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La politique religieuse ou le « gallicanisme lorrain »

L’exemple de la politique religieuse de Léopold illustre parfaitement le dilemme complexe dans lequel se trouve Léopold face à l’intégration progressive de la France. Il existe en Lorraine une longue tradition catholique et ultramontaine (I), à la frontière entre l’Empire et le royaume de France, et les duchés participent à la construction de frontières religieuses (II). A son retour dans ses duchés, le duc doit faire face à l’influence gallicane de l’évêque de Toul (III), il édicte alors le code Léopold (IV).

I. La Lorraine, terre catholique et ultramontaine

Historiquement, la Lorraine, terre des ducs de Guise, a toujours été la défenderesse farouche de l’autorité papale, comme le relève René Tavernaux : « Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, la Lorraine était demeurée un pays ultramontain par ses institutions et plus encore par ses habitudes de pensée et ses coutumes : le clergé, les nobles, les ducs eux-mêmes se montraient respectueux à l'égard de Rome et, dans l'ensemble, suivaient ses directives558. Contrairement au royaume de France, l’auteur souligne, d’ailleurs, que: « le pays n'était » soumis à aucun concordat559 ».

C’est un obstacle dans la construction d’un pouvoir ducal fort. En effet, il n’existe pas d’évêché à l’intérieur du duché de Lorraine, malgré les demandes régulières de Charles III au pape, qui souhaitait faire de Nancy une ville épiscopale. Les duchés relèvent ainsi, sur le plan spirituel, de l’autorité de l’évêque de Toul. Tant que les évêchés étaient soumis au pape, la Lorraine était ultramontaine.

Cette situation se renforce encore plus avec le menace protestante et la Lorraine se voit comme un bastion de la contre-réforme : « Au lendemain du concile de Trente, Rome articula en effet la défense de l'Église sur un front prenant l'Occident en écharpe du sud-est au nord-ouest, sur 558 Taveneaux René. La « nation lorraine » en conflit avec Rome. L'affaire du code Leopold (1701-1713). In: Les fondations nationales dans la Rome pontificale. Actes du colloque de Rome (16-19 mai 1978) Rome : École Française de Rome, 1981. pp. 749-766. (Publications de l'École française de Rome, 52)

www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_52_1_1422 . 559 Loc. Cit. Taveneaux René.

l'ancien tracé lotharingien, de l'Italie aux Flandres, par le Milanais et la Franche- Comté : la Lorraine tenait le centre et formait comme la clef de voûte de cette «dorsale catholique560. »

II. La construction d’une frontière religieuse

Après la conquête par le roi de France Henri II des futurs Trois-Evêchés, la frontière religieuse est nette et la Lorraine devient une marche catholique : « Elle occupait un carrefour idéologique, au croisement de deux voies : la voie catholique sud-est nord-ouest, la voie protestante ouest-est, importante en tout temps mais particulièrement après 1552, lorsque la complicité des princes luthériens d'Allemagne permit à la France de s'installer dans les Trois Evêchés561. »

Le rapport à Rome s’en trouve bouleversé. Le duché de Lorraine soutient, avec d’autant plus d’ardeur la contre-réforme, que les ducs successifs rêvent de voir Nancy érigé en ville épiscopale : « Sur cet axe à la fois religieux, politique, militaire et culturel, les échanges se multiplièrent : soldats, artistes et diplomates sillonnaient les routes, tandis que de nombreux moines italiens s'établissaient dans les duchés et que des Lorrains, clercs surtout, affluaient à Rome, occupant des emplois divers dans les services de la chancellerie pontificale562. »

Une chimère, qui disparaît avec la révocation de l’édit de Nantes563. Certes, dans un premier temps, comme le souligne Yves Lemoigne : « Louis XIV a bien travaillé pour Léopold564 ». En effet, il a converti au catholicisme l’espace lorrain, perdu le soutien des protestants qui était acquis à la France et renforcé les partisans de la papauté en Lorraine. Seulement, dans un second temps, Louis XIV devient le champion du catholicisme, et fort de sa puissance gallicane, il retourne le clergé contre le duc de Lorraine.

560 Taveneaux René. La « nation lorraine » en conflit avec Rome. L'affaire du code Leopold (1701-1713). In: Les fondations nationales dans la Rome pontificale. Actes du colloque de Rome (16-19 mai 1978) Rome : École Française de Rome, 1981. pp. 749-766. (Publications de l'École française de Rome, 52) www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_52_1_1422.

