gouvernance, éducation, etc.) dans un cadre de proximité, ce qui pourrait permettre une meilleure coordination des actions à partir d’une approche « bottom-up », dans un cadre cohérent et qui s’adapte aux populations ciblées de manière plus aisée.

Nous observons que la hiérarchie entre les acteurs dans les prises de décisions en ce qui concerne la santé, les poids politiques, correspondent aux échelons international/national/local :

 Les structures internationales, et surtout les institutions financières, sont prédominantes à plusieurs niveaux. Les recommandations, les conditions en échange de prêts, d’aide au développement, influent les politiques nationales. De par l’engouement international envers les mutuelles de santé en Afrique et leurs difficultés, la coopération internationale s’est, comme nous l’avons vu précédemment, imposée comme un partenaire incontournable, bien que leurs actions soient loin de couvrir l’ensemble du territoire. Les « bonnes pratiques » se diffusent ainsi aussi bien à l’échelon national que local par la multiplication des formations.

 Les pouvoirs publics sont les acteurs intermédiaires : dominés de par leur position au sein de l’économie mondiale, ils appliquent les stratégies résultant des recommandations internationales, en cherchant à les adapter selon le contexte du pays.

 C’est enfin le niveau local qui a la responsabilité de s’approprier ces politiques afin de les mettre en place selon des contextes socioéconomiques et culturels bien particuliers selon les territoires, avec l’appui de réseaux locaux ou nationaux se spécialisant peu à peu dans la mutualité. Les mutuelles agréées bénéficient de ce schéma, les échelons nationaux et internationaux possédant à la fois un statut d’accompagnateur et de décideurs par rapport au local. Les appuis financiers proviennent surtout de l’international, et désormais du

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national. L’État incite fortement à l’agrément des mutuelles à l’heure actuelle. Sans cela, il est impossible de recevoir les subventions dans le cadre du DECAM, les mutuelles risquent ainsi de se retrouver en concurrence avec des structures agréées.

 Dans ce schéma, la population, dernier échelon, est considéré surtout par ses capacités de prépaiement et sa responsabilisation. L’important n’est pas l’enjeu démocratique mais l’accès à la santé, occultant la population en tant qu’acteur au sein des prises de décisions (cf. Chapitre 1, section 1). De patients et citoyens (participation démocratique), les individus sont peu à peu devenus dans les termes utilisés par divers acteurs des consommateurs de soins (participation économique), des gestionnaires d’un capital santé (Batifoulier et al., 2006).

2.2. Des difficultés de coordination …

Le système sénégalais est très clivé et parcellisé. Les approches « bottom up » et « top down » ne sont pas complémentaires. Le plan Sésame par exemple est totalement indépendant des structures dans lesquelles il doit pourtant être appliqué. Les politiques de gratuité ou la couverture maladie pour certaines professions sont des initiatives de l’État, possédant un cadre institutionnel, et s’oppose à un système venant « du bas », du niveau communautaire. Celui-ci, bien que promu par l’État, ne donne pourtant pas encore les clés d’un développement important de ce secteur. Ces deux niveaux de l’action dans le secteur de la santé sont pourtant complémentaires, et appartiennent à un système cohérent et coordonné. Le système semble pour l’instant encore largement clivé entre les deux anciens régimes du secteur formel, les politiques décidés au niveau central, et les mutuelles laissées à la société civile. Si les objectifs de la transition au Sénégal sont fixés, il manque en revanche une approche systémique (Alenda, Boidin, 2012)61. C’est le cas en

matière de protection sociale en général, le pays manque d’une vision d’ensemble (Baumann, 2010). Les analyses suivantes se basent fortement sur les observations que nous avons effectuées sur le terrain de 2013 à 2015.

2.2.1. … Entre les divers échelons de la pyramide sanitaire

La coordination entre les diverses échelles du système de santé pose de nombreux problèmes, illustrés par le cas des politiques de gratuité. Les politiques de gratuité en général rencontrent des problèmes d’applications au sein des structures devant prendre en charge les populations ciblées. Ainsi certains prestataires refusent de prendre en charge les bénéficiaires de

61 Nous développons ici des éléments d’analyses, des problèmes que nous avions déjà soulignés dans un article précédent.

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ces fonds, du fait des retards courants dans les remboursements (Sambo, 2009). La communication est faible, et les indigents ne sont parfois pas au courant des politiques de gratuité les concernant. De plus, pour les actes gratuits, les structures de santé sont gérées séparément, accentuant le risque de fraude dans la gestion des médicaments. La subvention à 100% de ces fonds par l’État peut également poser problème, avec pour conséquences des difficultés dans le financement. L’évaluation des besoins logistiques se fait au niveau central, sans prendre en compte les besoins réels de chacune des structures de la hiérarchie. Ainsi la couverture s’étend sans prendre en compte les dysfonctionnements ou les faiblesses de l’offre et peut à terme déstabiliser le système. Sans offre de santé suffisante, il est difficile d’améliorer la couverture maladie, ceci étant un problème de plus en plus reconnu dans la littérature (Meessen, Van Damme, 2005).

2.2.2. … Entre les mutuelles

De plus en plus les mutuelles communautaires de santé s’intègrent dans des réseaux, des unions. Certains réseaux, tels le GRAIM à Thiès, se sont constitués sur l’initiative des mutualistes de la région directement. Mais à l’heure actuelle, dans le schéma du DECAM, les unions se créent dans un processus plus « top down » que « bottom up », ce qui complique la coordination des mutuelles d’une même zone, rendant l’aspect de leur regroupement mécanique, fonctionnel.

Les diverses formes de mutuelles elles-mêmes peinent à se coordonner. Peu de liens existent entre les mutuelles communautaires, nombreuses, de petite taille, et des mutuelles au premier franc mais de plus grande envergure, telle que TransVie pour les routiers ou la PAMECAS, couplant microcrédit et couverture santé. Une fédération nationale des mutuelles s’est créée et a commencé ses activités en ce début d’année 2015, afin de renforcer la mutualité communautaire et de faire le lien avec les partenaires, mais les tentatives ont été nombreuses et le processus lent. Déjà en 2004, les acteurs demandaient la mise en place d’une telle structure62. Il était stipulé

également dans le Plan stratégique de développement des mutuelles de santé au Sénégal en 2004 l’appui dans la mise en place d’une fédération. Cette fédération comprend l’Union nationale des mutuelles communautaires et les mutuelles de corporations (Douane, Transvie, etc.) mais des problèmes de représentation se sont posée entre les différentes formes de mutuelles et cette fédération ne prend pas en compte l’ensemble des expériences existant sur le territoire. Lors de plusieurs entretiens, cette problématique a été soulevée, lorsque nous amenions la discussion sur

62 Document du colloque sur la couverture du risque maladie en Afrique francophone, Paris, 26-30 avril 2004, WBI-IMA (http://www.ces-asso.org/Pages/ESPADColloqueWBI-IMA-CES.htm).

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les liens entre les diverses formes de mutuelles de santé, comme le monde l’extrait de l’encadré suivant.

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