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Titre II Le règne de François III : l’effacement de l’autorité ducale

Chapitre 1 Un gouvernement par correspondance

B) L’annulation du codicille

A la mort de Léopold, la duchesse douairière s’empare du pouvoir (1) et met en place un tout autre Conseil de régence (2).

1) La prise de pouvoir d’Elisabeth-Charlotte d’Orléans

Ernest Mourin décrit la mise en place de la régence par la duchesse douairière comme une véritable prise de pouvoir : « Le testament de Léopold avait constitué un Conseil de régence, dont le membre principal devait être le prince de Craon, et dont la duchesse était exclue. Mais le Conseil d’État cassa le testament du duc594 [...]. »

En réalité, Marc de Beauvau-Craon n’était que troisième dans l’ordre protocolaire du Conseil de régence décrit dans le codicille, le « membre principal » était plutôt le prince de Lixheim, puisqu’il héritait de la présidence de hypothétique Conseil.

Les premières actions d’Elisabeth-Charlotte, comme régente autoproclamée, révèlent un certain sang-froid. La duchesse douairière rassemble non seulement les princes de sang, mais aussi les membres acquis à sa cause du Conseil d’État qu’elle peut trouver : « Cejourd'huy, 28 mars 1729, S. A. R. Madame aïant fait assembler les princes du sang et un nombre considérable de Conseilliers d'état qui se sont trouvés en cette ville595 »

592 Ibid. Léopold ,testament cité dans Noël, p. 215-16.

593 Testament de Léopold cité dans Noël, Jean-Baptiste. Mémoires pour servir à l’histoire de la Lorraine, Nancy, Impr. de Dard, 1838-1844. p. 215-216 .

594 Mourin, Ernest. Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar, Paris-Nancy, Berger-Levrault et cie, 1895. p340 595 Ibid. Léopold ,testament cité dans Noël, p. 205.

La tenue du « Conseil d’État » réunit le 28 mars 1729 par la duchesse, dont les membres sont d’anciens Conseillers de Léopold, semble tout à fait irrecevable. En effet, la légitimité de ces Conseillers résidait dans le fait d’avoir été appelés au Conseil, par le duc Léopold. Ce dernier étant maintenant mort, et le nouveau duc François III n’ayant pas encore convoqué son premier Conseil, leur légitimité a disparu.

C’est le Conseil de régence décrit dans le codicille de Léopold, qui aurait normalement dû être convoqué ; mais il s’agit précisément d’une habileté politique d’Elisabeth-Charlotte qui affirme son pouvoir en s’appuyant sur les princes de sang et les anciens membres du gouvernement.

Ce premier arrêt du règne début par ces mots : « François, par la grâce de Dieu, duc de Lorraine et de Bar596,[...] », comme s’il s’agissait d’un Conseil du duc et non d’un Conseil de régence. Dans ce « Conseil d’Etat en quête de légitimité », l’appui du prince Charles et des autres princes de sang, à la duchesse douairière est mis en exergue : « Ayant été ce jourd’hui rendu en notre Conseil d'État , en présence de notre très chère très-honorée, Dame & Mère de notre très-cher & très-aimé Frère unique le Prince Charles, de plusieurs autres Princes de notre, des Grands Officiers de notre couronne; & Conseillers en notre Conseil597 [...] »

Le contenu de l’arrêt reste volontairement flou sur le futur Conseil de régence, se contentant de donner toute latitude à la régente dans sa convocation : « l'Arrêt attaché fous notre contre-scel, qui déclare notre dite très-chère très honorée Dame Mère Régente de nos États, pour les régir & gouverner pendant nôtre absence d'établir tel Conseil qu'Elle jugera propos598.[...] »

2) La décision de la Cour souveraine de Lorraine

Trois jours après la publication de l’arrêt du Conseil d’État du 31 mars 1729, la Cour souveraine de Lorraine accepte d’enregistrer l’arrêt et ainsi de reconnaître Elisabeth-Charlotte en tant que régente599.

Pour justifier cette décision manifestement illégale, la Cour souveraine s’appuie à la fois sur l’argument d’autorité en avançant le haut rang des participants à ce Conseil pour rendre légitime la réunion. Aussi l’arrêt note que le codicille a été lu, sans pour autant l’expliciter, mais pour démontrer que les participants au Conseil ont pris leur décision en toute conscience : « C’est 596 Noël Jean-Baptiste. Mémoires pour servir à l’histoire de la Lorraine, Nancy, Impr. de Dard, 1838-1844. p. 205.

