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Doctorante en science politique à l’université de Montpellier

Dans le document La politique culturelle des agglomérations (Page 61-63)

L

’ÉTAT DES LIEUX

L’ancienneté du district du Grand Ro- dez (1964), l’étendue des compétences ini- tialement choisies (même si, en matière culturelle notamment, certaines sont longtemps restées lettre morte) et l’impli- cation forte au niveau national de ses res- ponsables (politiques et administratifs) en faveur de l’intercommunalité fondent la spécificité de ce site. Véritable « labora- toire » à certains égards pour la mise en place de structures communautaires, la communauté d’agglomération du Grand Rodez, issue de la transformation du dis- trict (comportant huit communes), cons- titue un lieu d’observation privilégié pour apprécier l’impact des récentes réformes institutionnelles sur les modalités de coo- pération culturelle intercommunale. Après un aperçu synthétique du contexte local, qui permet de situer la communauté d’agglomération dans son environne- ment, on présentera successivement la situation institutionnelle issue du pro- cessus intercommunal et un état des lieux de la culture dans l’agglomération.

La ville de Rodez est le centre du princi- pal pôle urbain du département de l’Avey- ron. Capitale administrative, ville-centre de la communauté d’agglomération du Grand Rodez, mais rayonnant bien au-delà des limites communautaires, elle

se situe à équidistance de trois métropoles régionales : Clermont-Ferrand, Montpel- lier et Toulouse. Cette situation géogra- phique lui permet de se positionner en tant que pôle de dynamisme économique, mais aussi culturel, pour tout le sud du Massif central, rôle que sa taille ne lui pré- disposait pas à jouer (Rodez compte 26 367 habitants ; cependant, le bassin de vie en comprend plus de 100 000).

Le contexte général est positif : dans un département faiblement peuplé, l’aire ur- baine (dix-neuf communes) voit sa popu- lation croître, la plus forte progression se situant en dehors des limites de la commu- nauté1. La bourgeoisie installée, issue en

grande partie du milieu agricole du siècle dernier, témoigne à la fois de la réussite d’une partie de l’émigration aveyronnaise (notamment vers Paris) et d’un attache- ment fort à la région d’origine, les réseaux d’entraide et de solidarité favorisant un retour des fruits de cette émigration. Une nouvelle bourgeoisie, liée à l’important développement économique actuel, vient renouveler ces milieux traditionnelle- ment conservateurs. La ville ne connaît pas de problèmes d’insécurité. Le tissu as- sociatif, particulièrement dense, prend en partie appui sur les réseaux d’un catholi- cisme social toujours très prégnant.

Le taux de chômage est particulière- ment bas dans toute la zone d’emploi, qui

61 1. Qui comportait 48 000 habitants en 1990, 52 852 en 1999.

regroupe 151 communes : moins de 6 % sur la ville, 6,8 % dans l’Aveyron au 31 dé- cembre 19981. La croissance économique

est stimulée ici par les industries et servi- ces traditionnellement présents (agroali- mentaire, filière bois) qui ont su se maintenir, et par l’implantation de nou- velles entreprises, dans des secteurs por- teurs (mécanique, dans le contexte du système productif de la « Mecanic Val- ley », avec comme locomotive la société Bosch SA, mais aussi des entreprises de sous-traitance pour le secteur aéronau- tique ; informatique).

La situation politique se caractérise par une domination globale de la droite au ni- veau départemental (un député RPR, un UDF et un radical de gauche), domination que l’on retrouve sur la ville de Rodez et ses environs, où une tendance démo- crate-chrétienne dirige la municipalité de- puis la seconde guerre mondiale. L’implantation de la gauche se limite à trois zones bien définies : le sud de l’Avey- ron, culturellement proche du Languedoc (et marqué par un protestantisme sociali- sant) ; au nord, le bassin minier de Decaze- ville, qui connut un syndicalisme ouvrier particulièrement combatif ; enfin, à l’ouest, Villefranche-de-Rouergue, tradi- tionnellement radicale, avec une franc-ma- çonnerie influente. Cet ancrage à droite de la région ruthénoise ne déborde pas vers les extrêmes. Il s’agit ici d’une droite clas- sique, peu libérale, à connotation sociale. Marc Censi, maire de Rodez (et président de la communauté d’agglomération) bri- guera en 2001 un quatrième mandat, sans concurrent sérieux. La longévité de cette équipe lui a permis de porter à bien un pro- gramme d’équipements sur le long terme, qui a transformé la ville. La coopération in- tercommunale a bénéficié de cette stabilité politique (caractéristique aussi bien de la

ville-centre que des communes périphéri- ques) lors des périodes de remise en cause ou d’exacerbation des oppositions internes à la majorité (cf. infra). D’autant plus que sur les questions perçues comme relevant d’un « intérêt général » local, la solidarité et le sentiment d’appartenance, tradition- nellement forts, ont tendance à estomper les clivages politiques et sociaux2.

