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Un système d’équilibre des alliances matrimoniales

Section II : Une restauration sous surveillance

B) Un territoire plus restreint et une enclave indéfendable

II. Un système d’équilibre des alliances matrimoniales

Par sa mère Éléonore d’Autriche, Léopold se trouve être le neveu de l’empereur Léopold Ier. Cette alliance illustre le lien charnel entre la Maison de Lorraine et celle des Habsbourg : comme duc de Lorraine, Charles V est un exilé, alors que comme serviteur de l’empereur, il est nommé généralissime des armées impériales, il épouse la sœur de l’empereur245 et devient le gouverneur du Tyrol.

Pour compenser ces liens de sang et d’affection profonde, le roi de France souhaite réaliser un mariage entre le duc de Lorraine et l’une de ses nièces, Elisabeth-Charlotte d’Orléans, dite Mademoiselle de Chartres246, alors à son tour, Louis XIV deviendra l’oncle de Léopold de Lorraine.

Dans ses mémoires, le duc de Saint-Simon relate le mariage d’Elisabeth-Charlotte d’Orléans et de Léopold. Le portrait qu’il fait des deux époux est comme à son habitude piquant. Léopold y est décrit comme un prince sans envergure et Elisabeth-Charlotte comme se réjouissant d’un mariage médiocre :

« Par la paix de Ryswick, M. de Lorraine fut rétabli avec les mêmes conditions247 que son père n’avoit pas voulu admettre, et qui l’empêchèrent toute sa vie d’y rentrer, et en même temps son mariage fut arrêté avec Mademoiselle ; sur quoi quelqu’un dit assez plaisamment de la feue reine d’Espagne, de Mme de Savoie et de celle-ci, que, de ses trois filles, Monsieur en avoit marié une à la cour, une autre à la ville, et la dernière à la campagne248. »

Sur un ton railleur, le mémorialiste explique le choix du duc Léopold par la proximité entre Monsieur et son favori le chevalier de Lorraine, la princesse Palatine complétant le tableau en y ajoutant un caractère plus masculin : « Quoi qu’il en soit, Mademoiselle, accoutumée aux Lorrains par Monsieur et même par Madame, car il faut du singulier partout, fut fort aise de ce mariage, et très-peu sensible à sa disproportion de ses sœurs du premier lit. » Des trois filles du duc d’Orléans, l’aînée Marie-Louise a épousé le roi d’Espagne Charles II, la deuxième Anne-Marie d’Orléans s’est quant à elle unie avec Victor-Amédée II de Savoie, Elisabeth-Charlotte étant la troisième. Il rappelle aussi l’échec d’un projet de mariage entre Mademoiselle de Chartres et le fils aîné de l’empereur.

Plus intéressant encore, Saint-Simon justifie son jugement par une analyse de la situation 245 Certes en deuxième noce, Éléonore fut auparavant mariée au roi de Pologne Michał Wiśniowiecki. Jalabert L., Charles V de

Lorraine ou la quête de l’Etat, Pairages, Metz, 2017. p. 354.

246 Haussonville, Jean (comte d’.). Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, Paris, M. Lévy Frères, 1860, T.4. p. 48-49 247 Ce n’est pas vraiment exact, le précédent projet refusé par Charles V contenait l’échange de Nancy contre Toul. Les conditions

proposées à Léopold sont objectivement meilleures. Voir Jalabert L., Charles V de Lorraine ou la quête de l’Etat, Pairages, Metz, 2017. p. 334.

géopolitique des faiblesses de la Lorraine et il compare la situation des duchés avec celle de la Savoie.

Selon lui : « Ce n’est pas que, mettant l’Espagne à part, je prétende que M. de Savoie soit de meilleure maison que M. de Lorraine ; mais un État à part, indépendant, sans sujétion, séparé par les Alpes, et toujours en état d’être puissamment soutenu par des voisins contigus, avec le traitement par toute l’Europe de tête couronnée, est bien différent d’un pays isolé, enclavé, et toutes les fois que la France le veut envahi sans autre peine que d’y porter des troupes, un pays ouvert, sans places, sans liberté d’en avoir, sujet à tous les passages des troupes françaises, un pays croisé par des grands chemins marqués, dont la souveraineté est cédée, un pays enfin qui ne peut subsister que sous le bon plaisir de la France, et même des officiers de guerre ou de plume qu’elle commet dans ses provinces qui l’environnent249. »

Pour le duc de Saint-Simon, ces considérations politiques échappent à Elisabeth-Charlotte d’Orléans :

« Mademoiselle n’alla point jusque-là : elle fut ravie de se voir délivrée de la dure férule de Madame, mariée à un prince dont toute sa vie elle avoit ouï vanter la maison, et établie à soixante-dix lieues de Paris, au milieu de la domination française250. »

L’avenir lui donnera tort, la duchesse de Lorraine démontrera par la suite comme régente un véritable sens politique.

