• Aucun résultat trouvé

Un duc en précampagne électorale ?

II. La dérangeante tournée européenne de François III

A) Un duc en précampagne électorale ?

Rentré en Lorraine le 18 février 1730, le duc disparaît près d’un an plus tard. Les raisons qui ont motivé ce départ sont liées à son ambition impériale. Son comportement va compromettre sa relation initiale avec le royaume de France.

1) La fuite de la Lorraine

Dans les premiers jours de 1730, la rumeur enfle : François III s’apprête à quitter ses duchés668. Si François de Lorraine quitte son duché, c’est qu’il craint un enlèvement fomenté par les Français669. Sous Louis XIV, Charles IV avait lui-même été victime, sans succès, de telle tentative. Au temps de la France du Cardinal de Fleury, pareille suspicion a de quoi surprendre.

Pour comprendre cette réaction surprenante du jeune duc, il faut saisir le contexte international de l’époque : en 1725, le duc de Bourbon souhaite marier rapidement Louis XV. Il craint que le roi de France ne meurt sans héritier et que les Orléans montent sur le trône670. Cela aboutit au renvoi de la très jeune fiancée du roi de France, l’infante d’Espagne, et engendre une rupture diplomatique avec la France. Philippe V et l’empereur se rapprochent : « Le traité de Hanovre à son tour transforma le rapprochement austro-espagnol en un traité plus étroit, signé le 5 novembre, connu comme le premier traité de Vienne. La France serait démembrée en cas de victoire. Le Congrès de Cambrai se dispersa dans la plus grande confusion671. »

Cette alliance assez curieuse conclue entre un fils de Louis XIV, Philippe V d’Espagne et l’Autriche des Habsbourg menace d’encercler la France comme du temps de Charles V : « L’Europe coupée en deux. — Le 1er mai 1725, Philippe V reconnut la Pragmatique Sanction. Ce 668 Haussonville Jean (comte d’.). Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, Paris, M. Lévy Frères, 1860, vol 4. p. 231. 669 Jalabert L., François III, ducs de Lorraine Biographie plurielles de René II à Stanislas, Pairages, Nancy, 2017. p. 180. 670 Op. Cit. Haussonville Jean (comte d’.). p. 173.

671 Bély, Lucien. « 22. La France de Monsieur le Cardinal », La France moderne, 1498-1789. sous la direction de Bély Lucien. Presses Universitaires de France, 2013, pp. 489-506.

rapprochement entre les ennemis d’autrefois inquiéta les autres puissances et accéléra les discussions qui aboutirent à Hanovre : un accord était signé entre l’Angleterre, la France et la Prusse (3 septembre 1725). Désormais l’Angleterre fut mobilisée dans la perspective d’une guerre et elle le fut jusqu’en 1730672. »

Par cette réponse d’alliance à une autre alliance tout aussi contre nature, la France pacifique du cardinal de Fleury et l’Angleterre de Walopole opposent à l’axe Madrid/Vienne un autre axe Londres, Versailles et Berlin, ce qui permet de rétablir temporairement l’équilibre entre les puissances européennes : « La guerre évitée. — L’Autriche s’était alliée à la Russie en 1726 : les alliés de Hanovre avaient en face d’eux l’Autriche, la Russie et l’Espagne. En apparence, la guerre menaçait. L’Espagne la déclara à l’Angleterre en 1727 et mit le siège devant Gibraltar. Fleury ne cessait de négocier et permit d’écarter une conflagration générale673. »

En 1729, la situation en Europe avait considérablement changé : Louis XV et Marie Leczinska avaient mis au monde un dauphin qui brisait définitivement les espoirs de Philippe V d’accéder un jour au trône de France. Le refus d’un mariage entre Don Carlos et l’une des filles de Charles VI le convainquit de revenir vers son ancien allié français : « Un rapprochement avec Philippe V : le traité de Séville. — La politique française visait de nouveau à abaisser la maison d’Autriche et considérait que l’union des Bourbons contre les Habsbourg était, à cette fin, la plus utile. Comme la reine d’Espagne n’obtenait pas la main d’une archiduchesse pour son fils Don Carlos, Philippe V changea de politique et se rapprocha de Londres et de Versailles674. »

Seulement, l’Angleterre, fidèle à sa politique d’équilibre, change à son tour d’allié et soutient l’Autriche contre cette nouvelle alliance dynastique entre Bourbon d’Espagne et Bourbon de France. L’alliance entre l’Angleterre et l’Autriche se matérialise par le deuxième traité de Vienne : « Le « second traité de Vienne » fut signé le 16 mars 1631 entre Londres et Vienne : la Grande-Bretagne reconnaissait la Pragmatique Sanction, l’empereur consentait à l’occupation des duchés italiens. Cette fois, l’entente entre les deux anciens ennemis de Louis XIV inquiétait Versailles et Madrid, et on envisageait de resserrer les liens entre les Bourbons675. »

C’est dans ce contexte de tensions internationales que François III, qui craint de devenir un otage de la France dans une Lorraine occupée, quitte la Lorraine, et ignore, à ce moment, qu’il n’y retournerait plus jamais. Laurent Jalabert note la concordance du contexte international : « Après la signature du second traité de Vienne en mars 1731, et le rapprochement entre l’Angleterre et l’Autriche, l’on craint pour le jeune duc : en cas de guerre avec la France, il ne faudrait pas que celui-ci tombe entre les mains de cette dernière, d’où la demande de Vienne faite auprès de François 672 Bély, Lucien. « 22. La France de Monsieur le Cardinal », La France moderne, 1498-1789. sous la direction de Bély Lucien.

