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Chapitre 2 : Les mutuelles de santé, actrices de l'ESS et potentielles sources de promotion

1. Une histoire de l’ESS et des mutuelles de santé en Afrique

1.2. Des mutuelles de santé créées pour les exclus des couvertures institutionnalisées au

1.2.1. Un échec de l’État comme du marché

Au Sénégal, le développement d’initiatives provenant de la communauté résulte des politiques menées à la fois à l’initiative de l’État lors de la décolonisation et à l’initiative des institutions financières internationales à partir des années 1980. Le « socialisme à l’africaine » des années 1960-1970 met en avant le développement économique, agricole et industriel, au Sénégal

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comme dans le reste de l’Afrique subsaharienne, la santé étant secondaire dans la réalité, découlant du reste. La gratuité a bien court comme dans d’autres pays, mais les investissements se concentrent principalement sur des programmes verticaux et le développement d’une offre de santé de haut niveau en milieu urbain, donc très limitée par rapport aux besoins35 de l’ensemble

de la population. Bien que les dépenses publiques soient présentes, seuls 15% de la population avaient accès à des structures de soins du fait de leur répartition géographique et des soins proposés dans les années 1970 (Mané, 2013). Démarré tôt au Sénégal, l’ajustement structurel a ensuite contribué à réduire les dépenses de santé. Ainsi, depuis l’indépendance, que ce soit l’État ou le marché, ces deux formes de régulation de la santé ont échoué à fournir un accès aux soins à l’ensemble de la population.

La solidarité interpersonnelle a beaucoup compté, ceci étant encore le cas, pour compenser l’absence de protection en termes de maladies mais aussi de protection sociale en général. Les liens familiaux, le soutien de la communauté, ou l’aide des responsables de l’économie populaire envers leurs employés, permettent de contribuer à la santé. En général, les aides informelles sont importantes au Sénégal, notamment par les transferts financiers. Dans les années 1990, les transferts informels en Afrique orientale comptaient pour environ 32% du PIB de la région, d‘après le BIT (Annycke, 2008). Malgré l’importance de ces liens, ceux-ci ne peuvent permettre l’entière prise en charge de la santé de chacun au sein de l’économie populaire. La société civile a ainsi tenté de se regrouper afin de peser dans les décisions concernant la santé.

1.2.2. Des comités aux mutuelles de santé

Une expérience ancienne, qui perdure encore aujourd’hui, fut la création des comités de santé au cours des années 1980, par l’impulsion de divers acteurs au sein des quartiers (mère de familles, groupes religieux, associations, médecins). Ces comités ont ensuite été institutionnalisés et donc mis sous tutelle de l’État. Le premier comité de santé fut créé à Pikine dans les années 1970, sur le constat du manque de moyens quant à la santé et du manque de prise en compte des besoins des patients dans le contexte de l’époque (Fassin, Fassin, 1989). Les comités de santé, première expérience communautaire intégrée dans les prises de décisions au niveau local, sont des organisations de type association, appartenant aux structures de santé de la pyramide sanitaire publique sénégalaise (maternités, postes de santé, centres de santé, hôpitaux). La communauté gère ainsi les structures de soins, les ressources (médicaments, ressources humaines) de manière locale dans le cadre de la décentralisation, réellement amorcée au début

35 Rappelons, comme nous l’avions dit en introduction, que les besoins sont des construits sociaux. Les besoin de santé dépendent du contexte social, politique, économique, historique.

