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Définir la politique

Dans le document La politique culturelle des agglomérations (Page 172-176)

L’ensemble des entretiens que nous avons menés le montre : l’adoption des compétences proposées par la loi Chevè- 172

nement n’est qu’une étape dans un pro- cessus qui pourrait bien s’avérer plus complexe aujourd’hui qu’hier. Ainsi que le laisse entendre un chargé de mission, « il faudra inventer une politique cultu- relle d’agglomération ». En effet, la loi ne définit ni strictement ni de manière exten- sive les compétences des communautés urbaines. Au contraire elle use d’un voca- bulaire flou, qui devra être précisé.

En fait, au contraire du code des com- munes qui donne une acception large de l’intervention culturelle (ou de la loi sur la décentralisation qui énumère tout ce qui entre dans le champ culturel régional), la loi Chevènement autorise une autodéfini- tion du domaine, sans toutefois préciser les limites et donc sans spécifier ce qui ap- partient expressément à telle ou telle col- lectivité locale.

Quel pourrait être l’intérêt communautaire ?

« La loi Chevènement permet à un EPCI1, c’est-à-dire la communauté

urbaine, de traiter du domaine culturel, à condition et uniquement à cette condi- tion, que cela soit d’intérêt communau- taire » prévient un haut fonctionnaire récemment arrivé. Le processus par lequel sera identifié l’intérêt communau- taire repose sur le travail de la commis- sion spéciale, et par la « consultation » d’experts et de divers chargés de mission.

S’agissant des équipements qui seront considérés comme relevant de l’intérêt communautaire, là encore, la loi ne le pré- cise pas et il faudra que l’agglomération lyonnaise en établisse la définition2.

Un haut fonctionnaire arrivant « Il faudra voir ce que les élus enten- dent par intérêt communautaire, pour la culture, le sport, l’environnement, la poli- tique de la ville... Il faudra aussi voir si les moyens sont transférés de façon intégrale des villes vers la communauté urbaine. »

« L’orchestre de Lyon, l’opéra, les musées sont de grands équipements d’aggloméra- tion, voir régionaux », estime un élu de la ville-centre. Et de fait, seuls ces gros équi- pements sont aujourd’hui cités comme des équipements culturels d’intérêt com- munautaire. Un haut fonctionnaire sur le départ justifie cette vision ainsi : « La bi- bliothèque municipale de Lyon est un équipement central qui remplit plusieurs fonctions, c’est une médiathèque, une bi- bliothèque, un conservatoire de manus- crits précieux. On pourrait la communautariser parce que, toutes cho- ses égales par ailleurs, elle remplit la même fonction pour l’agglomération que la Bibliothèque nationale pour la France. Mais il faudra avoir cette discussion pour chaque équipement. »

Quelques exemples d’arguments pour définir la vocation

communautaire

Lors de nos entretiens, quelques exem- ples de projets qui pourraient être com- munautarisés ont émergé. Les arguments sont de plusieurs ordres : mise en réseau, augmentation des moyens, maillage du territoire.

173 1. Établissement public de coopération intercommunale.

2. La possibilité de définir au niveau local le texte général fait peut-être la force et l’originalité de cette loi. Cette latitude peut aussi être interprétée comme un signe de maturité dans le processus français de décentrali- sation. En effet, à la décentralisation « octroyée » des années 80 qui voyait la création de régions sur un modèle unique, succède une décentralisation « ouverte », à bâtir au cas par cas par les acteurs concernés.

Un haut fonctionnaire arrivant « À Neuville, il y a un musée automobile dont les collections sont très riches mais la ville n’a pas les moyens de le faire fonc- tionner. Tout proches se trouvent le musée Berliet et un musée consacré aux pom- piers. On a là un ensemble qui, s’il était géré au niveau communautaire, aurait des moyens à la hauteur de ses collections. »

Un élu ville-centre

« À Vaulx-en-Velin et Villeurbanne, il y a un projet de musée sur le peuplement et l’immigration qui s’installerait sur le site des usines Tasse. À proximité, on trouve l’hippodrome et un multiplex doit s’y installer prochainement. Le Grand Lyon pourrait aider, car cela concerne plusieurs villes de l’est lyonnais. »