597 Op/ cit.. Noël, p. 205.

598 Recueil des ordonnances et réglemens de Lorraine depuis le règne du duc Léopold jusqu’à celui de Sa Majesté le roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, Nancy, Veuve Cusson, 1745, t. 5. p. 1.

pourquoi ayant fait appeler les Princes du Sang, les Grands Officiers de la couronne & ceux Conseil d'État ci-après nommés, l'on a donné lecture en sa présence & par ses ordres, tant du Testament de feu S.A.R. daté du 8. Septembre 1719 par lequel ladite Régence lui est déjà déferrée, que de son Codicille du 6, Février 1726 & en conséquence S.A.R.600 [...]»

Ils ont d’ailleurs pu s’exprimer et leur avis fut unanime en faveur de la reconnaissance de l’arrêt et du Conseil tenu le 28 mars: « SAR MADAME ayant bien voulu recueillir les voix, tous d'un consentement unanime, avec les sentiments de soumission & de respect dues à une si grande Princesse, l'ont déclarée & reconnue pour seule & unique Régente des États de S0N ALTESSE ROYALE, sous son bon plaisir avec pouvoir de les régir , administrer d’établir tel Conseil qu'Elle jugera à d'exercer en toutes choses les droits de la Souveraineté nom Sa dïte Altesse Royale601 [...] »

Toute cette procédure se trouve dans l’attente d’une confirmation émanant de François III dont les intentions, alors qu’il est parti à Vienne à l’âge de 15 ans, apparaissent obscures : « à laquelle (S.A.R.), il a été en même temps résolu d’envoyer incessamment un double de la présente Reconnaissance et Déclaration solennelle dans l’espérance qu’elle voudra bien l’agréer & la confirmer, & au surplus notifier ses intentions pour être suivies & exécutées602. »

Ce sont donc des initiatives au caractère très temporaires, mais qui témoignent d’un rapport de force au sein du duché ; et si on peut supposer que François III soutiendra sa mère, il peut être tenté par la solution la plus simple. Après cette prise de pouvoir, validée par une partie des anciens Conseillers de son père, dont la décision est elle-même validée par la Cour souveraine de Lorraine, tout cela semble faciliter les affaires d’un jeune duc qui ne souhaite pas revenir trop vite en Lorraine.

Pour s’imposer à la population, il est nécessaire que cette reconnaissance de la régence bénéficie d’une publicité, ce qui est fait de manière tout à fait ordinaire : « Et voulant que ledit arrêt soit exécuté selon sa forme et teneur ; nous vous demandons de le faire incessamment lire, registré, et affiché partout où besoin se fera ; pour être suivi et exécuté selon sa forme et teneur : Car ainsi nous plait603. » .

600 François III, Recueil des ordonnances et réglemens de Lorraine depuis le règne du duc Léopold jusqu’à celui de Sa Majesté le roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, Nancy, Veuve Cusson, 1745, t. 5. p. 1.

601 Ibid. François III, recueil p. 1. 602 Op. cit.. François III, recueil p. 2. 603 Op. cit. François III, recueil p. 3.

III. Une régence fertile en réformes

Attendu pour les obsèques de son père qui ont lieu le 7 juin 1729, le nouveau duc ne s’y montre pas, ne rentrant en Lorraine que le 29 novembre, c’est la première régence d’Elisabeth-Charlotte d’Orléans. Durant cette période, elle suit les instructions du duc (I) et tente de les mettre en pratique à l’intérieur du Conseil (II).

A) Une première régence sous surveillance

Spectateur de la prise de pouvoir de sa mère, François-Etienne l’accepte, mais exerce de Vienne un contrôle attentif.

S’il n’a fallu que trois jours à la Cour souveraine de Lorraine pour accepter l’établissement de la régence, élaborée par Elisabeth-Charlotte, ce n’est qu’en avril que le duc François III de Vienne donne son accord à cette organisation, qui est pourtant déjà mise en place depuis quelques semaines.604

Pour autant, François-Etienne se garde de laisser à sa mère trop de pouvoir en lui envoyant deux de ses proches qui doivent être consultés sur chaque décision prise : « La duchesse fut investie de la régence avec la plénitude des pouvoirs. François III qui ne paraissait pas pressé de voir ses sujets, confirma la régence à sa mère, approuva les choix qu’elle avait faits pour les membres de son Conseil, mais lui recommanda de ne rien décider sans avoir consulté MM. Le Dogue et Fischner. Ce dernier était un Allemand qu’il lui avait envoyé de Vienne605. [...] »

