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Le contraste avec l’administration habsbourgeoise

Section I: Le mimétisme institutionnel entre la France et la Lorraine

B) Le contraste avec l’administration habsbourgeoise

Le duc Léopold aurait pu suivre un autre chemin institutionnel et s’inspirer pour sa propre administration du système autrichien : ce dernier privilégie la défense des particularismes plutôt qu’une administration centralisée et unitaire (1), il ressemble à une sorte d’État généraux, telle qu’en avait connu les duchés depuis des temps immémoriaux, à la différence qu’ils étaient permanents (2). Le choix de Léopold s’explique sans doute par un rayonnement français qui incite les autrichiens eux-mêmes à réformer leurs institutions à partir du règne de Marie Thérèse (3).

1) Particularisme contre centralisme unitaire

Le mode de gouvernement de la monarchie habsbourgeoise s’oppose au système centralisateur français. En effet, la construction du territoire français apparaît cohérente, se glissant petit à petit dans les anciennes frontières de la Gaule romaine, et s’accompagnant de la construction d’un État fort pour consolider l’ensemble.

À l’inverse, le modèle de gouvernance des Habsbourg, dont les possessions n’ont cessé d’évoluer au cours des siècles, se résume traditionnellement dans le respect des spécificités locales à chacune de leurs possessions : « pour chaque pays, c’est un territoire historique avec ses institutions particulières » qui s’oppose aux décisions de Vienne362. »

Ainsi, sans même évoquer le cas du Saint Empire Romain Germanique, où la diversité gouvernementale est encore plus accrue, les possessions des Habsbourg conservent leurs institutions propres : « des différences existent suivant les territoires, en Hongrie le roi et la diète élaborent des lois, en Bohême ou en Moravie, la diète n’a pas l’initiative des lois et décide principalement dans le domaine de la fiscalité363. »

Cette souplesse gouvernementale d’un territoire à un autre caractérise pendant longtemps le gouvernement des Habsbourg, avant que des réformes inspirées par le modèle français viennent 362 Tapié Victor L. cité par Pasteur, Paul. « Chapitre 1 - L’absolutisme éclairé, la création d’un État moderne », , Histoire de l'Autriche. De l'empire multinational à la nation autrichienne (XVIIIe-XXe siècles), sous la direction de Pasteur Paul. Armand Colin, 2011, pp. 7-35.

363 Pasteur, Paul. « Chapitre 1 - L’absolutisme éclairé, la création d’un État moderne », , Histoire de l'Autriche. De l'empire multinational à la nation autrichienne (XVIIIe-XXe siècles), sous la direction de Pasteur Paul. Armand Colin, 2011, pp. 7-35.

atténuer ce contraste. Ces anciennes institutions habsbourgeoises fonctionnaient sous la forme d’instances collégiales qui font la part belle à la noblesse ancienne et contrarie la mise en place d’une administration professionnelle aboutie : « Jusqu’aux réformes de Marie-Thérèse, ce sont les Conseils de Lieutenance qui s’avèrent être les exécutifs des gouvernements. Ils se composent des grands seigneurs du royaume en Bohême et en Hongrie. Le Conseil de Lieutenance fait appliquer dans le royaume les directives des chancelleries royales de Bohême et de Hongrie364. »

L’ambiguïté de ces exécutifs maintient des persistances féodales au cœur de l’appareil d’État : « Aussi bien le grand burgrave en Bohême que le palatin en Hongrie tiennent officiellement leur pouvoir de la diète, ils représentent à la fois la diète et le roi365. »

Malgré ce retard, l’exemple français et le contexte de construction d’États modernes en Europe à partir du XVIème siècle renforcent également le pouvoir central habsbourgeois, mais à un degré moindre que dans le royaume de France : « La conscience des particularismes et l’attachement aux droits et libertés traditionnels demeurent très forts, néanmoins le pouvoir du prince est de plus en plus accepté, et les compromis entre le souverain et les états ( Stände) s’opèrent dans un contexte en pleine mutation366. »

2) Des Conseils semblables aux Etat généraux contre un Conseil spécialisé en bureau

Derrière ces particularismes, il convient d’étudier ces organisations du pouvoir à travers les diètes, sorte de parlements féodaux, qui s’apparentent aux Etats généraux en France ou en Lorraine : « Les diètes, expression politique d’une société d’ordres, sont à peu près semblables dans chaque pays367. »

Leurs compétences concernent le cœur des pouvoirs régaliens : « Elles gèrent les affaires militaires et fiscales et organisent sur leur territoire certains aspects sociaux, économiques, religieux, voire la police368. »

Ce mode de fonctionnement contribue à maintenir les réminiscences de la féodalité à travers l’ « Etat habsbourgeois », alors qu’en refusant de réunir les États généraux à partir du règne 364 Pasteur, Paul. « Chapitre 1 - L’absolutisme éclairé, la création d’un État moderne », , Histoire de l'Autriche. De l'empire

multinational à la nation autrichienne (XVIIIe-XXe siècles), sous la direction de Pasteur Paul. Armand Colin, 2011, pp. 7-35. 365 Ibid. Pasteur, Paul., pp. 7-35.

