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Le numérique comme « technologie transformationnelle » des organisations

Les constituants des « villes intelligentes »

2. La transformation urbaine

2.1. Le numérique comme « technologie transformationnelle » des organisations

La capacité des collectivités locales à se doter de compétences nouvelles a longtemps été encadrée par leur statut et les contraintes de la fonction publique territoriale ainsi que par leur propre complexité organisationnelle. En fait, pour la très grande majorité d’entre elles, ces compétences ont très peu évolué depuis la fin du XIXème siècle (loi municipale de 1884) et jusqu’à la Décentralisation de 1982. Comme l’ont montré les travaux des sociologues comme Michel Crozier, Jean-Claude Theonig ou encore Pierre Bourdieu, les collectivités locales, dans l’exercice de leurs politiques de développement et pour faire face à l’ensemble des incertitudes qui entouraient leurs capacités d’intervention, recouraient de façon assez systématique aux services et à l’expertise de l’Etat.

Même si c’est le lot de la plupart des collectivités, certaines d’entre elles commencent toutefois à innover dès le milieu de la décennie 1960, et ceci en lien avec l’amorce de l’informatisation des grandes organisations. Les très rares collectivités impliquées dans ce premier âge de l’informatique sont certes peu nombreuses, mais elles comptent parmi les plus dynamiques et sans doute les plus « visionnaires ». A Marseille, lors de la première délibération du Conseil municipal consacré à cette question, le 25 mars 1968, il est rapporté « que l’utilisation des ordinateurs peut être une évolution comparable à celle de l’imprimerie. La ville de Marseille, en tant que Métropole, se devait d’anticiper sur des réalisations qui deviennent désormais inévitables non seulement à l’échelon national mais dans le cadre régional »62. De fait, la Ville

dirigée par Gaston Deferre sera la première en France à se doter de cette technologie. Limitée aux grandes villes jusqu’à la fin des années 1970, cette informatisation a eu notamment pour effet de bouleverser la structure organisationnelle des collectivités concernées et ceci, non seulement en raison de l’installation d’un nouveau service, et donc de l’apparition de nouveaux métiers, de nouvelles cultures de travail, mais aussi, et sans doute plus fondamentalement parce que ce service s’est d’emblée présenté souvent comme le « service des services », autrement dit le service dédié à la « modernisation » des services existants. En cela, il a profondément participé aux changements organisationnels des collectivités locales. Service des services, il introduisait donc une première rupture dans une organisation séculaire, pensée par silos, fortement spécialisée et hiérarchisée, qu’il a fait évoluer vers une organisation beaucoup plus transversale, susceptible de mieux faire collaborer les différentes compétences stratifiées aux différents niveaux de l’organisation, en les amenant à participer à des projets communs et renvoyant à ce qu’on appelle l’organisation matricielle et le management par projets.

L’informatique comme outil de changement organisationnel s’est répandu au-delà du premier groupe des quelques villes pionnières à partir de la décennie 1980 et de la diffusion de la micro- informatique ainsi que de l’informatique en réseaux.

62 Registre des délibérations du Conseil municipal, compte-rendu de la réunion du Conseil municipal du 25 mars

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Après le temps de l’informatique, celui de la télématique a eu un impact assez limité. Par contre, avec la décennie 1990, la diffusion d’Internet a été beaucoup plus rapide. Elle a eu ceci d’original, si on compare à l’histoire de l’informatique communale, qu’elle a d’abord semblé plus adaptée à des villes petites ou moyennes plutôt qu’aux plus grandes villes. Ce n’est pas Marseille, Lyon, Nantes ou Toulouse qui inaugurent les premiers sites Web communaux et expérimentent autour d’Internet, ce sont des villes comme Aubazines (800 habitants), Parthenay (12 000 habitants), Castres (43 000 habitants), Issy-les-Moulineaux (50 000 habitants)…

C’est ce dont rend parfaitement compte l’histoire de l’association « Villes Internet » et de son label éponyme63. En fait, Internet apparaît alors comme une innovation relativement peu

onéreuse (si on compare aux coûts d’acquisition et d’assimilation de la grosse informatique de gestion) et génératrice de changements organisationnels moins profonds et donc plus facilement maîtrisables.

Autour des projets de « villes intelligentes », ce à quoi on assiste, c’est à l’approndissement des tendances engagées depuis la fin des années 1960, mais, là encore, ce sont les grandes villes, et les métropoles notamment, qui apparaissent comme les plus à même de conduire ces innovations.

En témoignent en particulier l’apparition de nouvelles fonctions au cœur des organigrammes de certaines des collectivités les plus avancées, comme celles d’« administrateur général de la donnée » ou de « scientifique de la donnée ».

Sollicitée pour présenter son métier au sein du Grand Lyon, Nathalie Vernus-Prost, première « administratrice générale de la donnée » à avoir été recrutée sur ce profil par une collectivité locale française détaillait ses fonctions de la façon suivante :

« Il s’agit pour moi de travailler : 1/ À l’adaptation continue de l’infrastructures de production/collecte/diffusion des données et sur la chaîne de la valeur sécurisée de la donnée ; 2/ À l’identification et à l’activation des processus de création de valeur : Innovations, Services numériques, Data driven policy, data science, A.I… ; 3/ À l’animation de l’écosystème territorial de la donnée : acculturation, mobilisation, mutation numériques… ; 4/ À la création d’une vision de la donnée comme bien commun métropolitain. Facteur de résolution des défis urbains.

Les tâches d’un CDO [Chief Data Officer, qui se traduit bien par Administratrice Générale de la Donnée] sont très transversales : gestion, gouvernance, Recherche & Développement, Data stratégie, Réseaux (échanges avec les collectivités), conduite du changement… »64

Le « Scientifique de la donnée » est lui aussi en cours d’émergence dans le monde des collectivités locales : « C’est un métier qui monte et dont on parle beaucoup : les data scientists sont celles et ceux chargés de donner du sens aux données dont regorgent les systèmes d’information, qu’ils soient privés ou publics. Le SGMAP vient de recruter ses premiers experts. Cette dénomination

63 Sur ce pan de l’histoire, cf. Emmanuel Eveno ; A la conquête des territoires en réseaux. Les réalités de

l’internet territorial dans les communes françaises ; ed. du Moniteur, 2011.

64 Séminaire « Villes Intelligentes » organisé par le LISST-CIEU en partenariat avec Toulouse Métropole, le 13

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générique masquent différentes façon d’appréhender le métier, qui s’inscrivent parfois dans la continuité de la bonne vieille statistique »65.

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