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Les règles de succession lorraines

Titre II Le règne de François III : l’effacement de l’autorité ducale

Chapitre 1 Un gouvernement par correspondance

A) Les règles de succession lorraines

Dans son testament, Léopold se réfère au testament de René II et le confirme: « Nous confirmons le testament du duc René II du nom, de très-louable mémoire, l'un de nos prédécesseurs, du 25 may 1506579; »

Ce testament constitue une révolution dans les lois fondamentales du duché 580 ; sa redécouverte opportune du testament de René II marque l’ultime phase des lois fondamentales lorraines.

En réaffirmant le testament de René II, il permet de rappeler les principes d’indivisibilité du duché : « Nous voulons et ordonnons que la succession de nos états et duchez de Lorraine et de Bar, terres et seigneuries y enclavées ou adjacentes à nous appartenantes, et toutes celles qui pourroient nous obvenir dans la suitte, comme aussy des titres, droits et prétentions que nous avons sur divers états que nous ne possédons pas demeurent toujours dans la ligne masculine et la branche des aînés, » et l’exclusion des jeunes filles : « à l'exclusion perpétuelle des filles et de leurs descendans581 »

Léopold souhaite défendre la souveraineté lorraine en maintenant les principes jadis mis en exergue par son oncle Charles IV comme quoi le duché ne peut se transmettre que par lignée masculine tant en ligne directe que collatérale582 : « sinon et en cas d'extinction de tous les mâles, tant de la ligne directe que de la ligne collatéralle, ensorte que si le prince qui aura régné dans les états vient à décéder sans délaisser aucun mâle, mais seulement des filles l'état demeurera dévolu au mâle collatéral qui se trouver le plus proche du deffunt prince tant en ligne qu'en degré, en préférant toujours les aînés et leurs descendans mâles aux cadets, et successivement les descendans mâles du premier cadet au second, et ainsy successivement de ligne en ligne et de branche en branche. »583

579 Le testament est recopié à la fin de l’ouvrage de Noël, Jean-Baptiste. Mémoires pour servir à l’histoire de la Lorraine, Nancy, Impr. de Dard, 1838-1844. p. 210 Voir annexes 2 et 3 p . 13 et 14.

580 Mathieu Joubert classe l’évolution des lois fondamentales en trois périodes: « la première période s’étale de la formation du duché jusqu’à l’avènement de Gérard d’Alsace, en 1048. Au cours de cette période, la transmission du pouvoir ne relève pas des ducs de Lorraine. Ils sont des gouverneurs de province, dépourvus de souveraineté, mis en place à titre viager par une grande puissance, pour administrer un Etat et relayer le pouvoir central. [...] La deuxième période débute en 1048, et prend fin en 1625 avec la prise de pouvoir des ducs François II puis Charles IV : elle se caractérise par l’acquisition définitive du caractère héréditaire de la charge ducale, et par l’admission d’un principe de transmission par primogéniture avec préférence masculine ; les femmes sont cependant susceptibles de transmettre la couronne ducale, voir de la porter.[...] Enfin la troisième et dernière période débute en 1625, et s’achève en 1738 avec la signature du traité de Vienne, qui entérine l’abandon par le duc François III de ses droits sur ses Etats. » Article pays lorrain Mathieu Joubert.

581 Ibid. Léopold ,testament cité dans Noël, p. 210.

582 Charles IV a écarté sa femme la duchesse Nicole du pouvoir avec le soutien des États généraux. A l’inverse, Louis XIII prit le parti de la duchesse Nicole, car il souhaitait qu’une femme puisse hérité du duché pour pouvoir le transmettre à un prince français. Léopold juste après s’être réclamé du testament de René II, s’efforce de circonscrire à la situation de 1624.

Ainsi tout en validant le cas précédent de Charles IV et de Nicole de Lorraine, Léopold entrouvre la possibilité d’un héritage pour l’une de ses filles, en cas de décès conjoints de Léopold-Clément, François-Etienne et Charles Alexandre. Il est important de rappeler qu’au moment de la rédaction du testament en 1719, les propres frères de Léopold sont déjà décédés depuis 1715584. Ainsi, le cas décrit dans le testament est une validation à posteriori de l’abdication de Nicole de Lorraine en faveur de son oncle François II, qui lui-même abdiqua en faveur de son fils Charles IV.

