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L’hommage du duc de Bar au roi de France

Section III : L’écho français de la gouvernance lorraine

A) L’hommage du duc de Bar au roi de France

Pour comprendre l’existence d’un « Barrois royal », c’est-à-dire sous la suzeraineté française, il faut revenir en 1297, lors d’une guerre opposant Henri III, comte du Bar et le roi de France, Philippe le Bel451. Fait prisonnier, Henri III accepte de prêter allégeance au roi de France, quelques années plus tard, pour les territoires se situant « par-deçà la Meuse vers le royaume de France452 ». Ainsi, il doit prêter serment de fidélité au roi de France pour continuer d’administrer le Barrois mouvant en tant que vassal. Cette suzeraineté se traduit par l’hommage que le comte du Bar doit rendre au roi de France. Plus tard, le Barrois fut érigé en duché et réuni à celui de Lorraine en 1419 sous le duc René II.

Ce n’est pas en tant que duc de Lorraine mais en tant que duc de Bar que Léopold doit rendre hommage au roi de France, comme le souligne les mots employés lors du cérémonial : « Le duc de Lorraine trouva la porte de la chambre du roi fermée et l'huissier à l'intérieur. Quelqu'un de 451 Michel Bur, Lorraine-Champagne : osmose et confrontation in Lorraine et Champagne, mille ans d'histoire, sous la direction de Michel Bur et François Roth. Comité d'histoire régionale - Annales de l'Est. 6° série - 59° année - Numéro spécial - 2009. p. 11 . 452 Ibid. Michel Bur, p. 11.

la suite du duc gratta à la porte et l'huissier demanda : « Qui est-ce ? » Le gratteur répondit : « C'est M. le duc de Lorraine. » La porte demeura fermée. La troisième fois, il répondit : « C'est M. le duc de Bar », et l'huissier ouvrit un battant de la porte453. »

Par ces paroles protocolaires, Louis XIV admet que Léopold n’est pas là en tant que duc de Lorraine mais seulement pour le Barrois, et encore le Barrois mouvant uniquement. Toutefois, cette distinction subtile ne parvient pas à éclipser le symbole et la soumission infligée à Léopold, duc de Lorraine et de Bar à la fois : « Monsieur, prenez l'épée et le chapeau » : cet ordre semblait d'autant plus humiliant au duc de Lorraine qu'il n'y avait d'hommage lige que pour le Barrois et « qu'on en ignore entièrement les usages et les raisons qui les ont fondés454 ». »

Lucien Bély insiste sur le caractère humiliant de l’hommage ; il s’agit de désarmer un vassal et de s’assurer sa loyauté : « Le roi, dans de telles cérémonies, était « dans toute la grandeur de la majesté royale » et devait être assisté par ses plus grands officiers. Le monarque demandait « de désarmer un prince et de le faire mettre dans la posture la plus humiliante », et pour cela il convenait d'avoir un officier principal et ayant commandement455. »

Le séjour de Léopold à Versailles constitue une épreuve périlleuse pour le jeune duc qui tente de maintenir tant bien que mal son rang. Mais, s’il accepte de s’incliner devant Louis XIV, il n’entend pas le faire devant aucun autre prince de France.

Comme le rappelle Lucien Bély, si Elisabeth-Charlotte d’Orléans jouit du statut de princesse de sang, ce n’est pas le cas du duc Léopold, son mari : « Cette visite posa des problèmes de préséance, surtout entre le duc de Lorraine et les princes du sang456. [...] »

Pour rappel, l’empereur du Saint-Empire est considéré comme le premier souverain d’Europe, rang que lui laisse sans jalousie le roi de France, car il considère, depuis la période westphalienne, le titre d’empereur comme davantage « honorifique » que réel. En revanche, il reste intransigeant vis-à-vis du roi d’Espagne, voulant être le premier roi de la chrétienté457. Après les principaux rois viennent ensuite les princes régnants du Saint-Empire458, parmi lesquels le duc de Lorraine, qui sait défendre son rang459.

453 Bély L., La Société des princes (XVIe – XVIIe siècle), Paris, Fayard, 1999. p. 483-485. 454 Ibid. Bély L., . p. 483-485.

455 Ibid. Bély L., . p. 483-485. 456 Ibid. Bély L., . p. 483-485.

457 Lucien Bély, Louis XIV, le plus grand roi du monde, Paris, Éditions Gisserot, 2005, p. 116.

458 Bély, L., Les Relations internationales en Europe : XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, PUF, 2007 (1992), p. 773.

459 Charles V refusait par exemple la préséance au prince électeur de Bavière, neveu de l’empereur. Bély L., La Société des princes (XVIe – XVIIe siècle), Paris, Fayard, 1999, p. 483-485.

A Versailles, les règles de préséance ne sont pas si éloignées qu’à Vienne car les princes étrangers suivent les princes de sang mais devancent les paires du royaume460. Lors de sa campagne contre les Turcs, l’empereur accorda au prince de Conti, en tant que prince de sang français, auréolé de la majesté de Louis XIV, la préséance sur les princes de maisons régnantes. En France, il en va de même en théorie : « Le baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs, donnait plutôt l'ordre suivant de préséance : les princes français, puis le duc de Lorraine, enfin l'électeur de Bavière461 ».

