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Section I: Le mimétisme institutionnel entre la France et la Lorraine

B) La procédure de sélection des magistrats nancéiens

I. Domestiquer la noblesse

La destruction des fortifications des nobles par les Français a enfin permis l’épanouissement en Lorraine d’un pouvoir central plus fort mais Léopold n’appuie pas ce nouveau pouvoir uniquement sur la force. En effet, il sait aussi jouer de bienfaits, pour s’attacher les services et la loyauté du second ordre lorrain : « Il s’efforça comme en France de domestiquer la noblesse en l’attirant auprès de lui par des charges de cour. Les trente familles survivantes de l’antique chevalerie lorraine perdirent leurs privilèges particuliers414. »

A Nancy, les grands nobles lorrains possèdent des hôtels particuliers, à l’instar des Beauvau-Craon, place de la Carrière415, ou encore l’actuelle cour d’appel administrative, en 1723 hôtel de Vitrimont, l’hôtel Stainville, l’hôtel de Ligneville, l’hôtel d’Haussonville, l’hôtel de Lénoncourt, l’hôtel Resnel, l’hôtel Curel ou hôtel des loups416. Il y a donc une proximité, notamment géographique de facto entre le duc, sa noblesse et son administration.

La cour de Nancy symbolise la restauration du pouvoir ducal et n’est pas une revanche du duc sur sa noblesse. Elle correspond plutôt à un commun accord pour retrouver leur rang perdu, le rehaussement417.

Comme dans les autres pays européens, Léopold cherche à créer les conditions d’une vie de cour réussie : « Le souverain doit disposer d’une résidence magnifique, organisée hiérarchiquement, pour bien marquer les étapes et les distinctions imposées par le cérémonial418. »

Seulement, ce rehaussement a un coût et les nobles nancéiens sont pauvres pour la plupart419. Ils ont payé un lourd tribut lors des guerres et durant les occupations où leurs biens ont parfois été confisqués, et lors des épidémies du XVIIème siècle. Anne Motta note : «Si l’on se réfère à l’échelle des fortunes établie par G. Chaussinand Nogaret, dans sa synthèse sur la noblesse française au siècle, la grande majorité des nobles lorrains appartient en effet au groupe de la noblesse modeste voire pauvre420. »

414 Jean Vartier, Histoire de la Lorraine, France-empire, Paris, 1994, p.128.

415 (l’actuelle cour d’appel)Notice no PA00106113 [archive], base Mérimée, ministère français de la Culture.

416 Frédéric Maguin, les plus beaux Hôtels Particuliers de la Ville-Vieille de Nancy, Nancy, éditions KOIDNEUF, septembre 2008, p. 50

417 Anne Motta. Noblesse et pouvoir princier dans la Lorraine ducale (vers 1620-1737). Histoire. Université du Maine, 2012, p. 403.

418 Bély, Lucien. « Chapitre XXIV. La société de cour en France au XVIIe siècle », , La France au XVIIe siècle. Puissance de l'État, contrôle de la société, sous la direction de Bély Lucien. Presses Universitaires de France, 2009, pp. 693-716.

419 Anne Motta. Noblesse et pouvoir princier dans la Lorraine ducale (vers 1620-1737). Histoire. Université du Maine, 2012, p. 403.

420 Ibid., p. 381.

Pour survivre, les nobles lorrains ont souvent prêté allégeance à d’autres souverains : « Pour la noblesse, le mal est aussi venu de l’intérieur : Charles IV a rompu le « pacte tacite » avec l’ancienne chevalerie, mettant à mal son honneur421. »

Ils font donc preuve d’une fidélité par intermittence au jeune duc qui revient après tant de difficultés passées : « Rares sont les familles de l’ancienne chevalerie dont un membre au moins ne sert pas à l’étranger, au gré de la conjoncture. »422 Lorsque cette double allégeance est en faveur des Habsbourg, elle est davantage tolérée, voire discrètement récompensée423.

La rivalité entre la France et l’Autriche provoque, à l’intérieur même de la cour de Léopold, de grandes oppositions politiques, dont le risque latent est l’implosion de l’unité du duché : « Les positions à la cour sur ce nouveau conflit sont divergentes, faisant apparaître deux « clans », autour du couple ducal, divisé selon l’origine et les inclinations des conjoints : Carlingford et Mahuet, tous deux dévoués à l’Autriche, rallient Gerbevillers et le comte des Armoises tandis que Couvonges et Chantereine se rapprochent de la duchesse et du père Creitzen, favorables à la France424. »

La politique de rehaussement dépend avant tout des largesses du duc, qui les finance par l’endettement ou par l’anoblissement et la vente de charges anoblissantes à une partie de la bourgeoisie, diluant ainsi la puissance des vieilles familles. Pris dans ce cercle vicieux, la noblesse ancienne accepte, certes, les faveurs du duc, mais renâcle à se mélanger à la noblesse nouvelle au sein des institutions lorraines, comme le note Anne Motta : « Le duc lui-même se fait le témoin de la mésentente, fondée sur des divergences idéologiques et aggravée par le facteur économique et financier. Selon lui la robe a mieux résisté aux épreuves passées parce qu’elle a trouvé dans les emplois de judicature la possibilité de se maintenir dans le service pendant l’occupation française, et d’assurer une continuité au sein des familles en élevant ses enfants dans cette vue425. »

Pour pallier les manques de la noblesse lorraine, Léopold n’hésite pas à compléter les effectifs de sa cour par des membres de la noblesse étrangère : « les Lunati et les Spada ont en commun d’être issus de maisons anciennes de la péninsule italienne et d’avoir connu le duc dans ses premières campagnes contre les Turcs. Ferdinand de Lunati-Viscont, i1 appartient à une vieille famille milanaise, tandis que Sylvestre de Spada. I1 a d’abord été page de Léopold avant de devenir son chambellan puis son écuyer. Quant à Georges de Lambertye, son implantation dans les duchés 421 Anne Motta. Noblesse et pouvoir princier dans la Lorraine ducale (vers 1620-1737). Histoire. Université du Maine, 2012.

p. 481.

422 Ibid., Motta Anne, p. 519. 423 S.H.A.T., A1, 1606.

424 Ibid., Motta Anne, p. 421. 425 Ibid., Anne Motta, p. 524.

est un peu plus ancienne : il vient d’une famille française du Limousin qui a fait souche en Lorraine sous le règne de Charles IV426 [...], »

La neutralité de la Lorraine dans la guerre de succession d’Espagne créé une différence notable entre les cours de Nancy, puis de Lunéville et celles des autres puissances européennes telles que la France, l’Autriche ou l’Espagne. La paix prive l’aristocratie de sa vocation première : faire la guerre. Alors qu’en France, la noblesse a su retrouver, à cette époque, cette vocation belliciste, en servant dans les armées de Louis XIV427.

En tentant de recréer une cour à Nancy, Léopold cherche à rétablir sa capitale comme un lieu de pouvoir et ainsi marquer son indépendance vis-à-vis de ses voisins européens. Cette volonté est coûteuse et elle est aussi illusoire car les courtisans de Léopold sont pour beaucoup des anoblis, la noblesse ancienne n’acceptant pas les contraintes d’un service curial développé comme à Versailles428.

426 Anne Motta. Noblesse et pouvoir princier dans la Lorraine ducale (vers 1620-1737). Histoire. Université du Maine, 2012, p. 369.

427 Lucien Bély, Louis XIV, le plus grand roi du monde, Paris, Éditions Gisserot, 2005, p. 280. 428 Ibid., Anne Motta, p . 421.