Un élu ville-centre

« Dans le sud-ouest lyonnais, la com- mune de Charly a acheté une belle maison des champs classée mais qu’elle ne peut pas faire fonctionner. Les élus de Charly sont venus nous voir à la communauté ur- baine. Cette maison est dans un secteur de cultures maraîchères et fruitières. Elle pourrait être un équipement qui s’autofi- nance par ses cultures et un lieu de visite scolaire pour toute l’agglomération. »

Un chargé de mission

« Pour l’art contemporain, il y a le musée d’art contemporain à Lyon, l’Insti- tut d’art contemporain à Villeurbanne et le centre d’arts plastiques à Saint-Fons. Il faudrait probablement multiplier des cen- tres de la taille de celui de Saint-Fons, en créer 5 ou 6 sur l’agglomération. »

La tentation du « raisonnement par équipement »

Mais les discussions quant à l’interpré- tation à donner à la loi pourraient trouver leur solution de manière assez technocra- tique, dans une lecture étroite de la loi. « Il faudra toujours se raccrocher à un équipe- ment ou à un réseau d’équipements » es- time par exemple un haut fonctionnaire en partance. Or ce raisonnement nous pa- raît peu approprié, compte tenu des chan- gements survenus depuis une décade dans les habitudes de création des artistes.

Pour situer ce débat, il peut être utile de rappeler que la notion d’équipement à la- quelle fait référence la loi Chevènement est une constante dans les politiques publiques culturelles françaises, qui se fondent très souvent sur des lieux physiques. La pre- mière de ces politiques, qui remonte aux an- nées 60 et à « l’ère » Malraux, fut celle des maisons de la culture, qui devaient à l’ori- gine être construites dans chaque départe- ment. Cette légitimation de la politique culturelle par équipement persiste, alors qu’aujourd’hui, les artistes travaillent sou- vent « hors les murs ». Or, une bonne poli- tique culturelle, comme toute politique publique d’ailleurs, est une politique qui sait accompagner les évolutions profession- nelles du secteur auquel elle se destine.

À titre d’exemple du nouveau mode de fonctionnement des artistes, citons la compagnie anonyme, dirigée par Richard Brunel. Récemment accueillie en rési- dence au théâtre de la Renaissance d’Oul- lins, elle a présenté son dernier spectacle dans un terrain de jeu de boules couvert. Et toutes les créations de cette compagnie utilisent le bâti et donc l’équipement d’une manière originale et non conven- tionnelle : le public est parfois invité à déambuler, ou bien la scène est installée dans un sous-sol, etc.

Dans un autre domaine, la Biennale d’art contemporain, manifestation phare, s’est déroulée dans la halle Tony Garnier, 174

un ancien abattoir rénové qui est au- jourd’hui un lieu polyvalent accueillant des spectacles comme des expositions. On peut aussi mentionner la danse hip-hop, une pratique née dans la rue et qui se montre toujours de cette façon. Ou encore, le formidable développement des « arts de la rue », se déroulant en plein air, avec un public non captif. La multiplication des manifestations temporaires qui accueille les arts de la rue (Aurillac, Châ- lon-sur-Saône, Annonay, pour ne citer que quelques-unes d’entre elles), té- moigne que la subvention publique peut être distribuée autrement.

Cela ne veut pas dire qu’il faille fermer les équipements culturels, mais qu’il n’est plus nécessairement opportun d’établir l’intervention publique culturelle unique- ment sur eux. Les artistes qui s’interro- gent sur la désaffection du public dans les théâtres (ou sur sa structuration toujours identique) ont fait le pari de se montrer autrement. Cela n’est peut-être qu’un épi- phénomène, mais rien n’est certain en la matière. Une collectivité locale qui a la chance d’initier une politique, et qui, par conséquent, n’est pas contrainte par la né- cessité d’entretenir les bâtiments et leurs équipes – les marges de manœuvre budgé- taires des villes sont souvent très réduites par la nécessité de reconduire le budget de leurs équipements culturels – peut éven- tuellement envisager la question de l’in- tervention sous cet angle.

