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Choix politiques et stratégiques

4. Quid du ou des modèle(s) français ?

4.4. Un modèle en devenir

« Trois mondes constitueraient aujourd'hui les contours d'une smart city à la française, trois mondes qui sont en mouvement et qui aujourd'hui s'interpénètrent, se croisent pour constituer en quelque sorte l'écosystème français de la ville intelligente : le monde de la e-administration territoriale, qui poursuit son chemin après le passage au web 2.0 ; le monde du grid, celui des services urbains en réseau et notamment l'électricité ; le monde des expérimentateurs sociaux, ces expérimentateurs qui vont produire une valeur sociale »193.

François Ménard, Plan Urbanisme, Construction et Architecture

Eléments de constat

Nous nous appuyons sur douze éléments de constat établis à partir de la confrontation des différents projets de « villes intelligentes » existant en France.

1 - Ce sont quelques grandes villes qui sont en capacité à incarner le « modèle français de la ville intelligente ». L’effet de taille est en effet important,

même s’il est impossible d’établir des seuils démographiques. Les villes en questions sont également des villes dans lesquelles les opérateurs urbains sont en capacité à

192 http://lesclesdedemain.lemonde.fr/point-de-vue-ibm/la-smart-city-sera-au-coeur-de-toutes-les-reflexions-

sur-les-investissements-publics_a-95-5413.html

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investir, sur des applications, des démonstrateurs, des bâtiments, des services…, ce sont encore des villes universitaires. Elles sont en capacité à organiser des événements de portée nationale ou internationale (congrès, salons…) sur ces sujets…

2 - L’acteur public y est en position centrale, ce qui est une caractéristique

qui permet notamment de distinguer les « modèles français » de nombres de modèles états-uniens ou asiatiques de façon générale, dans lesquels les grands acteurs économiques peuvent avoir parfois tendance à marginaliser l’acteur public local. Rien de tel en France, où les acteurs publics sont plutôt en phase d’affirmation, notamment dans les grandes villes et les métropoles,

3 - Un projet typique de la légitimation des métropoles ? Un nombre

assez significatif des projets existant sur ces enjeux de « villes intelligentes » s’insèrent dans la recomposition des institutions locales, ils sont très opportunément mobilisés pour renégocier les formes et le périmètre territorial de la gouvernance locale dans le cade des recompositions induites notamment par le développement des métropoles. De ce point de vue, les « villes intelligentes » apparaissent comme une conséquence inattendue de la loi Maptam. Ce type de phénomène est au demeurant assez classique, ce sont généralement les institutions les plus récemment créées qui s’emparent des nouveaux enjeux, précisément parce qu’ils n’ont pas encore été appropriés par les institutions en place,

4 - Des partenariats d’un nouveau type ? Au-delà de l’acteur public de

référence (souvent une métropole), elles mobilisent très généralement des systèmes partenariaux assez larges et complexes, quitte à expérimenter sur de nouvelles formes de partenariats, y compris pour ce qui touche aux fonctions centrales de la régulation urbaine. L’arrivée de nouveau entrants dans la fabrique et la régulation urbaine participe pleinement de ce mouvement, de même les quelques exemples de partenariats avec des équipes de recherche universitaire,

5 - Des projets hybrides. La plupart des grands projets de « villes

intelligentes » ne viennent pas de nulle part, ils prolongent des projets déjà installés, avec des partenariats, des dynamiques, des justifications qui leur sont propres, et ceci dans deux orientations principales : le « développement durable » d’un côté, la « société de l’information » de l’autre.

6 - Les « villes intelligentes » sont des terrains d’expérimentation et de test en grandeur réelle pour tout une série de solutions en matière d’urbanisme comme de gestion urbaine. Elles participent pleinement à l’invention

de nouvelles méthodes et de nouveaux dispositifs pour faire émerger de nouveaux services, par exemple autour de l’utilisation des mégadonnées (exemples de Numa à Paris, de Tuba à Lyon…). Elles facilitent la territorialisation des milieux socioprofessionnels dans lesquels s’élaborent de nouvelles organisations du travail comme dans les « espaces de coworking ».