Enfin, l’exclusion des enfants naturels est bien entendu précisée ; le comte de Vaudémont étant encore en vie lors de la rédaction (1649-1723), il est formellement signifié qu’il ne peut pas hériter du duché : « pourvû et non autrement que lesdits enfans soient procréés en légitime mariage, sans qu'en aucun cas aucune fille ny leurs descendans mâles ou femelles puissent être admis à la succession de nosdits duchez, terres et seigneuries qu'après l'extinction entière de tous les mâles descendans de nous, qu'en ligne collatéralle descendante dudit duc René ou autres princes ses successeurs585. »

Léopold défend ainsi à posteriori, certes l’accession au trône de Charles IV, dont dépend sa propre légitimité, mais il ne défend pas le second mariage de ce dernier, qui légitimerait Charles-Henri de Vaudémont.

B) Le testament de 1719 : minorité et régence

En 1719, Léopold-Clément, héritier du trône ducal, n’a que 12 ans ; Léopold place la majorité à 15 ans et organise les conditions d’une régence.

Dans une première version, Léopold choisit sa femme pour assurer la régence : « nous voulons et entendons que notre dite très chère et très-aimée compagne et épouse, Mº la duchesse, prenne la tutelle et le gouvernement de nos très chers enfans et la régence de nos états, avec l'assistance d'un Conseil que nous lui proposerons et lequel nous aurons soin de composer de personnes de capacité et d'expérience, et d'un zèle et affection éprouvés au bien de notre service et de l'état586. »

Elisabeth-Charlotte d’Orléans est la nièce de Louis XIV ; elle incarne le parti de la France en Lorraine et en lui confiant la régence, Léopold espère ainsi, le cas échéant, rassurer le voisin français, en lui offrant des garanties politiques sur ses attentions.

584 Charles Joseph primat de Lorraine meurt en 1715, Joseph, général dans l’armée impériale est mortellement blessé à la bataille de Cassano en 1705, et François, abbé de Malmédy et de Stavelot meurt en 1715. voir Petiot A., « François de Lorraine, le “ petit frère ” du duc Léopold (1689-1715) », 112e année, vol. 96 (Mars 2015).

585 Testament de Léopold cité dans Noël, Jean-Baptiste. Mémoires pour servir à l’histoire de la Lorraine, Nancy, Impr. de Dard, 1838-1844. p. 209.

La tutelle des enfants est également attribuée à Elisabeth-Charlotte, à l’inverse de Louis-XIV, qui avait dissocié la présidence du Conseil de régence confiée à Philippe d’Orléans et la tutelle du jeune Louis XIV confiée au duc du Maine.

Cependant pour ne pas brusquer les équilibres lorrains, il faut associer à la régente un Conseil qui l’aidera à prendre les bonnes décisions.

Des « personnes de capacité et d’expérience » doivent se joindre à la régence, mais Léopold indique qu’il les indiquera à la duchesse. Dans cette première version, une grande confiance règne entre les époux. Elle semble avoir été atteinte après l’ajout d’un nouveau codicille.

II. Le codicille du 16 décembre 1726

En 1726, Léopold ajoute un codicille qui remet en cause le testament initial et l’exercice de la régence (A), à sa mort en 1729, ce codicille est tout simplement ignoré par les différentes autorités du duché (B).

A) Le contenu du codicille

François, héritier présomptif du duché, est alors majeur, mais vit à la cour de Vienne. La question de la régence se pose alors autrement car il s’agit de prendre les décisions en attendant l’arrivée du nouveau duc en Lorraine.

