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Un débat sur le fonctionnement initié par les professionnels

Dans le document La politique culturelle des agglomérations (Page 111-115)

Dans un premier temps, étant donné la surcharge de l’agenda, l’administration intercommunale semble avoir été peu dis- ponible pour discuter de tels enjeux et pré- parer des délibérations. En effet, la communauté d’agglomération ne dispo- sait alors que de la compétence de l’agent du service de communication détaché à l’organisation des débats de la commis- sion culture et à la mise en place de quelques opérations ponctuelles. Le recrutement d’un administrateur territo- rial en qualité de directeur de la prospec- tive permettait au directeur général de déléguer la réflexion technique sur le transfert du Nec. L’opportunité d’accueil- lir des stagiaires de l’Enact (École natio- nale d’administration des collectivités territoriales) permettait également, en juin 2000, de recenser les enjeux perti- nents relatifs à ce transfert1.

Alors même que les négociations politi- ques entre élus les ont d’abord conduits à concevoir la mise en œuvre de la nouvelle compétence en termes d’investissement, les cadres administratifs ont plus volon- tiers insisté sur les enjeux proprement or- ganisationnels d’un tel changement. L’administration de la ville-centre, se fon-

111 1. ENACT, Rapport d’orientation, « Analyse des conditions de transfert du nouvel équipement culturel de la

dant sur cette incertitude, faisait valoir son expérience et essayait de promouvoir un scénario où ses services culturels assu- ment une mission intercommunale. Ce scénario leur permettait de définir les moyens de garder le contrôle des activités les plus professionnalisées (spectacle vi- vant, musiques actuelles, enseignement artistique, etc.) dans l’hypothèse de trans- ferts massifs à la communauté d’agglomé- ration dans l’avenir. Mais les élus des communes périphériques semblent réti- cents à une telle logique et insistent una- nimement au contraire sur la nécessité de créer un service propre à la communauté.

Ces questions déplacent le débat de l’investissement vers le fonctionnement. Ici, le clivage entre ville-centre et commu- nes périphériques est entretenu mais il apparaît moins net, étant donné l’incerti- tude qui plane sur l’issue des négociations relatives à l’étendue de la nouvelle compé- tence. Alors que la direction générale de Rennes métropole souhaite d’abord « di- gérer le Nec » en termes organisationnels, les élus suburbains les plus attentifs aux enjeux de l’intercommunalité culturelle semblent avoir des attentes plus larges. Ces attentes sont largement partagées par les professionnels, qui intègrent de plus en plus la dimension communautaire dans leurs projets.

Les cinq dernières années ont en effet vu naître de multiples initiatives favori- sant l’intervention, hors de Rennes, de professionnels conscients de l’intercom- munalité de fait de leurs structures, et cherchant à la renforcer par des actions de terrain. Dans ce domaine, la création de l’Aire libre à Saint-Jacques-de-la-Lande, une commune suburbaine, a favorisé de tels rapprochements. L’établissement a d’emblée collaboré avec le théâtre natio- nal de Bretagne (TNB), dont l’encadre- ment était issu, sur des productions et des résidences. Trans Actions, qui organise les Transmusicales, a aussi travaillé avec l’Aire libre, puis avec d’autres communes

périphériques, dans le cadre d’une ré- flexion sur l’offre de salles de répétition, en lien avec une association fédérative de promotion des musiques actuelles, Le Jardin moderne. Par ailleurs, le festival de cinéma Travelling a récemment dévelop- pé ses activités dans les salles de cinéma situées hors de Rennes. Sans compétence dans ce domaine, le district puis la com- munauté d’agglomération auront trouvé les moyens d’encourager ces convergen- ces, par des opérations comme les soirées districales « Au théâtre en bus », organi- sées dès 1993 pour faciliter l’accès à des spectacles du TNB et de l’Aire libre par la mise en place de navettes au départ des communes. Parallèlement, des initiatives telles que « Musiques d’été », visant à pro- mouvoir l’expression des groupes musi- caux de toute la métropole (1998), ou encore « À vos arts », exposition d’œuvres de jeunes plasticiens dans dix-neuf lieux répartis dans l’agglomération (2000), ont créé les conditions d’une structuration des réseaux culturels à l’échelle de l’agglo- mération.

En écho à ces mobilisations, Rennes métropole a publié en septembre 2000 un supplément sur la saison culturelle dans l’agglomération. Mais les profes- sionnels rennais insistent sur le fait qu’un tel développement de leurs activi- tés passe inévitablement par l’ouverture de quelques nouveaux centres animés eux-mêmes par des professionnels. La construction de quelques centres cultu- rels du type de l’Aire libre pourrait donc avoir des effets importants en termes de mise en réseau et de déconcentration de l’offre, sans que l’organisation des acti- vités, déjà très autonome, entraîne des contraintes fortes pour la communauté d’agglomération.