La droite locale, bien que dominante, est divisée par des rivalités de personnes qui recoupent également l’opposition ru- ral/urbain. Le RPR est ouvertement en crise depuis les législatives de 1997 et l’ex- clusion d’une partie des militants gaullis- tes. L’UDF, elle, est polarisée autour de deux « poids lourds » politiques : M. Censi et J. Puech (président du conseil général, et de l’Association des présidents de conseils généraux), rivaux pour le leader- ship local et représentatifs de deux cultu- res politiques très différentes.

J. Puech (ancien ministre de la fonction publique, ancien ministre de l’Agricul- ture, sénateur, maire de Rignac depuis 1977) est issu du monde rural, il incarne la tradition terrienne et conservatrice du département. En tant que président du conseil général, il privilégie l’aménage- ment et le développement du milieu rural, parfois au détriment des pôles urbains. M. Censi (Démocratie libérale, ex-président du conseil régional Midi-Pyrénées) se po- sitionne davantage au centre, voire au centre-gauche. Il tend dans sa gestion à représenter l’ouverture, ce qui se concré- tise, par exemple en conseil municipal, mais aussi lors de son mandat de prési- dent du conseil régional (de 1988 à 1998), par la recherche de l’approbation la plus large. Catholique humaniste, il développe un style plus intellectuel (il écrit des piè- ces de théâtre) et ne communique pas comme un professionnel de la politique. Il

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1. Chiffres tirés de : L’Aveyron en chiffres, no21, Préfecture de l’Aveyron, 1999.

2. Sur la situation politique du département, voir Roger Lajoie-Mazenc, L’Aveyron en République, Éditions du Rouergue, 2000.

est généralement considéré comme un homme de culture. Son action à la tête de l’équipe municipale et en tant que prési- dent de la communauté d’agglomération se fonde sur une idée-force : transformer les handicaps (l’enclavement, l’image rurale) en atouts, d’où les efforts en matière de dé- veloppement des voies de communication (réseau routier, notamment le doublement de la RN 88, ferroviaire, aéroport), et l’ac- cent mis sur la qualité de la vie dans la com- munication destinée aux entreprises. La mise en œuvre concrète de cette ligne di- rectrice demeure néanmoins subordonnée à l’obtention d’un consensus général sur les modalités et les moyens à engager, ce qui peut délayer les prises de décision.

La situation culturelle ruthénoise est paradoxale à l’échelon de l’intercommu- nalité. Aucun projet culturel de territoire n’a pour l’heure émergé, bien que les élé- ments en soient réunis : public nombreux et averti, équipements rénovés, milieu culturel actif et volonté politique affichée. Il s’agit dès lors de comprendre les enjeux qui se profilent derrière ce décalage, entre, d’une part les discours et les moyens engagés (en termes d’équipe- ments), d’autre part un attentisme dans les faits qui renvoie, mais pas unique- ment, à ce goût du consensus précédem- ment évoqué. La lisibilité de l’offre culturelle au niveau intercommunal en pâtit. Nous verrons que ce déficit de cohé- rence et d’homogénéité de l’action cultu- relle communautaire est lié à la définition des priorités de la part des responsables politiques, mais aussi à un défaut d’impli- cation du milieu culturel à ce niveau. Appréhendée localement, la situation ob- jective en ce domaine présente un bilan sa- tisfaisant, ce qui rend a priori moins pressants les problèmes structurels posés

par le flou entretenu au niveau communautaire sur la question cultu- relle. Cependant, l’attentisme institution- nel en la matière induit deux risques à terme : l’accumulation d’un retard (par rapport à l’action d’autres collectivités) et corrélativement la création d’une situation de juxtaposition d’initiatives privées ou publiques exemptes de toute coordination.

Une intercommunalité de projet

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