Pour Audiffret, le représentant du roi de France à la cour de Lunéville, l’envoi de Fischner est à l’initiative de l’empereur, qui tient à s’assurer, que la régence qui s’installe, ne soit pas trop en faveur du pouvoir français dans le duché : « J'ai oublié de vous dire que madame la duchesse a été fort piquée en apprenant que, quand M. Fischner arriva à Lunéville, il eut, avant de la voir, un long entretien avec M. Le Bègue, d'où elle a soupçonné que sa naissance et ses intentions étaient suspectes à la cour de Vienne, que cette cour ne voulait lui laisser qu'une ombre d'autorité et tenir le duc, son fils, dans une étroite dépendance. M. Le Bègue, attaché à la maison d'Autriche, s'est uni avec M. Fischner, de sorte qu'ils sont les seuls instruments qui fassent aller la machine, et opinent toujours dans le Conseil qu'il ne faut rien conclure, mais renvoyer le résultat des délibérations à M. le duc de Lorraine. Par crainte de déplaire à son fils, cette Princesse se laisse conduire par ses deux 604 Jalabert L., ducs de Lorraine Biographie plurielles de René II à Stanislas, Pairages, Nancy, 2017. p. 179.

ministres, et répond aux demandes qu'on lui fait qu'il faut attendre l'arrivée de son fils606. »

Après 3 mois de régence, François III laisse sa mère gouverner pour le moment, mais la soumet au contrôle de ses envoyés.

Du côté du Conseil des finances, l’attitude envers le duc est ambivalente. Jouant dans un premier temps le duc contre la régence, les membres du Conseil des finances se rendent vite compte que la volonté d’austérité vient du duc lui-même: « « La question sensible des finances révèle les divergences de position : dans un premier temps, le Conseil des finances prétend se soumettre uniquement aux ordres du duc, François III se faisait envoyer le projet de budget, puis, lorsque les Conseillers s’aperçoivent que le prince, depuis Vienne, remet en cause les prévisions dans ce domaine, certains tendent à vouloir laisser la décision à la régente et considèrent que le duc peut « bien vivre de ce que l’empereur lui donne ». C’est l’avis, par exemple, du Conseiller Girecourt.607 »

Pourtant, le duc a grand besoin d’argent, et s’il ne rentre pas encore assumer son rôle en personne, c’est qu’il a d’autres soucis qui diffèrent son arrivée dans son duché ; en effet, depuis plus de deux ans, il ne touche plus aucun revenu d’une Lorraine en proie à des difficultés financières608.

Une fois duc, il exige de la nouvelle régente d’obtenir de l’argent. Dès mai, près de 400 000 livres lui sont envoyés : « On attend l'estafette qui doit apporter les dispositions que M. le duc de Lorraine a prises pour libérer ses revenus, ainsi que pour réformer sa maison. — On est fort consterné en cette cour sur la nouvelle qui a transpiré que la réforme serait grande... » Ibidem.» « M. Le Bègue est venu en cette ville (Nancy) pour ramasser 150,000 florins, qui font 400,000 livres de Lorraine, pour être converties en lettres de change qui doivent être envoyées à M le duc de Lorraine609. »

Dix jours plus tard, le même Auddifret rapporte que : « M. le duc de Lorraine a encore demandé 20,000 florins610. », de même le 23 mai : « Au lieu de 20,000 florins que M. le duc avait demandé , on lui en a envoyé 30,000. — Il a fait dire qu'il en voulait encore 40,000. » 611 Et en juillet, l’envoyé du roi de France renchérit : « M. le duc de Lorraine veut qu'on prenne de bonnes mesures pour lui envoyer 320,000 livres dans le mois de septembre prochain612. »

606 Dépêche de M. d'Audiffret, du 23 mai 1729, provenant des archives des affaires étrangères, cité par Haussonville Jean (comte d’.). Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, Paris, M. Lévy Frères, 1860, vol 4. p. 221.

607 Cabourdin G. , Léopold, duc de Lorraine et de Bar et la vénalité des offices civils (1698-1729), Études réunies en l’honneur de P. Goubert, Toulouse, Privat, p. 140.

608 Jalabert L., François III, ducs de Lorraine Biographie plurielles de René II à Stanislas, Pairages, Nancy, 2017. p. 179.

609 Op. cit, Dépêche de M. d'Audiffret, du 23 mai 1729, provenant des archives des affaires étrangères, cité par Haussonville Jean p. 220.

610 Ibid. Dépêche de M. d'Audiffret, du 23 mai 1729, provenant des archives des affaires étrangères. 611 Ibid. Dépêche de M. d'Audiffret, du 23 mai 1729, provenant des archives des affaires étrangères.

612 Dépêche de M. d'Audiffret, du 23 mai 1729, provenant des archives des affaires étrangères, cité par Haussonville Jean (comte d’.). Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, Paris, M. Lévy Frères, 1860, vol 4. p. 222.