Paradoxalement, l’accord politique sur le transfert du Nec, envisagé dans sa di- mension d’équipement structurant, crée ce type de contraintes fortes dans la me- sure où le projet de bibliothèque centrale 112

recoupe le secteur traditionnel des biblio- thèques municipales, et de la sorte oblige la communauté d’agglomération à enga- ger une discussion plus générale sur les orientations de la lecture publique, définies en parallèle par les communes de plus de 10 000 habitants et par le conseil général.

Très rapidement, le conservateur en chef de la Bibliothèque centrale a d’ail- leurs posé les enjeux du transfert en ter- mes de cohérence avec la politique municipale suivie jusqu’alors. La ville de Rennes dispose en effet d’un imposant ré- seau de bibliothèques de quartiers issu d’un plan arrêté en 1981, et fonctionnant sous la direction de la bibliothèque cen- trale pour tout ce qui concerne la gestion des fonds, des personnels, et l’informati- sation. Ce schéma n’était pas remis en question dans le projet Nec conçu en 1991. Or, l’hypothèse d’un transfert de la seule Bibliothèque centrale fait planer des in- certitudes sur la cohérence de ce réseau dans la mesure où elle suppose que soient levées toutes les ambiguïtés relatives au déroulement des carrières, à la gestion des fonds et des stocks, aux conditions de prêt. L’hypothèse d’un transfert global des ser- vices communaux, qui serait négocié avec le conseil général, est à l’inverse totale- ment exclue par les bibliothécaires des au- tres communes, qui craignent d’y perdre leur autonomie. De plus, elle bute sur la très grande hétérogénéité des statuts. Le congrès annuel de l’Association des biblio- thécaires français (ABF) qui s’est réuni à Saint-Jacques-de-la-Lande le 3 avril 2000 a ainsi été l’occasion de poser publique- ment ces enjeux, ce qui a favorisé un rap- prochement entre les professionnels rennais et les autres, ceux des communes périphériques et de la BDIV qui avaient établi une première étude en 1996. Un groupe de travail informel s’est constitué et s’est réuni à plusieurs reprises pour dé- finir des scénarios de fonctionnement des- tinés à préparer la décision politique. Ce travail a permis aux professionnels de ré-

fléchir sur la mise en réseau et la complé- mentarité de leurs collections, et sur les conditions d’accès aux collections (moda- lités du prêt et harmonisation des tarifs). Pour la bibliothèque départementale d’Ille-et-Vilaine, l’enjeu est de taille puis- qu’il s’agit de savoir quel sera le degré de continuité du travail engagé jusqu’ici avec les bibliothèques de l’agglomération (of- fice de livres, informatisation des collec- tions, formation des bibliothécaires). La diffusion des scénarios établis par les bi- bliothécaires a indéniablement donné une base de discussion aux élus, et les maires des communes de moins de 10 000 habi- tants, qui pour certains d’entre eux sont aussi conseillers généraux et vice-prési- dents de Rennes métropole, paraissent fa- vorables au maintien d’une collaboration forte avec la BDIV dans le cadre de sa nou- velle politique de développement des pays. Néanmoins, l’agenda du transfert du Nec semble retarder la prise de décision et les négociations avec le conseil général. Les décisions prises à l’automne 2000 il- lustrent ces difficultés. La direction géné- rale de la communauté d’agglomération, en concertation avec l’administration ren- naise, a imposé la commande d’une exper- tise extérieure, renvoyant ainsi le dossier Nec dans un nouveau cycle d’études. La délibération du 20 octobre 2000 comman- dait cette étude et précisait que le trans- fert du personnel de la lecture publique serait effectué au début de l’année 2002, à l’issue de cette étude. Cette initiative sym- bolise tout à la fois sa réappropriation par la communauté d’agglomération, et l’au- tonomie à l’égard du conseil général et de la ville de Rennes.

Le premier semestre 2000 est une pé- riode où de fortes incertitudes ont pesé dans la définition de la nouvelle compé- tence culturelle de Rennes métropole. Ce point est avant tout dû au fait que le projet d’équipement de la ville-centre a orienté la dynamique du débat vers la renégocia-

conseil général, plutôt que vers une simple négociation entre communes. Cette négociation pose à la communauté d’agglomération un double problème de légitimité et de cohérence des périmètres d’action (politique d’agglomération ou po- litique de pays).