561 Loc. Cit. Taveneaux René. 562 Loc. Cit. Taveneaux René.

563 En réalité Louis XIV révoque l’édit d’Alès du 28 juin 1629 qui s’est substitué à l’Edit de Nantes.

564 Le Moigne Y ,. Les chemins de la réunion, dans Parisse, Michel, Histoire de la Lorraine, Toulouse, Privat, 1977 p 309

III. Léopold, encerclé par le gallicanisme français

Alors que le protestantisme était très minoritaire en Lorraine, cette nouvelle posture de Louis XIV renforce son influence grâce à la religion. En effet, depuis le concordat de Bologne, le roi de France nomme les évêques du clergé français565 . Or, comme le royaume de France s’est étendu en intégrant les Trois-Evêchés, c’est à présent le roi de France qui nomme les évêques dans les évêchés de Toul, Metz et Verdun.

Pour Laurent Jalabert, Léopold subit cette influence française et cherche à s’en émanciper : « Durant tout son règne, le duc déploie de grands efforts pour tenter de se soustraire à la compétence de l’évêque de Toul Henri Thiard de Bissy dont il dépend et qu’il voit comme un agent de la France566. »

Un des exemples de cette volonté d’émancipation est par exemple son refus d’être marié par Thiard de Bissy, alors qu’il épouse la nièce de Louis XIV et préfère choisir son confesseur l’abbé Riguet, pour célébrer l’union avec Elisabeth-Charlotte d’Orléans567.

565 Alfred Maury, Les Assemblées du clergé en France sous l’ancienne monarchie, Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 40, 1880 (p. 621-667).

566 Jalabert L., Biographie plurielle, édition des pairages, Nancy, 2017 p. 167. 567 Ibid.

IV. Le code Léopold : la contre-attaque lorraine

Une autre tentative d’émancipation de la part du duc de Lorraine vis-à-vis du clergé français fut la rédaction du code Léopold. Ce dernier a confié ce projet au magistrat Jean-Léonard Bourcier de Monthureux et à Charles de Lenoncourt. Le code est promulgué à l’été 1701 ; il s’agit d’un ensemble de textes très ambitieux sur l’administration de la justice, dont la partie la plus explosive est celle concernant le clergé, qui a d’ailleurs engendré un long conflit avec Rome de 1701 à 1710.

L’ordonnance prévoit des juridictions civiles renforcées, ce qui constitue un premier pas dans l’émancipation religieuse des duchés (A); l’aboutissement de ce projet résiderait dans la construction d’une église lorraine (B).

A) Des juridictions civiles renforcées

Une fois de plus, il est nécessaire de revenir sur la faiblesse de l’État lorrain au retour de Léopold dans ses duchés et notamment celle des institutions judiciaires dont les compétences avaient été, peu à peu, concurrencées par les juridictions ecclésiastiques des évêchés, elles-mêmes relevant de l’Église de France : « Au cours des occupations du XVIIe siècle, les tribunaux ecclésiastiques, seules instances demeurées en place, avaient peu à peu, au mépris des ordonnances ducales, détourné à leur profit un certain nombre de causes civiles : ce glissement était d'autant plus facile qu'en Lorraine, pays de chrétienté, la frontière demeurait souvent indécise entre le spirituel et le temporel568. »

Alors que le parlement de Metz peine à s’imposer, ce sont d’autres juridictions francophiles, celle surtout de l’évêché de Toul, qui s’imposent dans les duchés de Lorraine et de Bar pour des compétences clés de l’État, comme notamment l’état civil : « Les officialités de Metz, de Toul et de Verdun avaient ainsi usurpé la connaissance de matières relevant traditionnellement des juges laïques, comme les testaments, les blasphèmes, les adultères, les demandes de séparation de corps569 ... »

568 Taveneaux René, la « nation lorraine » en conflit avec Rome. L'affaire du code Leopold (1701-1713). In: Les fondations nationales dans la Rome pontificale. Actes du colloque de Rome (16-19 mai 1978) Rome : École Française de Rome, 1981. pp. 749-766. (Publications de l'École française de Rome, 52) www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_52_1_1422

569 Loc Cit Taveneaux René.

Pire, les entorses émises par ces juridictions à la législation ducale entravent le développement économique voulu par Léopold : « Bien plus, toutes les formes de prêt à intérêt, depuis toujours régies par la législation ducale, avaient été soumises aux interdits canoniques et placées sous la surveillance souvent tatillonne de l'autorité ecclésiastique : il en résultait des entraves, parfois graves, à la vie économique570. »

Ainsi, le code Léopold se veut une reprise en main de la justice en Lorraine par les tribunaux civils, condition sine qua non à l’émergence d’une véritable justice ducale.