Seulement, il persiste une grande différence entre les deux cours qui repose sur la reconnaissance ou non de la qualité de prince de sang pour les fils naturels royaux462. Ainsi, lors de l’hommage, Léopold devrait, par exemple, la préséance au duc du Maine, fils naturel de Louis XIV et de Mme de Montespan.

Selon Saint-Simon, c’est pour éviter cette difficulté de préséance qu’une autre solution est choisie : l’incognito. En effet, il raconte que le beau-frère de Léopold et futur régent, Philippe d’Orléans, a su montrer au roi tous les avantages de ce procédé : « Monsieur aurait souligné que le duc, « ayant son pays enclavé et comme sous la domination du roi », ne pouvait qu'obéir au roi. Puis, il aurait mis en avant le cas des bâtards royaux : Louis XIV, ayant donné à ses enfants illégitimes les mêmes honneurs qu'aux princes du sang, ne pouvait pas cependant exiger du duc de Lorraine « les mêmes déférences » pour eux que pour les princes du sang. Il ne pouvait contraindre le duc dans ce domaine et, s'il ne le contraignait pas, cela réintroduirait une différence entre bâtards et princes du sang. L'incognito évitait donc toutes les visites et tous les honneurs463. »

Une autre explication plus prosaïque cette fois est donnée par le baron de Breteuil : « L'incognito du duc de Lorraine n'a pas eu d'autre raison que l'état de ses affaires : ce prince n'est que depuis très peu de temps rétabli dans ses Etats, et ses affaires ne sont pas encore assez rangées et assez bonnes pour soutenir, sans l'incommoder beaucoup, la dépense qu'un voyage en cérémonie à la cour de France lui aurait coûté464... »

C’est donc incognito, c’est à dire sous le faux pseudonyme de « marquis de Pont-à-Mousson » que Léopold alla prêter hommage. À la fin de la cérémonie, il rejoignit le groupe de courtisans comme si de rien était. Saint-Simon ironise contre cette solution, qui, selon lui, heurte les 460 Gicquel Jean-François, « Le statut de Prince étranger à la cour de France au XVIème siècle : réflexions autour des Guise », in Gérard Giuliato, Marta Peguera-Poch, Stefano Simiz (dir.), La Renaissance en Europe dans sa diversité: Les pouvoirs et lieux de pouvoir, Nancy, Groupe XVIe et XVIIe siècles en Europe, Université de Lorraine, 2015, pp. 265-273.

461 Bély L., La Société des princes (XVIe – XVIIe siècle), Paris, Fayard, 1999, p. 651.

462 Louis XIV a révolutionné l’ordre de préséance en légitimant ses enfants bâtards et leurs donnant un rang supérieur au paires de France, protégeant ainsi sa succession. Avec l’édit de Marly. Lucien Bély, Louis XIV, le plus grand roi du monde, Paris, Éditions Gisserot, 2005, p. 116.

463 Bély L., La Société des princes (XVIe – XVIIe siècle), Paris, Fayard, 1999. p. 483-485. 464Ibid. Bély L., p. 483-485.

règles de préséance : « Cet incognito était aussi parfaitement ridicule, incognito, tandis que Mme la duchesse de Lorraine n'y pouvait être ; incognito, et être publiquement logé, traité et défrayé par Monsieur dans le Palais-Royal, aux yeux de toute la France ; incognito, venant exprès pour un acte dans lequel il fallait qu'il fût publiquement connu et à découvert ; incognito enfin sans cause ni prétexte, puisque ses pères avaient été publiquement à la cour et à Paris, et son père même465. »

Outre les récriminations habituelles de Saint-Simon sur la place des enfants naturels de Louis XIV dans l’ordre protocolaire, le reste de la cour semble partager cette défiance vis-à-vis du duc de Lorraine : un prince étranger et en même temps très proche qui désormais se trouvait être de nouveau un prince régnant et de plus marié à une petite fille de France466. En effet, pour marquer leurs désaccords, les princes étrangers et les pairs de France refusent d’assister à la cérémonie.

Lucien Bély souligne en effet les protestations à la suite de la conduite du prince d’Orléans qui s’est assis dans le carrosse au côté du duc de Lorraine. Celui-ci a justifié sa conduite en soulignant que le duc de Lorraine est à présent un prince régnant et qu’il avait tenu le même honneur au duc de Modène, pour les mêmes raisons467.

Déjà Charles IV avait tenté de négocier avec Louis XIV la qualité de prince de sang en échange de la cession de la Lorraine après sa mort, lors du traité de Vincennes, qui avait été invalidé par le parlement de Paris468. Le recours à l’incognito montre, en quelque sorte, l’échec de l’intégration de la maison lorraine dans la cour de France.

Il s’avère nécessaire de dissocier le territoire lorrain de la famille ducale ; ce que Louis XIV avait déjà tenté avec le projet d’échange entre le duché de Lorraine et le duché de Milan et qui réussira avec François III et la Toscane.

465 Bély L., La Société des princes (XVIe – XVIIe siècle), Paris, Fayard, 1999. p. 483-485. 466 Ibid. Bély L., p. 483-485.

467 Ibid. Bély L., p. 483-485.

468 Le Moigne Y , « Les chemins de la réunion », dans Parisse, Michel, Histoire de la Lorraine, Toulouse, Privat, 1977 p. 298. 125