Le financement du projet Nec a été un paramètre important du choix de cette compétence. Il a d’emblée été envisagé comme le meilleur exemple des possibili- tés ouvertes par la loi du 12 juillet 1999. Cette interprétation de la loi, centrée sur l’investissement et les coûts de centralité, paraît relativement conforme à l’ap- proche de l’intercommunalité privilégiée par ses rédacteurs.

Or, dans le cas de Rennes, cette dyna- mique s’inscrit en rupture avec une expé- rience de concertation de plus en plus large, dont les acteurs principaux (élus su- burbains et périurbains, professionnels) espèrent qu’elle aboutira à un projet cul- turel global fondé sur la subsidiarité entre agglomération et communes. Selon les sensibilités et les positions sociales, ce terme de « projet », fréquemment utilisé au cours des entretiens, recouvre soit une logique de planification des équipements, soit une logique de mise en réseau des acti- vités professionnelles.

Il nous semble qu’au-delà des contenus significatifs de chacune des politiques es- quissées, c’est en fait une conception du débat qui est engagée. Ces logiques ren- voient chacune à une forme de rationalité typique des relations dans lesquelles s’ins- crivent les individus que nous avons ren- contrés. Chacun d’eux induit un style de décision privilégié et une représentation privilégiée de ce qu’est le succès, en un mot une définition de la compétence1.

Cette analyse est détaillée dans nos trois scénarios.

L

A DYNAMIQUE DE MISE

EN ŒUVRE DE LA COMPÉTENCE CULTURELLE :

TROIS RATIONALITÉS D’ACTION

Ces trois types de rationalité corres- pondent aux trois logiques d’argumenta- tion que nous avons identifiées dans les entretiens que nous avons réalisés. Aucun de nos interlocuteurs n’est vraiment por- teur d’un seul de ces discours. Chacun em- prunte en fait à plusieurs de ces logiques. Il nous semble néanmoins important de les mettre à plat afin de schématiser les termes du débat. Ce qui distingue ces logi- ques est à la fois une définition de la com- pétence et un rapport au temps dans la négociation. Ainsi, il n’est absolument pas exclu qu’un consensus se dégage pour que ces trois logiques constituent en fait trois étapes successives d’un processus d’insti- tutionnalisation.

L’utilitarisme (le Nec)

Ce scénario est celui dans lequel les in- térêts financiers de la ville-centre sont privilégiés, et justifiés sur le mode du suc- cès tactique, c’est-à-dire un succès évalué en fonction d’un but dont on n’avait pas établi à l’avance qu’il serait pertinent, mais qui s’est imposé comme une évi- dence.

Dans ce scénario :

– les choix sont exclusivement justifiés en termes d’impact médiatique et de rayonnement de la métropole ;

– tout changement organisationnel profond est exclu.

Une version courte du scénario consiste à envisager exclusivement un

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1. Cette réflexion s’inspire librement d’un texte de Jacques Merchiers et Patrick Pharo sur les critères de suc- cès et les formes de la réussite dans les relations d’expertise. Merchiers J., Pharo P., « Éléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert », Sociologie du travail, no1 / 92, pp. 47-63.

transfert du Nec. Elle consiste à bénéficier de la DGF en mettant en place un jeu de conventions et en temporisant au maxi- mum. Ce scénario semble être privilégié par les élus rennais et l’appareil adminis- tratif de la communauté d’agglomération, qui semble appréhender les changements d’organisation qu’impliquerait une ap- proche élargie de la compétence cultu- relle. Il suppose un processus de décision très fermé, qui a un coût politique en ter- mes de cohésion de la majorité de la com- munauté d’agglomération.

Une version longue du scénario consiste à envisager simultanément des contreparties qui permettraient aux mai- res les plus dynamiques en matière cultu- relle d’asseoir leur position, voire de jouer un rôle nouveau dans la production de grands équipements ou événements sus- ceptibles de « faire parler » de leur com- mune au sein de la métropole rennaise : centres culturels, festivals, accueil de compagnies en résidence, etc. Le proces- sus de décision est plus ouvert mais repose essentiellement sur une logique de mar- chandage ayant pour principale justifica- tion le caractère « porteur » des projets d’un strict point de vue médiatique. Cette logique est parfois assumée par des élus occupant des positions fortes dans la com- munauté d’agglomération (vice-prési- dents, maires cumulant d’autres fonctions).

Cette logique est dominante jusqu’à l’été 2000. Dans une certaine mesure, elle est consacrée par les délibérations d’oc- tobre 2000.

Dans le document La politique culturelle des agglomérations (Page 111-115)

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