Cette anticipation montre en effet que tous les espoirs du duc lorraine sont maintenant tournés vers Vienne et le « grand projet » du mariage entre François et Marie Thérèse ; ainsi l’absence de François est anticipée et tout est prévu pour éviter une période d’incertitude politique : « Notre très-cher fils aîné, le prince François, actuellement successeur présomptif de nos états, en étant présentement absent et pouvant se trouver encore également : absent d'iceux à l'heure de notre décès, il pourroit y arriver des embarras avant qu'il fût averti de notre dit décès et qu'il eût pu y donner ses ordres et règlemens nécessaires pour leur gouvernement587 »

Pour organiser la régence, Léopold pense à son autre fils, Charles-Alexandre pour présider un Conseil de régence, mais à condition, qu’il ait atteint l’âge requis pour entrer au Conseil:

« Bien entendu que si, lors de notre décès, notre très cher fils le prince Charles auroit 587 Testament de Léopold cité dans Noël, Jean-Baptiste. Mémoires pour servir à l’histoire de la Lorraine, Nancy, Impr. de Dard,

atteint l'âge de 25 ans, qui est celui fixé à nos sujets, suivant notre ordonnance faite à Nancy le 14 juillet 1719, notre très-cher fils, le prince Charles, présidera audit Conseil, et, à son absence, présidera toujours celui qui est dénommé cy-dessus et suvant le même ordre desdits Conseillier [...] »

Charles-Alexandre est âgé de 14 ans au moment du testament et aura 17 ans à la mort de son père.

Dans cette nouvelle configuration, Elisabeth-Charlotte se retrouve exclue du Conseil dont cette fois, les membres ont été indiqués : « Lequel Conseil et régence sera composé de notre grand maître d'hôtel, grand chambelan, grand écuyer, l'ancien des maréchaux de Lorraine, du garde des sceaux, premiers présidents tant en notre parlement que chambre des comptes, du secrétaire d'état et du maître des requêtes qui se trouveront en quartiers lors de notre dit décès, sans que ces deux puissent être relevés par ceux qui pourroient suivre par l'autre quartier588. »

Le président du Conseil de régence prévu par le codicille est donc le grand maître d'hôtel de Léopold, c’est à dire, Jacques-Henri de Lorraine, prince de Lixheim.

Ce codicille vient rassurer les proches du duc Léopold qui redoute une régence dirigée par Elisabeth-Charlotte, comme par exemple, le grand écuyer Marc de Beauveau, qu’Elisabeth-Charlotte considère comme un ennemi intime qui profite des bienfaits de Léopold589.

C’est un revirement important par rapport à la situation de 1719, où il était précisé que Léopold indiquerait à Elisabeth-Charlotte la composition du Conseil, mais, dans ce nouveau codicille, la composition est dorénavant précisée et Elisabeth-Charlotte n’en fait pas partie.

Voici comment Léopold justifie l’ajout du codicille : « considérant que depuis le 8 septembre 1719, l'état de notre famille se trouve changé et qu'il pourrait encore, avant notre décès, y arriver dans la suite des autres changements qui demanderaient des explications nécessaires au bien de l'état et de notre famille, après avoir fait lecture et mûrement réfléchi sur le contenu en notre testament, avons résolu d'expliquer par le présent acte en forme de codicille pour avoir une même forme que notre dit testament590. »

Entre temps, les relations avec la France se sont tendues à la suite du mariage de Louis XV avec Marie Leczinska, au dépens d’une princesse de la maison Lorraine591.

Léopold donne des indications sur le fonctionnement de la régence : Ses consignes relativement précises prévoient les conditions de vote : « en cas d'absence ou autre empêchement, 588 Testament de Léopold cité dans Noël, Jean-Baptiste. Mémoires pour servir à l’histoire de la Lorraine, Nancy, Impr. de Dard,

1838-1844. p. 215.

589 Mourin, Ernest. Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar, Paris-Nancy, Berger-Levrault et cie, 1895. p. 328 590 Ibid. Léopold ,testament cité dans Noël, p. 215.

ledit Conseil provisionnel pourra décider de toutes affaires au nombre de cinq592; »

Il décide également de l’étendue de ces compétences : « auquel Conseil avons defféré le pouvoir de gouverner, régir et administrer toutes les affaires de nos états, tant au dedans qu'au dehors, comme aussy celles de notre famille et les affaires domestiques, tant et si longtems que notre très cher fils le prince François, notre successeur, n'y aura pourvu autrement593. »

Ainsi, Léopold a, entre 1719 et 1726, imaginé un système de régence assez clair, qu’il espère voir s’imposer après son décès ; mais le 27 mars 1729, alors que Léopold succombe à une fièvre, ses plans de régence vont être quelque peu contrariés.