Presses Universitaires de France, 2013, pp. 489-506. 673 Ibid. Bély, Lucien. pp. 489-506.

674 Ibid. Bély, Lucien. pp. 489-506. 675 Ibid. Bély, Lucien. pp. 489-506.

III pour qu’il revienne rapidement676 . »

Ce départ ne plaît pas au parti français de la cour de Lunéville, à commencer par sa mère, Elisabeth-Charlotte d’Orléans : « Malgré les efforts de sa mère pour le retenir à Lunéville, François III se mit en route dès avril 1731 pour un long périple à travers l’Europe677. » L’absence de François III vient fragiliser un peu plus le pouvoir ducal en Lorraine, tandis que ses relations diplomatiques accroissent la méfiance des Français.

2) Les liaisons dangereuses

Pour Laurent Jalabert : « le départ du duc, précipité par le contexte international, montre aussi que s’il cherche à maintenir la neutralité pour ses Etats, il n’en reste pas moins plutôt proche des Habsbourg678. » C’est un euphémisme. L’attitude du duc de Lorraine qui suit ce départ rappelle beaucoup celle de son grand ancêtre Charles IV s’alliant avec les adversaires de la France tout en essayant de mener un double jeu et de duper les Français.

Mais tous les historiens ne semblent pas partager ce point de vue : plutôt qu’insister sur le contexte diplomatique préoccupant pour la Lorraine, d’autres auteurs comme Henry Bogdan, préfèrent insister sur le caractère culturel du voyage initié par François III : « En prince éclairé, il entendait visiter cette Europe dans laquelle il devait être un jour appelé à jouer un rôle important679. »

Ce qu’Amélie Voisin qualifie de « tour des grandes villes d’Europe »680, n’a pourtant rien du grand tour artistique auquel son père Léopold avait contribué en faisant de la Lorraine une étape. Quand on regarde les villes visitées, il s’agit de Bruxelles dans les Pays-Bas autrichiens, où il rend visite à l’archiduchesse, sœur de l’empereur et gouvernante de cette possession Habsbourg à qui succédera Charles-Alexandre plus tard ; plus tard, ce sera Charles-Alexandre qui lui succédera681. Ensuite, il se rend aux Provinces unies : « C’est là, qu’à la Haye, l’ambassadeur anglais Lord Chesterfield, l’introduisit dans la franc-maçonnerie682. » Il part ensuite pour Londres, et revient dans le Saint-Empire où il visite les différents princes : « Revenu sur le continent, il visita les cours 676 Jalabert Laurent., ducs de Lorraine Biographie plurielles de René II à Stanislas, Pairages, Nancy, 2017. p. 180.

677 Bogdan, Henri, La Lorraine des ducs, Paris, Perrin, 2005. p. 229.

678 Jalabert Laurent., François III, ducs de Lorraine Biographie plurielles de René II à Stanislas, Pairages, Nancy, 2017. p.180. 679 Bogdan, Henri, La Lorraine des ducs, Paris, Perrin, 2005. p 230.

680 Amélie Voisin, « François-Étienne de Lorraine (1708-1765) : un héritage ambigu, un héritage méconnu ? », Annales de l'Est, 7e série, 63e année, numéro spécial, 2013. p. 244.

681 Michèle Galand, Charles de Lorraine, gouverneur général des Pays-Bas autrichiens (1744-1780), Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1993, p. 203.

allemandes, assista en Prusse au mariage de Frédéric II avec Elisabeth de Brunswick683. »

Après, cette tournée de tous les ennemis sur la scène diplomatique de Louis XV, il revient naturellement à Vienne, où, entre temps, il a été nommé par l’empereur « chef du Conseil de lieutenance du royaume de Hongrie » : « Après avoir remercié à Vienne Charles VI pour la confiance qu’il venait de lui témoigner, François III gagna Presbourg et le 6 juin, il prêta serment devant la diète de Hongrie684. »

Le message est clair : l’Autriche et ses alliés sont prêts à la guerre contre le royaume de France et le duc de Lorraine a choisi son camp. La ligne rouge d’un mariage lorrain a été franchie. Il ne manque plus qu’une étincelle pour embraser à nouveau l’Europe : ce sera la guerre de succession de Pologne.