Vers l’élaboration d’une véritable politique culturelle d’agglomération ?

Il faut aussi souligner que le Grand Lyon n’a pas de tradition culturelle, ce qui

peut être un atout comme un handicap. Un atout, parce que cette collectivité terri- toriale a la possibilité de mettre en place une politique nouvelle. Un handicap, parce que sans antériorité dans ce do- maine, elle risque de calquer ses modalités d’action et d’intervention sur celles des collectivités qui ont un savoir-faire.

L’expérience d’une collectivité locale vierge sur ces questions ou presque – on veut parler de la région Rhône-Alpes au début des années 80 – montre que la col- lectivité a été en grande partie soumise à ses partenaires. En ayant fait le choix de ne pas se doter d’une véritable adminis- tration culturelle et en s’appuyant sur l’expertise de la Drac1, la région

Rhône-Alpes a eu du mal à acquérir une autonomie en matière culturelle. Elle est longtemps apparue comme un contri- buteur supplétif, à des budgets et des opérations décidés ailleurs. Il aura fallu attendre plus de dix ans pour qu’émerge une véritable politique, c’est-à-dire des dispositifs nouveaux qui soient propres à la région. Il s’agit notamment du chèque culture et de lycéens à l’opéra, deux opé- rations qui soutiennent la consomma- tion culturelle des jeunes, ou dans un autre registre, la création de Rhône-Alpes Cinéma.

Lorsqu’on interroge plus précisément les acteurs travaillant au Grand Lyon sur le contenu qui sera donné à ces nouvelles compétences, certains avancent l’idée que le Grand Lyon devrait investir un terrain culturel vierge2. Un chargé de mission

remarque ainsi : « On pourrait miser sur l’émergence de nouvelles pratiques, dans la mouvance du hip-hop par exemple. Le Grand Lyon pourrait ne pas donner

175 1. Direction régionale des affaires culturelles, représentant le ministère de la Culture en région, via le Préfet.

2. On sait d’ailleurs que c’est le meilleur moyen d’acquérir visibilité et notoriété. Que l’on se réfère à « l’inves- tissement » massif sur l’art contemporain réalisé au début des années 80 par le ministère de Jack Lang. L’art contemporain était alors très faiblement aidé et soutenu par une poignée d’aficionados. L’arrivée d’argent public a permis au secteur de se professionnaliser et au ministère de la Culture de rendre visible sa politique en raison de la nouveauté de celle-ci.

davantage d’argent à l’opéra et se concentrer sur les cultures des banlieues, les friches. Nous pourrions plaider en ce sens. »

Cette proposition appelle un certain nombre de remarques. Ces pratiques nou- velles se développent dans l’aggloméra- tion lyonnaise et acquièrent une reconnaissance à la fois en termes artisti- ques et d’audience. De plus, à l’heure ac- tuelle, la plupart des subventions attribuées à ces activités artistiques nou- velles n’émanent pas des financeurs légi- times de la culture. Le plus souvent, elles se développent par l’intermédiaire de la politique de la ville, appuyée par le minis- tère de la Jeunesse et des Sports et le Fas1

notamment. Afin d’acquérir une légitimi- té dans le champ de l’art, et parce que la politique de la ville n’a pas vocation à soutenir des opérations pérennes, les pro- moteurs de ces nouvelles formes cultu- relles souhaitent les voir entrer dans le « droit commun », c’est-à-dire financées sur les budgets culturels des différentes collectivités locales.

C’est, par exemple, ce qui s’est produit pour le musée urbain Tony Garnier. Cette opération, initiée par les habitants d’un quartier d’habitations à loyer modé- ré qui devait subir une lourde réhabilita- tion. Le DSU2 et les organismes HLM

avaient alors financé la réalisation de peintures sur les murs aveugles de cette cité. Le succès de ces fresques auprès du public extérieur au quartier amena à créer un « musée urbain » qui, depuis 1999, émarge au budget « culture » de la ville de Lyon et espère obtenir des subsi- des en provenance de la Drac.

Mettre au point des méthodes

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