7 - Ce sont des villes qui disposent déjà d’une forte reconnaissance dans plusieurs domaines. Dirigées par des élus clairement mandatés sur ces sujets,

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partenariaux étendus… ces villes sont généralement reconnues pour leur efficacité dans de nombreux domaines. Elles participent à de nombreuses associations à la lisière ou dans le champ de la « ville intelligente » (« villes éducatrices », ICLEI, Energy Cities, OpendataFrance, Villes Internet,…), elles sont multilabellisées (French Tech, Label Villes Internet, Agenda 21, Ecoquartiers, Ecocités…), interviennent sur la scène internationale, au niveau européen ou au-delà (Charte d’Aalbort, Villes pilotes de l’Open Government Partnership, participation au programme H2020 de l’Union Européenne…),

8 - Elles sont des foyers d’innovation, que ce soit en matière économique

(rôle des start-up, des accélérateurs, des incubateurs…), ou en matière de qualité de vie. Les villes intelligentes ont partie liée avec les Pôles de Compétitivité ou avec la French Tech… L’innovation appelée ou suggérée par la « ville intelligente » ne se limite cependant pas à des prouesses technologiques. Le mouvement des « makers » qui se regroupe notamment autour des « Fab labs » peut également être mobilisé (comme à Barcelone autour de la « Fab City ») pour produire des innovations « frugales »,

9 - Elles sont très attentives à garantir les droits et les libertés publics.

En particulier, elles résistent avec succès aux sirènes de la « marchandisation » des services, s’efforcent de maintenir un équilibre entre services publics et services marchands, d’encadrer le recours à la vidéosurveillance, aux mégadonnées urbaines…

10 - Une approche socio-centrée plutôt qu’une approche techno- centrée. En cela, les villes françaises sont plus réservées ou vigilantes que beaucoup

de leurs homologues à l’étranger. En cela, elles bénéficient moindrement de la publicité des grands opérateurs techniques qui s’intéressent plus spontanément aux performances technologiques, en les valorisant comme des « show rooms »,

11 - Ce sont encore des villes que l’on pourrait qualifier d’inclusive.

Les « villes intelligentes » françaises sont conscientes qu’il est essentiel d’éviter que ne se creusent des écarts entre les différentes catégories de la population et les différents quartiers et territoires urbains autour de l’accès aux services développés dans la dynamique de la « ville intelligente ». De ce point de vue, elles ont multiplié, parfois depuis plusieurs années, des politiques de « réduction de la fracture numérique », des politiques de sensibilisation d’éducation au numérique via des lieux comme les espaces de « médiation numérique », les écoles…

12 - Ce sont enfin des villes qui doivent s’efforcer de réinventer le contrat de citoyenneté avec leurs habitants. Les « villes intelligentes » s’efforcent

de renégocier le projet urbain avec leurs populations. Par le biais d’opérations relevant de l’« urbanisme tactique » par exemple, elles stimulent l’implication des habitants- citoyens dans la gestion urbaine. Elles participent à la promotion de nouveaux comportements « éco-citoyens », de nouvelles formes de participation aux débats de la société locale, elles sont en cela des « villes intelligentes participatives » en devenir.

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Un modèle collaboratif

Les perspectives offertes par un dialogue avec leurs homologues étrangères

Le rapport devra permettre aux élus locaux et nationaux de poursuivre leurs engagements à la fois dans de véritables politiques publiques locales autour du développement des usages des technologies numériques ainsi qu’autour de politiques ambitieuses de développement durable. Il revient aux élus et aux acteurs locaux de pousser vers l’hybridation des projets portant sur le numérique et des projets allant dans le sens du développement durable.

Le modèle français de « ville intelligente » devrait surtout avoir pour vertu de valoriser à l’étranger les savoir-faire français. Ce modèle est l’héritier de nombreux savoir-faire français reconnus dans le monde. Pour être bien perçu depuis l’étranger, le modèle français de « villes intelligentes » ne peut s’inscrire que dans la généalogie du « modèle d’urbanité » français qui, quant à lui, bénéficie très généralement d’une bonne réputation à l’étranger.

Il convient de repenser des alliances, avec de nouveaux partenaires, des collectivités locales qui, à l’étranger, se soucient à la fois des services publics, de la participation citoyenne, et plus généralement des grandes problématiques portées par les valeurs et les acteurs de la société française… Il convient de repenser des alliances en intégrant des acteurs qui seront à la fois des médiateurs et des acteurs-relais essentiels, qu’il s’agisse d’ONG ou de représentants du monde universitaire.

Ce que les partenaires actuels ou futurs des collectivités locales françaises pourraient attendre d’un « modèle français de villes intelligentes » correspond à des savoir-faire généralement reconnus comme des « marques de fabrique ». C’est vrai notamment dans les projets urbains, dans la fabrication de la ville, des grands équipements aux espaces publics. C’est également vrai pour ce qui concerne les services urbains. En matière de méthode de mobilisation sociale dès lors qu’il s’agit de faire participer les habitants/citoyens à la fabrique de la ville ou à sa régulation, c’est sans doute un peu moins vérifié, et, en la matière, les collectivités françaises pourraient aussi apprendre de leurs villes partenaires à l’étranger. Ce dialogue au sein des coalitions d’acteurs et entre pairs aura pour effet de participer à l’internationalisation et à l’hybridation du modèle français.

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