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Un pouvoir d’agglomération en quête de symboles identitaires

Dans le document La politique culturelle des agglomérations (Page 32-35)

Enfin, sur un versant plus politique, l’exercice prospectif permet d’imaginer comment le pouvoir d’agglomération pourrait s’approprier, à l’avenir, certains symboles culturels pour conforter sa légi- timité et pérenniser son territoire d’inter- vention. Les scénarios qui concluent les études montrent à quel point chaque configuration territoriale reste dépen- dante d’une histoire intercommunale 32

bordée d’opportunités politiques précises et de rapports de force singuliers. Le pas- sage en CdA a en quelque sorte révélé les représentations du combat politique telles qu’elles s’affirmaient de façon diffé- renciée dans chaque contexte local. L’exercice prospectif a du mal à se dégager de ce décor « réaliste » d’échanges politi- ques territorialisés. Pour autant, le pas- sage en CdA affûte des ambitions nouvelles chaque fois qu’il permet à ses leaders politiques d’affirmer un imagi- naire territorial qui transcende des parti- cularismes ou des clivages internes. Deux cas de figure sont à ce titre identifiables : celui où l’agglomération pourrait asseoir une partie importante de sa communica- tion politique sur les ambitions culturelles de rayonnement qui étaient jusqu’alors exprimées par la ville-centre (comme à Montpellier et à Rennes, ou dans une moindre mesure à Amiens et La Rochelle), et celui où l’agglomération pourrait valo- riser symboliquement les ambitions socio- économiques affichées sur son territoire, que ce soit à partir de la ville-centre (comme à Rodez), de la région urbaine (comme à Montbéliard) ou de la métropole (comme dans le Grand Lyon).

Le premier cas de figure est caractérisé par la structuration d’un leadership poli- tique fort qui semble impliquer, à terme, un renforcement de la bureaucratie cultu- relle d’agglomération. Les scénarios pros- pectifs montrent en effet que les CdA pourraient chercher à dépasser la pra- tique des fonds de concours pour autono- miser la politique culturelle d’agglomération. Cette stratégie repose sur l’idée que le leader politique souhaite que l’agglomération devienne une collec- tivité majeure avec une politique de mar- keting institutionnel en rapport avec ses fonctions de centralité et de rayonnement. C’est ainsi que la CdA de Montpellier pourrait utiliser la culture pour multiplier les indices de grandeur de son territoire auprès d’une population riche en classes moyennes et supérieures, dans un

contexte régional politiquement hostile. Sur le même registre, la CdA de Rennes pourrait afficher son nouvel équipement culturel comme le symbole d’une certaine plénitude gestionnaire mariant la puis- sance rennaise, le renouveau des négocia- tions intercommunales et l’affirmation symbolique d’une forme innovante de dé- mocratisation culturelle. On pourrait aus- si faire cet exercice de politique-fiction sur Amiens (la culture facilitant pour le prési- dent de la CdA l’apprentissage discursif d’une citoyenneté métropolitaine) et sur La Rochelle (où un élu pourrait personna- liser à nouveau le pouvoir en renouant, via des manifestations culturelles d’enver- gure, avec le référentiel modernisateur porté par Michel Crépeau).

Le second cas de figure illustre en re- vanche une situation où la donne cultu- relle serait plutôt mise au service d’autres stratégies de développement. L’exemple le plus explicite concerne le Grand Rodez et l’affichage prioritaire sur le développe- ment économique. Le refus actuel d’une communautarisation des services cultu- rels n’est pas incompatible avec le déve- loppement progressif d’une stratégie communicationnelle centrée sur l’excel- lence économique dans laquelle les critè- res culturels de l’identité et des valeurs communes prendront une place crois- sante. Dans la CdA de Montbéliard, le contexte compliqué de chevauchement des espaces communaux et supracommu- naux pourrait inciter les principaux lea- ders politiques à accompagner les ambitions sectorielles sur le tourisme et l’emploi de programmations culturelles soulignant la cohésion et l’identité de ces effets de territoires (dans l’esprit de la dy- namique conquérante sur l’industrie au- tomobile des années 50). Le cas du Grand Lyon offre aussi un exemple d’intercom- munalité où la cohésion d’ensemble pour- rait être inventée sur des bases intellectuelles combinant des références culturelles et des atouts socioéconomi-

gagé dans Millénaire 3 montre que les 21

priorités pour le XXIesiècle s’appuieront

nécessairement sur une démarche partici- pative imprégnée de repères forts sur la place culturelle du Grand Lyon dans le contexte régional et international. On peut facilement imaginer que ce souci de positionnement géostratégique incitera les leaders politiques à lutter contre les risques d’éclatement et d’éparpillement en imprégnant les différentes politiques sectorielles de références identitaires.

Au-delà de ces deux cas de figure, l’une des nouvelles frontières de l’aggloméra- tion est située à la périphérie des villes. Désorganisé, desservi au gré des rares sensibilités artistiques et culturelles de ses élus, le périurbain s’illustre pour l’ins- tant, par le biais de ses représentants, au travers de velléités de protection contre les effets jugés indésirables (notamment financièrement) de l’agglomération. Dans les phases de transition institutionnelle, ce sont souvent les grands leaders qui sont au-devant de la scène. Le stade de la consolidation désignera ce périurbain comme l’espace par excellence d’un amé- nagement territorial et d’une refondation des politiques culturelles urbaines.

L’intervention culturelle dans les ag- glomérations pourra-t-elle avoir des effets structurants sur les conditions de défini- tion de l’intérêt communautaire dans les grandes villes en France ? En guise d’ou-

verture conclusive, nous ferons l’hypo- thèse que les indices culturels de centralité partagée, d’intégration sociale et de marketing identitaire qui se déga- gent des réflexions prospectives accompa- gnent et illustrent le déplacement des politiques urbaines vers un modèle d’ac- tion publique plus territorialisé et plus pragmatique que par le passé. Ce constat, s’il s’inscrit sans surprise dans un contexte général de réorganisation des ré- gulations collectives (mondialisation, gouvernance, néo-libéralisme, nouvelle économie et territorialisation de l’action collective...), prend néanmoins, dans ses composantes culturelles, une tournure explicative intéressante. On perçoit en effet avec la création des compétences culturel- les d’agglomération que le leadership poli- tique appréhende la mise sur agenda des

problèmes culturels en acceptant des héri-

tages territoriaux mais en se démarquant, parfois fermement, d’un standard de poli- tique culturelle urbaine qui orientait, de- puis l’État culturel, la majorité des villes. Ce standard, au gré de la décentralisation et des effets de la déconcentration, est en voie d’épuisement. Ses acquis sont certes encore largement présents dans les cadres d’action des villes-centre, mais leur trans- croissance à l’échelle nouvelle de l’agglo- mération devrait pousser plus loin encore l’autonomisation des choix, du sens et de l’institutionnalisation des politiques culturelles urbaines.

Dans le document La politique culturelle des agglomérations (Page 32-35)

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