L’autre aspect de cette alliance matrimoniale est bien entendu le volet financier. La famille royale française contribue ainsi à aider le couple ducal à soutenir son rang retrouvé dans l’Europe des princes, avec une dot particulièrement généreuse : « Sa dot fut réglée à neuf cent mille livres, du roi comptant en six mois ; et quatre cent mille livres moitié de Monsieur, moitié de Madame, payables après leur mort ; et trois cent mille livres de pierreries, moyennant quoi pleine renonciation à tout, de quelque côté que ce fût, en faveur de M. le duc de Chartres et de ses enfants mâles. »251

Par la suite, le duc de Lorraine peinera à maintenir ce difficile équilibre matrimonial. En effet, selon Anne Motta: « Bien qu’à la tête d’un pays d’entre deux, Léopold n’a jamais vraiment hésité entre les deux grandes puissances : ses gages de fidélité ont toujours été nettement en faveur de l’empereur. Dans ses rêves de grandeur, il a conçu de bonne heure le projet de rapprocher ses fils de la Maison de Habsbourg, en les lançant dans la courses aux archiduchesses252. »

Cependant, son ambition de marier d’abord Léopold-Clément, puis après la mort tragique de son aîné, François-Etienne avec l’une des filles de l’empereur, n’exclut pas un mariage français 249 Rouvroy Louis de, duc de Saint-Simon, Mémoires du duc de Saint-Simon, tome 2, Hachette, 1856, pp. 211-229.

250 Op. Cit. Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, pp. 211-229. 251 Ibid. Rouvroy Louis de, duc de Saint-Simon, pp. 211-229.

comme le rappelle Pierre Boyé : « Léopold de Lorraine avait dès 1720, caressé l’espoir de faire épouser une de ses filles à Louis XV. Cette grave question avait été posé par le duc à ses confidents : « Conviendrait-il à Son Altesse Royale, à sa maison et aux Etats de Lorraine d’accorder Madame la princesse aîné, pour épouse, au roi de France Louis XV ? »253

A partir de 1721, Louis XV a été fiancé avec l’infante d’Espagne Marie-Anne, mais des querelles dynastiques mettront un terme à ce projet d’union en 1725. En 1724, Léopold, sans doute bien informé, tente sa chance auprès du résident permanent français en Lorraine : « Le 4 avril, il déclarait à M. d’Auddiffret, dans une entrevue qu’il eut avec l’envoyé de France à Nancy, qu’il croirait manqué à ce qu’il devait, et à soi-même , et à l’honneur de sa famille, s’il ne mettait sur les rangs sa fille aînée254. »

Si le mariage français avait lieu en plus du mariage autrichien, Léopold réussirait le tour de force de maintenir l’équilibre tout en devenant le parfait intermédiaire entre les deux grandes puissances de l’époque France et Autriche. De telles alliances feraient sans nul doute briller plus que jamais l’éclat de la Maison Lorraine.

Seulement à cette époque, le principal ministre de Louis XV est particulièrement hostile à la famille d’Orléans255 avec laquelle s’est liée Léopold : « Le duc de Bourbon feignit de consulter le Conseil ; le Comte de la Marck approuva assez chaudement cette alliance […]. Cependant aucune réponse ne fut rendue à la cour de Lorraine. »256

Le duc de Lorraine semble très attaché à ce projet, car ne désarme pas : « Le 28, froissé de ce silence. Léopold réitérait sa demande. Lorsqu’ enfin il eut officiellement connaissance de ce refus, on ignorait plus à Lunéville, quelle humble femme était choisie par le descendant de Louis XIV257. »

Le choix d’une princesse polonaise en exil, Marie Leczinska, plutôt que l’une des filles du duc de Lorraine, dévoile la faible considération accordée à cette époque par le royaume de France à la Maison de Lorraine. Tous les espoirs diplomatiques de Léopold se tournent donc vers son deuxième fils258 après la mort de Léopold-Clément en 1723, François-Etienne, en espérant qu’il accomplisse un beau mariage permettant à la Maison Lorraine de conserver son rang.

Par ironie du sort, c’est la réussite de ce second projet après l’échec du mariage français, qui déséquilibrera le système matrimonial initial et scellera ainsi l’avenir des duchés.

253 Boyé Pierre, Un roi de Pologne et la couronne ducale de Lorraine. Stanislas Leszczynski et le troisième traité de Vienne, Berger-levrault, Paris, 1898, p. 49.

254 Boyé Pierre, Un roi de Pologne et la couronne ducale de Lorraine. Stanislas Leszczynski et le troisième traité de Vienne, Berger-levrault, Paris, 1898, p. 49.

255 Antoine M., Louis XV, Fayard, Paris, 1997, p. 153.

256 Boyé Pierre, Un roi de Pologne et la couronne ducale de Lorraine. Stanislas Leszczynski et le troisième traité de Vienne, Berger-levrault, Paris, 1898, p. 49.

257 Ibid. Boyé Pierre, Stan et le traité de Vienne, p. 49. 258 Sans compter les nombreux enfants morts en bas âge.