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Chapitre 1 : La couverture maladie en Afrique de l’Ouest et centrale Une analyse historique

1. Une histoire de la couverture maladie en Afrique de l’Ouest et centrale

1.2. Les conséquences néfastes du paiement direct

La fin des années 1980 est marquée par un changement brutal dans la façon de prendre en charge les soins, qui passe de la gratuité au paiement direct, dans un contexte de crise économique. Les pays africains endettés recherchent l’aide la coopération internationale. En contrepartie, les États se retirent de la santé, et se voient imposer des programmes influencés par la doctrine néolibérale (Plassart, 2011). Le FMI et la Banque mondiale prennent le pas sur l’OMS en termes d’influence sur l’organisation de la santé. Les PAS visent les dépenses jugées excessives, la santé en faisant partie (Berkhout, Oostingh, 2008). Si, jusque-là, les institutions financières internationales n’avaient pas le monopole des initiatives, à partir des années 1980, l’ONU traverse une crise, son rôle se détourne de l’aide économique vers l’aide humanitaire. Les trois institutions, FMI, Banque mondiale et OMC, deviennent peu à peu les piliers de l’économie mondiale et des stratégies de développement (Favreau, 2003). La logique change, le but n’est plus le développement mais la croissance économique.

Cette époque est marquée par une dégradation des infrastructures, par une pénurie de médicaments, une détérioration des conditions de travail et une fuite du personnel qualifié, le secteur de la santé se retrouvant sous-financé. Les seules personnes qui continuent à bénéficier d’une protection sociale, limitée aux accidents du travail, sont les travailleurs du secteur formel et les fonctionnaires, à partir des systèmes subsistants depuis l’époque coloniale. Les systèmes de santé sont rationalisés, et doivent se baser sur le calcul coût-efficacité afin de décider des dépenses de santé (Jamison, 1993). En effet la protection sociale est vue comme trop coûteuse dans les économies africaines, celle-ci étant considérée comme une entreprise luttant contre les dépenses pour améliorer son profit (Baumann, 2010). Ces politiques se basaient sur deux hypothèses : la capacité des ménages à payer pour leur santé et le fait que la faiblesse de l’élasticité prix de la demande de soins n’aurait aucun impact négatif sur l’utilisation des services de santé par la population (Tizio, 2005). Les années 1980 marquent également le retour des programmes verticaux, qui existent encore aujourd’hui et qui consistent à rechercher un maximum d’efficacité dans un but précis (programmes de vaccinations, de lutte contre le sida, etc.). Ces programmes sont élaborés par la coopération internationale et s’imposent aux pays africains (Eboko, 2015). Mais ceux-ci ne peuvent suffire dans la mesure où la santé nécessite une approche inscrite dans la durée, et semblent plus répondre aux situations d’urgence.

En 1987, les ministres de la Santé africains adoptent l’Initiative de Bamako, introduite par l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’Enfance). Celle-ci va amener les systèmes de santé à

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tendre vers de nouvelles bases : le recouvrement des coûts15 et la décentralisation de la santé pour le fonctionnement du système, et la gratuité concernant la mère et l’enfant16 pour cibler les

priorités, par des programmes de vaccination ou la planification familiale5. Ainsi la protection

sociale n’est toujours pas à l’ordre du jour, et il est établi que le financement de la santé doit passer par le recouvrement des coûts, et donc la fin de la gratuité. Le financement privatisé et la mise en place d’un contrôle plus communautaire vont tout de même laisser de la place à l’État par la part du budget alloué à la santé et une plus grande implication dans les décisions de santé. L’approche par district suit les propositions de l’OMS d’adopter une organisation pyramidale des infrastructures de santé (district, niveau de premier contact, et communauté) (Bigot, 2011). La domination de la Banque mondiale par rapport à l’OMS s’est peu à peu installée depuis l’initiative de Bamako, la Banque ayant pris l’ascendant sur l’OMS pour les financements, l’influence, les initiatives politiques dans les pays du Sud. De plus, depuis les PAS, les institutions financières internationales sont devenues les créanciers principaux des pays africains fortement endettés, ce qui contribue à ce lien de domination dans le développement. Aujourd’hui encore, malgré un rôle renouvelé des Nations Unies, ce sont encore les mêmes institutions financières qui dictent les principales stratégies de développement17.

Si la décentralisation de la santé a un rôle important à jouer afin de se rapprocher des besoins de la population et espérer arriver à un système prenant en compte les populations rurales18, le recouvrement des coûts a considérablement affaibli la population. Plusieurs études

montrent que ces frais à la charge des ménages ont amené une diminution de l’utilisation des services (Ridde, 2012). Un rationnement structurel de la santé se met alors en place concernant l’accès aux soins d’une grande partie de la population ne pouvant en assumer les coûts. Des subventions étaient prévues pour les couches les plus démunies, mais ne furent pas effectives, accentuant les inégalités entre les personnes pouvant payer ou non pour se soigner.

15 Celui concernait notamment les médicaments essentiels dans le cadre de l’Initiative de Bamako. Les bailleurs de fond offrent un stock de médicaments essentiels à un dispensaire, et celui-ci est revendu aux usagers, qui versent directement la marge bénéficiaire et les frais de consultations afin de racheter le stock.

16 Les mesures concernant la protection maternelle et infantile ayant déjà été adoptées à Alma-Ata en 1978. Le concept de la « Santé pour tous » consistait alors à mettre en place des prestations primaires universellement accessibles suivant les préconisations de l’OMS sur l’organisation pyramidale de la santé, avec la gratuité pour les soins de base et les programmes concernant la mère et l’enfant, préconisant pour la première fois une participation communautaire.

17 L’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés), qui existe toujours à l’heure actuelle, est une illustration du fait que les politiques promues par les institutions financières internationales depuis les annnées 1980 sont toujours similaires et aboutissent à des stratégies de développement qui se pérennisent. Cette initiative est lancée en 1996 et est destinée à alléger les créances sur les pays les plus pauvres en contrepartie de la continuité de l’ajustement structurel. Le niveau de l’allègement dépend de scénarios de croissances macroéconomiques supposant un résultat positif de cet ajustement.

18 Un consensus s’est formé au sein de la coopération internationale en faveur de la décentralisation, pouvant permettre de mieux cibler les populations, et de prendre en compte les spécificités institutionnelles locales.

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L’organisation de la santé doit alors devenir plus rationnelle, responsabilisant les usagers de ces services, les incitant à protéger leur « capital santé19 ». Faire payer le patient, dans l’économie standard, est une technique incitative destinée à mieux maîtriser les dépenses et éviter la surconsommation. Et si à ce jour, la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale ont entamé la décentralisation, celle-ci est loin d’être achevée, nécessitant des transferts de ressources mais aussi de compétences (Baade-Joret, 2006).

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