B) Le rêve d’une église lorraine

Pour contrer le gallicanisme français, Léopold souhaite l’émergence d’une sorte de « gallicanisme lorrain », dont les dispositions du code rappellent la souveraineté ducale sur l’église lorraine : « il prescrivait que tout clerc, pourvu d'un bénéfice, devait faire la preuve qu'il était Lorrain et obtenir une permission de la Cour souveraine; les juges laïques étaient saisis des litiges en matière bénéficiale; les tribunaux de bailliages avaient à connaître des affaires mixtes des ecclésiastiques contre les séculiers; les curés non seulement étaient transformés en officiers d'état-civil, mais ils étaient contraints de publier les monitoires des magistrats ducaux et devenaient ainsi leurs auxiliaires directs dans l'instruction571 ».

Cependant, sans l’appui du clergé lorrain, une telle réforme aux relents jansénistes et naturellement fortement soutenue par la Cour souveraine de Lorraine ne pouvait qu’attirer l’hostilité du pape qui se retrouvait dans la position curieuse de défendre les prérogatives des évêques français face au duc de Lorraine. C’est une double victoire pour l’intégration française du duché : Léopold a cherché à imiter le gallicanisme du Très Chrétien et n’y est pas parvenu, consacrant l’influence religieuse de l’église de France en Lorraine avec la bénédiction du pape qui accepte le gallicanisme français et rejette celui des Lorrains.

Le code est en effet condamné par le souverain pontife le 22 septembre 1703572, Louis XIV intervient573 et le fils de Charles V, a dans cette affaire brûlé son auréole de « champion du 570 Taveneaux René, la « nation lorraine » en conflit avec Rome. L'affaire du code Leopold (1701-1713). In: Les fondations nationales dans la Rome pontificale. Actes du colloque de Rome (16-19 mai 1978) Rome : École Française de Rome, 1981. pp. 749-766. (Publications de l'École française de Rome, 52) www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_52_1_1422

571 Loc. Cit. Taveneaux René.

572 Motta Anne, biographie plurielle, édition des pairages, Nancy, 2017 p. 167. 573 Ibid Motta Anne, p. 167.

catholicisme » pour au final cédé après de longues négociations houleuses. Il publiera d’ailleurs en mai 1708 un code expurgé qui après encore d’autres négociations sera accepté par le pape.

Cette affaire aura des conséquences importantes : René Tavernaux estime, qu’elle a pu inciter le pape à prendre en 1713 sa célèbre bulle Unigenitus574. De plus, Léopold, même après s’être réconcilié avec Rome, ne parvient pas à ériger un évêché à Saint-Dié qui concurrencerait le pouvoir spirituel des évêques français : « l’échec du projet, lancé en 1716, de constituer au détriment de celui de Toul, un microdiocèse lorrain autour de Saint-Dié avec les ressorts des abbayes vosgiennes et de la grande prévôté de Saint-Dié, une quarantaine de paroisse avec 30000 âme soit 9 % de la population ducale, marque les limites de la normalisation des relations avec la France. Pourtant agréé par la papauté en mars 1718 et finalement accepté par les abbés, il se heurte au véto français en juillet 1720575 ».

574 Taveneaux René. La « nation lorraine » en conflit avec Rome. L'affaire du code Leopold (1701-1713). In: Les fondations nationales dans la Rome pontificale. Actes du colloque de Rome (16-19 mai 1978) Rome : École Française de Rome, 1981. pp. 749-766. (Publications de l'École française de Rome, 52); https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_52_1_1422 . 575 Le Moigne Y ,. Les chemins de la réunion, dans Parisse, Michel, Histoire de la Lorraine, Toulouse, Privat, 1977. p. 318.

Titre II Le règne de François III :