366 Ibid. Pasteur, Paul., pp. 7-35. 367 Ibid. Pasteur, Paul., pp. 7-35. 368 Ibid. Pasteur, Paul., pp. 7-35.

de Louis XIII, Richelieu écarte le clergé et la noblesse du gouvernement et Louis XIV poursuivra cette politique en réformant son Conseil369 .

Ce gouvernement en s’appuyant sur ses puissants intermédiaires freine son propre processus de centralisation : « Les trois ordres « supérieurs », désignés parfois comme « ordres politiques » sont les membres des assemblées d’État où siègent le haut clergé, les familles aristocratiques ou les magnats en Hongrie qui détiennent à elles seules la grande majorité des terres, les représentants des villes370. »

Il existe bien entendu des degrés et des nuances selon les différents territoires habsbourgeois : « Néanmoins, des différences existent suivant les territoires, en Hongrie le roi et la diète élaborent des lois, en Bohême ou en Moravie, la diète n’a pas l’initiative des lois et décide principalement dans le domaine de la fiscalité371. »

3) Des réformes vers le système français

A l’époque du règne de Léopold, il n’y a pas encore eu les grandes réformes de Marie Thérèse mais Louis XIV règne avec éclat sur la France et l’absolutisme rayonne sur l’Europe.

Avec un décalage de trente ans, Marie Thérèse met en place un Conseil d’État, qui s’apparente au Conseil d’En-Haut français : « Lorsque Marie-Thérèse accède au trône, deux instances permettent au souverain de discuter et de délibérer : le Conseil secret ( Geheimer Rat) instauré en 1527 et la Conférence privée ( Geheime Konferenz), celle-ci voit son rôle réduit lorsqu’est créé en 1761 le Conseil d’État ( Staatsrat372). »

Plutôt que sous-traiter les dossiers les plus techniques à des bureaux spécialisés, ce sont d’anciennes institutions qui vont peu à peu être organisées pour offrir une cohérence à l’État habsbourgeois.

Par exemple en matière de finance, la Hofkammer373, en matière militaire la 369 Michel Antoine, Conseil de Louis XV.

370 Pasteur, Paul. « Chapitre 1 - L’absolutisme éclairé, la création d’un État moderne », Histoire de l'Autriche. De l'empire multinational à la nation autrichienne (XVIIIe-XXe siècles), sous la direction de Pasteur Paul. Armand Colin, 2011, pp. 7-35. 371 Ibid. Pasteur, Paul., pp. 7-35.

372 Ibid. Pasteur, Paul., pp. 7-35.

373 « Les affaires financières sont suivies par la Hofkammer, la Chambre de la cour, mais les ressources dues aux contributions levées dans chaque royaume et pays lui échappent. La Hofkammer gère uniquement le Camerale, les revenus des domaines de la couronne, et des droits régaliens et les dépenses de la cour. » Ibid. Pasteur, Paul. pp. 7-35.

Hofkriegsrat374. Ce système peut apparaître plus cohérent, mais il n’en demeure pas moins problématique dans ce mode de fonctionnement : « Qu’il s’agisse des affaires financières ou militaires, le poids des différentes structures au niveau central et celui des royaumes et Pays sont soit en concurrence, soit doivent négocier, ce qui explique la lenteur proverbiale de l’administration dans les pays habsbourgeois qui demeurera pratiquement jusqu’à l’intégration de la République d’Autriche au sein de l’Union européenne375

L’efficacité a sans doute motivé le choix de Léopold d’adopter un modèle de gouvernement français plutôt que l’exemple habsbourgeois, qu’il avait connu lors de son enfance à Insbrück. Il aurait tout à fait pu poursuivre la politique de Charles III, gouvernant à l’aide des États généraux, outil qui convenait à la volonté de mettre en place une monarchie tempérée.

Dans son Histoire de la Lorraine, Jean Vartier remarque les conséquences de ce choix dans l’intégration politique de la Lorraine à la France : « Léopold ne doutait guère en introduisant chez lui les institutions françaises en Lorraine, qu’il travaillait inconsciemment à rendre l’absorption des duchés plus faciles. Gagné à l’exemple de l’absolutisme français, il se garda de ressusciter les libérales institutions de l’ancienne lorraine, en particulier les États Généraux, issus des élections diverses et rédacteur des cahiers de doléances376. »

374 « Quant aux affaires militaires, elles dépendent du Hofkriegsrat, le Conseil de guerre de la cour, qui ne devient central qu’en 1746. » Ibid. Pasteur, Paul. pp. 7-35.

375 Ibid. Pasteur, Paul. pp. 7-35.

376 Vartier Jean, Histoire de la Lorraine, France Empire, Paris, 1994, p. 128.

II. La réorganisation à la française de l’administration

Pour imposer ses réformes, le Conseil ducal est soutenu par des cours souveraines, avec lesquelles le duc Léopold entretient une excellente relation (A), ce particularisme local s’explique par la sélection des magistrats (B).