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des années 1990 au Sénégal. Ceci a permis une amélioration de l’accès aux médicaments, dans le choix comme dans le prix, dans les petites structures de soins rurales éparpillées sur le territoire. Les comités de santé comportent une Assemblée générale36, composée des représentants des

diverses communautés selon l’échelle sanitaire (siégeant et gérant de manière bénévole) : représentants des chefs de villages, des groupements de femmes ou des associations de jeunes pour les postes de santé ruraux, représentants des comités de districts pour les hôpitaux. Les comités ont un rôle primordial concernant la prévention et la santé publique, mais connaissent des nombreuses difficultés. Les travaux préparatoires à la mise en place de la CMU37 pointent le

besoin d’une réforme de ce système connaissant des problèmes de fonctionnalité, de représentation (Diagne, 2011). Il marque toutefois une étape importante dans la prise de parole de la population dans le domaine de la santé, faisant le lien entre les structures et les besoins de populations à proximité. Un autre système, mis en place au niveau des prestataires de soins, est celui des polycliniques communautaires, comme l’expérimente l’ONG Acdev depuis 199738, en

partenariat avec le Ministère de la Santé et s’appuyant sur la coopération internationale (les ONG, les pays donateurs) et nationale. Le besoin doit être exprimé par les populations ou les collectivités locales. Le but de ces polycliniques est une meilleure mise en relation entre la demande et l’offre de santé. Le centre, basé dans une zone peu ou mal couverte, est géré de manière communautaire par une ONG ou directement par une association d’usagers, doit s’autofinancer, et est destiné à fournir une plus grande gamme de soins aux populations vulnérables.

Face à des besoins importants et une population ne pouvant accéder aux soins, la mutualité sénégalaise se développe à la fin des années 1980, représentée d’abord par les associations socioprofessionnelles, socioculturelles, confessionnelles ainsi que les groupements féminins. Ces expériences s’étant développées jusqu’à aujourd’hui, les mutuelles sont devenues l’un des piliers de l’extension de la couverture maladie. L’ampleur des services demandés à la population, aux associations, aux mutuelles dans la prise en charge de la protection sociale à l’heure actuelle a bien évolué depuis les premières politiques de développement. L’évolution des mutuelles se résume en trois phases. La première, à partir de 1989, est

36 Textes sur l’organisation et le fonctionnement des comités de santé, Édition 1992. URL :

http://rds.refer.sn/IMG/pdf/3a92-01-15comitesanteorgani.pdf (consulté le 13/01/2015).

37 Précisons bien que la CMU dans les pays en développement diffère de la CMU française. Cette dernière est une prestation sociale accordée aux résidants français qui ne sont pas déjà couvert par un autre régime obligatoire et qui ont un revenu inférieur à un plafond déterminé. Dans les pays en développement (cf. Chapitre 1 et glossaire), la définition de la CMU est bien plus large. Elle recoupe toutes les réformes initiées pour étendre ou créer des couvertures maladies et incarne les objectifs du système de santé. La CMU représente ainsi le schéma d’ensemble du système de santé dans le cas des pays en développement.

38 Acdev est une association sénégalaise basée à Dakar, créée en 1991, regroupant des professions diverses, dédiée à la santé et au développement des femmes et des enfants.

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expérimentale (principalement dans la région de Thiès). La première mutuelle de santé communautaire du Sénégal fut créée en 1989 dans le village de Fandène appuyée par l’Hôpital Saint Jean de Dieu. Cette phase est suivie entre 1994 et 1998 d’une période de diffusion de ce système. Dans cette seconde période se développent dans les autres régions des mouvements associatifs divers et des groupements de microfinance. Les mutuelles d’enseignants de la région de Dakar par exemple montrèrent la voie dans cette région. Le programme ACOPAM/BIT39 joua

un rôle important dans la communication à propos des mutuelles et le CESAG (Centre Africain d’Études Supérieures en Gestion) commença à mettre en place des analyses du fonctionnement et de la portée des mutuelles. Enfin, la dernière phase dure depuis 1998, date de la plate-forme d’Abidjan, et est dite d’engagement des acteurs nationaux (la mise en place de la CAMICS40 par

l’État notamment) comme internationaux (programmes STEP/BIT, PHR, PROMUSAF, GTZ, etc.41).

Les acteurs internationaux ont surtout un rôle d’appui technique et de sensibilisation à la mutualité (CAS/PNDS, 2004).

1.3. La mutualité à l’heure actuelle : entre dynamisme et instrumentalisation

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